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Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/01/01

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CHAPITRE PREMIER

L’ÉPOQUE. — L’HOMME. — PREMIERS ESSAIS



I

L’HOMME ET SON ÉPOQUE.

Les enfants nés en France entre 1800 et 1815 n’ont pas eu froid en venant au monde. Conçus entre deux batailles, nés d’un sang tumultueux, trop jeunes pour comprendre les misères de tant de gloire, ils grandissaient sous « les soleils d’Austerlitz[1] », le cerveau chauffé par un ciel ardent.

Nous ne respirons plus le même air. Le premier chapitre du siècle nous semble aussi déclamatoire que le début de la Confession d’Alfred de Musset. La critique historique poursuit son œuvre. À chaque fois qu’elle attaque la légende et qu’elle en entame le granit, une étincelle jaillit et s’éteint, une poussière lumineuse vole et disparaît : c’est une parcelle de l’imagination d’autrefois qui s’en va, comme les vieilles lunes du poète. Mais les vieilles lunes ne peuplent plus d’étoiles notre ciel désenchanté. Depuis un temps, les Mémoires s’ajoutent aux Mémoires ; une exposition de la Révolution et de l’Empire s’est ouverte, où nous avons scruté les livres de comptes domestiques de Napoléon, examiné ses chapeaux et ses sabres, et cherché, avec plus de curiosité que d’enthousiasme, le fait, non le merveilleux. Car nous ne concevons plus sans peine, même ceux d’entre nous qui s’efforcent à comprendre, l’état de l’âme française vers 1820.

Ces jeunes gens avaient entendu les récits de tant d’événements si rapides et si extraordinaires. Et d’abord, c’était le branle-bas de cette Révolution, que le xviiie siècle avait préparée, sans y être prêt lui-même, qui avait fait explosion, bouleversé la société, les mœurs, les idées, pour s’évanouir enfin dans les exodes de l’épopée napoléonienne. Et c’est l’éblouissement de la « servitude militaire[2] », quinze années de radieuse et sanglante fantasmagorie, de gloire et de deuil semés sur les routes d’Europe, de marches et de chevauchées à pas de géants vers les capitales. Pendant quinze ans, les enfants n’ont songé que haies d’acier, costumes chamarrés d’or, colonnes armées qui serpentent sur les nappes d’argent ou le sable fauve, dômes, mosquées, minarets et kremlins ; « ils ont rêvé des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides[3] ». Les images étaient si grandioses, et l’impression en fut si profonde, que cette génération s’enrichit de couleurs et de métaphores pour toute sa vie. Oui, ce fut une rude secousse pour l’imagination française. Pendant un demi-siècle, au moins, elle applaudira aux héroïques aventures et aux phrases superbes ; elle retrouvera en de moindres choses le frisson des beaux mouvements, des situations désespérées et des émotions souveraines. Une autre fantaisie que celle des Baour-Lormian et des Brifaut sera nécessaire pour repaître la sensibilité d’un « Français qui fut de la retraite de Moscou[4] ».

Les Bourbons pacifiques ne l’occupaient pas assez. Elle s’exalta dans ce calme. Bonaparte avait fait l’histoire ; les survivants de Waterloo firent la légende. Du fond du peuple monta la gloire impérissable. Ceux qui ont parcouru l’Europe avec Lui tournent obstinément leurs regards vers le golfe de Juan ; ils ne peuvent croire qu’il soit mort ; et enfin, quand il est avéré qu’il ne reviendra plus, qu’il a cédé sur son rocher à l’humaine destinée, sa figure grandit encore aux yeux de ceux qui furent de ses exploits ; elle apparaît comme le symbole du sentiment national ; le petit chapeau, la redingote grise où se dissimulait la main qui gagnait les batailles et signait les traités, ils revivent déjà d’une vie fabuleuse dans la tradition orale. Byron est le premier poète qui s’en avise. Hugo n’écrira plus Buonaparte ; il va découvrir en Lui matière et source de poésie. Béranger se fera l’écho des humbles dévotions[5].

Il s’est assis là, grand’mère,
Il s’est assis là ?

En cette figure disparue, et dont l’auréole va grandissant, se réfugient l’orgueil national et je ne sais quel fatalisme médiocre, qui est comme le ferment des enthousiasmes populaires. C’est l’époque des anecdotes héroïques et des estampes qui propagent dans toutes les chaumières de France le Petit Caporal, à la veille d’une victoire, montant la garde avec le fusil de la sentinelle endormie. Cette philosophie des petites causes et des grands effets est l’âme des légendes parce qu’elle est la foi des masses[6]. Et ainsi l’imagination des adolescents de 1820 semble un palais de Monte-Cristo, riche en souvenirs de tous pays, décoré d’images flamboyantes et grandioses, où l’Orient se mêle à l’Occident, les immenses tableaux de batailles aux aventures fantastiques, tout cela frémissant de mouvement et de vie, illuminé de la gloire de ce capitaine qui n’est plus et que l’humaine superstition a soumis, en le consacrant, au merveilleux et à la fatalité des immortelles épopées. En sorte que Madame de Staël, qui écrivait, dès l’année 1810 : « La tendance naturelle du siècle, c’est la tragédie historique[7] », ne formulait qu’une demi-vérité, la tragédie étant un art trop sévère pour assouvir ces imaginations impatientes, et l’histoire une science trop inflexible et précise pour cette poussée de passions de tête qui débordaient. Elle notait aussi, et avec plus de justesse : « Nos plus belles tragédies en France n’intéressent pas le peuple[8] ».

Car c’est à lui qu’il faut plaire désormais. Il est en passe de devenir tout. On le lui dit d’abord ; et il le pense. Essayez de le prendre, après qu’il a passé partant d’événements, et qu’il en a conté ou rêvé tant d’autres, au leurre admirable de la tragédie psychologique. Il y reviendra, plus tard, quand il sera la bourgeoisie, la flamme de son imagination une fois éteinte, et lorsqu’il aura senti (au delà du nécessaire) l’inanité des rêves épiques et la vanité du génie d’aventures. Mais, à cette heure, il est épris de ses souvenirs et de ses songes ; il veut voir sur le théâtre mouvement, situations, passions, du rire, des larmes, en liberté, de la gloire, des deuils, tout mêlé, tout grandiose, comme lorsque fermant les yeux il songe ou se souvient. La couleur historique lui plaît, comme un décor, et pour la joie de l’imagination, toujours. L’exotisme sera bienvenu ; il rappellera l’Europe traversée au galop. Pour les coups d’épée, qu’il y en ait, et beaucoup. Si ce drame, qui est attendu par la jeunesse de 1820, n’est ni historique autant qu’on l’a cru, ni national au point où plusieurs l’ont écrit, populaire il est et sera, par définition et de nécessité première.

Il sera aussi quelque autre chose, dans une société toute neuve, où, les classes n’étant plus imperméables, les mœurs vont acquérir une importance prépondérante au regard de l’observateur, où l’individu, après avoir renversé les barrières, s’est définitivement affranchi et s’évertue. Il semble que la vie morale et sociale en doive être singulièrement modifiée. Sans doute il y a une façon de sentir qui est universelle ; mais l’expression n’en saurait demeurer identique chez un peuple en plein travail de régénération. Il est temps de montrer sur le théâtre ce qu’un monde nouveau a fait des passions qui agitent les hommes, et si quelques-unes n’y ont pas pris une autre face ou ne s’y comportent pas différemment. Depuis sa liaison avec Manon Lescaut, des Grieux a passé une dernière nuit mémorable, qui fut celle du 4 Août ; ses fils ont campé sous l’œil énigmatique du Sphinx et incendié le Kremlin. Il se pourrait que le souvenir de ces années glorieuses pour la nation s’accompagnât de quelque mélancolique désillusion chez les individus. Et donc, si le drame historique se vidait de l’intérêt qui s’attache au passé, il trouverait encore une ample matière dans la peinture des mœurs et des passions rajeunies par la Révolution et élevées au ton de la poésie par l’épopée de l’Empire. Et comme en ces temps héroïques il semble que ni l’âme française n’ait contenu rien de médiocre ni la vigueur de la race exécuté rien de mesquin, l’imagination populaire attend aussi ce drame moral et social comme la pâturé de ses intellectuelles et sentimentales convoitises…

Le cinquième jour du mois de thermidor, l’an X de la République (24 juillet 1802), naquit à Villers-Cotterets Alexandre Dumas-Davy de la Pailleterie. Il était fils du général Alexandre Dumas, né à Jérémie, côte et île de Saint-Domingue, et d’Élisabeth Labouret, son épouse. Le lendemain, l’Horatius Cocles du Tyrol annonce avec joie à son camarade Brune que sa femme est accouchée « d’un gros garçon qui pèse neuf livres, et qui a dix-huit pouces de long[9]  », Et le registre de l’état civil assure que « le sexe de l’enfant a été reconnu être masculin[10] ».

Masculin il était, ayant de qui tenir. Son père parait avoir été une manière de géant bronzé, aux cheveux crépus, un Hercule des tropiques, chez qui le courage et la vigueur suppléaient aux grands desseins. Il avait du génie militaire à bras tendu. Dumas ne tarit pas dans ses Mémoires sur les coups de force du « diable noir[11] ». Un souvenir surtout le transporte et le ravit : celui du pont de Clausen défendu par le général tout seul contre un régiment d’Autrichiens[12]. Lui aussi, il a l’encolure et la taille d’un bon géant. Demi-nègre, de complexion athlétique, avec les poignets et les chevilles finement attachés et la main déliée (cette fierté des attaches, il l’avait léguée à son fils), lâché à travers les champs et les bois, il s’établit d’abord dans la gloire de ses muscles. J’y insiste. La vigueur du bras et de l’avant-bras et l’élégance de ce qui est au bout, sont chez lui comme un double trait du caractère : Porthos et Aramis. Mais Porthos l’emporte. Il est le type de ses enthousiasmes et de sa vanité, de ses heureuses audaces et de ses plus énormes fanfaronnades. Pendant onze volumes d’exploits et de feuilletons quotidiens, Porthos le ravit et l’étonné, à pied, à cheval, debout, assis, dans le silence, dans le sommeil. — « … À ses muscles tendus et sculptés en saillie sur sa face, à ses cheveux collés de sueur, aux énergiques soulèvements de son menton et de ses épaules on ne pouvait refuser une certaine admiration : la force poussée à ce point, c’est presque de la divinité[13]. » Lorsque Kean retroussera ses manches, il aura vraiment du génie. On conte[14] que Dumas avait les larmes aux yeux, quand il dut enfin tuer Porthos, et qu’il ne pouvait prendre son parti d’anéantir sous le rocher insensible tant de vigueur unie à tant d’héroïsme serein.

