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Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/01/04

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CHAPITRE IV

LE DRAME NATIONAL ET « HENRI III ».


I

AVANT « HENRI III ET SA COUR ».

S’il est beau de louer des vertus étrangères, Il est doux de chanter la gloire de ses pères[1].

Ces vers servent d’épigraphe à un drame patriotique de Pixérécourt. Lorsque Dumas déclare dans Un mot qui précède Henri III, qu’il n’a rien fondé, il est modeste ; quand il cite Victor Hugo, Mérimée, Vitet, Loève-Veimars, Cavé[2], il est prudent : c’est trop ou trop peu. Il oublie un nom qui importe, et que lui rappellera Granier de Cassagnac, sans la moindre intention de lui être agréable[3]. Car il est inutile de remonter jusqu’à Sébastien Mercier ; Pixérécourt fut le précurseur du drame national et historique, voire du drame de clocher. « Je suis fier, dit-il dans la Préface de Charles le Téméraire ou le siège de Nancy, d’avoir pu célébrer le lieu de ma naissance. Je l’avouerai, j’ai savouré toutes les jouissances de l’orgueil en retraçant le sublime dévoûment de mes pères[4]. » Et il exprime avec naïveté, noble homme de Lorraine, l’état d’esprit populaire, qui faisait du drame historique l’inévitable conséquence de la Révolution ; dramatiste pour le peuple, il exalte cette superbe attendrie du peuple, qui s’avise que ses ancêtres firent les Croisades et qu’il est l’histoire, lui aussi. Raynouard, avec ses Templiers (1805), Lemercier avec son Charlemagne, arrêté par la censure de l’Empire, suivent un courant général, qui se perd dans la tragédie. Pixérécourt est franchement populaire.

Partant, il se pique d’érudition. Il cite ses auteurs ; il se réfère à Dom Calmet. Il étale ses documents, avant les appendices de Walter Scott, avant les préfaces de Victor Hugo. Pour justifier l’audace qu’il a eue de mettre en scène la chronique du Chien de Montargis, il s’appuie sur une liste d’auteurs graves ou de textes rares, parmi lesquels je distingue Jules Scaliger (De exercitatione, f° 272, édit. de 1557), lequel a glorifié ce chien digne de Plutarque. On lit en note, au bas des pages : « Historique », ou bien : « Propres paroles du duc de Bourgogne extraites d’un manuscrit du temps[5]. » Victor Hugo n’eût pas manqué à nous désigner ce manuscrit précieux. Et déjà l’érudition produit son ordinaire effet sur le théâtre ; Philippe de Commines est imperturbable en ses discours, presque autant que Ruy-Rlas. Et aussi, malgré l’innocente prolixité des propos du vertueux chroniqueur, Charles le Téméraire a les honneurs de la censure. Décidément, Pixérécourt est un précurseur.

Il le prouve par les effets scéniques qu’il tire de ses lectures, et l’importance qu’il donne aux tableaux dramatiques, tournant la théorie de Diderot et l’innovation de Beaumarchais au profit du décor historique ou simplement local. La plupart de ses mélodrames sont à grand spectacle. Même le spectacle y est souvent plus considérable que l’action. Dans Christophe Colomb la scène représente le plan coupé d’un vaisseau. C’est déjà l’Oncle Sam. Il peint « les mœurs de ce vaisseau[6] » à l’aide d’une page de commandements « techniques », qui rappelle le début de la Tempête[7]. S’il met des sauvages sur le théâtre, il s’efforce de conserver « les usages, costumes et signes caractéristiques[8] ». Oranko salue Karaka d’un « Cati louma[9] ». Dans Robinson Crusoé, Vendredi parle nègre, compte sur ses doigts, et n’a pour toute parure qu’un pantalon de matelot[10]. On se rapproche de la vérité géographique autant qu’on peut. Les paysages romantiques abondent dans les indications de la brochure. Je recommande aux amants du pittoresque le décor du dernier acte de Cœlina ou l’Enfant du mystère : lieu sauvage (tout ce qui est sauvage a de la couleur), connu sous le nom de Nant-d’Arpennaz, rochers élevés, pont de bois, vieux moulin avec sa roue qui tourne, torrent, éclairs, tonnerre répercuté par l’écho de la montagne, qui « porte la terreur et l’épouvante dans l’âme ». Bel orage pour un monologue de Triboulet ou pour une orgie à la Tour !

Et il connaît les sources du drame national. Il les exploite, avant les hommes de 1830. Il a lu Shakespeare, Gœthe et Schiller ; il lit Walter Scott. Il adapte des œuvres exotiques moins connues, ainsi que fera Dumas jusqu’à la fin. La Rose rouge et la Rose blanche est de 1809 ; il y a du Shakespeare là-dessous. Il écrit une Marguerite d’Anjou, pièce shakespearienne, un Christophe Colomb, après Lemercier ; il y viole seulement deux unités, au lieu que son devancier avait violé les trois. Dans la Fille de l’exilé ou huit mois en deux heures, il reprend courage et inaugure le drame-feuilleton, où Dumas devait sombrer. Il imite Walter Scott dans le Château de Loch-Leven[11]. Il adapte Kotzebue, transpose Guillaume Tell (1828). Dès le début de sa carrière Gœtz de Berlichingen, les Brigands, Fiesque lui sont familiers. Gœtz lui a fourni nombre de scènes d’assauts ou de batailles. Charles le Téméraire est de 1814. On y trouve l’attaque de Nancy et les Bourguignons noyés par des torrents d’eau qu’on voit arriver et bouillonner. Gœthe n’avait pas rencontré cet effet-là. La même pièce emprunte de la Pucelle d Orléans son dénoûment qui se complique d’un changement à vue, dont en une note l’auteur s’excuse. Il allègue l’exemple du Déserteur de Mercier ; mais l’influence allemande est manifeste [12].

Dès le 22 prairial an VI (11 juin 1798), elle se marque dans Victor ou l’Enfant de la forêt. Château fort gothique, herses, pont-levis, remparts, murs de défense, fossés d’attaque ; et Valentin, le vieil invalide attaché à la personne de Victor, tel Selbitz estropié d’une jambe : voir Gœtz de Berlichingen. Ici Fritzierne joue le personnage de Gœtz lui-même. Il est généreux ; il a une fille charmante ; il supporte le siège de son château pour la défense d’une pauvre femme : voir Gœtz de Berlichingen[13]. Mais voir aussi les Brigands de Schiller[14]. Roger, le chef des Indépendants[15], n’est pas un philosophe de l’envergure de Charles Moor. Mais il a le cœur sensible. Il retrouve son fils et lui parle «  vivement et avec âme[16] » ; ainsi parle Moor revoyant son père. Et il est au-dessus des préjugés, lui aussi. « … Va, tu préférerais bientôt les charmes d’une vie libre et indépendante aux prétendus avantages que les préjugés semblent te promettre dans la société [17]. » Je me souviens à peine qu’il a sur la conscience la mort de sa femme, Adèle, qu’il avait enlevée à ses parents. N’avait-elle pas prétendu soustraire leur enfant à la gloire de la profession paternelle ? Un homme qui est parvenu à la situation de Roger dans la forêt de Kingratz, ne peut mourir sans héritier. La troupe des Indépendants est un État dans l’État. Ce sont d’honnêtes bandits, qui vivent heureux et doux sous l’œil du chef. Avec l’âge, ils feront de bons fonctionnaires d’Empire. « Brigands !… Et qui t’a dit que mes camarades méritassent de porter ce nom ? Je ne te cacherai pas que plusieurs d’entre eux avaient eu une jeunesse fougueuse, et que, moi-même, poussé avec ardeur vers le vice, qui me semblait plus attrapant que la vertu, j’avais bien quelques torts à me reprocher. Quoi qu’il en soit, ces hommes ardents, audacieux, m’ont choisi pour leur chef, pour leur premier ami[18]. » Aussi bien, c’est un phalanstère de Figaros sur le retour, plutôt que de bandits. Et voici les hautes vues moralisantes : « Dès ce moment, j’ai formé le projet de les rendre meilleurs, de les soumettre à des statuts, à des convenances sociales[19] ». Le Figaro bourgeois apparaît : quand deux Français sont réunis, ils se constituent en société avec un président et des statuts ; à trois, commencent les convenances sociales.

Pixérécourt imite, mais il adoucit, tempère, il met la morale en action. Si Roger est le chef des Indépendants, c’est pour défendre les faibles contre les riches insolents et oppresseurs. Je reconnais Gœtz, je retrouve Charles Moor. « Qui t’en a donné le droit ? — Mon amour pour l’humanité[20]. » À l’exemple de Charles Moor, il confesse son erreur, mais avec plus de contrition. On se rappelle le dernier et fier couplet du Brigand : « Hélas ! fou que j’étais, de m’imaginer que je perfectionnerais le monde par des crimes et que je maintiendrais les lois par l’anarchie[21] !… » Roger, au moment de mourir, dit d’une âme chrétienne : « J’ai voulu te faire l’aveu des crimes que j’ai cherché vainement à déguiser sous les systèmes les plus faux et les plus dangereux [22] ». Pixérécourt en profite pour faire aux Indépendants enchaînés un sermon tout empreint du lyrisme de Charles Moor, mais assagi et commenté selon la formule édifiante et dulcifiante de la Mère coupable[23].

Ce mélodramatiste est un précurseur circonspect. On ne reconnaît pas tout son mérite en disant qu’il a préparé le public au jeu du décor et de la machine. Les sources mêmes du drame national, il les dérive avec précaution. Il embourgeoise Gœthe et Schiller. Il exalte l’individu avec modestie. Il a des révoltes paisibles. Une énigme transparente enveloppe ses personnages. Il viole les règles discrètement, et séduit les femmes avec des égards[24]. Son exaltation est vertueuse, mais il est lyrique à sa façon, à la suite des modèles, qui sont tout justement ceux de Dumas.

C’est un écho timide, et qui répercute tout de même. Il a du goût, non pas effréné, pour les bandits, les brigands rêveurs, les écumeurs utopistes, les forbans naïfs, pour tous les pitoyables héros en marge de la société. Victor et consorts, qui ont dans leur passé un secret originel, issus d’Hamlet, de Fiesque, de Faust, et aussi (disons-le dès maintenant sous réserve de le redire) de notre Figaro, sont les épreuves avant la lettre des Antony, des Richard, des Buridan, des Hernani, des Gennaro, et des Ruy-Blas. Cœlina, enfant du mystère, est aussi la fille d’une grande dame, d’une très grande dame et de Francisque, pauvre homme muet, que l’on reconnaît finalement pour un ancien peintre. Pixérécourt, en 1802, contemporain des Augereau, des Bernadotte, des Marceau, des Bonaparte, ne peut pas encore exploiter la légende. Avec un peu d’audace, il faisait de Cœlina la fille d’un prince ou d’un bourreau. Mais puisant où les romantiques ont puisé, il mêle déjà le rire aux larmes, et le quatuor des drames romantiques apparaît selon la fine remarque de M. Petit de Julleville[25] : une jeune fille douce comme les anges et fière, et tendre, et vaillante, et pure (telles Ophélia, Marguerite, Amalie) ; le jeune premier, l’âme pétrie de mystère et d’amour (Hamlet , Fiesque ; ; le traître renforcé , descendant d’Iago et du nègre Hassan ; enfin chez Hugo le gracioso Espagnol, chez Dumas, plus moderne et plus vrai, le mari, le père, le chef de la famille, centre de l’émotion dramatique. Joignez que Pixérécourt est capable, tout comme un autre, d’exécuter une tuerie à la fin d’un mélodrame ou de jeter une scène de séduction au début[26]. Que lui-a-t-il donc manqué pour créer le drame national ?

