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Le Drame d'Alexandre Dumas (Parigot)/03/09/02

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II

LETTRES INÉDITES À MELANIE.

L’aventure fut banale, comme celles d’où naquirent la Dame aux Camélias et Diane de Lys. Mélanie W*** était mariée à un capitaine d’infanterie. De petite santé, elle n’avait pu supporter la vie de garnison ; elle demeurait chez son père, dans un milieu littéraire et grave. Le capitaine n’y venait qu’en congé, avec la permission de Dumas[1]. On trouvera dans Mes mémoires[2], et surtout au premier chapitre du Testament de M. de Chauvelin, le récit de la première rencontre entre le fils du Diable noir et cette faible femme. Grâce à la bienveillance d’Alexandre Dumas fils, j’ai pu suivre la comédie intime, qui fut l’occasion du drame scénique, et noter avec précision le point de départ et les démarches du génie.

J’ai sous les yeux quarante-trois lettres[3], quelques-unes datées, plusieurs avec la suscription, le nom et le domicile de la destinataire, toutes de la main de Dumas, signées : ton Alex, et apostillées de mille millions de baisers. Deux, manifestement écrites au début (je ne sais quelle chaleur du style en témoigne), portent le cachet postal : septembre 13, 1827 et septembre 27, 1827. En travers de l’adresse d’une autre se lit cette indication : « donné quinze sous au porteur. » Prévenance qui est une date. Plus tard, il enverra par la poste de véritables chiffons de papier. Les unes sont des billets, les autres des morceaux de quatre grandes pages. La liaison paraît avoir duré un peu plus de trois ans. À un moment, on attendait un fils, qui devait s’appeler Antony[4]. Le drame a pris le nom de ce fils espéré. Tous deux étaient ensemble en préparation. Le drame seul a vécu. Cette correspondance au jour le jour, et à la nuit, et à l’heure, fut probablement beaucoup plus considérable que ce que j’en ai eu par devers moi. Mais ce peu suffit à nous édifier. Une même lettre, commencée à huit heures du soir, est continuée à minuit, et achevée à deux heures du matin. Elles ne sont pas toujours datées du jour ni du mois ; de l’année, rarement ; les heures y sont scrupuleusement indiquées. Quelles heures ! Et quel homme ! Il écrit dans l’attente ; il écrit après l’entrevue ; c’est miracle s’il n’écrit pas pendant. Encore plus fou après qu’avant, — dans les premiers mois (fin 1827) au moins : car assez vite cette passion s’en va, « où s’en vont les vieilles lunes[5] ».

Un billet, rédigé dans les bureaux du duc d’Orléans, contient des vers. Chez les Dumas, le tempérament était volontiers poétique, pour la joie des sens.

Oh !… n’abrège jamais ces heures que j’envie ;
De me les accorder Dieu te fit le pouvoir,
T’entendre est mon bonheur et te voir est ma vie :
Laisse-moi t’entendre et te voir.
Pourquoi, lorsque l’amour a joint nos destinées,
Me dire, épouvantée à la fuite du temps :
« Nos instans de bonheur dévorent nos journées,
Nous ne vivons que des instans ? »
On dit que de douleurs toute joie est suivie,
Qu’un sourire souvent s’achève dans les pleurs ;
Mais nous, entre nos cœurs nous presserons la vie.
Pour en exprimer nos douleurs[6].

Le même billet, repris deux heures plus tard, dénote un homme qui ne se nourrit pas de viande aussi creuse : « Quatre heures et demie. Adieu, mon ange, la faim me presse ; je me sauve, et je serai chez toi à sept heures moins un quart. Mille et mille baisers. Adieu, mon ange[7] ». L’ange répondait en vers, et taquinait la muse. « Tes vers sont beaux, mon ange[8] ! « lui écrivait le bon apôtre, le 6 octobre 1830. Mais, direz-vous, encore des vers trois ans après ? Et des « anges », et de la passion pure ? Lisez donc ce qui suit, quelques lignes plus loin : « Calme-toi, mon amour, quoique ton exhaltatinn me prouve combien tu m’aimes. Le calme seul peut te remettre ; et envers et contre tout je resterai toujours ton Alex…[9] » Il paraît bien que l’Alex de 1830 n’était plus tout à fait celui de septembre 1827 ; que cet amour suivit l’ordinaire progrès et le déclin habituel de ces amours ; et qu’à cette heure, Dumas en pouvait tirer parti sur la scène. Childe-Harold, ce n’était plus lui.