Étant Porthos, il ne saurait être Octave. Sur cet enfant du sexe masculin le mal du siècle n’avait pas la même prise que sur Alfred de Musset. La force incline à l’action, et non à l’analyse. Les héros d’Homère ne sont point subtils ; ils se dégourdissent l’âme et secouent la mélancolie à grands coups de javelot. Dumas aussi possède en bien propre un fonds de santé, qui aura ses exigences, et gênera singulièrement le goût qu’il croit se sentir en 1830 pour la littérature saxonne, pour la tristesse des Werther et des Manfred. Il est foncièrement gai, d’une gaîté épanouie et pas du tout satanique[15]. La désolation lui sera d’abord un exercice difficile. Il est beaucoup plus proche de Gargantua ou de Pantagruel : au travers de son masque on voit à plein le gaillard. Il a des coups de désespoir très vigoureux qui ressemblent fort à de virils appétits. Antony est un Werther — qui abat cent à la tête du Turc et casse les vitres sans métaphore. Il se console du malheur de vivre par une certaine robuste joie d’aimer.

Même l’histoire de ces consolations est à peu près toute l’histoire de la vie de Dumas. Elle est variée, remplie d’anecdotes, mais sans rapport direct à ses œuvres dramatiques. Il est seulement véritable que de ses sens le moins développé était le sens moral. Une seule fois, on pourrait croire qu’il eût éprouvé une passion vraie pour une femme, ou du moins autre chose que le goût très vif qu’il avait pour les femmes. Et peut-être cette croyance serait-elle une méprise[16]. Qu’il nous suffise d’indiquer cette naturelle pente de son génie créateur, qui ne l’éloigné pas trop de l’esprit populaire, toujours enclin chez nous à saluer les prouesses et la légendaire liste de Don Juan.

Joignez que pendant quinze ans il grandit en liberté, sauvageon plein de sève, dans les taillis des grandes forêts ducales, parmi des hommes frustes, dont les récits militaires, autant que le spectacle de la nature, échauffent son imagination. Dès 1806, sa mère est veuve, dans la gêne, malgré de pressantes démarches faites auprès de Napoléon[17]. De cette mère, qui fut excellente, et de

ces années difficiles le souvenir lui restera présent. Il en gardera je ne sais quelle tendresse toujours prête à s’émouvoir et une inépuisable indulgence pour les faibles femmes, qu’il verra toujours épouses ou veuves de ces colosses de l’Empire, abandonnées aux hasards de la vie. Muscles, imagination, sensibilité se développent à l’unisson. Tout cela se tient en lui. Il faut sans cesse faire état des indications physiologiques dans l’étude de son caractère et pour noter la formation de son esprit. Cependant il devient avec insouciance une « force de la nature », selon le mot de Michelet[18].

Toute contrainte le gène. Il lui faut l’espace, le grand air. Aucune entreprise ne l’effraie. Tout jeune, il fait douze lieues à pied pour paraître dans un quadrille ; plus tard, il commencera un drame historique sans connaître les éléments de l’histoire. Il est confiant[19], entreprenant, comme il est marcheur, chasseur, hâbleur, exagéreur, amoureux et sensible — à pleins poumons. Il a une intrépidité de qualités et de défauts qui fait sourire et ne fâche point. Se fâche-t-on contre le chêne orgueilleux de la fable, que le vent a semé et qui croît en pleine campagne ? Il y a en lui un Diderot moins cultivé, mais plus robuste, et souvent plus proche de la nature et de la foule[20]. À ses heures de joie, il embrasse tout le monde, hommes et femmes, les femmes surtout. Et il imagine comme il sent, de tout son tempérament, de toute sa force vive, et parfois de toute son incroyable vanité.

Sa vie entière, il Ta livrée en proie à son imagination. Ses pires erreurs, fanfaronnades, escapades, gasconnades et pareillement ses audaces les plus originales et ses œuvres les plus hardies ne s’expliquent pas autrement. Écolier aux mains de l’abbé Grégoire ou de l’abbé Fortier, dernier clerc chez Me Mennesson, expéditionnaire dans les bureaux du duc d’Orléans, il étouffe sous la discipline scolaire ou la hiérarchie administrative. L’impossible le tente ; le magnétisme le trouble[21] ; les gageures l’attirent. Il ne doute de rien, ni surtout de lui-même. Pendant la Révolution de 1830, il s’échappe dans la rue, parade devant sa batterie, se pavane en face des pièces ennemies[22] ; il lui faut un coup de canon pour lui tout seul. Cela est mieux ainsi dans sa fantaisie. Il croit que c’est arrivé, il se réjouit de le croire. Il raconte la prise de la poudrière de Soissons enlevée par Dumas fils de Dumas[23]. C’est son pont de Clausen. Ne vous avisez pas de mettre en doute cet exploit ; il a des pièces à l’appui de sa foi, qui est réelle. Il n’aime point Bonaparte ; mais tout de même Napoléon se dresse dans son imagination et agit fortement sur elle. Dumas n’a pas conquis l’Europe, non ; mais il l’a parcourue, dévorée, contée, inventée. Au Caucase il s’est arrêté[24] ; il était temps : l’Asie, pour un peu plus, y passait toute. Les voyages qu’il n’a pas accomplis, il en fait le récit avec d’autant plus d’entrain ; et les héros de ses drames seront des pèlerins effrénés. Il est bien de son époque, où maints Picrocholes pensèrent sauver la Grèce ou délivrer Jérusalem. La gloire de Byron le hante autant que l’éblouit la trace lumineuse de Lamartine ; plus tard il armera la Belle Emma, et, parti pour l’Orient, il débarquera en Sicile et fournira de fusils et de munitions Garibaldi. Chasseur, voyageur, explorateur, artilleur, magnétiseur, que n’est-il point ? Il n’a pas tenu à lui qu’il ne jouât le rôle d’un politique[25]. Ce n’est pas au moins qu’il s’en soit jugé incapable : il avait la vocation de la cuisine[26]. À la vérité, son existence s’est, pour une bonne part, déroulée dans un monde peuplé de ses fictions, de ses rêves, de ses désirs et de ses illusions. Après le succès de Monte-Cristo, il se prend pour son héros ou son héros pour lui. Il mène le train de Dantès ; il bâtit un palais féerique, dont la splendeur achève sa ruine. Il a réussi dans le drame historique ; il mettra volontiers en drames toute l’histoire dès qu’il aura un théâtre à lui, un Théâtre-Historique pour lui et son génie, un théâtre national dont le peuple en foule inondera les portiques, où il l’instruira, le tiendra en sa main, et déchaînera selon son caprice sur cette mer humaine la tempête du rire ou des larmes : tel Neptune, divin régisseur des flots. Cerveau ardent, fantaisie débridée, dont toutes les visions prennent aussitôt consistance, pour s’évanouir l’instant d’après sans laisser derrière elles ni regret, ni tristesse ; tempérament extraordinaire, toujours en haleine, en santé, en mouvement, comme les héros et les petits enfants, et toujours prêt, ainsi que Porthos, à porter les tours de Notre-Dame[27].

Il est vrai que du penseur il n’a rien ; il atteint malaisément aux idées générales, qu’il traite trop volontiers de Turc à More. Il n’est ni compliqué ni subtil ; mais il possède la délicatesse, même poétique, quand il lui plaît : souvenez-vous des attaches fines et de la main déliée. Cette main, qui frappe d’instinct les coups de violence, a des caresses presque féminines. Ce lutteur ne manque point de grâce, alors qu’il raccourcit le geste pour effleurer ce qu’il touche. Ces gentillesses lui sont naturelles, pour peu qu’il s’attendrisse. Et j’ai dit qu’il est tendre volontiers et souvent. Le peuple se plaît aux larmes des athlètes sensibles.

Il est vraiment peuple et « enfant de la nature » ; tout ce qui l’amuse est bon, et mauvais tout ce qui l’ennuie[28]. Il a une religiosité vague[29], avec la superstition des obscures fatalités[30] ; d’ailleurs inconsistant, endurant, et très laborieux, au jour le jour. Son désordre a imposé à son génie de rudes labeurs et de pitoyables corvées, qu’il accomplissait le sourire sur les lèvres. Il a été la plupart du temps un terrible improvisateur, avec jovialité, toujours dispos. Il s’est plu aux pires besognes ; il s’est beaucoup amusé en de meilleures. Cette allégresse continue de la production, qui est peut-être la seule unité qu’il ait mise dans sa vie, en eût fait déjà un favori de la foule. Joignez-y d’incessantes et retentissantes frasques : c’était de quoi former une légende autour de son nom. Dumas a eu sa légende, sa légende à lui, à lui tout seul, comme son théâtre, son château de Monte-Cristo, sa poudrière de Soissons : et sa copieuse jactance, et sa truculente imagination en ont exulté. Il voyageait pour la propager ; il eût fait le coup de poing pour la rétablir. Le moyen qu’un pareil homme ne fût pas populaire ?

Il n’entra pas à l’Académie ; cette consécration lui manqua, si elle est nécessaire ; il ne l’eut point, si elle n’était pas indispensable à sa renommée. Non, certes, qu’il s’y soit aisément résigné. Il ne dit pas tout à fait ce qu’il pense, quand il l’affirme[31]. Il brûla plus d’une fois d’un vif désir d’en être. Enfin, il n’en fut point. Mais il fut de tous les théâtres de drame, qu’il fournit de matière pendant quarante ans. Quarante années durant, il surmena cette colossale musculature, cette imagination ardente, cette sensibilité à la fois exubérante et tendre. Il usa dans le roman, le feuilleton, le journal, la causerie, cette popularité même qui semblait bâtie à chaux et à sable ainsi que l’homme. Après tant d’actes égrenés sur tant de scènes, il fallut attraper le dénoûment. La faveur publique se refroidit ; les forces manquèrent ; la flamme de l’invention s’éteignit ; le sentiment s’hébéta ; et cette vie de travail et de hasards, de triomphes et de puffisme, de passions, de fictions, de visions s’acheva dans l’inconscience. « Un jour, écrivait son fils, la plume lui est tombée des mains, et il s’est mis à dormir[32]. »

Il mourut le 6 décembre 1870, vers la fin de cette année terrible, qui portait, pour un temps, un coup funeste à l’imagination française, déjà fort apaisée depuis le milieu du siècle. La France nouvelle n’était plus aux héros de cape et d’épée, ni au génie d’aventures — chevaleresques, s’entend.


II

L’ÉDUCATION DE SON ESPRIT.

Il sut de bonne heure prendre les oiseaux à la pipée ou à la marette. Il sut aussi tirer un lièvre proprement. Les éléments de la musique, l’escrime et la danse : c’est tout ou presque tout ce qu’il apprit sous le premier Empire, avec très peu d’orthographe et de l’arithmétique moins encore. Ses lectures furent dirigées par le hasard. Après la passée des ragots, ce qu’il lit d’abord le plus volontiers, c’est Buffon, Robinson Crusoé, la Bible, la Mythologie (il la connaissait à fond ; il y paraît dans ses romans), et les Mille et une Nuits. Le mélange n’est pas trop disparate : Buffon et Robinson, la science et le roman de la nature ; les Mille et une Nuits[33], la fête de la fantaisie ; la Mythologie et la Bible, l’histoire du merveilleux païen et le poème de l’humanité. Jusqu’ici le hasard n’a pas mal fait les choses. Puis Télémaque, adaptation française de l’Odyssée, où poésie, merveilleux, nature, mœurs, se retrouvent en raccourci, avec une pointe d’imagination chimérique. Cependant il traduit Virgile et Tacite sous l’abbé Grégoire : mais son professeur lisant le latin en des éditions enrichies d’une traduction, il subtilisait la traduction et pratiquait peu le texte. L’abbé Fortier, qui fut son premier pédagogue pendant une courte scolarité, semble avoir été aussi solide[34].