Dumas le fit voir, qui avait connu ce théâtre. Quand il mettait en scène le Gentilhomme de la montagne, il reprenait Hernani selon la formule de Victor. Il s’en tenait au mélodrame sciemment et délibérément. Pixérécourt ne dépassa point ce genre, mais ce fut malgré lui. Il a compris le public de la Révolution et de l’Empire ; il en a deviné l’état d’imagination et les convoitises. Il a fait effort d’invention, de mouvement, dans la mesure de son talent, qui était nul au regard de la littérature, mais non pas sur la scène. Il n’a aucune observation ; et il n’a pas non plus la passion. Il s’est trompé de route. Il s’accroche au Beaumarchais de la Mère coupable et à Figaro grisonnant. Juste au moment que les tableaux de mœurs ou d’histoire vont prendre sur la scène une place prépondérante, il néglige le Barbier et le Mariage, qui ont préparé, compliqué et assoupli la technique. Ses drames ou mélodrames atteignent péniblement trois actes ; parfois deux lui suffisent ; encore donne-t-il trop souvent la sensation du mouvement dans le vide ; à défaut de passion, il possède une certaine sensibilité larmoyante, dont Beaumarchais avait déversé le trop-plein à la fin de sa trilogie, et qui menaçait déjà de rompre les digues dans le Mariage. Pour lutter contre les Bégears, les Figaros de Pixérécourt sont pleins de bonnes intentions, qu’ils expriment dans une langue lamentable, mouillée de pleurs et semée d’aphorismes prudhommesques et consolants. Sa morale, au dénoûment, est un commentaire de ces mots du comte Almaviva vieilli : « Ô mes enfants ! il vient un âge où les honnêtes gens se pardonnent leurs torts, leurs anciennes faiblesses, font succéder un doux attachement aux passions orageuses qui les avaient trop désunis[27] ». Dumas, qui connaissait les ressources pathétiques du mélodrame et sut mettre à profit l’exemple et le public de Pixérécourt, a été plus clairvoyant dans le choix de la tradition française qu’il devait suivre. Il se rattache aussi à Beaumarchais, mais il tient Eugénie et la Mère coupable pour « la pire école de drame[28]  ».

Il en crut trouver une meilleure dans l’œuvre de Mérimée. Ce fougueux touche-à-tout subit l’influence de ce gentleman froid. Ne l’eût-il pas expressément déclaré[29], Don Juan de Marana suffirait à nous renseigner. Je crains d’ailleurs que ce cousinage ne soit encore un plaisant quiproquo, tout à fait digne du théâtre. J’ai indiqué que dans la Chronique du règne de Charles IX, Mérimée, écrivant un roman historique, raille finement les romanciers à la mode de Walter Scott. Le Théâtre de Clara Gazul me fait tout l’effet d’une mystification, d’une raillerie continue, dont Dumas fut dupe ; avec quel entrain, on s’en doute. C’est l’armature, l’écorché du drame national ; ou n’en serait-ce pas plutôt la critique la plus pénétrante ? Cette comédienne espagnole a tant d’esprit !

Pan, pan, pan ! — Les trois coups. — Le rideau se lève. — Ris, souffre, pleure, tue ! — Il est tué ! — Elle est morte ! — Fini. — Point de drame ; mais la trame. N’est-ce donc pas plus difficile que cela ? Ou ne serait-ce que la parodie ? Possible. La théorie et le rudiment ? Peut-être. La condamnation du drame historique ? Il faut voir. Et l’on voit dans le prologue des Espagnols en Danemark une fine moquerie des trois unités [30]. Mais tournez la page, et vous rencontrez ce couplet à l’adresse de la logique dramatique des petites causes et des grands effets, qui est celle de Figaro, de Pinto, d’Othello et de Fiesque, d’Henri III et de Ruy Blas, de la duchesse de Marlborough et de Bertrand et Raton : « Bagatelles ? Bagatelles ? Ah ! Élisa, dans les affaires rien n’est à dédaigner. C’est pourtant un poulet rôti qui m’a fait découvrir la cachette du général Pichegru[31] … » Voilà pour la valeur philosophique de ces événements de tréteaux. Quant à ces passions rudimentaires, que Mérimée simplifie encore, est-ce qu’en vérité le grotesque serait si proche du sublime ? Ainsi réduits, ces bouillons de l’âme nous effraient ; y faut-il voir la quintessence du drame, ou simplement le faux et le ridicule ? Une femme comparait devant le tribunal inquisiteur. Il n’est pas temps de rire. Mariquita, dont la profession (« diable !… je ne sais trop que dire ») est de « chanter, danser, jouer des castagnettes, etc., etc.[32]  », ôte son voile. Les trois juges sont amoureux. « Vive Dieu ! Quelle jolie fille ! » observent Rafaël et Domingo. Antonio, plus jeune, baisse les yeux, fait appeler le tortionnaire ; il est comme frappé de la foudre ; sa voix tremble ; il tombe évanoui[33], ni plus ni moins qu’Othello, tout à fait incapable de prier. À la seconde scène, il se voue à l’enfer. À la troisième, il crie : « Qu’est-ce que l’enfer, quand on est heureux comme moi ? » En une heure le saint homme est devenu fornicateur, parjure, assassin. « En voyant cette fin tragique, vous direz, je crois, conclut Mariquita, qu’une femme est un diable[34]. » Oui, mais

que conclure des moyens dramatiques du vieux Lope, que la jeune France admire et à l’imitation duquel les aspirants dramaturges s’élancent ? De ces rudes passions, de ces passions frénétiques, de ces passions expéditives du drame nouveau ? Est-ce que souffrance, jalousie, tuerie vont consister seulement en un jeu des muscles ? N’y a-t-il rien d’autre là-dessous ? L’amour n’est-il que cris, coups, convulsions, mort ? N’est-ce même qu’une terrible piperie de théâtre, et lui ferons-nous l’aumône d’un sourire à la façon de Fray Eugenio ? « Ne m’en voulez pas trop, si j’ai causé la mort de ces deux aimables demoiselles[35]. » Faut-il enfin croire que tout cela n’est que mômerie, toute cette dramaturgie à la remorque, plus brutale que sincère ? Inès meurt sur la scène. « L’auteur m’a dit de ressusciter, reprend-elle après un instant, pour solliciter votre indulgence[36]. » Et comment écarter le souvenir du mot de Dorval à la fin d’une représentation d’Antony, où le rideau s’était abaissé trop vite : « Je lui résistais, il m’a assassinée » ?

De qui se moque-t-on ici ? J’ai grand’peur que ce ne soit du drame même, et que nous n’ayons affaire à un cas de prescience critique assez rare. Tout le théâtre de Dumas, celui-là surtout, y est d’avance criblé. Fièvre, mouvement, viols, meurtre, suicides, scepticisme, satanisme[37], procédés nouveaux, conventions de demain, rien n’échappe aux pointes de cet ironiste. « Pour un enlèvement, il faut autre chose que de l’amour ; il faut ce dont les romanciers ne parlent pas : de l’argent, et beaucoup d’argent[38]. » Cela tombe droit sur les héros voyageurs de Dumas, comme plus tard les malices de MM. Meilhac et Halévy. Qu’est-ce donc ? La préface de la Famille de Carvajal accroît en nous cette perplexité. Après la tragédie condamnée par un marin, voici le drame défini par une jeune tête de quinze ans. «… Ne pourriez-vous pas, monsieur, vous qui faites des livres si jolis, me faire un petit drame… bien noir, bien terrible, avec beaucoup de crimes et de l’amour à la lord Byron ?… — P.-S. Je voudrais bien que cela finît mal, surtout que l’héroïne mourût malheureusement. — Second P.-S. Si cela vous était égal, je voudrais que le héros se nommât Alphonse. C’est un nom si joli[39]. » Ce souhait ne devait se réaliser que plus tard, après les effusions des romantiques. Mais pour ce qui est de « finir mal », il semble que Dumas, si fertile en dénoûments lugubres, n’ait jamais rencontré mieux. « Ainsi finit cette comédie et la famille de Carvajal. Le père est poignardé, la fille sera mangée ; excusez les fautes de l’auteur[40]. » Cet écrivain est-il sérieux ? Ou badin ? Imitateur ou perfide dans l’imitation ? Novateur ou pince-sans-rire ? Peut-être tout cela ensemble. À coup sûr, jamais littérateur d’avant-garde ne fut plus sujet à caution ; car jamais le convenu ni le forcené du drame de 1830 ne furent plus cruellement percés à jour. Restait à en mesurer la valeur historique et la qualité nationale. Mérimée fait paraître la Jaquerie (1828).

Les tableaux sont à la mode ; le théâtre nouveau, duquel on sait que dépendent les destinées de la nation, puise à même dans l’histoire. Cela prêche la popularité. Si nous écrivions la Jaquerie, scènes féodales. Le mot de Mascarille en sera l’épigraphe : « Je travaille à mettre en madrigaux toute l’histoire romaine ». Alors quoi ?… Est-ce que d’aventure tout le secret de ce drame national serait un adroit découpage de scènes, de tableaux et de madrigaux ? La préface commence par ces paroles : « Il n’existe presque aucun renseignement historique sur la Jaquerie ». Prétend-on insinuer que les événements n’en sont que plus commodes à dialoguer ? Serait-ce là le fonds historique de cette inspiration populaire, qu’on détaille en scènes, en attendant qu’elle réussisse sur la scène ? Et je vois défiler, après cette caution de la préface, cent quarante pages de tableaux atroces, hauts en couleur, soutenus de notes à la fin du volume, selon la méthode de Pixérécourt et de Scott, et de quelles notes, et de quelle érudition ! Il en est de courtes, comme celle-ci : « Comme il faut que chaque métier ait un patron, les voleurs ont choisi saint Nicolas[41] ». D’autres sont plus étendues. Or, au moment que Mérimée apporte sa contribution au drame national, il imite, et de près, Gœtz de Berlichingen, les Brigands, Guillaume Tell, comme si, en vérité, la nationalité de ce drame était à ce prix. Posément, flegmatiquement, il nous conduit d’abord dans une salle gothique du château d’Apremont et se conforme au plan gigantesque de Gœthe. Voulue ou non, jamais ironie ne fut aussi féconde. Tant de passion ou d’histoire parlante éblouit Dumas. Et ce qui l’éblouit l’enflamme.

Pour être vrai, il faudrait clore ici la liste des précurseurs immédiats qui ont agi sur lui. Casimir Delavigne, qui réforma le code de l’amour avec l’École des vieillards, eut plus d’influence sur le poète de Hernani. Il alla de l’avant avec modération ; il connut les sources et, dès Marino Faliero, les mit en œuvre. Il lui manqua le grain de folie. Homme de théâtre, mais homme de goût, avec beaucoup de talent mais sage et d’un humaniste, il était aux antipodes des visées de Dumas. Et comme on ne peut pas dire que ce Marino Faliero (de trois mois postérieur à Henri III et sa Cour), qui ne fut une œuvre inutile ni pour Victor Hugo ni pour Alfred de Vigny[42], soit un drame national, ou simplement historique, mais peut-être une tragédie nullement inférieure, et peut-être aussi une adaptation, un compromis exécuté d’une main adroite et prudente[43], — il faut bien en croire l’auteur d’Antony qui affirme son antipathie pour la manière de Casimir Delavigne[44]. Quant à de Vigny, il est un novateur, mais à la suite ou en dehors. La traduction du More de Venise ne devance pas Henri III ; le reste ne le dépasse point. Il se pourrait qu’il n’eût écrit, à la rencontre, qu’un acte, un seul, vraiment original et neuf : et ce n’est pas le dénoûment de Chatterton que je veux dire, mais une piécette intitulée : Quitte pour la peur, dont on ne parle plus. On a tant parlé du théâtre de Victor Hugo.