Quelle fut donc l’Adèle de la réalité ? Une demi-veuve, trop isolée, et bas-bleu. Non seulement elle compose des poésies « fugitives », ainsi que son frère, mais elle les publie dans les journaux. Elle lit plus tard (rappellerai-je qu’Alexandre n’assassina point Mélanie ?) représenter une pièce qui s’appelait l’École des jeunes filles[10]. Ce n’était qu’une école de plus. En septembre 1827, Mélanie demeurait 84, rue de Vaugirard, et Dumas lui fut présenté dans le salon solennel et littéraire de M. de Villenave. Adèle était du monde où l’on s’ennuie. Dumas pressa l’attaque de toute sa fougue philosopliique et poétique. Il vit à qui il avait affaire. Il eut le « processus « plutôt vif[11], et Mélanie opposa une résistance plutôt courte, pour l’honneur[12]. Dumas s’en réjouit d’abord ; il découvre en elle de l’ingénuité, et en lui-même un satanisme très distingué : c’est la mode littéraire. « Si tu m’avais dit vrai, si j’étais vicieux[13] ! » Et dans une autre lettre : « Oh ! oui, tu as en amour la candeur, et je dirai presque l’ignorance d’un enfant de quinze ans[14]. » Mais, dans la même, à minuit : « J’espère que cela ne t’empêchera pas de venir à quatre heures. Oh ! oui, mon amour sera idéal… Mais remarque qu’il y a un raldnement de cruauté à me dire : « J’irai te voir bien belle » et il m’imposer des conditions[15]. » Il est évident qu’Adèle, à l’origine de ces premiers frôlements, n’aime point qu’on la chiffonne. Cette crainte des mauvais plis fait un rempart à la vertu, en l’absence du mari. En vain Dumas jure ses grands dieux : « Oui, oui, je respecterai ta belle toilette, sois tranquille… Je ne te demande rien que d’ôter ton chapeau et ton voile[16]. » Adèle se méfie.

Mélanie-Adèle ne protège plus ses toilettes. Adieu candeur, ignorance et tout le cortège des vertus fragiles, et chères aux amoureux. Notre Dumas, agé de vingt-cinq ans, y trouve des compensations. Elle étouffe, il palpite[17]. « Il ne faut plus «, lui écrit-il avec grâce, non sans effroi. Cette fille de « Minerve[18] » déconcerte ce mulâtre. Bientôt elle s’affaiblit, maigrit, n’est plus confortable. La dyspepsie la guette. Antony déchante, malgré son air de belle humeur : « Engraisse vite, vite, mon amour ; et j’irai te faire maigrir en te tourmentant[19]. » Cependant la fâcheuse dyspepsie commence ses ravages ; Mélanie maigrit encore, toujours. Dumas languit et s’impatiente : « Moi, je te serais si bon médecin. J’ai suivi les cours de ton cœur ; et j’aurais de lui si grand soin, je le ménagerais tant, je le mettrais, excepté sur l’amour, à un régime d’émotions si douces, que la graisse se glisserait bien vite, comme tu le dis, entre la chair et l’épiderme[20]. » Cette question matérielle, s’il en fut, lui devient un souci. Adèle lui en donne d’autres. Elle est nerveuse, capricieuse. Elle se plaît à la bouderie. Elle a des digestions qui tuent l’amour. « Onze heures du soir. Oh ! ne me boude jamais… Dis-moi que j’ai tort et prends-moi la main. Une bouderie de toi me sèche l’âme. Quand je te vois bouder, je comprends la possibilité que tu ne m’aimes plus[21] … » En effet, il semble que la passion diminue avec l’embonpoint d’Adèle. Antony a des lapsus malheureux. « Je ne comprends rien aux reproches qui terminent ta lettre, sinon que ce sont encore des reproches. Je ne me rappelle plus ce que je t’ai écrit. C’est bonheur qu’il faut lire au lieu de récréation ; et la phrase doit être construite ainsi : si l’amour devient un tourment au lieu d’un bonheur[22]. » Il a beau prier sa chère âme de « s’embrasser elle-même au front », et manifester une vive joie pour un géranium qu’on lui adresse : l’amour n’est plus qu’une récréation. Adèle, qui a vu déloger les ris et les roses, devient de plus en plus inquiète. Il lui faut des lettres à heure fixe[23], pendant qu’on lui pose des sangsues ; Antony rencontre cette phrase qui ne déparerait pas un vaudeville de Labiche : « Laisse-toi mettre toutes les sangsues qu’on voudra, au nom de notre amour[24]. » Enfin Adèle dessèche, et d’inquiète devient jalouse. Mais est-ce qu’il est jaloux, lui ? Est-ce qu’il n’y a pas des rapprochements prédestinés, des harmonies préétablies qui excluent le soupçon ?… « Notre amour change de nature, sans doute ;… nos sensations sont toujours heureuses[25]. » Et cela même est un mot de la fin. La prédestination pèse désormais à tous les deux.