Une épigramme d’un compatriote, Auguste Lafarge, lui tombe alors entre les mains. Il prie bravement son maître de lui apprendre à faire des vers français[35]. Villers-Cotterets s’enorgueillissait d’avoir nourri deux poètes : l’un, Demoustiers, son mort illustre, l’autre, qui est tout justement notre abbé, rimeur officiel de toutes les fêtes patronales ou autres. Dumas s’exerça sur des bouts-rimés : après huit jours, il a en avait assez[36]  ». Quoiqu’il ait écrit, en dehors du théâtre, beaucoup plus de poésies qu’on ne croit communément[37], il en aura assez pendant toute sa vie. Il sentira et déplorera son insuffisance. Il l’exagérera même[38]. Car, sans méconnaître les bons vers qu’il a écrits, il a surtout gardé rancune au vers dramatique de la peine qu’il lui coûtait, et de l’échec relatif de Charles VII, qui ne fit point d’argent. Nous verrons si c’est vraiment la langue poétique qui a trahi le drame, comme on l’a trop répété d’après l’auteur.

Pendant que Dumas étudie chez l’abbé Grégoire, le hasard malicieux lui glisse entre les mains les Aventures du Chevalier de Faublas, dont l’immoralité ne le séduit point. (Notez le fait : ce n’est pas chez lui la fantaisie qui est immorale ; il a seulement plus de tempérament que de scrupules.) Mais ce livre lui plaît à cause que c’est « un roman plein d’invention, offrant des types variés, un peu exagérés sans doute, mais qui avaient leurs modèles dans la société de Louis XV[39] ». Sa tête s’échauffe ; il rêve d’être un nouveau Faublas ; il s’en reconnaît la complexion et la vocation. Et il échoue d’abord auprès d’une Mademoiselle Laurence[40], qu’il aime fougueusement, à en mourir, comme il les aimera toutes. À cette heure, il a quinze ans, et ne veut pas mourir encore.

En somme, les deux bons curés, qui ont nourri son enfance, l’ont peu dirigée. Deux autres hommes exercèrent plus d’influence sur sa tête paysanne. L’un, Adolphe de Leuven, lui apporte l’air de Paris et les échos du théâtre ; l’autre, Amédée de la Ponce, officier de hussards, qui vient de s’établir à Villers-Cotterets, lui inspire le goût du travail. Dumas apprend l’italien, lit le roman d’Ugo Foscolo, imitation de Werther, qu’il traduira plus tard et publiera sous ce titre : Dernières lettres de Jacopo Ortis. « Ce livre me donna une idée, un aperçu, une intuition de la littérature romanesque, qui m’était tout à fait inconnue[41]. » L’étude de l’allemand le décourage ; Schiller, à qui il doit beaucoup, il le lira traduit. Pour Shakespeare, il lui fut révélé d’abord par une troupe d’élèves du Conservatoire venus à Soissons pour représenter l’Hamlet de Ducis. Il ne connaissait alors ni Ducis ni Hamlet. Même Corneille et Racine, que sa mère lui avait mis entre les mains, l’avaient « prodigieusement ennuyé[42] ». Mais cette soirée de théâtre lui produisit un effet « prodigieux[43] ». Il y a toujours du prodige dans ses premières impressions : s’il est ignorant, il ne sent pas à demi.

Puis, il parcourt le Louis IX d’Ancelot et les Vêpres Siciliennes de Casimir Delavigne, les œuvres dramatiques du jour, que lui envoie de Leuven. Il n’en est point illuminé. Cela n’appartenait pas « à cet ordre de littérature dont il devait être appelé un jour à sentir, à comprendre et à essayer de reproduire les beautés[44] ». De Leuven était destiné à mieux réussir par ses confidences que par ses envois. Cependant de la Ponce lui ayant lu, d’aventure, la ballade de Bürger intitulée Lénor[45], avait mis le feu aux poudres. Cette poésie exotique et rêveuse différait sensiblement des concetti de Demoustiers, des rimes amoureuses de Parny, et des élégies du chevalier Bertin. Sur l’heure même, il avait essayé vainement de la traduire en vers. L’Allemagne qui l’inspira d’abord l’alimentera de sujets de pièces jusqu’à la fin, encore qu’il n’ait jamais su

 
le patois
Que le savetier Sachs mit en gloire autrefois[46].

Tel est l’état de son esprit, au moment où de Leuven fait à Cillers-Cotterets un voyage décisif pour l’avenir de Dumas. Adolphe traîne après lui un peu de l’atmosphère des coulisses. Il connaît Arnault, Scribe, Soulié, Talma, Mademoiselle Duchesnois, toutes ces dames. On imagine l’effet produit par ses propos incendiaires sur notre sauvageon. Adolphe a ses entrées dans les théâtres et dans les cabinets directoriaux. Il propose à son ami de faire en société un vaudeville en un acte, le Major de Strasbourg. Au sortir d’une éducation buissonnière, Dumas entrait de plain-pied dans le genre bouffon. « C’est tout bonnement à faire frémir[47] », dit J.-J. Weiss. Je n’en frémis point. La vérité est qu’en 1820, à la veille de partir pour Paris, au moment où il écrivait dans le Major de Strasbourg le couplet de facture :

… Tu vois, enfant, je ne me trompais pas,
Son cœur revole aux champs de l’Allemagne[48]

Dumas ne savait rien, de son propre aveu. Du moins n’avait-il presque rien lu qui pût contrarier ses dons naissants. Et dans les lectures qu’il avait faites, l’imagination avait trouvé sa substance. Qu’il ne fût pas bachelier, c’était une force. Je le dis sérieusement. Ses éducateurs de rencontre ne lui furent point nuisibles. Il n’avait pas ânonné les maîtres de la scène. Tout était neuf et verdissant en lui. Il manquait de goût ; il n’en aura jamais. Ses audaces ne seront ni théoriques ni littéraires. Il est ainsi plus près de la nature et du peuple. La fortune, après tout, n’était pas si mauvaise, à peine échappé du plein air et des forêts, de prendre contact avec l’âme de la foule, fût-ce au théâtre de l’Ambigu.

Enfin il vient à Paris. D’abord il voit Talma. Je ne parle pas de cette visite qu’il lit à l’artiste dans sa loge, ni de ce singulier baptême que lui conféra le tragédien ironique, au nom de Shakespeare, de Gœthe et de Schiller, de la Trinité Sainte[49]. Il voit Talma en scène ; il est étonné de ce jeu vrai et de cette diction admirable. Nous ne savons plus assez l’action qu’exerça cet artiste sur les hommes de son époque, auxquels il apparaissait, même en des rôles médiocres, comme une esthétique vivante, un commentaire original et fécond. Il modernisait son art par un souci de réalisme très étudié. « Lorsqu’il était sur le point de créer un rôle, aucune recherche, soit historique, soit archéologique, ne lui coûtait[50]. » Il passa son existence à jouer des tragédies, et il paraît bien qu’il avait le goût du drame. Il ne négligeait rien de ce qui pouvait rajeunir les œuvres fanées ou les situations vieillottes, qu’il était condamné à défendre. Il allait loin en ce sens. Séchan nous conte, et Dumas le confirme, que dans Sylla il s’était fait le visage de Napoléon[51]. Et Madame de Staël conclut à propos de ce talent chercheur et novateur : « Cet artiste donne, autant qu’il est possible, à la tragédie française ce qu’à tort ou à raison les Allemands lui reprochent de n’avoir pas, l’originalité et le naturel. Il sait caractériser les mœurs étrangères dans les diverses pièces qu’il représente, et nul acteur ne hasarde davantage de grands effets par des moyens plus simples. Il y a dans sa manière Shakespeare et Racine artistement combinés. Pourquoi les écrivains dramatiques n’essaieraient-ils pas de réunir dans leurs compositions ce que l’acteur a su si bien amalgamer par son jeu[52] ? »

À le voir, Dumas sentit frémir en lui, non pas l’âme d’Oreste ni de Macbeth, mais celle d’Antony et de Buridan. Les comédiens anglais, qui donnèrent des représentations à Paris en février 1827, lui imprimèrent une nouvelle secousse. Ce spectacle fut pour lui une révélation. Lorsqu’il écrit ses Mémoires, il en a gardé un tel frisson, que pour louer Shakespeare, il cite la Bible[53]. Sans doute il avait lu les principales pièces du dramatiste anglais ; il déclare même qu’il les savait « par cœur[54] », ce qui est une façon à lui de dire qu’il les avait lues. Et non pas toutes, mais les plus connues en France, les drames d’amour ou de passion : Hamlet, Roméo, Macbeth, Othello, Shylock, et probablement aussi Richard III, Jules César et sans doute enfin la Tempête. Et je crois bien que c’est tout. IL connaît Falstaff,peut-être de réputation. S’il a parcouru la série des Henri, elle a dû bien l’ennuyer. On n’en trouve pas trace dans son théâtre. Kemble et miss Smithson, puis Macready, Kean et Young lui ont été de vivantes intuitions de Shakespeare, ou plutôt des œuvres que j’ai dites, des tragédies passionnées plutôt que des drames historiques. Hamlet surtout l’a bouleversé. Il le traduira plus tard avec M. Paul Meurice : aucune de ses impressions vives n’a été vaine dans sa carrière. Elles se sont prolongées sous forme d’adaptation ou de traduction. Il avait vu surtout dans Hamlet des situations et des scènes : la plate-forme, l’éventail, les deux portraits, la folie, le cimetière…[55]. De la représentation de cette pièce se dégage une manière de pathétique ambigu et douloureux (dont la brutalité est très inférieure, je pense, à la conception profonde de l’œuvre), sans compter l’abus d’une terreur presque physiologique, qu’on trouve déjà dans les Choéphores, et dont Dumas dut être remué en effet. Ce don d’ébranler les nerfs et de prendre le public à la gorge, qui est la barbarie de Shakespeare, sera toujours aux yeux de Dumas la plus forte marque de ce génie. Même il n’est pas assuré qu’il y ait vu bien d’autres choses. Il suffoque, il étouffe d’admiration. Il avait aussi, pour le confirmer dans ces émotions vives, Frederick Lemaître et Dorval, qui parurent ensemble dans Trente ans ou la vie d’un Joueur de Ducange et Goubaux, avec un grand succès. C’était un mélodrame violent, fort bien conduit d’ailleurs, et dont le dénoûment était emprunté de le Vingt-quatre février, de Werner. En souvenir des rudes impressions qu’il en rapporta, Dumas traduira un jour Werner, ne pouvant traduire Ducange ni Goubaux. Il parlera de cette soirée dans ses Mémoires sur le mode lyrique : « Le drame populaire avait son Talma ; la tragédie du boulevard avait sa mademoiselle Mars[56] ». Il lui manquait son Corneille ou son Beaumarchais. La place était bonne à prendre.