II

VICTOR HUGO ET LE DRAME NATIONAL.

Il le faut, une fois de plus ; succinctement, mais il le faut. C’est lui qui accola plus volontiers le mot « national » au mot « drame ». Lorsque, du fond de nos provinces, s’élève un cri d’alarme en faveur de la tragédie, c’est lui, le créateur, le maître, qu’on prend à partie pour démontrer que le drame repose sur quelques conventions. Il ne fut le premier ni dans le temps ni par le talent. Peu importe : il a écrit la préface de Cromwell. — Mais il a écrit Cromwell aussi. — Qu’importe ? Qu’importe ? C’est lui qui personnifie le drame. Et les badauds esthétiques en profitent pour sauver, une fois de plus, la tragédie de Corneille et de Racine, leur Capitole.

Victor Hugo n’a fondé ni le drame national, ni le drame sans épithète, par la raison qu’il n’est pas doué du génie dramatique. Il n’a ni la logique, ni l’exécution, ni l’esprit. Il est incapable de se détacher de lui et de ses visions. Car il voit, s’il n’observe pas ; il voit grand, en dedans, il a l’imagination grandiose ; il est un prodigieux créateur de tableaux, d’images et de métaphores ; s’il est un penseur, comme le dit ingénument Dumas, c’est un penseur à grand spectacle[45]. Il n’a pas le génie dramatique, mais une immense fantaisie théâtrale, qui élargit le décor, la couleur, le couplet, et le geste — surtout dans ses préfaces.

Ceux qui croient encore à l’originalité des idées prophétiques du manifeste de Cromwell étudieront avec fruit les xe, xie, xiie et xive leçons de W. Schlegel, le xve chapitre De l’Allemagne de madame de Staël, et la préface de Wallenstein de Benjamin Constant. Ils pourront parcourir aussi quelques pages du Racine et Shakespeare de Stendhal, plusieurs chapitres de la Dramaturgie de Lessing[46], notamment ce qui concerne l’histoire au théâtre ; et encore dans les lettres qui servent d’appendice au Don Carlos de Schiller, dans l’Autobiographie de Gœthe et un peu partout chez celui-ci ils retrouveront les germes de ce manifeste. S’ils tiennent à lire des choses analogues, ou à peu près, Mercier et Lemercier leur réservent quelques surprises. Je ne cite que le nécessaire[47]. Dirai-je que je trouve plus de sens dramatique et d’intelligence de l’avenir au deuxième volume de madame de Staël que dans toutes les préfaces de Victor Hugo superposées à celle de Cromwell ? Ceux qui estimeraient le paradoxe un peu fort ne le tiendront pas du moins pour neuf, si à toutes ces lectures ils ajoutent celle de la première lettre de Dupuis et Cotonet, et particulièrement de la page 194, laquelle est pleine de suc[48].

Et donc Victor Hugo s’est avisé, après d’autres, que l’avenir est au drame « national par l’histoire, populaire par la vérité[49] ». Après la Révolution, l’individu veut sa place sur la scène comme dans la société : l’époque est passée des caractères généraux et trop abstraits, des règles fixes et des divisions rectilignes. Le drame sera historique et social, mais surtout populaire. Là-dessus l’inspiration de Victor Hugo s’échauffe. Et apparaît cette faculté proprement théâtrale d’agrandissement qu’il déploie en ses manifestes. Pour justifier le mélange du rire et des larmes, du comique et du tragique (disons mieux : du grotesque et du sublime, il édifie une théorie de l’histoire du monde, pas davantage. Alfred de Musset, l’un des premiers, en a finement relevé les contresens et les contradictions[50]. La théorie n’est qu’une vision énorme, et d’un instant. Qu’est donc le drame, le drame soutenu, dès avant sa naissance, de cette métaphysique ? On en trouvera de copieuses et vastes définitions dans la préface de Cromwell[51] et plus tard dans celle d’Angelo. Là resplendit l’imagination féerique de Hugo. Les cadres de la pensée humaine craquent ; les catégories de nos concepts éclatent. Le poète s’enivre de ses intuitions. Le drame qu’il voit, c’est l’histoire, la nature, la vérité des mœurs et des caractères, l’individu complet et triomphant, c’est déjà presque « tout regardé à la fois sous toutes les faces[52] ». — « Le théâtre est un point d’optique. Tout ce qui existe dans le monde, dans l’histoire, dans la vie, dans l’homme, tout doit et peut s’y réfléchir, mais sous la baguette magique de l’art[53]… » Couleur locale, lyrisme, élégie, épopée, le drame est tout et tout est dans le drame. S’il tient le vers pour nécessaire à la pièce nationale, sociale et humanitaire, qu’il entrevoit dans le tourbillon des mots, ce n’est pas tant pour échapper au commun ni au mélodrame que pour contenter de prime abord sur le théâtre les appétits de son imagination[54]. À la vérité, son esthétique n’est que fantasmagorie. Toutes ses idées, ou du moins celles qu’il a faites siennes, se déforment et s’agrandissent démesurément dans le passage du cerveau où elles s’agitent sur le papier où elles se fixent. À mesure qu’il se rapprochera du mélodrame et que ses personnages seront plus inconsistants, la formule qui les définit ou plutôt qui les dilate dans la préface, s’élargira jusqu’au symbole. Que dis-je ? C’est proprement une discorde entre la fantaisie et les nécessités réelles de la composition. Tout ouvrage qu’il a écrit pour le théâtre, resplendit à ses yeux d’une auréole, qui en cache les défaillances. Il est prodigieusement dupe de visions admirables. Et il écrit des avant-propos, qui pourraient être en vers, comme le monologue de don Carlos ; le lyrisme y vaticine, les contradictions n’y sont point voilées. Au moment de mettre en couplets les descriptions de Walter Scott, il les dédaigne dans ses notes[55] ; il proclame le vers indispensable, et il écrit trois mélodrames en prose. Pour prendre ses vues sur les idées, il escalade à tout coup les tours de Notre-Dame, et fait de là-haut ses salutations théâtrales.

Il parle au peuple. Aux grandes foules les grands mots ; et aux grands mots les grands remèdes. Ces symboles ne font pas qu’il ait vu seulement ce qu’il y avait à faire. Le promoteur du drame national débute par Cromwell, du drame historique par Hernani, et pousse jusqu’au drame social avec Angelo. Je sais qu’Angelo[56], c’est « la femme… toute la femme », à moins que ce ne soit plus simplement un mélodrame à couloirs, corridors et portes secrètes, et que cette œuvre sociale — en dépit de ses tirades déclamatoires, où ceux qui sermonnent la société sont les moins qualifiés sermonneurs et où il est enfin avéré que la seule créature aimante, héroïque et douloureuse est la fille de joie, la pauvre excellente fille de joie, ainsi nommée par une lamentable antiphrase — n’apparaisse, en fin de compte, comme une médiocre reprise de Marion de Lorme ou plutôt comme une imitation assez réjouissante de Catherine Howard, représentée un an plus tôt, qui n’affichait pas de telles prétentions, et se contentait d’être un drame « extra-historique » avec sérénité[57]. Par une singulière coïncidence, à l’instant que Victor Hugo incline à prendre son bien où il le trouve, chez Dumas et les auteurs voisins[58], sa dissertation préliminaire est plus ambitieuse, didactique, politique et symbolique. Décidément, il faut chercher ailleurs des idées précises sur le drame moderne. « Des mots, des mots… », dit Hamlet, père de ceux qui vont gonflant sur le théâtre leurs homélies lyriques et métaphysiques. Que Dumas ait lu la préface de Cromwell, je ne saurais l’affirmer, quoiqu’il en fasse une fois mention[59] ; que, hormis la ruine des règles de la tragédie, il y ait entendu quelque chose et en ait tiré quelque fruit, on le peut nier en toute assurance.

On accordera qu’en Cromwell même il n’a pas dû rencontrer un ferme appui. Je passe. D’une théorie révolutionnaire sort un centon d’écolier, où Shakespeare, Corneille, Molière, Racine s’étonnent de se rejoindre ; telles les victimes de Matalobos. C’est l’application d’un vers de la pièce :

Avec la tragédie unir la mascarade[60].

Et c’est aussi le premier point à noter. Hugo ne manque pas de mémoire, non plus que Dumas. Seulement, il s’attache encore davantage aux aubaines de ses souvenirs. Il coupe les scènes empruntées, les quitte et y revient, et ne les lâche plus. Le monologue d’Auguste est repris à toute heure du jour et de la nuit[61]. Deux vers de Corneille s’espacent en deux longues pages[62]. C’est la seconde remarque à retenir. Cromwell n’est pas, comme on l’a dit, un accident de composition, mais le premier résultat de cette faculté d’agrandissement et d’accumulation que Victor Hugo apportait au théâtre, de son propre fonds, et sous l’influence de Walter Scott. La peinture de l’individu tournait d’abord à l’énorme. N’ayant point le génie dramatique, jamais il n’arrivera à se réduire aux justes proportions du drame. Dumas conte qu’après la première lecture de Marion de Lorme chez Devéria, se trouvant assis à côté du baron Taylor, qui lui demandait ce qu’il en pensait, il répondit que l’auteur avait fait sa meilleure pièce[63]. En effet, au point de vue scénique, aucun progrès ne se manifeste depuis Marion de Lorme jusqu’à Ruy Blas. La trame de Lucrèce Borgia semble plus serrée : nous verrons tout à l’heure par quel heureux hasard. Hugo est un voyant, dénué de logique et de mesure.

Dumas, qui n’était pas lent à exécuter, s’étonne que Hernani et Marion de Lorme aient été composés l’un en huit jours et l’autre en onze. Et il ajoute : « Hâtons-nous de dire que d’avance les plans de ces deux pièces étaient faits dans la tête du poète[64] ». Le poète n’a pas dû fatiguer beaucoup à les composer. Il est, en ce point, très inférieur à Pixérécourt. Il conçoit une abstraction, qui devient une image, qui s’agrandit et se découpe en tableaux, qui se développe par un contraste, qui s’accompagne d’une mélodie. La plupart de ses péripéties décisives ne se justifient point. Il ne s’avise aucunement des progrès de la technique. Et l’on ne saurait dire qu’il la méprise. Il prend pour des préparations sans réplique la signature d’un billet ou la remise d’un gage, comme aux jeux innocents. Salluste a le billet, Ruy Gomez sonne du cor. Il a des quatrièmes actes qui ne tiennent à rien, et que justifie le seul plaisir de la surprise : on y entre par les balcons et les cheminées ; il semble que les portes tapissées qui y sont le triomphe de la couleur locale, y soient d’ailleurs inutiles[65]. Au cours des autres, l’harmonie ne règne que dans le tissu délicieux et fragile des vers : au surplus, nulle proportion ; presque toujours une scène démesurée, celle qui se chante, la scène lyrique, et qui emplit chacun des actes. Le reste s’ajuste au petit bonheur. Les personnages sont trop souvent où ils ne devraient pas être. Une analyse de Hernani, vu de ce biais, serait piquante ; et de Ruy Blas aussi. Ils vont et ils viennent, se rencontrent, se quittent, et, quoi qu’ils en disent, sont rarement à leur affaire. Aucune logique en eux, point de projets à suivre. Ils ont des intrigues sinistres, qui avortent on ne sait pourquoi. Ils veulent s’entr’égorger et oublient leur poignard ; quand ils l’ont retrouvé, ils sont redevenus des frères[66]. Du théâtre Hugo n’a que le mouvement, et encore prenez garde que ce mouvement se propage le plus souvent à la surface des strophes et des couplets lancés à toute volée. De caractères ou de passions nous parlerons à une occasion meilleure.