Dumas ne se récréait plus en l’amour de Mélanie[26]. Son drame était terminé, et allait entrer en répétitions. Au fond, Antony s’amusa d’Adèle ; il exerça sa verve dramatique en cette liaison. Il ne sépara jamais nettement la chambre à coucher du laboratoire. À peine débarqué à Paris, à l’âge de vingt-deux ans, il a un enfant d’une voisine : c’est sa première œuvre de génie. La mémoire de son père lui vaut quelques relations. Il distingue dans une société plutôt austère une jeune femme mariée, lettrée, et seule : ces trois vertus l’enchantent. Pardonnez-lui : il arrive encore un peu de Villers-Gotterets. Or, ce fut le 3 juin 1827 ; il ne l’oubliera jamais, au moins de quatre ans… « Le soir, à huit heures, j’étais debout, bien ridicule à tes yeux, contre cette porte d’entrée[27]. » Voilà un souvenir qui fait tableau, et qu’il mettra au théâtre. En 1827, il est tout frémissant de ses lectures, les sens et le cerveau en ébullition ; et malgré tout, il est encore un peu jeune, sinon novice ; il ressent tout l’orgueil de nouer des relations avec une dame, une vraie dame, une femme du monde : le sanctuaire où il la découvre lui tourne la tête. Et comme, chez lui, une certaine sensibilité musculaire suit de près l’essor imaginatif, l’amour idéal ne lui suffit pas longtemps. Si d’abord il écrit à son ange jour et nuit, c’est qu’il prolonge ou prévoit ses sensations, ni plus ni moins. « Onze heures du soir. Nous n’avons eu qu’une heure, mon ange, mais d’un bonheur bien doux et bien tranquille. Ce sont nos adieux à notre petite chambre, où nous avons été si heureux et que nous ne reverrons probablement jamais ensemble, que des êtres indifférents occuperont, sans savoir ce qui s’est passé, sans que l’air leur apporte une perception des sensations que nous y avons éprouvées. Ce ne sera pour eux que quatre murs décorés d’un papier plus ou moins frais et d’une glace plus ou moins belle, qui, comme le cœur d une coquette, n’aura rien conservé des tableaux quelle a réfléchis[28]. » Et ailleurs : « À toi, cher amour, que je viens de quitter et que je vais revoir[29]. » Et aussi, dans une lettre composée de deux fragments : tels ces tableaux mi-restaurés qu’on voit aux vitrines de l’encadreur. « … Quel mortel ennui, si tu ne viens pas !.. Eh bien, je travaillerai ou je me coucherai. Quelle singulière chose ! Toi arrivée, le temps va s’écouler jusqu’à quatre heures et demie avec la rapidité d’un instant ; et, seul, il se traînera long, ennuyeux, mortel… Il est une heure, mais il n’y a pas encore de temps perdu… Tu… Ah ! te voilà…… Partie ! Vois donc : les phrases sont comme la vie ; la même peut servir à exprimer la peine et la joie. Qui diva ce qui s’est écoule entre ces deux mots ? Quelles émotions sont nées et se sont éteintes ?[30] » Qu’il nous suffise de le constater : des émotions et sensations, sans plus. Il ne s’agit guère d’autre chose. Dumas n’est ni un André del Sarto, ni un Rosemberg[31], ni un Lorenzaccio : chaud à l’imaginer mais prompt à l’action. Les subtiles inerties de Musset le déconcertent. L’amour en buste ne lui sert que d’un prélude ou d’une amorce de l’autre. Si on lui reproche de se trop plaire à l’autre, il a une réponse toute prête : « … Crois bien que je ne l’aime autant que parce qu’il semble nous lier davantage encore. Les moments de repos qui le suivent sont délicieux, et plus suaves que lui peut-être.  » Et il ajoute sans perdre haleine : « … Crois que je sais aussi savourer de l’amour tout ce qu’il a de délicat, comme je sais éprouver tout ce qu’il a de délirant[32] ». Pourvu qu’il y ait du délit là dedans, le gaillard est un gourmet.