Ici encore, le hasard ne sert pas mal Dumas. Les amitiés de rencontre lui ont été profitables. Il apprend la physique, la chimie, un jeu de physiologie et d’anatomie, sur le conseil d’un médecin nommé Thibaut[57]. Son voisin de bureau, Lassagne, qui est renseigné sur le mouvement littéraire et théâtral, lui indique avec beaucoup de sens les œuvres propres à mettre quelque suite dans les connaissances de cet esprit enthousiaste et mal débrouillé. Dumas dévore Eschyle, Sophocle, Corneille, Racine, Molière, Gœthe, Schiller, Calderon (celui-ci, avec moins de profit, quoiqu’il le nomme), Schiller surtout et Byron et Walter Scott[58], qu’il cite à chaque pas, et Beaumarchais assurément, dont il ne parle guère. Il faut, certes, consulter ses Mémoires avec précaution. Mais on ne saurait douter qu’il ait fait d’abondantes lectures, la plume à la main, pendant les six années qu’il vécut expéditionnaire. Et, si ce travail aboutit encore à l’éclosion de deux vaudevilles, la Chasse et l’Amour et la Noce et l’Enterrement, celui-ci en collaboration avec Lassagne, hélas ! le même Lassagne qui le nourrissait de la « moelle des lions », comme Hector faisait le petit Astyanax, — j’ai dit qu’il ne s’en faut pas émouvoir, et que Dumas avait la chance de tâter, sans davantage attendre, le vrai public sur un vrai théâtre. De l’éducation dramatique il avait demandé le secret, pendant six années, durant des nuits entières, aux maîtres de la scène, dont il poussait l’étude comme le futur praticien celle du squelette ou de l’écorché. S’il n’alla pas, comme il le pense, « jusqu’au cœur chercher les sources de la vie et le secret de la circulation du sang[59] », longuement il apprit son métier avant d’exercer son génie. C’est une erreur chère à la jeunesse de notre temps que la croyance en la génération spontanée des ouvrages dramatiques, qui font date. Avant d’écrire Christine ou Henri III et sa Cour, Dumas avait étudié de près, « le scalpel à la main », le meilleur du répertoire français et étranger. On s’en avisa après la Tour de Nesle ; on l’a trop oublié aujourd’hui.

Aux hasards heureux, dès 1823, il suppléa énergiquement, sans autre règle que son instinct, mal défendu contre les erreurs de jugement ou d’enthousiasme par une instruction dépareillée, mais soutenu par une opiniâtre volonté. Il s’était fait la main ailleurs que dans le vaudeville. L’employé de bureau avait traduit en vers et moulé de sa belle écriture un drame en cinq actes de Schiller. Cette adaptation est « une chose importante dans son histoire littéraire[60] », étant un des tout premiers essais de son talent dramatique.


III

MANUSCRIT INÉDIT DE « FIESQUE DE LAVAGNA[61] ».

Il croyait l’avoir brûlé. Un écrivain ne brûle rien ; surtout Dumas. Il l’a signé, paraphé, soigneusement copié, avec un titre écrit de sa diligente main d’expéditionnaire : « Fiesque de Lavagna drame historique en cinq actes et en vers ». On notera que, pour son coup d’essai, il oublie déjà d’indiquer ses sources[62].

L’œuvre de Schiller était pour lui plaire. Un esprit de révolution inspire cette tragédie républicaine. Le futur artilleur de 1830 s’en réjouit. La passion y est violente, farouche et poussée aux conséquences extrêmes. La haute philosophie y alterne parfois avec la brutalité. Tout cela échauffe la tête de notre apprenti dramaturge[63]. Des caractères d’acier, comme le républicain Verrina ; un bon tyran, vieux, philosophe, et désabusé, André Doria, qui leur pourrait dire à tous :

Vous êtes aujourd’hui ce qu’autrefois je fus[64] ;


Gianettino, son neveu, orgueilleux, débauché, cruel, incarnant en soi tous les vices que le mélodrame flétrit ; des rôles de femmes aussi, qui ne sont pas enveloppés de demi-teintes : chastes ou débauchées, violentes ou violées, anges ou courtisanes, toutes vibrantes des passions du xvie siècle italien, la fille de Verrina, irréparablement outragée par le neveu du doge, la nièce du doge, cynique et bafouée par Fiesque, tout cela fait un beau remue-ménage. Et puis, il y a le nègre, ce Maure patibulaire, noir comme Othello, demi-frère de Dumas par la couleur du visage, et agile traître de drame, qui passe à travers les crimes d’une telle allure que « la plante des pieds lui brûle[65] ». Croiriez-vous qu’Ancelot, dans sa pièce, avait supprimé le nègre, n’osant, comme Ducis, le blanchir ? Dumas en appelle aux justes lois, encore indigné lorsqu’il écrit ses Mémoires[66]. Ce n’est pas lui qui supprime le nègre. Le nègre fera souche de coquins dans son théâtre, qu’ils soient blancs ou de couleur. — Et enfin, il y a Fiesque, grand, noble, fort, conspirateur, qui joue le personnage d’un efféminé pour se réveiller lion. Schiller s’est souvenu d’Hamlet ; et l’on sait à quel point Hamlet a remué Dumas. Cette demi-obscurité qui enveloppe le personnage de Shakespeare et que Schiller a encore épaissie, nous la retrouverons dans l’indécision d’Henri III, l’énigme d’Antony et chez d’autres qui traversent la scène, marqués au front par la cruelle énigme ou le secret fatal. C’est le régal de l’imagination populaire. Le nom de Fiesque agit comme un talisman sur le peuple de Gênes. Fiesque est ambitieux ; il a le courage, la volonté, le génie et l’auréole. Dumas, qui est peuple, y trouve des applications à une autre légende beaucoup plus proche de lui. Et quel dénoûment ! À l’heure de l’apothéose et de l’ambition satisfaite, au moment où le soleil resplendit sur le maître de Gènes, sur le défenseur des libertés proclamé doge à son tour, le vieux Verrina le pousse par l’épaule : le doge se noie, le doge est mort ! Fatalité des ambitieux et des doges, qui domptent les foules, et qu’un faux pas anéantit. Dumas est tout à son affaire.

La pièce de Schiller, telle qu’on l’imprima en 1783, n’est pas sans défaut, n’étant ni historique ni dramatique. Au regard de la scène, elle semble lourde, péniblement composée, coupée par de continuels changements de lieu ; et elle se traîne en des actes interminables pour aboutir à des monologues lyriques. Seuls, le troisième acte s’achève sur un mot de théâtre et qui fait attendre quelque chose, et le quatrième sur une situation touchante. Schiller suit au moins trois intrigues, qui traversent les actes sans se raccorder ; et il en ajoute une quatrième, et encore une autre, sans y prendre garde. Je vois bien que l’intérêt repose sur l’ambition énigmatique de Fiesque ; mais l’austérité républicaine de Verrina et le désir de venger sa fille me distraient ; et je songe que la dynastie des Doria fait encore une diversion, à moins que je ne m’attache à suivre les amours de la veuve Imperiali, qui veut empoisonner la femme de Fiesque, ou encore l’amour de celle-ci pour son mari, ou même les fiançailles de la pauvre Bertha, fille de Verrina, ou peut-être la passion de Calcagno pour Léonore, ou plutôt la jalousie de Fiesque-Macbeth, qui dans les loisirs que lui laisse son double rôle de conspirateur et de débauché, fait aussi le personnage de Fiesciue-Othello. « Dieu, ma tête ! ma tête[67] ! » dit Verrina, homme simple.

Le caractère de Fiesque est composé comme la pièce, et pareillement obscur. L’équivoque, pour être voulue, n’en est pas plus dramatique. Quand Shakespeare nous montre la volonté indécise d’Hamlet, et le mystère de cet esprit, et cette folie feinte, toute proche de la véritable, il descend en cette âme trouble avec une lanterne allumée : il projette des mots lumineux sur les détours du dédale. Et si quelques ténèbres voilent encore cette ligure aux yeux de plusieurs, dont je suis, c’est que sans doute n’était-il point possible d’objectiver en plein jour ce tréfonds de l’âme humaine, à ce point vaine et inconsistante, et voisine de la démence. Fiesque joue ce jeu difficile en dedans. Il exerce son courage par les plaisirs ; il trempe sa volonté dans la débauche. C’est un rôle, qu’il soutient le plus longtemps qu’il peut. Tout le monde est dupe, le doge, le neveu du doge, la nièce du doge, sa propre femme, les conjurés, le peuple, dont il recueille avec joie les méchants propos. Ici, je ne comprends plus. Pourquoi Gênes s’obstine-t-elle à voir en lui un messie ? Qu’a-t-il fait pour un pareil crédit ? Il n’est ni Othello ni Egmont. Passe encore pour cet engouement populaire, qui ne raisonne point. Mais pourquoi les conjurés ? Pourquoi Verrina ? Pourquoi l’austère républicain se tourne-t-il désespérément vers Fiesque débauché, quand il brûle de venger l’outrage commis par la débauche ; vers Fiesque railleur, inerte, amolli, pour sauver la liberté de sa patrie par un coup de main ? Ne serait-ce pas qu’en réalité Schiller atteint à l’effet non pas tant par le conflit des caractères, que par les situations fortes et les sentiments forcés ? Or, comme il n’a pas encore l’art de les graduer pour le théâtre, à tout coup il manque l’émotion visée, et se fourvoie. Il pousse au delà de la vraisemblance et du tact, l’une souveraine sur la scène, l’autre impérieux dans le monde. Madame de Staël l’a observé avant nous[68].

Si Fiesque donne une fête, et s’il faut qu’il y simule un amour qu’il n’éprouve point, il veut que « le nectar de Chypre ruisselle », que « mille flambeaux brillants fassent fuir de dépit le soleil du matin », que « la danse effrénée fasse crouler en débris, sous son fracas, l’empire des morts[69] ! » Il joue son rôle avec frénésie. Gianettino entre chez sa sœur Julie, qui est en négligé. Il la tient pour « un bon morceau de chair féminine enveloppé dans de grandes lettres de noblesse[70] ». Le mot est proprement une délicatesse. Une des scènes capitales de l’œuvre est de ce goût. Fiesque, pour endormir la confiance du doge, a feint une passion pour cette Julie, qui est de la race des Borgia, et qui, jalouse de la femme de Fiesque, a tenté de la supprimer par le poison. Cela est mal assurément, encore qu’assez commun à cette époque. Mais n’oublions pas que ce Fiesque n’est que feinte et comédie, que la belle et sensuelle Italienne s’y est laissé prendre, qu’elle l’aime de tout son être, et qu’il a déchaîné en elle ce ravage. Or il veut la confondre et venger son épouse. Préalablement, il a su l’attirer dans « un endroit obscur ». À cette femme frémissante, et « dont le sang bouillonne »[71], il a murmuré des paroles embrasées ; il lui a coulé des baisers qui brûlent ; il lui a mis le feu aux veines. Elle demande grâce ; elle demande au moins de la lumière. « Si la nuit n’était si épaisse, tu verrais mes joues enflammées, et tu aurais pitié de moi. » Et il presse l’attaque ; et elle s’avoue vaincue, trop faible pour lui résister ; et il fait mine de s’éloigner : « Fiesque !… Oh ! je perce le cœur de tout mon sexe… Tout mon sexe te haïra éternellement. Je t’adore, Fiesque ! » Eperdue, haletante, suppliante, elle se prosterne à ses pieds. Alors la lumière se fait. Fiesque n’est point à demi vengeur de sa femme. Ilrecule de trois pas, laisse la comtesse à genoux, tire la sonnette, soulève la portière, fait entrer la compagnie, tombe dans les bras de Léonore, et en présence des invités, des conjurés, et de toutes les dames, exécute la veuve Imperiali, la traite de folle, avec l’emphase d’un héros qui serait un peu goujat : « Non, messieurs, non, mesdames, je n’ai pas accoutumé de prendre feu puérilement à la première occasion[72] ». Puis, il la fait conduire en prison, au bras d’un laquais. Ne voilà-t-il pas une situation forte et d’un tact délicat ?