Il y a juste autant de logique en ces chanteurs que dans les événements où il leur faut s’engager, vocaliser et mourir. La voix est d’or, mais la verve souvent bizarre, parfois épaisse[67], la passion monotone sans progression et comme hypnotisée par la beauté des passages et du récitatif. Dépouillé de l’éclat de la forme, ce n’est que du bruit cadencé qui fuit.

Vous êtes mon lion superbe et généreux[68]

fait un vers d’un élan farouche. Le « lion » est de Schiller et de Mérimée[69]. Mademoiselle Mars, fine-mouche, le domestiquait ainsi :

Vous êtes mon seigneur superbe et généreux[70].

Plus de lion, plus rien, que la banalité de « superbe » et l’équivoque de « généreux ». M. Émile Faguet a remarqué que Victor Hugo n’est « pas du tout le poète des femmes[71] ». Certes, dans son théâtre, elles n’ont pas un langage très différent de celui des amoureux. Ce n’est pas le signe d’une rare sensibilité. Les femmes s’expriment à la façon des hommes, et les hommes agissent comme des femmes. Ils sont enivrés de poésie, de couplets et de rythmes. La théorie du drame moderne, les contrastes physiologiques, moraux, sociaux s’évaporent en des duos sans fin. Hommes et femmes sont romantiques, antithétiques, énigmatiques et symboliques en beaux vers. Ils ont lu, eux aussi, Calderon, Lope, Shakespeare, Scott, Byron, Gœthe, Schiller et Casimir Delavigne. Je vous quitte de ceux qui déclament la prose, et qui ont pratiqué Dumas. Les autres sont poètes, nés du cerveau d’un poète, de sensibilité moyenne, d’imagination magnifique, et nullement dramatique. Ils réjouissent nos yeux ; ils charment nos oreilles. Ils versent les sons avec les couleurs… « Sortons vite, disait Dumas à son fils après une représentation de Hernani ; ça pourrait recommencer. »

Depuis Marion de Lorme jusqu’à Ruy Blas, Victor Hugo n’a fait que recommencer. Il est d’une incroyable pauvreté de moyens, malgré les emprunts qu’il fait aux autres et à lui-même. Je ne lui reproche pas ses imitations du théâtre étranger, qui ne sont guère moins nombreuses que celles de Dumas, mais le faible parti qu’il en tire, parfois à contresens. La conspiration de Cromwell, souvenir de Cinna et de Fiesque, est reprise dans Hernani[72]. La scène des portraits de Ruy Gomez est une adaptation de celle des spectres de Richard III[73] : qu’on se rassure, je ne les rapprocherai point. Cela devient la scène des affronts dans Lucrèce Borgia et celle des duels de don Guritan dans Ruy Blas. L’inspiration de Shakespeare s’amoindrit toujours davantage. Hernani n’est pas moins imité qu’Henri III. Seulement, l’exécution diffère. Outre les obligations qu’il a à Corneille, au Romancero gênerai, aux Brigands[74], — surtout les rôles d’Amalie, de Charles Moor et du vieux Moor, — j’indique pour mémoire le canon qui annonce l’élection de don Carlos[75], — le monologue du même[76], — les scènes du cor : « Le chef des outlaws détacha de son cou le cor de chasse et le baudrier qu’il avait récemment gagnés au tir d’Ashby : « Noble guerrier, dit-il au Chevalier noir, etc.[77]», — le couplet de Hernani :

XXXXXXX
Parmi nos rudes compagnons[78]!…
extrait de Schiller, — le cri :

Qui veut gagner ici mille carolus d’or ?


reproduit de Schiller[79], — le motif :

Que sur ce velours noir ce collier d’or fait bien[80] !


réminiscence affaiblie d’Egmont. Encore un coup, je ne fais pas à Victor Hugo un grief d’imiter, mais de diminuer souvent ses originaux. Jusqu’à Ruy Blas, il imite, il se répète, sans s’améliorer. Et à la fin il lui arrive de tirer plus gauchement profit de ses souvenirs qu’à ses débuts. Ainsi, l’acte II de Ruy Blas est transposé de Don Carlos[81], dans une intention dont la logique échappe, s’il est vrai que pendant plusieurs scènes la camerera mayor nous persuade qu’en l’absence du roi, personne, sauf les ministres, n’est admis à voir la reine, tandis que dans les suivantes nous apparaît tout justement le contraire.

Même il advient que Victor Hugo choisit ses sources plus près de lui. Je ne parle pas de Marion de Lorme, composée après et d’après le roman de Cinq-Mars, et je me veux borner à Hernani et Ruy Blas, qui tiennent encore l’affiche.

Quand Ruy Goraez parut (25 février 1830), Casimir Delavigne avait donné l’École des vieillards depuis sept ans (6 décembre 1823), et Marino Faliero (30 mai 1829) depuis quelque neuf mois. On lit dans la première pièce :

 
 
Quand on aime avec crainte on aime avec excès ;

Jeune, on sent qu’on doit plaire, on est sûr du succès[82], etc.

Et l’on trouve dans Marino Faliero d’autres couplets que je ne compare pas à ceux de Don Ruy ni de Doña Sol, mais qu’il faut pourtant rapprocher.

Tout s’est éteint, flambeaux et musique de fête,
Rien que la nuit et nous ! Félicité parfaite[83]

Délicieuse, délicieuse mélodie, à laquelle préludait modestement le sage auteur de Marino Faliero :

J’ai vu les astres fuir et la nuit s’avancer,
Et des palais voisins les formes s’effacer,
Et leurs feux qui du ciel perçaient leur voile sombre,
Eteints jusqu’au dernier disparaître dans l’ombre[84]

Si la scène des portraits est de Shakespeare, la situation du roi exigeant de Ruy Goraez qu’il livre son hôte, est de Mérimée, indubitablement. On la reconnaîtra dans Inés Mendo ou le Triomphe du préjugé[85]. « Je sens, dit le corrégidor à don Esteban, combien il vous est pénible de livrer votre hôte. Mais je sais aussi que vous ne voudriez pas donner asile à un ennemi du roi. » Ce que Hugo traduit :

 
Mon cousin, je t’estime ;
Ton scrupule, après tout, peut sembler légitime.

Sois fidèle à ton hôte, infidèle à ton roi[86].

N’allez pas croire que ce soient péchés de jeunesse, ni que le dramaturge devienne avec le temps plus inventif ou discret. J’ai dit que le deuxième acte de Ruy Blas est imité de Don Carlos. Il convient d’ajouter que le conseil des ministres est emprunté d’une autre pièce du même Delavigne, représentée le 6 mars 1828, la Princesse Aurélie, et qu’il n’y a pas à s’y méprendre :

 
Au conseil appuyez mon projet.
— Vous y pouvez compter. — Moi, sur un autre objet

J’y réclame à mon tour votre utile assistance[87]

Dans le discours du conseiller Polla on notera de même quelques traits de celui de Ruy Blas :

Votre empire opulent, qui craint pour son commerce,
Est grevé d’un tribut de vingt mille ducats
Payé par sa marine aux Turcs qui n’en ont pas[88], etc.

Il y a mieux. Les Enfants d’Edouard parurent en 1833, Ruy Blas vint en 1838. Victor Hugo a fait de Tyrrel don César de Bazan et don Salluste de Glocester. La scène ii du premier acte entre don César et don Salluste est une adaptation directe de la scène iii du II entre Glocester et Tyrrel :

 
Vous êtes
Décrié pour vos mœurs, écrasé par vos dettes,

Sans principes, sans frein… — Ajoutez : sans crédit,
Et cela fait, mylord, vous n’aurez pas tout dit[89]

Je ne cite que le nécessaire ; mais il faut lire toute la scène. Encore une fois, je ne compare pas les vers de Casimir Delavigne, plus timide et circonspect en son essor[90]. Mais la situation dramatique et les types étaient créés depuis cinq ans et Victor Hugo s’en empare et les démarque, je dis : textuellement. Qu’on se rappelle les précautions de don Salluste :

 
Ce matin,
Quand vous êtes venu, je ne suis pas certain
S’il faisait jour déjà
Personne en ce cas, au château.
Ne vous a vu porter cette livrée encore

Ni personne à Madrid ?

Et plus loin :

 
Est-ce que, sans reproche,
Quand votre sort grandit, votre esprit s’amoindrit[91]?

Et lisez la fin de la scène des Enfants d’Édouard :

 
Peut-on encor te connaître à la cour ?
— J’y parus à vingt ans et n’y restai qu’un jour.
— Pourquoi ? — Je m’ennuyai, mylord, de l’étiquette.
— C’est bien : levez les yeux.
Sur votre front hautain portez tous vos aïeux.
Allons, mon gentilhomme, une superbe audace !
 

Et nul n’ira chercher, s’il s’amuse à vos fêtes,
Qui vous étiez, sir James, en voyant qui vous êtes.
Tout vous convient-il ? — Tout. — C’est donc fait. — Je conclus.
— Moi, je paye : à présent tu ne t’appartiens plus[92].

Qui se serait douté que don César de Bazan, costumé à l’espagnole, avec

Sa cape en dents de scie et ses bas en spirale[93],


descendait de Shakespeare par Casimir Delavigne[94] ?

Le créateur du drame national, symbolique et social est manifestement à court de moyens scéniques. De sujets dramatiques il n’est pas très riche non plus. Je ne parle, cela s’entend, que de ses œuvres représentées. Les autres ne nous sauraient intéresser ici[95]. Au moment où il abandonne le vers pour serrer de plus près la réalité, il écrit Lucrèce Borgia, Marie Tudor et Angelo. Ne méprisons pas la chronologie : elle contient parfois de précieux enseignements. Lucrèce Borgia parut le 2 février 1833. Le 29 mai 1832, Dumas avait donné la Tour de Nesle. L’analogie des deux pièces ne nous saurait échapper : Marguerite et Lucrèce, l’inceste et la mère, la mère et l’inceste ; festins, orgies à la Tour et chez la Negroni, les cadavres de la Seine et du Tibre ; et le récit du début : «… Cette nuit donc, un batelier du Tibre, qui s’était couché dans son bateau… C’était un peu au-dessous de l’église de Santo-Hieronimo. Il pouvait être cinq heures après minuit[96]… » Gennaro et Buridan, capitaines d’aventures, noms de guerre ; Gubetta et Orsini, sinistres machinistes. Victor Hugo a repris le drame au point où Dumas l’avait laissé : « Malheureux ! Malheureux ! Je suis ta mère[97] ! » Il a interverti les rôles et c’est le fils qui tue sa mère. Mais il n’a dédaigné ni les masques, ni les poignards, ni les poisons. Là, ces poisons « brisent les vases qui les renferment » ; ils « transpirent » ici « à travers les murs » du palais ducal[98]. Hugo n’a rien épargné, sauf l’esprit. Si l’on veut voir à plein l’insuffisance de son talent dramatique, on peut comparer Lucrèce Borgia et la Tour de Nesle. À tout coup, la logique souffre, l’invraisemblance crie, depuis la scène où Lucrèce raconte à « Gubetta-poignard, à Gubetta-gibet » ses crimes et ses misères en présence de Gennaro endormi[99], jusqu’à celle où de jeunes imprudents, qui savent que les murs ont des oreilles, s’en viennent deviser sous le balcon de doña Lucrezia[100], sans compter celle du dénoûment, qui n’est pas la moins choquante[101]. Songez, je vous prie, à la fin de la Tour de Nesle !