Il est véritable que l’auteur de Fiesque s’entend mieux à exploiter la violence d’une scène qu’à la préparer. La longueur de sa pièce tient, pour beaucoup, aux situations qu’il prolonge, ou même qu’il dédouble pour en forcer l’effet. Bertha, fille de Verrina, a subi les derniers outrages du neveu du doge. C’est déjà une singulière angoisse que l’aveu de la malheureuse à son vieux père. On ne s’en contente point. Verrina songe d’abord à tuer son enfant, dans un transport d’héroïsme tout romain et assez commode. Il se ravise. Bourgognino, fiancé de Bertha, entre, et devant lui, Verrina redouble le pathétique de la scène, interroge point par point, comme un juge, humilie, tourmente et maudit la malheureuse. El le style est digne de la situation : « Quoi ?… Quoi ?… Quoi ?… Qui ?… Qui ?… La taille comme la mienne, ou plus petite ? » — « Plus grande. » — « Les cheveux noirs ? Crépus ?» — « Noirs comme du charbon et crépus… …… La voix ? » — « Rude, une voix de basse[73]. » Je vous dis que la Tour de Nesle est une œuvre fade. Même il arrive que, pour concentrer l’émotion, Schiller incline vers un symbolisme assez ingénu. André Doria, ce tyran philosophe, contre qui Gênes se révolte, on ne sait trop par quelle fatalité, remet à Lomellino l’holocauste qu’il offre à son ingrate patrie, une boucle de cheveux blancs, la plus précieuse, la seule. «… C’était, leur diras-tu, la dernière qui restât sur ma tête, et elle s’en est détachée la troisième nuit de janvier, quand Gênes s’est détachée de mon cœur ; et elle avait tenu quatre-vingts ans ; et c’est à quatre-vingts ans qu’elle a quitté ma tête chauve[74]. « On ne saurait nier que cette suprême mèche et cette tête dénudée fassent ici une plaisante beauté.

Lorsqu’en 1784, Schiller voulut donner sa pièce à la troupe de Manheim, il fallut retoucher ces délicatesses. Le nouveau texte, entièrement remanié pour la scène, fut versé aux archives du théâtre de la ville. Boas l’imprima intégralement dans le troisième volume de ses Suppléments aux œuvres de Schiller[75]. On reconnaît dans ces remaniements les conseils d’un homme du métier, qui fut probablement Dalberg, directeur du théâtre local. Fiesque n’est plus ambitieux ; il ne veut plus régner sur Gênes ; il n’est plus jaloux de sa femme ; la scène du mouchoir, que Dumas utilisera dans Henri III, a disparu. Les conjurés sont tous des héros ; Sacco n’a plus de dettes ; Bertha ne subit plus les derniers outrages, à peine les premiers ; Julie est humiliée seulement devant la comtesse de Lavagna, qu’elle a voulu empoisonner : et cela est bien ainsi. Fiesque ne meurt plus, ni Léonore[76], pas même le nègre, qui va se faire pendre ailleurs. Personne ne meurt plus, sauf Gianettino, pour l’exemple. Mais, dites-vous, que fait-on de l’histoire ? Que devient le drame ? On trouvera dans l’Appendice quelques lignes où Schiller tranche net sur le premier point. « Je ne suis pas, dit-il, l’historien de Fiesque. » Pour le drame, il fallait sans doute qu’il fût jouable pour être joué.

Dumas n’a pas connu le remaniement de Manheim. Il a travaillé sur une traduction du texte de 1783. Voyons donc l’auteur de la Noce et l’Enterrement aux prises avec cette œuvre, dont les défauts le passionnent au moins autant que les qualités.

D’instinct il fait entrer de l’air en cette énorme machine. Il diminue le nombre des personnages ; il leur choisit des noms moins rares : Horatio, Lorenzo, ou plus à la mode : Manfredi. De Bertha il fait Berthe, à la française. Il émonde, supprime, allège, évite la plupart des changements de lieu, et imprime à son drame le mouvement dramatique. Il réunit les fils de l’intrigue ; il resserre en une seule les scènes dispersées ; il concentre l’intérêt sur le personnage principal. Dans le premier acte interminable de Schiller il taille, coupe, rogne, met Fiesque au premier plan ; il fait la lumière sur ce rôle double, aussitôt après la première entrevue avec Verrina (I, x) :

 
Républicain austère,
Rien ne peut donc fléchir ton âpre caractère ?

Tu ne saurais plier sous mes efforts constans ;
Tu pars,… trompé comme eux… tu pars, il était temps !…
Va… tu t’es su choisir le moins pénible rôle ;
Il est bien fatigant d’être toujours frivole[77].

Fiesque insiste sur l’énergie qu’il lui faut dépenser en cette patriotique tromperie, et sur la vertu nécessaire pour jouer ce personnage :

À subir le mépris contraindre son courage,
De son luxe tenir tout un peuple occupé,
S’exposer à mourir sans l’avoir détrompé[78]

Pour nous édifier entièrement sur l’apparente équivoque du caractère, Dumas coupe le premier acte après la scène ix de Schiller, celle où le nègre tente d’assassiner Fiesque au profit du Gianettino (devenu Horatio), neveu de Doria. Il rejette tout le reste, le viol de Bertha, la colère de Verrina à l’acte II ; ainsi, Fiesque occupe le centre de la scène ; la perspective s’établit sur le théâtre, et le protagoniste nous est d’abord révélé en sa sympathique duplicité. Et pour finir cet acte I, selon la formule romantique (cf. Henri III ; Hernani), l’ambitieux déclame, sans plus attendre, en une sorte d’extase ou d’élévation, le monologue que Schiller avait placé beaucoup plus loin (III, ii.) J’en cite quelques vers d’un large mouvement et d’une libre imitation :

Mais déjà le soleil, qui point à l’horizon,
Colore nos remparts de son premier rayon ;
Pâle et faible d’abord, il se lève sur Gêne,
Puis bientôt entouré d’une flamme soudaine.
Il va, sur la cité s’avançant radieux,
Monter en conquérant sur le trône des cieux.
(Avec enthousiasme.)
Comme lui dissipant l’obscurité profonde
Je vais donc à mon tour me lever sur le monde.
Gêne !… Ton horizon va s’étendre sous moi ;
Demain, astre nouveau, je brillerai sur toi.
Respirons un instant, mon âme est oppressée
Par le poids éternel d’une seule pensée :
Obéir ou régner !… C’est être ou ne pas être !…
Mais régner, dans son vol c’est atteindre soudain
Ces sublimes hauteurs, d’où l’œil avec dédain
Peut voir au loin, bien loin, s’agiter dans la boue
Cette foule stupide où le hasard se joue[79]


Dumas remonte à la source dès son premier essai. Dans tous ces monologues romantiques, à prétentions philosophiques, et qui sont, selon le mot impayable de Théophile Gautier, « des vues prises de haut sur les idées[80] », c’est toujours Hamlet qui parle. Il a le mérite ici de parler clairement. Mérite indispensable au théâtre : Dumas s’en doutait déjà.

Il serait oiseux de le suivre dans toutes les modifications qu’il a fait subir à l’original. Je ne veux citer que l’essentiel, où son instinct dramatique apparaît. Le quatrième acte est tout bouleversé. C’est celui où Fiesque se révèle aux conjurés et confond la nièce du doge, pour laquelle il avait feint une « passion d’arlequin ». Schiller a commencé par écrire les dix scènes, où les conjurés arrivent au palais de Fiesque, y trouvent des sentinelles postées, entrent, délibèrent ; et le lion enfin rugit ; puis, arrivée du nègre qui a trahi la conjuration, désordre chez les conspirateurs. À la seconde partie de l’acte, nous passons dans la salle du concert ; Léonore, femme de Fiesque, est cachée derrière une tapisserie ; Julie tombe dans le guet-apens ; on sait le reste. Au surplus, Schiller était arrivé à une conclusion d’acte fort touchante. Après le départ de Julie, Léonore reste seule avec Fiesque, le dissuade de son ambition, lui fait luire aux yeux un bonheur plus intime et plus sûr… « Vivons tout entiers à l’amour dans une campagne romantique[81] ! » Soudain le canon tonne, qui est le signal des conjurés. Fiesque se reprend, s’échappe. « Léonore ! Sauvez-la ! Pour l’amour de Dieu, sauvez-la !… Elle ouvre les yeux… Maintenant venez les fermer à Doria[82] ! » Et cette fin était belle.

Dumas la sacrifie pour remettre l’acte d’aplomb et resserrer la crise. Après une scène de rupture entre Fiesque et le Maure, qu’il tire du troisième acte de Schiller (ce nègre va trahir les conjurés et on le ramènera garrotté tout à l’heure), il s’était engagé à la suite de son modèle. La scène ii était un monologue de Fiesque ; à la troisième paraissait Léonore avec les conjurés. Il donnait ses ordres ; et cela se terminait par ces mots :

Partez donc… Le mot d’ordre est Fiesque et Liberté !

C’est le vers qui terminera son acte. Il a donc raturé tout cela. Il s’est avisé que la confusion de Julie est un événement secondaire, que le meilleur de l’intérêt dramatique, au moment de la crise, doit être rapporté à la conjuration ; que l’exécution de la veuve Imperiali n’a d’autre objet que de révéler à Léonore, à Verrina et aux autres le véritable Fiesque, mais que l’acte IV ne saurait finir sur une explication de famille ; et que, plus on approche du dénoûment, plus il faut agir. Il a lu Corneille. Il procède donc immédiatement à l’humiliation de Julie, et revient aussitôt aux conjurés, c’est-à-dire au drame même, après que Fiesque s’est dévoilé à sa femme, et qu’il l’a gagnée à ses idées, au lieu de faiblir devant elle. On voit le progrès et le pathétique de cet acte ainsi conduit. Rupture avec le Maure, danger immédiat pour Fiesque ; il repousse et emprisonne la nièce du doge : c’est le commencement de l’action ; il est lui-même enfin ; il se découvre d’abord à Léonore, il l’échauffe de son enthousiasme. La scène est inspirée de Schiller, mais elle entame la crise.

 
Mais s’il faut que mon époux succombe
Que me restera-t-il ? — Sa mémoire et sa tombe !

— Eh bien, je te demande, enchaînée à ton sort,
Une part dans ta vie, une part dans ta mort ;
Ta confiance en moi n’aura point été vaine.
Et femme de César, je dois être Romaine[83]  !

L’esprit cornélien a inspiré cette scène ; il emporte en un beau mouvement la fin de cet acte IV. À présent, Fiesque a laissé pénétrer les conjurés. La péripétie, longtemps attendue, approche. Schiller avait disséminé en quatre endroits, et à des actes différents, le « sommeil du lion » et son brusque réveil (le tableau d’Appius, II, xvii, 265. — « Pensiez-vous que le lion dormait ? » II, xviii, 268, et III, v, 285 ; — la liste des condamnés à mort, III, v, 285, et IV, vi, 301). De ces motifs épars Dumas tire une situation, qu’il rejette à la fin de l’acte IV, selon la formule chère à l’auteur d’Horace et de Cinna. Et la scène est ramassée, graduée, complète et dramatique. Il est né dramatiste et français. Il est de la race de Corneille, encore qu’il y ait « des degrés », selon le mot d’un président facétieux[84].

FIESQUE.
Arrête !
Arrête et viens ici, toi qui dans tes tableaux

Affranchis les états à grands coups de pinceaux,
Esclave, qui n’as pu briser ta propre chaîne
Et frappes les tyrans sur une toile vaine !…
Je fais à ton talent la part qu’il mérita ;
Mais ce que tu peignis, Fiesque l’exécuta.

TOUS.

Que dis-tu ?

FIESQUE.
Vous pensez que le lion sommeille
Parce que sans rugir sa prudence qui veille

Attend l’heureux moment où bravant son courroux
Son ennemi viendra se livrer à ses coups ?
Avez-vous cru que seuls sensibles à l’injure
Vos bras des fers honteux sentaient la meurtrissure ?

Vous discutiez encor vos plans irrésolus
Que déjà par ma main vos fers étaient rompus.
Là, les soldats de Rome, ici l’or de Florence,
Les galères de Parme et l’appui de la France…
Que manque-t-il encor pour surprendre endormi
L’oppresseur qui se croit sur le trône affermi ?…
Quel soin minutieux oublia ma prudence ?
Fiesque avait tout prévu, tout disposé d’avance.
Les tyrans à vos cris ne daignaient pas penser ;
Vous savez les maudire, et moi les renverser.

VERRINA.

Fiesque, ton ascendant aujourd’hui me domine ;
Mon génie étonné devant le tien s’incline.

FIESQUE.

Trop faibles pour me suivre en mes mille détours,
Génois, vous condamniez mes volages amours,
Vous blâmiez les plaisirs de mon âme amollie.
Le génie empruntait un masque à la folie.
Avant que par son bras Tarquin ne fût chassé,
Brutus aussi, Brutus contrefit l’insensé.

LORENZO, avec dépit.

Ne suis-je donc plus rien ?

FIESQUE.
Maintenant plus de trêve,
Que l’œuvre commencée au même instant s’achève ;

Le temps est précieux ; agissons sans délais.
Des soldats sont cachés au sein de ce palais[85]


Et voici qu’on ramène le nègre garrotté, qui a trahi Fiesque auprès de Doria. Les conjurés se troublent. Le vieux Verrina lui-même est ébranlé :

Je crains peu des tourmens que je saurais souffrir,
Mais sur un échaffaud je ne veux pas mourir[86].

Mais ce tyran, que tout le monde déteste, est un cœur d’élite et un prud’homme, qui ne veut pas croire à une félonie de Fiesque et lui envoie, avec le délateur, une lettre où il lui dit :

Quel que soit ce complot que ton grand cœur hasarde,
Cette nuit, Lavagna, je dormirai sans garde[87].


D’abord Fiesque est désarmé par tant de grandeur d’âme ; puis il songe qu’il peut sauver à la fois la liberté de Gênes et la vie du doge, et l’acte se termine sur la scène raturée plus haut. Tout est prêt pour le bon combat.

Ainsi, ce révolutionnaire (c’est Dumas que je veux dire), qui va se ruer sur la tradition, est imbu de tragédie. La Conjuration de Fiesque le séduit par ses violences passionnées. Le barbare s’en délecte. Et les mêmes scènes, dont se repaissent ses appétits sensuels et intellectuels, il les traduit avec une sagesse qui étonne, et comme s’il avait du goût. Il bouleverse la composition ; il adoucit l’expression. Le sens du théâtre le guide. Dans ses pires brutalités, il sera toujours un audacieux avisé. Il ne dit point à Julia « qu’elle est un bon morceau de chair féminine » ; il l’appelle déjà une faible femme

 
à qui le ciel fit don
De quelques agrémens, de trop d’étourderie[88].


Si Fiesque la surprend dans un appareil un peu simple, il ne pousse pas ainsi le marivaudage : « La femme n’est jamais aussi belle qu’en toilette de nuit. C’est le vêtement de son rôle[89]. » Il s’inspire de Racine, rajeuni par l’abbé Delille, et traduit gracieusement :

Le négligé pour vous, c’est l’habit de conquête.
Que ne puis-je vous voir, au moment du réveil,
Lorsqu’un léger désordre accuse le sommeil,

Et qu’une habile main de votre chevelure
N’a point encor bâti l’élégante structure[90] !


Il fait appel à ses souvenirs ; et il lui arrive d’être plus circonspect en ses lyriques efforts que Casimir Delavigne.

Esclaves, que des fleurs en festons enchaînées
Remplacent à l’instant ces guirlandes fanées ;
Que vos actives mains dans le cristal brillant
Fassent mousser les flots d’un nectar pétillant ;
Ou si d’autres plaisirs vous touchent davantage,
Cavaliers… la beauté réclame votre hommage !
Et le jeu, vous offrant ses hasards inconstans,
Avec rapidité verra fuir vos instans[91].


Où est la musique de Schiller « qui éclate à réveiller la sombre nuit de son sommeil de plomb » et « les mille flambeaux » et le reste ?

Le reste n’y est pas davantage. On a vu que dans cette pièce Schiller est obsédé par la violence et le réalisme brutal qu’affecte parfois Shakespeare. Dumas en est ravi ; mais il corrige ou adoucit. Il se garde d’humilier une femme prise au piège de l’amour devant les invités, les conjurés, et tout le monde enfin[92]. Il n’a voulu montrer cette femme ni prosternée, ni humiliée en public, ni frissonnante, le corps en feu, les sens embrasés. Il a traduit autant qu’il a osé ; davantage il ne pouvait. Il n’est homme à n’avoir peur ni du mot ni de la chose ; et tout de même, sans se voiler la face, il se réfugie dans ses souvenirs de Phèdre. Il appelle à lui Racine pour exprimer Schiller.

 
 
Ce langage du cœur tu ne veux pas l’entendre.
JULIE, troublée.

Je ne l’entends que trop.

FIESQUE avec passion.
Pourquoi le repousser ?
JULIE se reculant avec effroi.

Dans tes replis de feu tu veux donc m’enlacer ?
Fiesque, sois généreux, ma faiblesse t’implore ;

Quand mon cœur l’appartient, que te faut-il encore ;
 
Mais c’était par toi seul que je devais connaître

Ce feu que j’ignorais même en le faisant naître,
Et qui, dans ce moment, de mes efforts vainqueur,
Comme un souffle brûlant s’échappe de mon cœur.
Oui, dût sur moi mon sexe attacher l’anathème,

Je ne me cache plus, oui, Fiesque, oui, je t’aime…
 
Insensé ! Qu’as-tu dit ? Es-tu donc en délire ?

Dans le fond de mon cœur quand je te laisse lire,
Quand forçant mes aveux une coupable ardeur
Enfreint toutes les lois de la sainte pudeur[93]...

Dumas s’enhardira, mais toujours avec précaution, avec le souci du parterre. Lisez sa traduction de l’Intrigue et l’Amour, et surtout la première scène, qui se passe dans un intérieur allemand entre le violoniste Miller et sa femme. Alors comme à présent, maître du théâtre ou novice qui s’essaye, il adoucit, transpose ; il nous semble presque timoré, aujourd’hui qu’un certain théâtre a reculé les bornes du réalisme forcené ou cynique. Il se garde de nous montrer la femme Miller « qui court en hurlant à travers la chambre ». Son mari ne l’appelle pas « entremetteuse » ; il ne la menace pas de « la pluie de soufre de Sodome… » ni d’autres aménités[94]. En 1847 Dumas connaît le public ; dès maintenant, il le devine.

C’est encore l’instinct du théâtre qui l’avertit à point que Schiller, passant à côté d’une belle scène, a rencontré dans un geste poétique un effet presque ridicule. On se rappelle la boucle de cheveux que Doria remet à Lomellino. À Lomellino Dumas substitue

Fiesque, dont le visage est caché par le casque de combat. Laissez-le faire ; il tient sa situation. Les deux doges sont en présence : celui d’hier, vieillard philosophe et doux, déplore l’inconstance de ce peuple qu’il a jadis délivré de la tyrannie, lui aussi ; et il gémit, non pas sur sa chute ni sur sa mort prochaine, mais sur la frivolité des hommes et la vanité des choses. Fiesque lit sa propre vie et l’avenir de ses ambitions sur le front dénudé d’André Doria, et c’est lui qui, recevant cette blanche boucle, y reconnaît le symbole du néant de toutes les grandeurs, et fond en larmes à son tour.

 
 
Ami, prends ce poignard et coupe ces cheveux,

Montre-leur cette boucle à mon front arrachée
Le jour où de mon cœur Gènes s’est détachée…
Dis-leur qu’elle blanchit sous des travaux constans,
Que le bandeau ducal lui pesa quarante ans ;
Dis que de mon front chauve elle était la dernière ;
Et si leur cœur encor repousse ma prière,
Porte ces cheveux blancs à mon jeune rival ;
Ils serviront d’agrafe à son manteau ducal.

FIESQUE, s’éloignant de lui.

Supplice de l’enfer !

LE DOGE.

Eh, qu’as-tu donc ?

FIESQUE
Je pleure[95].

Et voilà une scène de drame, qui nous mène droit au dénoûment.

Noyer un doge était pour Dumas une aubaine ; d’autant que l’histoire est ici presque complice. Fiesque tomba dans la mer, au moment où il touchait au but de ses rêves ambitieux. Dumas le noie donc, de cœur léger. Mais il s’aperçoit que Schiller a gâté, dans son premier dénoûment, le caractère farouche de Verrina, et fait de ce vieux républicain un homme ordinaire et médiocre, pour le plaisir sans doute de finir sur un mot amer : « Où est Fiesque ? — Il s’est noyé… Il est noyé, si ce tour vous agrée mieux… Je vais trouver André[96]. » Je ne crains pas de dire que Dumas a trouvé beaucoup mieux, sans trahir la philosophie de l’original. Il ajoute une scène, où il résume l’action et l’utopie du sujet. Le peuple, que Verrina a voulu affranchir, pour l’amour de qui il a fait mourir Fiesque qu’il chérissait, revient docilement au joug des Doria contre lesquels il s’est soulevé. Alors le farouche Verrina, prisonnier, reconquiert sa liberté d’un coup de poignard, bravant jusqu’au bout la tyrannie.

LOMELLINO.

Pour la mort du rebelle il est des échafauds.

VERRINA.

Je récuse mon juge et non pas mes bourreaux.
Commande.