Marie Tudor est du 6 novembre 1833 et Christine du 30 mars 1830. L’imitation est flagrante au point que les personnages se font vis-à-vis. Seulement, le poète historien, le dramaturge aux documents, qui devait écrire la préface de Ruy Blas, avait fait de Marie Tudor hydropique et archicatholique une courtisane éhontée. Quant à Angelo, j’en ai dit la date, et qu’il suivait de près Catherine Howard. Après avoir transporté la Tour de Nesle en Italie, il était aisé à Victor Hugo de transplanter la Tour de Londres à Venise. Sans doute la préface d’Angelo a débordé jusqu’à trois fois à travers l’œuvre[102]; mais enlevez les sermons, qui sont pièces de rapport, restent le sujet et le dessin général de Catherine Howard, à défaut de l’exécution dramatique. Le manteau de Rodolphe trahit Catarina, comme la toque d’Ethelwood dénonce Catherine[103] ; le roi Henri et le podestat sont deux sires de Barbe-Bleue ; Homodéi joue une partie du rôle d’Ethelwood ; et pour les narcotiques, nous savons que Roméo les a fournis. Victor Hugo ouvre et ferme sa pièce avec une a clef fatale » ; Dumas, toujours prodigue, en a deux[104].

Qu’est-ce à dire ? Que le théâtre de Victor Hugo n’existe que par les vers, et en dehors de la scène ; que les plus beaux sont dans les Burgraves[105] et ne sont pas dans un drame, et qu’il y parut bien, au premier soir ; et qu’enfin, même si Henri III fût venu après Hernani, il n’en eût guère profité. Dumas ne doit rien à son heureux rival, ou presque rien, hormis quelques traits d’Antony que Didier a pu inspirer, et qui ne sont pas essentiels, et peut-être aussi un médiocre soin de la morale courante, avec je ne sais quel plaisir de la violenter, — si cette joie et ce dédain n’étaient pas d’ailleurs fort congruents à sa complexion et à son éducation[106]. Il avait vu qu’après Marion de

Lorme et après Hernani, la tragédie n’était pas morte, le drame n’était pas né. Il admirait ce qui nous charme tous, la maîtrise des mots et des images, l’harmonieuse complicité des rythmes et des voix, en un cadre grandiose des suites de mélodies, la romance et le duo en cinq actes, et non pas même l’opéra, qui est plus complexe, ni non plus la tragédie de Voltaire, dont les discours ont plus de suite ; mais des images, des sons, de la musique enchanteresse, souvent gâtée par ce théâtre, — guignol enfantin et sans logique :

Ah ! qui n’oublierait tout à cette voix céleste ?
Sa parole est un chant où rien d’humain ne reste[107]

Dumas déclare qu’après la lecture de Marion de Lorme, il eût donné dix ans de sa vie « pour atteindre à cette forme[108] ». Au prix de dix années ce n’est pas trop chèrement acheter les dons luxuriants de la divine poésie. Mais le dramaturge eût fait un mauvais marché. Stendhal avait une vue plus juste des exigences du drame : il y fallait la prose[109].


III

« HENRI III ET SA COUR. »

Le 11 février 1829 fut représenté, sur la scène du Théâtre-Français, Henri III et sa Cour, en cinq actes et en prose.

Je n’ignore pas ce qu’on peut alléguer contre ce drame, qui est une date et une œuvre, quoi qu’on dise. Cela ne ressemble pas à Bérénice, à qui je ne le comparerai pas. On n’y trouvera ni la mesure, ni le goût, ni la psychologie harmonieuse. Qu’on se rassure : je n’ai pas formé le dessein d’y découvrir ces délices. Le temps en était passé, pour ne plus revenir. Même il ne m’échappe point qu’une légère transposition suffit pour tourner cette pièce à panache en parodie[110]. C’est une besogne aisée, qui n’est pas neuve, et dont nos artistes de la Comédie-Française s’acquittent, à cette heure, avec distinction. Les successeurs de mademoiselle Mars la vengent de ses démêlés avec Dumas. Henri III et sa Cour est une œuvre de début, où le cadre et le pittoresque débordent parfois le reste, où les imitations abondent, où des vestiges de tradition classique et tragique survivent tout de même par endroits, où la jeunesse triomphe avec frénésie, les poings ramassés au corps, et la tête en avant. Mais cette œuvre apportait à cette génération juste le genre d’émotion et de spectacle, dont elle était avide, que ni Pixérécourt, ni Mérimée, ni Delavigne, ni Hugo ne lui avaient encore donné, où Dumas, ignorant et peu timide, venait d’atteindre, par un hasard, à ce qu’il conte, après beaucoup de travail, comme nous avons dit (le hasard étant la providence des sots). Il n’a pas renversé la tragédie, ni lui ni aucun autre : cette forme d’art est supérieure. Mais il a communié avec l’imagination et l’âme du peuple. Et, lui premier, il apporta un drame, français par le choix du sujet, populaire par son fonds et ses points d’attache, et moderne par les germes féconds qu’il renfermait. C’est peu, si l’on se reporte aux préfaces de Victor Hugo, beaucoup, si l’on songe à ses pièces.

Henri III est en prose. Le théâtre populaire était à ce prix. Le vers agit sur la foule, mais repousse les personnages et les événements dans un lointain. Il fait l’impérissable beauté de la tragédie classique ; la prose constituait provisoirement un avantage décisif pour le drame. Puis, le sujet est pris dans notre histoire. D’instinct, Dumas avait amené Christine à Fontainebleau. D’instinct, il va ensuite à cette époque agitée du xvie siècle, où l’indépendance des partis déchire la France, où les passions sont entières, où, vaincus par l’esprit guerrier, philosophes et humanistes sont impuissants : époque énigmatique et trouble, que viennent de réveiller Chroniques et Mémoires, et dont les superstitions autant que les croyances sont pour la fantaisie un ragoût. Accessoires, trucs de théâtre, miroirs de réflexion, cela n’est point méprisable alors. Dumas pense fermement que son père mourut de langueur, pour avoir avalé quelque drogue des Borgia dans une prison d’Italie[111]. Cet état d’esprit fait partie de la légende napoléonienne. C’est la légende aussi qui détermine le caractère scénique d’Henri III, cet étrange contraste de mômerie et de volonté, de débauche et d’autorité, de cruauté et d’intelligence. Et cela même est populaire et bien français.

La pièce l’est à d’autres titres. Dumas remonte à Corneille par-dessus Voltaire et Racine ; c’est sa première attache. Dès longtemps, furent notés les emprunts faits à Don Sanche. Dans Christine il rend hommage au vieux dramatiste[112]. Dans Charles VII il se souviendra de Polyeucte[113], tout en imitant Andromaque, œuvre à demi cornélienne, au moins par le caractère d’Hermione. Corneille, père de la tragédie historique, imitateur de l’étranger, admirable dans la préparation des péripéties et par la logique, qui exalte les volontés et les caractères tout d’une pièce, fécond, toujours nouveau et enclin au mélodrame, était l’ancêtre désigné de Dumas[114]. Il en a un autre, aussi français, qui a plus influé sur lui et sur ce drame que Schiller et Scott même, c’est le maître ouvrier de notre scène moderne, le Beaumarchais du Mariage de Figaro. Il a le génie du théâtre ; il va droit au « machiniste ». Il se garde de se régler sur la Mère coupable, laissant cette erreur à Pixérécourt. « J’ai fait cinquante drames depuis Henri III, écrira-t-il plus tard, aucun n’est plus savamment fait[115]. » Il exagère à peine.

Dans la nécessité de peindre les mœurs, le théâtre est contraint de faire aux yeux un appel plus direct. Car, si les caractères perdent leur relief et leur généralité depuis la Révolution, les milieux en revanche prennent une influence prépondérante. Diderot en avait eu comme un pressentiment et recommandait les tableaux ; Beaumarchais, peintre de mœurs, s’était mis à les exécuter. Le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro en sont tout remplis. Et, tout de suite, Pixérécourt en avait abusé grandement. Dumas en use d’abord ; il en abusera plus tard. S’il s’en était tenu à son talent dramatique, et n’eût apporté ici aucune préoccupation d’école, il allégeait l’empâtement de quelques détails d’érudition hâtive et soulageait sa pièce d’un poids mort qui pèse surtout sur l’acte I et le début du II. Dès Charles VII, il sera plus habile et suivra son naturel. Cela dit, je ne saurais souscrire aux jugements dédaigneux de certains critiques. Copieuse enluminure, orgie de couleur locale sont les moindres termes de leur mépris. Ils s’indignent de ce que Dumas trouve son sujet dans Anquetil. Vouliez-vous qu’il inventât Henri III ? Anquetil ou Surius, la belle affaire ! — Il puisait encore dans le Journal de l’Estoile. — On oublie la Confession de Sancy et l’Île des Hermaphrodites. On oublie surtout que le décor n’est pas la miniature, ni la délicatesse le fait du décorateur. Mais Bajazet ? Nous y voilà. Moi aussi, je suis d’avis qu’il y a de la couleur assez pour mon goût et pour une tragédie psychologique dans Bajazet ou Bérénice, mais je tiens que ni l’une ni l’autre ne sont des œuvres populaires, et qu’il en faudrait à la fin convenir. Dumas vise la foule ; et l’essentiel, en cette affaire, n’est pas que la couleur soit déliée, mais adroitement répandue à la surface. Il s’agit de représenter Henri III — et sa cour ; c’est à savoir un drame de passion et de mœurs. Or j’estime que, malgré quelque affectation de science juvénile, l’acte II, celui de la cour, est exécuté de main de maître, que des touches successives achèvent peu à peu le tableau, que nos yeux, nos oreilles, notre esprit sont comme remplis de cette impression que voilà une époque singulière, avec ses qualités d’action et ses vices florentins, sa foi et ses superstitions, ses passions et ses débauches et ses simagrées. Et je dis que déjà paraissent les procédés du crayon qui dessinera le Demi-Monde ou le tableau de l’acte I du Père prodigue. Si l’on observe que ces procédés ne sont point ceux de la tragédie, oh ! que l’on a raison, et avec quelle prudhommie ! Autre temps, autres mœurs, autre public. Que ne nous dit-on encore : Ah ! si vous aviez vu la Champmeslé ?

Pour le mélange des genres, Dumas suit sa veine. Il innove en dramatiste. À la vérité, cela ne fait pas un problème pour lui. Il n’oppose point le sublime au grotesque. Il est en scène. Les mots plaisants jaillissent parmi les situations. La gaîté s’insinue dans le tissu du drame et fait corps avec lui. Joyeuse, le bien nommé, l’émaille de ses saillies, sans avoir pour unique emploi d’exciter le rire. Il n’est pas un gracioso. Il a une verve de santé, qui est du premier coup au point du théâtre, et qui passe la rampe. L’esprit de théâtre, c’est l’esprit de tout le monde, en projection. Dumas l’a justement de cette sorte, et le projette. Joyeuse n’est un raffiné que sur le terrain. Il ne coupe pas les actes en deux pour y faire à l’antithèse sa part. Il n’arrête point la pièce, ni le mouvement d’ensemble, pour se détirer à l’acte IV, dans le vif de la crise.