LOMELLINO.
Tu le veux ? Soldats, qu’on le saisisse,
Qu’on le conduise aux lieux où l’attend le supplice,

Qu’il trouve le trépas en de lentes douleurs.

VERRINA.

Je les brave.

LOMELLINO, avec un rire féroce.

Et pourtant tu pâlis.

VERRINA, montrant un poignard ensanglanté.

Non, je meurs[97].

Ne glissons pas dans le travers de découvrir tout un monde en un essai inédit. Le principal intérêt de cette traduction vient de l’époque où elle fut écrite, et aussi de l’état d’esprit qu’elle dénote. Un souffle de révolte anime l’œuvre de Schiller et transporte Dumas ; les violentes passions, les situations fortes séduisent ce jeune athlète lâché à travers les littératures ; son imagination surtout trouve un délice en cette figure énigmatique et noble de Fiesque et dans les accents de poésie grandiose ou réaliste qui s’en échappent. Mais il a l’instinct du théâtre, à un point qu’il lui tient lieu de goût ; et il est français, malgré les assauts qu’il va donner à la tradition : il a le sens de la composition, du ramassé, de la progression dramatique ; il adoucit les éclats shakespeariens de Schiller, il en tempère la brutalité ; et sagement il se préoccupe du spectateur, qui porte les révolutions à la condition d’être porté par elles, et sans l’ardente complicité de qui les œuvres du meilleur poète meurent sur la scène et s’en vont prendre rang dans le musée de la littérature. Avec sa chaleur de tête, sa fougue, et sa vigueur, tranchons le mot, il semble déjà un révolutionnaire adroit. Et enfin, s’il n’a fait imprimer ni représenter « Fiesque de Lavagna », nous verrons bientôt qu’il n’a perdu ni son temps ni sa peine en le traduisant.

  1. A. de Musset, la Confession d'un enfant du siècle, ch. ii, p. 3 (édit. Charpentier).
  2. A. de Vigny, Grandeur et Servitude militaires, chap. i. On comprend l’enthousiaste admiration de J.-J. Weiss, ancien enfant de troupe, pour Dumas. Préface de le Théâtre et les Mœurs, pp. xxii, sqq.
  3. A. de Musset, la Confession d’un enfant du siècle, ch. ii, p. 5.
  4. Stendhal, Racine et Shakespeare, première partie, ch. iii, p. 68.
  5. Béranger, Œuf/es éditées chez Garnier frères, édit. 1876, t. II, p. 181. Cf. J.-J. Weiss, À propos de théâtre, ch. xx. Hugo, pp. 338-339. « En dehors de la politique bonapartiste militante, le napoléonisme est un état de l’imagination, un état d’esprit national et un état moral… Le napoléonisme a bouleversé et perverti l’âme individuelle, il a ébloui l’âme nationale… »
  6. Avant Scribe, Byron écrit dans la préface de Marino Faliero : « Il est inconcevable qu’un observateur des hommes, aussi profond que l’auteur de « Zeluco », soit surpris de ce fait historique. Il savait qu’un bassin d’eau répandu sur la robe de mistress Marsham priva le duc de Marlborough de son commandement, et amena la paix d’Utrecht ; que Louis XIV fut entraîné dans les guerres les plus terribles parce que son ministre fut piqué de le voir critiquer une fenêtre, et voulut lui donner d’autres occupations… », etc. Dans le Verre d’eau (I, iv). Scribe n’a fait que reprendre quelques exemples de Byron. Le vaudeville et le drame sont issus de cet état de l’imagination populaire. Cf. Byron, Don Juan, ch. xiv. C. « Mais de grandes choses naissent des petites… Vous ne devineriez jamais, je vous parie des millions, des milliards, — qu’une pareille passion naquit d’une innocente partie au billard. » Cf. Byron, Marino Faliero, IV, sc. ii, p. 404 : « Qui l’aurait cru ? Ah ! un moment plus tôt ! Ce moment eût changé la face des siècles ; celui-ci nous livre à l’Éternité. » Cf. Prosper Mérimée, les Espagnols, journée II, I. « C’est pourtant un poulet rôti qui m’a fait découvrir la cachette du général Pichegru… » Cf. Alfred de Musset, la Confession d’un enfant du siècle, ch. i, p. 85. « Ce que décident ici-bas les plus petites choses, ce que les objets et les circonstances en apparence les moins importants amènent de changements dans notre fortune, il n’y a pas, à mon sens, de plus profond abîme pour la pensée. »
  7. Madame de Staël. De l’Allemagne, t. II, ch. xv, p. 15 (édit. Nicolle, 1818).
  8. Ibid., p. 14.
  9. Alexandre Dumas et son œuvre, notes biogr. et bibliogr., par Charles Glinel. Reims, librairie F. Michaud, 1885, 1re partie, p. 19.
  10. Ibid., p. 11. M. Glinel reproduit la copie exacte de l’acte de naissance, transcrit d’une façon un peu fantaisiste dans Mes mémoires, t. I, ch. i, p. 4.
  11. Mes mémoires, t. I, ch ii à xx, pp. 13 à 224 — « Les Autrichiens n’appelaient le général que Schwarz Teufel », p. 111.
  12. Mes mémoires, t. I, ch. ix, pp. 108 sqq.
  13. Le vicomte de Bragelonne, t. II, ch. xxvi, p. 194.
  14. Blaze de Bury, Alexandre Dumas, sa vie, son temps, son oeuvre, ch. xxi, p. 283.
  15. « On est gai, parce que l’on se porte bien, parce qu’on a un bon estomac, parce qu’on n’a pas de motifs de chagrin. Cela, c’est la gaîté de tout le monde. Mais moi, j’ai la gaîté persistante… » Et plus loin : « Alors la seule gaîté permise était la gaîté satanique, la gaîté de Méphistophéiès ou de Manfred… J’avais, comme les autres, mis un masque sur mon visage. » (Mes mémoires, t. IX, ch. ccxxxi, pp. 131 et 133.)
  16. Voir ci-dessous, pp. 287 sqq.
  17. Mes mémoires, t. I, ch. xx, pp. 233, 234, et ibid., ch. xxv, p. 276.
  18. Lettre de Michelet citée dans Mes mémoires, t. VI, ch. cxxxviii, p. 29. « Monsieur, je vous aime et je vous admire, parce que vous êtes une des forces de la nature. »
  19. « Il m’a fallu bien des succès pour nie guérir de mon amour-propre. » (Mes mémoires, t. V, ch. cxxxiii, p. 292.)
  20. « Composé du double élément aristocratique par mon père, populaire par ma mère. » (Histoire de mes bêtes, ch. xxxvii, p. 239.)
  21. Lettre inédite à Mélanie W. (Voir plus bas, pp. 287 sqq.) Cachet postal 18 septembre 1827. «… J’ai ta confiance, j’ai tes aveux ; et toi aussi, tu es un être à part qui ne peut changer…et puis, nai-je pas le magnétisme pour te ramener à moi ? »
  22. Mes mémoires, t. VI. ch. cl, p. 151.
  23. Voir Gabriel Ferry, Les dernières années d’Alexandre Dumas, 1864-1870, ch. i, pp. 3-7.
  24. Voir Gabriel Ferry, Les dernières années d’Alexandre Dumas, 1864-1870, ch. i, pp. 3-7.
  25. C’est une ambition fréquente chez les hommes de lettres à cette époque. Voir l’amusant récit de sa candidature dans l’Yonne. Histoire de mes bêtes, ch. xxxvii, pp. 2.31-241. Cf. Blaze de Bury, op. cit., ch. xix, pp. 234-240, où le même récit est fait par un témoin oculaire. Ces velléités de politique le reprirent en 1847. Voir Ch. Glinel, op. cit., ch. vi, pp. 413-414.
  26. Voir Propos d’art et de cuisine et Impressions de voyage, passim.
  27. Le Vicomte de Bragelonne, t. IV, ch. x, p. 86.
  28. Mes Mémoires, t. II, ch. lv, p. 249.
  29. Mes Mémoires, t. I, ch. xxiv. Paragraphe important : «… À tout cela j’ai dû un grand respect pour les choses saintes, une grande foi dans la Providence, un grand amour en Dieu. Jamais, dans le cours d’une vie déjà assez longue, je n’ai eu, aux heures les plus douloureuses de cette vie, ni une minute de doute, ni un instant de désespoir (cf. Antony) ; je n’oserais pas dire que je suis sûr de l’immortalité de mon âme, mais je dirai que je l’espère. Seulement, je crois que la mort, c’est l’oubli du passé sans être la renonciation de l’avenir… » Cf. Préface du Comte Hermann : «… Celui qui écrit ces lignes, appuyé sur les deux croyances qui ne l’ont jamais quitté — sa foi eu Dieu et sa foi dans l’art… » (Théâtre, t. XVI, p. 197.)
  30. Mes mémoires, t. III, ch. lxx, p. 101. Prédiction de la somnambule.
  31. Voir Histoire de mes bêtes, ch. i, p. 3. Cf. Ch. Glinel, op. cit., ch. v, pp. 363, 372, 389. M. Glinel a soigneusement noté les différentes tentatives de candidature : après Mademoiselle de Belle-Isle, lettre à Buloz : « Parlez donc de moi dans la Revue, pour l’Académie et demandez-vous à vous-même comment il se fait que je ne sois pas sur les rangs, quand A… (Ancelot ?) se présente » ; lettre à Ch. Nodier, janvier 1841, et au baron Taylor en 1842 — ces deux dernières inédites sont entre les mains de M. Glinel ; — et enfin en 1843, lettre au Siècle, après la mort de Casimir Delavigne. Cf. Début du Discours académique d’Alexandre Dumas fils.
  32. Extrait d’une lettre d’Alexandre Dumas fils à M. Alfred Asseline, citée par M. Ch. Glinel, ch. vii, p. 494.
  33. Mes mémoires, t. I, ch. xxi, p. 230, ch. xxii, p. 248, ch. xxiii, p. 250, et ibid., p. 252.
  34. Ibid., t. II, ch. XXXII, p. 37, et t. I, ch. xxvii. Cf. Ange Pitou, t. I, pp. 5 à 12.
  35. Mes mémoires, t. II, ch. xxxii, p. 36.
  36. Ibid.
  37. Voir Ch. Glinel, op. cit., passim.
  38. Mes mémoires, t. V, ch. cxxi, p. 259. « … Je n’avais jamais entendu rien de pareil à ces vers de Marion de Lorme : j’étais écrasé sous la magnificence de ce style, moi à qui le style manquait surtout. »
  39. Mes Mémoires, t. II, ch. xlviii, p. 175.
  40. Ibid., pp. 176-189.
  41. Mes mémoires, t. II, th. liii et liv et notamment p. 241.
  42. Mes mémoires, t. II, ch. lv, p. 250.
  43. Mes Mémoires, t. II, ch. lv, pp. 249-250.
  44. Mes Mémoires, t. II, ch. lviii, pp. 290-292.
  45. Mes mémoires, t. II, ch. lix, pp. 300-301.
  46. A. de Musset, Nouvelles poésies. Dupont et Durand.
  47. J.-J. Weiss, le Théâtre et les Mœurs, p. 36.
  48. Mes Mémoires, t. II. Voir tout le chapitre lxi et notamment p. 312.
  49. Mes mémoires, t. III, ch. lxv, pp. 61-62.
  50. Mes mémoires, t. IV, ch. xciii, p. 75. À lire tout le chapitre, pp. 66-76.
  51. Ch. Séchan, Souvenirs d’un homme de théâtre (1831-1855), recueillis par Adolphe Badin, ch. iii, pp. 59-61. Cf. Mes mémoires, t. III, ch. lxvi, p. 56.
  52. De l’Allemagne, t. II, ch. xxvii, p. 286.
  53. Mes mémoires, t. IV, ch. cix, pp. 279-280. Cf. J. Janin, Histoire de la littérature dramatique, t. VI, § xii, pp. 341-342. (Édit. Michel Lévy.)
  54. Mes mémoires, t. IV, ch. cix, pp. 279-280.
  55. Mes mémoires, t. IV, ch. cix, p. 280
  56. Ibid., pp. 278-279.
  57. Mes mémoires, t. IV, ch. xciv, p. 78.
  58. Mes mémoires, t. III, ch. lxxix, pp. 215-220, et t. IV, ch. xciii, pp. 79-80. Il nomme ici Cooper, dont l’influence se borne au roman.
  59. Mes mémoires, t. V, ch. cxiii, p. 17.
  60. Sur la première page est collée la lettre suivante : « Mon cher Lévy, M. Allart a retrouvé un manuscrit que j’ai toujours cherché, mon drame de Fiesque qui manque à mon théâtre. Rachète-le-lui 250 fr., tu donneras 230 fr. à Charpillon (voir Propos d’art et de cuisine, p. 7) et tu auras une chose importante dans mon histoire littéraire. À toi. A. Dumas. »
  61. Ce manuscrit appartient à MM. Calmann Lévy, qui ont bien voulu me le communiquer et m’autoriser à en faire quelques citations. Je ne saurais les en remercier trop vivement. Il est tout entier écrit de la main de Dumas. Il se compose de cinq cahiers de papier à écolier, le premier seulement de grand format, le tout réuni sous reliure.
  62. La Conjuration de Fiesque à Gênes, tragédie républicaine, qui fait partie de la trilogie de jeunesse de Schiller, a été souvent traduite ou imitée en France de 1820 à 1835. Dumas cite un Fiesque d’Ancelot (Mes mémoires, t. IV, ch. xcvii, p. 118), qui fut représenté, non sans succès, à l’Odéon. Alfred de Musset mit plus tard (1834) Fiesque à contribution, quand il écrivit Lorenzaccio. L’esprit de conjuration est un lieu commun de Victor Hugo dramatiste (Cromwell, Hernani, Marion Delorme, Ruy Blas) et c’est Fiesque, à côté de Cinna, qui enseigne aux jeunes premiers de ce théâtre cet art de conspirer, que Scribe plaisante dans Bertrand et Raton et dont l’opérette du second Empire s’est amusée sans merci. Fiesque était une œuvre en vue. Dumas la traduit d’abord. En 1842, il donnera au Théâtre-Français Lorenzino qui est l’intrigue de Fiesque poussée au noir, avec une conspiration « bien tortueuse, bien sombre, bien Romaine », un duel en masques, à minuit, et des coups de poignard, et du poison, et des réminiscences des Brigands, et le dénoûment d’Egmont, et encore, par-dessus le marché, une scène de premier ordre (V, iv) dans la prison de Bargello, en souvenir de la Tour de Nesle. En 1860, il écrira l’Envers d’une conspiration, où maint morceau de Fiesque se retrouve. Il n’a rien brûlé de ce qu’il avait adoré ou traduit. (Voir Mes mémoires, t. IV, ch. cviii, p. 268. Cf. Théâtre complet, t. I, p. 22.)
  63. Stendhal avait prévu le cas. Op. cit., p. 253. « À peine s’il connaît (le public) de nom les Richard III, les Othello, les Hamlet, les Walstein, les Conjuration de Fiesque… » Et ibid. : « …En étudiant profondément le moyen âge, qui a tant d’influence sur nous, et dont nous ne sommes qu’une continuation, et en exploitant le moyen âge à la façon de Shakespeare et de Schiller ».
  64. Le Cid, I, iv.
  65. La Conjuration de Fiesque à Gênes, II, Sc. ix, p. 252.
  66. Mes mémoires, t. IV, ch. xcvii, p. 118.
  67. La Conjuration de Fiesque à Gênes, I, sc. x, p. 227. Théâtre de Schiller. Traduction nouvelle de Ad. Regnier, Paris, Hachette, 1881, t. I.
  68. De l’Allemagne, t. II, ch. xv, p. 17. n Les défauts du théâtre allemand sont faciles à remarquer : tout ce qui tient au manque d’usage dans le monde, dans les arts comme dans la société, frappe d’abord les esprits les plus superficiels. »
  69. La Conjuration de Fiesque à Gènes, I, sc. iv, p. 212.
  70. Ibid., III, sc. viii, p. 288.
  71. La Conjuration de Fiesque à Gênes, IV, sc. xii, p. 310.
  72. Ibid., IV, sc. xiii, p. 313.
  73. La Conjuration de Fiesque à Gênes, I, sc. x, p. 227.
  74. Ibid., V, sc. xiv, p. 342.
  75. Nachträge zu Sclillers sämmtlichen Werken, von Eduard Boas, dritter Band, Stuttgart, 1828, Seit. 47-227. Die Verschwörung des Fiesko, Bühnenbearbeitung.
  76. Schiller a supprimé cette mascarade de la fin, où Léonore, habillée en homme, ramassait le manteau écarlate de Gianettino et se faisait tuer par Fiesque, sous ce déguisement. (V, sc. xi, p. 336.)
  77. Manuscrit inédit de Fiesque de Lavagna, I, sc. x.
  78. Manuscrit inédit, I, sc. x.
  79. Manuscrit inédit, I, sc. xii.
  80. Histoire du Romantisme, p. 122. À propos du monologue de don Carlos (Hernani, IV, sc. ii) : « Le poète excelle dans ces vues prises de haut sur les idées inédites. » Il semble « monter par un escalier dont chaque marche est un vers au sommet d’une flèche de cathédrale ». On voudra bien songer que Gautier fut un des « rois du Lundi », comme disait Dumas. Voir ci-dessous, p. 88.
  81. La Conjuration de Fiesque à Gênes, IV, sc. xiv, p. 318.
  82. Ibid., IV, sc. xv, p. 319.
  83. Manuscrit inédit, IV, sc. xii.
    Il ne faut pas se préoccuper du numérotage des scènes dans cet acte. Comme j’ai dit, Dumas avait d’abord suivi Schiller ; puis il s’est ravisé. En voici l’ordre dans le manuscrit avec les numéros : Scène i. Fiesque et le Maure ; ii. Monologue de Fiesque, biffé sauf quatre vers ; iii. Fiesque et Léonor, biffé entièrement. Puis on passe à la scène x. Fiesque, un domestique ; xi. Fiesque, Julie, Léonore cachée (exécution de Julie) ; xii. Fiesque, Léonore. Puis on revient à la scène iv. Factionnaires et conjurés ; v. Les conjurés, Fiesque (la scène du lion) ; vi. Les précédents, Manfredi (qui annonce la trahison du Maure) ; vii. Les mêmes, un officier amène le nègre garrotté ; viii. Les mêmes, moins l’officier. Fiesque remet le Maure en liberté ; ix. Fiesque donne ses ordres pour la révolution.
    Dumas écrit Léonor, au lieu de Léonore, qui est l’orthographe de Schiller. Je n’ai pas cru devoir conserver ces différences dans le cours du chapitre.
  84. Dumas avait un procès à Rouen. Après l’avoir interrogé sur ses nom et prénoms : « Votre profession ? » lui demande le président. — « Je dirais : auteur dramatique, si je n’étais dans la patrie de Corneille. » — « Il y a des degrés », repartit le président.
  85. Manuscrit inédit, IV, sc. x.
  86. Ibid., IV, sc. vi.
  87. Manuscrit inédit, IV, sc. viii.
  88. Ibid., III, sc. iv.
  89. La Conjuration de Fiesque à Gênes, III, sc. x, p. 291.
  90. Manuscrit inédit, III, sc. v.
  91. La Conjuration de Fiesque à Gênes, I, sc. iv, p. 212 : « Que le nectar de Chypre abreuve le sol de mes salons ! (Der Boden meiner Zimmer trinke zyprischen Nektar !) Que la musique éclate à réveiller la sombre nuit de son sommeil de plomb, que mille flambeaux brillants fassent fuir de dépit le soleil du matin !… Que l’allégresse soit générale ! Que la danse bachique fasse crouler l’empire des morts ! (Der bacchantische Tanz erschrecke die Todten !) » La traduction de Régnier ne rend pas tout à fait la violence du texte ; je la modifie légèrement. Cf. Casimir Delavigne, Marino Faliero, II, sc. i, pp. 31-32 (édit. Didier et Cie, Librairie académique, 1863) :