Des situations et des mots, et des mots de situation, plus rarement de caractère, n’est-ce point le drame ? Est-ce que Beaumarchais n’avait pas beaucoup de cet esprit-là ? N’avait-il pas donné l’exemple de mêler la sensibilité au comique, à la suite de son siècle, et perfectionné les moyens d’opérer ce mélange, pour le plaisir du nôtre ?

Les progrès techniques accomplis par Beaumarchais, Dumas s’en empare et les tourne au profit du drame. L’action est simple, plus simple même que chez le modèle, dans les œuvres de tenue, mais aussi rapide, accélérée et souple. Nous ne sommes plus dans la tragédie : les événements se tiennent, se commandent de proche en proche comme les anneaux d’une chaîne sans fin. On notera que sous le pittoresque de l’époque historique l’intrigue se déroule, serrée, en un mouvement impitoyable. Aussitôt que Catherine, pour servir ses propres visées sur le roi, s’est mise à agir Saint-Mégrin et le duc de Guise, c’est une progression haletante et sans cesse indiquée. Cinq actes, les deux premiers plus longs ; au milieu, un III consacré au ménage des Guise ; un IV où Guise est joué par le roi et Saint-Mégrin appelé au rendez-vous fatal ; un V passionné, effréné, étouffant et concis, comme tous les dénoûments de Dumas. Au I, Saint-Mégrin a manqué être surpris en tête à tête avec la duchesse ; au V le tête-à-tête est un guet-apens ; et tous les actes sont coupés d’un mot qui dose, suspend et avive l’émotion : « Qu’on me cherche les mômes hommes qui ont assassiné Dugast[116] ! » Et aussi le mot de la fin rappelle le début, scelle l’unité de l’ensemble. « Eh bien, serre-lui la gorge avec ce mouchoir[117] ! » Tout est lié, animé, gradué, d’une logique fiévreuse. Et c’est bien le drame, constitué dans sa forme presque définitive. En ce sens, Dumas a pu en résumer la formule : « En fait d’art dramatique, tout est dans la préparation[118]  ». Seulement, la préparation est continue, jalonnée d’acte en acte, et de scène en scène, au lieu que toutes les « semences » de la pièce soient contenues dans l’exposition. L’armature de l’œuvre implexe est ainsi plus flexible et articulée. On comprend qu’elle soit nécessaire à un théâtre où les mœurs et les événements occupent une place prépondérante[119].

Il s’agit d’amener Saint-Mégrin à la scène finale du rendez-vous, où il trouve la mort. Notez que, pour être historique ou à peu près, elle n’en est pas moins invraisemblable. Si c’était un mignon sans cervelle, passe ; mais Dumas en a dû faire l’adversaire de Guise, le vaillant conseiller du roi : un danger pour les projets ambitieux de Catherine, un modèle de jeune et fervente tendresse amoureuse. Eh quoi, Saint-Mégrin, qui se souvient de Dugast, qui peut s’attendre à toutes les embûches, s’en va, sur la foi d’un billet, comme un bon étourdi, à l’hôtel de Guise, de nuit, confondu parmi les Ligueurs ? La difficulté est manifeste, mais la catastrophe et la suprême émotion sont à ce prix. Or voyez l’art et le travail du dramaturge, d’un vrai, celui-là. J’ai dit que Catherine manœuvre ces ambitions et ces passions. Et l’on accordera que cela n’est point mal vu.

Il faut tout tenter et faire
Pour son ennemi défaire[120].

Désormais, tous les événements vont pousser Saint-Mégrin vers le guet-apens : l’entrevue et la prédiction de Ruggieri, la duchesse chez l’astronome, le duc qui trouve le mouchoir de la duchesse. Puis, Saint-Mégrin est triste et rêveur ; il délie son ennemi, qui est le mari. Puis, c’est la jalousie du duc, la scène du billet et du gantelet, le guet-apens préparé. L’homme qui meurtrit une main de femme n’est pas pour s’arrêter à mi-chemin de la vengeance. Saint-Mégrin reçoit la lettre et la clef, qui le convient au rendez-vous. On se souvient qu’ici Dumas imite Schiller. La scène est empruntée ; même les expressions les plus fortes s’y retrouvent. Comparez et appréciez ce qu’il en fait, comme il nous met en l’esprit cette conviction que Saint-Mégrin doit affronter le rendez-vous, et la défiance céder à l’amour. Ce sont tour à tour la crainte, la compassion, les questions pressées, la lettre lue à haute voix, dont nous avons entendu la dictée alors que nous voyions le bras de la duchesse broyé, et c’est le meurtre de Saint-Mégrin inévitable. Oui, tout se trouve dans Schiller ; il n’y manque que le mouvement, les préparations, l’ordonnance dramatique. Cependant le nom de Dugast retentit à nos oreilles, tel un glas, comme au deuxième, comme au premier acte. Et le quatrième se termine au bruit de l’orage et dans une appréhension vague de la mort. Le but est atteint ; la scène terrible et douloureuse, la scène invraisemblable, qui est le terme de l’émotion et de l’action, est devenue nécessaire. Nous l’attendons avec tremblement ; nous l’écoutons dans l’angoisse. Ne voilà-t-il pas le drame ?

De trouver et déterminer les situations, c’est beaucoup. Mais il faut faire les scènes. Le dramaturge se reconnaît à ce qu’il en exprime tout ce qu’elles contiennent, sans tout dire, dans une progression naturelle, où le dénoûment n’est en aucun cas perdu de vue. Il doit couler les motifs de son développement en des mouvements de dialogue, qui en objectivent sur la scène le sens et même les mots. Un écrivain, si puissant qu’il vous plaira l’imaginer, s’il n’a point ce don, n’a point celui du drame. Hernani et dona Sol font des passages, chacun pour son compte ; ils font aussi parfois des duos, plus souvent leur partie d’un duo, la scène jamais, ou peu s’en faut. Henri III est, comme Hernani, une œuvre jeune. Mais les scènes sont sur pied ; historiques ou passionnelles, l’auteur les aborde de front, et, si je puis dire, les vide de leur contenu. Tous les développements y sont, engagés en des mouvements appropriés. Relisez celle du gantelet[121]. Il s’agit de faire paraître la violente jalousie du duc de Guise, qui s’exerce sur l’épouse, en attendant qu’elle frappe l’amant : un gantelet de fer broyant la main d’une femme, voilà le moyen dramatique. Brutal, dit-on ; c’est une autre affaire, et nous y viendrons. Ce gantelet est un symbole pour les yeux, le symbole de la passion frénétique et musclée. Pour être empruntée de Scott, la scène n’en était pas moins difficile à exécuter. Elle est poussée à fond. On y reconnaîtra sans peine six mouvements : 1o attaque brusque ; 2o la dictée de la première moitié du billet ; dialogue heurté ; répliques hachées ; 3o menaces ; le couplet se développe, l’orage des mots gronde ; 4o « mort et damnation ! » Le duc verse le contenu d’un flacon dans une coupe ; supplication ; un temps pour la prière ; l’allure se précipite ; le duc arrache la coupe : « Vous l’aimiez bien, madame !… Elle a préféré !… Malédiction sur vous et sur lui…, sur surtout qui est tant aimé[122] ! » Violent coup de barre, on s’oriente sur le dénoûment ; 5o les nerfs sont tendus. les cœurs serrés. Il s’agit d’arracher le reste du billet. Cris et répliques s’entre-croisent ; la duchesse s’évanouit ; le gantelet est impitoyable : « Eh non, madame ! » La phrase de la lettre en suspens s’achève dans un cri de douleur et un sanglot ; 6o reproches ; on appelle le page ; enfin la situation douloureuse prend fin dans une suprême angoisse : Saint-Mégrin est un homme mort. Toutes les phases de la jalousie physiologique et passionnelle ont été exprimées sous nos yeux, et vigoureusement imposées à notre émotion ensemble rebelle et complice.

Les interprètes d’Henri III ont-ils « ressuscité des hommes et rebâti un siècle[123] ? » C’est la question même du drame historique, que nous aborderons plus tard. Du moins, ils représentaient des hommes d’action et de passion, c’est-à-dire la vie telle que la rêva une génération condamnée à rêver, après les exploits et les grands coups de la précédente. Ces héros passent à travers les fortes situations de la pièce comme des lions à travers les flammes. Ils sont vraiment des lions superbes et généreux. Ils ont moins de logique que d’énergie instinctive et rectiligne, ou plutôt leur logique est dans la tension de leurs muscles et de leur volonté. Ils sont des ressorts peu compliqués, c’est-à-dire très populaires. Quand ils aiment ou haïssent, c’est de toutes leurs forces et de tous leurs appétits. Et les aventures ne leur font pas peur ; ils en ont le génie : c’est leur fatalité. Par la vigueur de sentir et de vouloir qui s’agite en ce drame, Dumas est en contact avec l’âme de son temps et il la dépasse.

Dans le cadre de ces peintures historiques la passion vit et frémit, telle que le public, je ne dis pas celui des Méditations, mais le peuple, oui, vraiment, ce peuple né des lassitudes sensuelles et des excès de sensibilité du xviiie siècle, pendant les exodes de l’Empire, après les secousses de 89, la pouvait concevoir, toute-puissante, sans frein, renversant toutes les barrières à la force du poignet, et de par les droits de l’imagination. Saint-Mégrin est le champion des rêves et des cœurs. Il incarne cette ardeur déchaînée, évocatrice, magique, fatale et peu platonique. Il en meurt, sans l’assouvir. Regardez-y de près : il meurt avec courage, mais à regret. Il préférerait que la mort vînt après[124]. Ainsi feront d’autres — qui disparaîtront après le plaisir, pour l’honneur. Il est surtout individualiste en amour, naïvement, mais avec une intrépidité de bonne opinion incomparable : « Ah ! madame, s’écrie-t-il, on n’aime pas comme j’aime pour ne pas être aimé[125]  ». Il ne s’engourdit pas

À regarder entrer et sortir des duchesses[126],


il pousse droit au but, il affronte le martyre moderne. On n’y prend pas assez garde, parce que Saint-Mégrin est une ébauche, et que le décor historique fait illusion. De même, Catherine de Clèves, qui a lu Jean-Jacques et attend George Sand, est déjà rêveuse, sensible, soucieuse de sa réputation, non au point d’en être esclave — jusqu’au moment où, dans un élan superbe, elle se révolte contre l’opinion, les préjugés et les devoirs, et s’enivre des joies douloureuses de l’amour. Elle est l’esquisse, elle aussi, de la faible femme souveraine (le plus notable contresens de ce siècle), placée si haut par les romantiques, et qui trébucha si follement de ces hauteurs.

Cette pièce plonge dans l’avenir du théâtre. Elle est grosse des drames de l’adultère, comme aussi des conséquences passionnelles, morales, légales, qui vont occuper la scène. L’épouse coupable, la sainte patronne de nos dramaturges, peut maintenant apparaître dans toute sa gloire, en attendant que le commissaire s’en mêle. Après la déroute de la noblesse, l’avènement improvisé de la femme moderne aboutit au renouvellement des mœurs, du code et du théâtre.

Henri III est le point de départ. Désormais la trinité dramatique est constituée ; elle, consciente des droits que lui confèrent les biens qu’elle a « apportés comme duchesse de Porcian[127] », et qui bientôt s’appellera tout uniment Adèle ; lui, qui se croit encore le seigneur et le maître, et qui en use ; et l’autre, l’ami céleste, le parangon de la divine passion, aujourd’hui victime du mari, plus tard autre mari de sa victime. Tous les trois, sur la scène, pendant tout le siècle, ils évolueront avec les mœurs. Et ainsi, en dépit de quelques traces de tragédie persistante, malgré les emprunts, souvenirs et imitations, Henri III et sa Cour fonde définitivement le drame populaire et original, sinon national et historique, où il suffira de remplacer la cour par un salon pour mettre dans le plein du drame moderne. Du premier coup, Dumas ouvrait au genre sa double voie.

    Lucrèce Borgia, 1re partie, I, sc. vi, pp. 35-36 ; Ruy Blas, II, sc. IV, pp. 143-144. On trouve, à la scène citée de Marino Faliero, l’idée de la salle des portraits des doges. Peut-être les deux souvenirs se sont-ils combinés dans la mémoire de Victor Hugo.

  1. Théâtre de René-Charles Guilbert de Pixérécourt, 10 vol., Paris, chez J.-N. Barba, libraire, Palais-Royal. Le tome I est revêtu d’une dédicace autographe au baron Taylor, à qui est dédié Henri III et sa Cour. — T. VI, Charles le Téméraire ou le Siège de Sancy, représenté pour la première fois à Paris, le 26 octobre 1814. La pièce est « dédiée à la ville de Nancy » (patrie de l’auteur), accompagnée d’un avant-propos « aux habitants de Nancy », et augmentée d’une « Note historique et Préface ».
  2. Théâtre, t. I. Un mot, p. 115.
  3. Voir art. du Journal des Débats du 30 juillet 1834.
  4. Notice et Préface historique, p. 8.
  5. Charles le Téméraire, p. 38 et passim.
  6. T. VI. Avant-propos de Christophe Colomb. L’auteur au public, p. v. Cf. Note historique et préface de Charles le Téméraire, p. IX : « J’ai tâché du moins que l’on y reconnût une teinte locale, le ton du sentiment, et les couleurs historiques ».
  7. Christophe Colomb, ou la découverte du nouveau monde, I, sc. i, p. 9. Cf. la Tempête (Th., I, trad. Montégut), I, sc. i, p. 9.
  8. Avant-propos de Christophe Colomb. L’auteur au public, p. v.
  9. Christophe Colomb, III, sc. iii, p. 67. Kérébek, Oranko, Karaka s’expriment en leur langage naturel. Tout est naturel dans cet acte, depuis les personnages jusqu’à la cascade double, qui jaillit du rocher de la toile de fond ; une note nous prévient (p. 66) qu’elle est naturelle aussi. Voir tout le détail de la mise en scène de cet acte III, p. 66 — et le pittoresque répandu « avec profusion ».
  10. Robinson Crusoé (Th., IV), I, sc. i, p, 3.
  11. Voir l’Abbé, ch. xxi sqq.
  12. Charles le Téméraire, III, sc. xii, p. 87. « Le théâtre change et représente l’étang Saint-Jean, etc…. » Voir la note : « J’ai constamment respecté les lois établies par les maîtres de l’art, mais dans cette circonstance je tenais à présenter toute la vérité ». La vérité, c’est que l’assaut est une réminiscence de Gœtz de Berlichingen (acte III et passim), cf. Ivanhoe, et que le combat singulier, visière baissée, de Léontine et de Charles (III, sc. xv, pp. 90 et 91) est un souvenir de Schiller. — La Pucelle d’Orléans, II, sc. viii, p. 185.
    Ce n’est pas la liste complète des inspirations étrangères qu’a pu recevoir Pixérécourt. Mais c’est l’important. Pixérécourt, comme Dumas, a mis tout à la scène, les Natchez, Robinson Crusoé, et il a souvent adapté ou traduit. Voir Histoire de la littérature française de G. Lanson. Note de la p. 952.
  13. Gœtz de Berlichingen, surtout le III. Cf. Victor ou l’Enfant de la forêt (Th., I), tout le II.
  14. Tous ces brigands portent des noms allemands ; seuls, l’officier Forban et l’invalide Valentin nous rappellent que nous sommes à l’Ambigu. Victor dit à Roger (III, sc. viii, p. 47) : « Eh ! n’est-ce point avec les mêmes hommes que depuis vingt ans tu portes le deuil et la désolation par toute V Allemagne ? »
  15. Voir Robin Hood et ses « outlaws », postérieurs (1818), mais pareillement imités des Brigands.
  16. Victor, III, sc. vi, p. 43.
  17. Ibid., p. 45.
  18. Ibid., p. 46.
  19. Ibid., p. 46.
  20. Victor, p. 47. Voir toute la scène d’explication entre le fils et le père, où l’un se fait juge de l’autre ; situation souvent reprise au théâtre. Cf. la Mort de Wallenstein, II, VIII, pp. 464-467. Cf. le Fils naturel ; Maître Guérin ; Pour la couronne.
  21. Les Brigands, V, sc. ii, p. 163.
  22. Victor, III, sc. xvi, p. 54.
  23. La Mère coupable, V, sc. viii. Cf. ci-après, p. 123, n. 2.
  24. Valentine ou la Séduction, I, sc. i, p. 3.
  25. Le Théâtre en France, ch. xi, pp. 358-359.
  26. Valentine ou la Séduction, I, sc. i et ii, pp. 3-8.
  27. La Mère coupable, V, sc. viii.
  28. Mes mémoires, t. IV, ch. xcvii, p. 115.
  29. Théâtre complet, t. I, p. 115, voir plus haut, p. 114.
  30. Théâtre de Clara Gazul, comédienne espagnole, Paris, H. Fournier, 1830. Les Espagnols en Danemark, prologue, p. 19. « Et les unités ?» — «  Ma foi, je ne sais pas ce qu’il en est. Je ne vais pas m’informer, pour juger d’une pièce, si l’événement se passe dans les vingt-quatre heures… comme cela se pratique de l’autre côté des Pyrénées. »
  31. Les Espagnols, journée II, sc. i, p. 61.
  32. Une femme est un diable, sc. i, p. 145.
  33. Ibid., sc. I, p. 151.
  34. Ibid., sc. iii, p. 159.
  35. L’Occasion, sc. xvi, p, 190.
  36. Inès Mendo, journée III, sc. v, p. 293 ; et Mes mémoires, t. VIII, ch. cxix, p. 116.
  37. Voir le Carrosse du Saint-Sacrement ; le Ciel et l’Enfer ; Inès Mendo ; et l’Occasion, sc. iv, p. 349 : « Demain, je serai dans mon confessionnal depuis midi jusqu’à deux heures ; préparez-vous, dans l’intervalle, par des exercices de piété. Il faut que je vous quitte ; Madame la supérieure m’attend pour prendre le chocolat. »
  38. L’Occasion, sc. vii, p. 374.
  39. La Famille de Carvajal, préface, p. 432, édit. Charpenlier, 1842.
  40. La Famille de Carvajal. « Excusez les fautes de l’auteur » est une formule du théâtre espagnol.
  41. La Jaquerie, p. 402, n. 8.
  42. Voir ci-après, pp. 140 et 354.
  43. Voir plus haut, p. 112, n. 1.
  44. Mes mémoires, t. IV, ch. xcii, pp. 49-64. Voir plus bas, p. 426, n. 1.
  45. Voir op. cit. de Séchan, décorateur de l’Opéra, ch. ii, pp. 32-34. L’auteur raconte comment Victor Hugo refit lui-même, brosses en main, un de ses décors, celui du II de Lucrèce Borgia, avant la représentation. Et il cite ce mot du poète : « Ah ! si je n’avais pas eu le goût des vers, quel architecte-décorateur j’eusse fait ! », p. 34. Cf. préface de Hernani, p. 8. « Peut-être ne trouvera-t-on pas mauvaise un jour la fantaisie qui lui a pris (à l’auteur) de mettre, comme l’architecte de Bourges, une porte presque moresque à sa cathédrale gothique. » Cf. préface de Ruy Blas, p. 83 : « Ainsi, il a voulu remplir Hernani du rayonnement d’une aurore et couvrir Ruy Blas des ténèbres d’un crépuscule. »
  46. nos XXXIII et XXXIV.
  47. Voir le récent ouvrage très renseigné de M. Maurice Souriau la Préface de Cromwell, mais le lire avec infiniment de précautions, surtout en ce qui concerne les influences subies par Victor Hugo (pp. 1-43) et les idées de la Préface (pp. 113-168).
  48. Mélanges de littérature et de critique. Biblioth. Charpentier, 1894.
  49. Préface de Marion de Lorme, p. 182. Cf. Première lettre de Dupuis et Cotonet, p. 198, à propos de l’art humanitaire.
  50. Première lettre de Dupuis et Cotonet, p. 195. Contresens à propos des Eumenides et sqq.
  51. Préface de Cromwell, pp. 8 sqq.
  52. Préface de Marie Tudor. p. 131.
  53. Préface de Cromwell, p. 47.
  54. Préface de Cromwell, p. 49.
  55. Théâtre, t. I, p. 513, note 10. « Ce n’est pas non plus en accommodant des romans, fussent-ils de Walter Scott, pour la scène, qu’on fera faire à l’art de grands progrès. »
  56. Préface d’Angelo, p. 267.
  57. Avertissement de 'Catherine Howard, Théâtre complet (t. IV), p. 207.
  58. Voir ci-après pp. 139 sqq.
  59. Mes mémoires, t. V, ch. cxxx, p. 245.
  60. Cromwell, III, sc. xii, p. 308.
  61. Ibid., II, sc. xv, p. 207 ; cf. IV, sc. ii, p. 346 et passim.
  62. Ibid., V, sc. iv, pp. 423-425. Développement des deux vers de Cinna : I, sc. iii.

    L’occasion leur plaît, mais chacun veut pour soi
    L’honneur du premier coup, que j’ai choisi pour moi.

  63. Mes mémoires, t. V, ch. cxxxi, p. 258.
  64. Mes mémoires, t. V, ch. cxxxi, p. 268.
  65. Voir plus bas, p. 273, n. 1.
  66. Cf. l’énergie de Buridan et du chevalier de Maison-Rouge.
  67. L’acte IV de Ruy Blas, trop vanté, produit parfois l’effet d’une suite d’à peu près ou de coq-à-l’âne :

    Quel livre vaut cela ? Trouvez-moi quelque chose
    De plus spiritueux !


    Ou encore :

    Dans ce charmant logis on entre par en haut
    Juste comme le vin entre dans les bouteilles.