    Partout des fleurs !
    Que les feux suspendus et l’éclat des couleurs.
    Que le parfum loger des roses de Byzance,
    Les sons qui de la joie annoncent la présence.
    Que cent plaisirs divers d’eux-mêmes renaissants
    Amollissent les cœurs et charment tous les sens !

  92. Il confond Julie devant Léonore, qui le trouve encore trop cruel. Voir manuscrit inédit, IV, sc. xi :
    Elle est bien malheuMon ami, trop de rigueur l’accable ;
    Elle est bien malheureuse !
  93. Manuscrit inédit, IV, sc. xi. Cf. la Conjuration de Fiesque à Gênes, IV, sc. xii, pp. 310-311. On trouvera la même scène filée (avec quelle dextérité !) par A. Dumas fils, dans l’Ami des femmes, IV, ix, 173-174 (Th., IV). Cf. Phèdre, II, v :

    Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire.

    Et plus loin :

    
    Ah ! cruel, tu m’as trop entendue !
  94. L’Intrigue et l’Amour, tragédie bourgeoise de Schiller, I, sc. i, p. 364 et II, iv, p. 404 (Th., t. I). — On pourrait, faire en détail la mêne étude de l’adaptation que Dumas exécuta plus tard. Il atténue la brutalité réaliste de Schiller. Il resserre ou supprime les scènes de mœurs ou de passions choquantes. On en verra un exemple dans la scène entre Miller et Ferdinand, l’amant de la fille de Miller : Schiller, V, sc. v, pp. 472 sqq. Cf. Dumas (Th., X), V, sc. iv, pp. 296 sqq. — On notera aussi, pour la curiosité de la rencontre et comme indication de la part héréditaire dans le talent de Dumas fils, que l’Intrigue et l’Amour n’est pas sans analogie avec la Dame aux Camélias. (Schiller, II, vi, 411. Cf. Dumas fils, scène de Duval et de Marguerite, III, iv, 124 sqq.)
  95. Manuscrit inédit, V, sc. xiv. Cf. la Conjuration de Fiesque à Gênes, V, sc. xiv, p. 342.
  96. La Conjuration de Fiesque à Gênes, V, sc. xvii, p. 348.
  97. Manuscrit inédit, V, sc. x.