    (Ruy Blas, IV, sc. ii, pp. 185 et 186.)
  68. Hernani, III, sc. iv, p. 78.
  69. Voir la Conjuration de Fiesque à Gènes, II, sc. xviii, p. 268 : « Pensiez-vous que le lion dormait ? » Cf. Théâtre de Clara Gazul. L’amour africain, p. 172. Mojana après avoir ôté son voile : « Que veut mon lion ? »
  70. Mes mémoires, t. V, ch. cxxxii, pp. 272-273.
  71. XIXe siècle, Victor Hugo, § iv, p. 168.
  72. Hernani, acte IV. Cf. Cromwell, III, sc. ii, p. 255.
  73. Le roi Richard III, V, sc. iii, pp. 231-253. Cf. Marino Faliero, V, sc. ii, p. 102 ; Hernani, III, sc. vi, pp. 84-88 ;
  74. M. Petit de Julleville a noté (le Théâtre en France, ch. xi, p. 158) les rapports de mouvement scénique entre Hernani et Victor ou l’Enfant de la forêt. Il y a plus. Victor Hugo et Pixérécourt imitent les Brigands de Schiller. Voir surtout, outre les rôles indiqués, les Brigands, II, sc. iii, pp. 81 sqq., et V, sc. ii, pp. 158 sqq.
  75. Cf. la Conjuration de Fiesque à Gênes, IV, sc. xv, p. 318 ; Hernani, IV, sc. iii, p. 118.
  76. La Conjuration de Fiesque à Gênes, III, sc. ii, p. 273 ; Hernani, IV, sc. ii, pp. 107 sqq. Tous ces monologues dérivent d’ailleurs d’Hamlet.
  77. Ivanhoe, trad. Dumas, t. II, ch. xxxii, pp. 102 sqq. et ch. xl, pp. 216 sqq.
  78. Les Brigands, II, sc. iii, p. 81. « Il y a ici soixante-dix-neuf hommes dont je suis le capitaine, etc. ». Hernani, I, sc. ii, p. 22. Cf. Victor ou l’Enfant de la forêt, III, sc. vi, pp. 43-46. Pixérécourt adoucit.
  79. Les Brigands, V, sc. ii, p. 164 : « On a promis mille louis d’or à celui qui livrerait en vie le grand brigand ».
  80. Hernani, V, sc. iii, p. 139. Cf. Egmont, III, p. 325. « Ah ! le velours est trop magnifique »
  81. Ruy Blas, II, sc. i, pp. 125-131. Cf. Don Carlos, I, sc. iii, p. 16. J. Janin avait déjà remarqué, malgré son évidente sympathie pour V. Hugo dramaturge, comment les scènes imitées sont diminuées et perdent de leur portée dramatique ou autre. Voir Hist. de la litt. dramat., t. IV, ch. xviii, p. 377. « Par exemple, cette représentation des futilités de la cour d’Espagne au second acte de Ruy Blas, pour être exacte et complète et pour amener de charmantes répliques, de fines reparties, n’est tout au plus qu’une délicate peinture posée dans un salon, et dont on admire la finesse, sans demander pourquoi ce tableau est placé là. Le grand poète Schiller avait retracé, avant M. Victor Hugo, un grand et sévère tableau historique avec le même sujet, etc. »
  82. Vers dont l’écho sonore se propag-e dans Hernani, III, sc. i, pp. 61 sqq. ; l’École des vieillards (Th., I), III, sc. ii, p. 316.
  83. Hernani, V, sc. iii, p. 139.
  84. Marino Faliero (Th., II), IV, sc. i, p. 283.
  85. Inès Mendo ou le Triomphe du préjugé, III, sc. ii, p. 256.
  86. Hernani, III, sc. vi, p. 91.
  87. La Princesse Aurélie (Th., I), II, sc. vi, p. 421. Il faut lire toute la scène, pp. 417-422 et la comparer à Ruy Blas, III, sc. i, pp. 152-156. Ajoutons que la scène de Casimir Delavigne est d’une observation autrement générale et pénétrante que celle de Victor Hugo. C’est de la comédie très fine, du genre de la Popularité et même de la Camaraderie.
  88. La Princesse Aurélie, IV, sc. i, p. 448. Cf. Ruy Blas, III, sc. ii, p. 156.
  89. Les Enfants d’Édouard, II, sc. iii, p. 332. Cf. Ruy Blas, I, sc. ii, pp. 91 sqq.
  90. Ibid., p. 333.

    Nous étions beaux à voir autour d’un bol en feu.
    Buvant sa flamme, en proie aux bourrasques du jeu.
    Quand il faisait rouler sous nos mains forcenées
    Le flux et le reflux des piles de guinées.

  91. Ruy Blas, I, sc. iii, pp. 111-112 ; et I, sc. v, p. 119.
  92. Les Enfants d’Edouard, II, iii, p. 337.
  93. Ruy Blas, I, sc. ii, p. 94.
  94. Le Roi Richard III, IV, sc. ii, p. 219. « Je connais un gentilhomme mécontent, dont les humbles moyens ne sont pas en rapport avec son orgueil : l’or vaudrait auprès de lui vingt orateurs, et le pousserait incontestablement à entreprendre quelque chose que ce fût. » Et ibid., p. 220. Mais la scène de Shakespeare est rapide. Il semble que Casimir Delavigne y ait mêlé le souvenir de Falstaff. Hugo en fait un « bandit », un « gueux », un picaro.
    Ajouterai-je qu’on retrouve dans Ruy Blas (IV, i, 182) le page d'Henri III et sa Cour et de Don Carlos (voir plus haut, p. 99).

    Cours, mon bon petit page, as-tu bien tout compris ?…


    que la duègne (IV, sc. iv, pp. 197 sqq) est une doublure de celle de la Tour de Nesle (I, tabl. i, sc. iii, pp. 10 sqq), laquelle est extraite de la Chronique du règne de Charles IX, ch. xiv, p. 221, où Dumas, il faut le dire, a trouvé exactement la situation qu’il mettait en scène : deux frères et un rendez-vous de nuit… N’oublions pas le prototype : Macette.

  95. Voir Ernest Dupuy, Victor Hugo ; l’homme et le poète ; l’inspiration dramatique, ch. i, ii, iii, pp. 133-175, surtout le chapitre iii. C’est une étude excellente et d’un vrai poète qui aime, comprend, et sent le poète. L’auteur en vient d’ailleurs, avec quelque ennui, à cette conclusion : « Ce qui peut arriver à ces pièces de moins heureux, c’est qu’on les joue ». L’inspiration dramatique (ch. iii, p. 159).
  96. Lucrèce Borgia, 1re partie, I, sc. i, p. 14.
  97. La Tour de Nesle, V, tabl. ix, sc. iv, p. 97.
  98. La Tour de Nesle, III, tabl. vi, sc. v, p. 59. — Lucrèce Borgia, 1re partie, II, sc. iii, p. 45.
  99. Lucrèce Borgia, 1re partie, I, sc. iii, pp. 19-28. Et comme le procédé est commode, il le reprend dans Angelo, I, journée I, sc. i-iv, pp. 275-291.
  100. Lucrèce Borgia, 1re partie, II, sc. iii, pp. 48 sqq.
  101. Lucrèce Borgia, III, sc. iii, p. 111. En vain l’auteur prend-il, juste au moment de commencer cette scène odieuse, une précaution tardive (V, sc. ii, p. 110) : « Gubetta, quoi qu’il arrive, quoi qu’on puisse entendre du dehors de ce qui va se passer ici, que personne n’y entre », l’invraisemblance n’en est que plus forte. Comment ! Gennaro entend la voix de son ami Maffio, qui meurt dans la chambre à côté, et Gubetta n’entend pas les cris de Lucrèce : « Grâce ! Grâce ! » Ou les entendant, il n’enfreint pas la consigne ? Ah ! non, non, Victor Hugo n’est pas le génie du drame.
  102. La première fois (Angelo, journée II, sc. v, pp. 322 sqq.), quand la Tisbe, fille de théâtre, dit leur fait aux femmes du monde ; la seconde (journée III, partie i, sc. viii, p. 354 sqq.), alors que Catarina, condamnée à mourir, dit leur fait aux maris et à leurs « maîtresses publiques » et en conclut que tous les trois, Angelo, Tisbe et elle-même, ils sont « d’un bien exécrable pays ». Et enfin, la troisième fois (journée III, partie ii, sc. iii. pp. 371 sqq.), après qu’il est évident que tous ces événements naturels et ces théories sociales aboutissent à nous faire paraître le « pauvre cœur gonflé » de la courtisane édifiante et loquace.
  103. Angelo, journée II, sc. v, p. 325. Cf. Catherine Howard, IV, tabl. vi, p. 289.
  104. Angelo, journée I, sc. vii, pp. 299 sqq. Cf. Catherine Howard, III, tabl. v, sc. vi, p. 276. « Tu as oublié, Catherine, qu’il y avait deux clefs… »
  105. On trouverait peut-être dans l’épilogue de Christine l’idée, ou plutôt le germe théâtral des Burgraves, l’antithèse de Christine et de Sentinelli, tous deux blanchis par l’âge, tels Job et Guanhumara, et tous deux chargés du remords de l’homicide.
  106. Signalons toutefois une réminiscence de Marion de Lorme, II, sc. i, pp. 212-215. Cf. Christine, I, sc. i, pp. 212-213 ; sans oublier qu’en son Saint-Genest, Rotrou avait déjà mis en œuvre ce procédé de couleur locale. Il est indéniable aussi que les vers de Victor Hugo firent une vive impression sur Dumas, et que quelques-uns ont retenti en sa mémoire. Il y a quelque rapport de ce genre entre le monologue de don Carlos et celui de Christine. Hugo écrit :

    Ah ! c’est un beau spectacle à ravir la pensée !

    (Hernani, IV, sc. ii, p. 107.)


    et Dumas :

    Oh ! que c’est un spectacle à faire envie au cœur !

    (Christine, II, sc. ii, p. 225.))

    « Observez, je vous prie, concluait Granier de Cassagnac (art. cit., ci-dessus, p. 109), les différences : Charles-Quint va être empereur et Christine abdique ; Charles-Quint dit : ah ! et Christine dit : oh ! » Au fond, sans dire précisément les mêmes oh ! ni les mêmes ah ! ils paraphrasent tous deux, Hugo longuement et à perte de vue, Dumas avec une métaphysique plus matérielle et d’un bon enfant :

    Marcher sur du velours, mais, partout où nous sommes.
    Sentir que nous marchons sur la tête des hommes.


    — tous deux ils paraphrasent le monologue de Fiesque (III, sc. ii, pp. 273-274), lequel, comme tous ces monologues romantiques, tire son origine première du « To be or not to be » (Hamlet., III, sc. i, p. 245).

  107. Hernani, V, sc. iii, p. 140.
  108. Mes mémoires, t. VIII, ch. cxxxi, p. 259.
  109. Racine et Shakespeare, partie I, p. 127 : « Nous ne réclamons la prose que pour les tragédies nationales », et partie II, lettre ii, p. 166 : « Le vers alexandrin n’est souvent qu’un cache-sottises ».
  110. Le drame Henri III et sa Cour suscita trois parodies : la Cour du roi Pétaud, à laquelle Dumas collabora (Alex. Dumas, Gavé, Laviglé et A. de Ribbing), représentée au Vaudeville, le 28 février 1829 ; — le Brutal — et Cricri et ses Mitrons. Voir Charles Glinel, op. cit., ch. iv, p. 222, n. 1.
  111. Mes mémoires, t. I, ch. xiv, pp. 176 sqq.
  112. Christine, I, sc. i, pp. 212-213. Et l’acte III intitulé Corneille.
  113. Charles VII chez ses grands vassaux, IV, sc. iv, pp. 294-297.
  114. Des Dumas. Voir ci-après, p. 390. Cf, notre Théâtre d’hier, Alexandre Dumas fils, § II. Le système dramatique, p. 126.
  115. Mes mémoires, t. V, ch. cxvii, p. 81.
  116. I, sc. vii, p. 141.
  117. V, sc. iii, p. 198.
  118. Histoire de mes bêtes, ch. i, p. 3.
  119. Beaumarchais avait utilisé le jeu des accessoires, qui sont comme les signes matériels de ces préparations dans le drame comme dans le vaudeville : clefs, lettres, toques, cicatrices, etc. Il va sans dire que Beaumarchais les avait empruntés de l’espagnol, et Corneille aussi.
  120. I, sc. i, p. 123.
  121. III, sc. v, pp. 169-175.
  122. Ibid., p. 173.
  123. Théâtre complet, I, Un mot, p. 118.
  124. V, sc. ii, p. 195. « Oh ! assez ! assez ! Tu ne veux donc pas que je puisse mourir ? Malédiction !… Là, toutes les félicités de la terre, et là, la mort, l’enfer, etc. »
  125. I, sc. v, p. 134.
  126. Ruy Blas, I, sc. iii, p. 104.
  127. III, sc. v, p. 171.