Et un habile homme. Ayant affaire à une Égérie frottée de littérature, il pare de belle phraséologie métaphysique sa vigoureuse sensualité. Nous touchons à l’éternelle comédie des femmes savantes, à qui le pédantisme vient comme une passion, comme un à peu près de chaleur des sens, que l’infini tourmente, et qui couvrent de l’intérêt de la science leurs discrètes pâmoisons. Dumas ne s’y trompe point : il pousse sa pointe entre Trissotin et Bellac[33]. Au lieu du spiritualisme, il affecte le scepticisme, qui est en faveur. Jeune, poète, il se pose aux yeux de cette Philaminte. « … Ne comprends-tu pas que notre éternité, quelles que soient nos pensées en ce monde, sera toujours la même, immortalité ou néant ? Il y aura donc, dans tous les cas, fidélité éternelle ou absence de sensations, et tout cela nous sera commun… Ainsi donc, aimons, aimons encore en cette vie, écartons de nos deux têtes tous les malheurs qu’il sera en notre pouvoir d’écarter, saisissons-en toutes les félicités, et ne ramenons pas nos esprits à de tristes pensées d’un autre monde, celui-ci étant déjà assez mêlé de joie et de douleur. Sache seulement que, s’il y a quelque chose de moi qui me survive, ce quelque chose, ne fût-il qu’une étincelle, t’aimera comme t’aime le corps duquel ce quelque chose sera émané. Ainsi, mon ange, donne-moi du bonheur dans ce monde, et espérons-en dans l’autre sans compter dessus : le désappointement est une trop cruelle chose[34]… » Ce métaphysicien positif est plein d’esprit. Ses déductions le mettent en excellente posture. Il en dînera de meilleur appétit, en attendant mieux. Les post-scriptum de ses lettres poétiques ou philosophiques ne vont pas d’ordinaire sans cette double préoccupation. Et quand il a fait un dîner « copieux comme un dîner de ministre[35] », alors comme alors. « Mille baisers sur tes lèvres, et de ces baisers qui brûlent, qui correspondent par tout le corps, qui font frissonner, et qui contiennent tant de félicité, qu’il y a presque de la douleur. » Il y a aussi du Diderot là-dessous, mais surtout un auteur de tempérament, qui n’oublie pas ses drames.

Il est transporté ? Non, il joue un personnage. Il prépare ses rôles. Je ne sais comment, mais on a, en lisant ces lettres, le sentiment impérieux que la sincérité n’en est pas le péché mignon. Dumas sait Werther et les premières amours de Gœthe ; il connaît les Brigands et le caractère de Franz. Il s’exerce à les égaler : l’effort est visible. Mélanie lui sert à échauffer son imagination et ses souvenirs, sans préjudice du reste. Passion, philosophie, scepticisme, Franz, Werther, Byron ; amour, blasphème, misanthropie, haine des préjugés, il expérimente tout cela sur Mélanie. Dès la première lettre de la collection, il paraît s’être d’abord posé en amoureux de Charlotte ; puis, il a défié Dieu et les hommes, vrai giaour. Mélanie « a tressailli dans ses bras ». Il choisit ce moment pour la convertir à l’athéisme. Tout de même qu’au temps de Ronsard la surdité seyait au poète, ainsi Dumas s’avise qu’il est inconvenant d’aimer une femme du monde, pâle et immatérielle, sans avoir au moins un poumon atteint[36]. Il tâche à tousser ; il s’évertue à teinter son mouchoir ; il se fait prier et quereller pour prendre soin de lui. « Rassure-toi sur ma santé. Il y a deux ans que ce léger accident ne m’était arrivé, et mon mouchoir était à peine coloré. Et comment veux-tu que je meure, tant que tu m’aimeras ?… Oh ! c’est alors, mon ange, que je deviendrais athée ou blasphémateur ! Car je ne pourrais croire à Dieu sans le maudire… Dieu me séparerait de toi ! Et si c’était pour toujours ! Oh, ma vie, plains plutôt mon doute que de le blâmer !… Personne n’en souffre plus que moi[37] »… Il lui donne, une fois, un rendez-vous galant au Père-Lachaise[38].

Poète, c’est ainsi que font les grands poètes[39]

Ces affres du scepticisme et du blasphème, où il se débat, ne sont que littérature. Quelques années plus tard, Mélanie pouvait lire dans Mes mémoires : « Jamais, dans le cours d’une vie déjà assez longue, je n’ai eu, aux heures les plus douloureuses de cette vie, ni une minute de doute, ni un instant de désespoir[40] ». Il éprouve ses effets de scène, même dans l’intimité, par un mirage de l’imagination qui portait en elle le personnage d’Antony.

S’il aime, sa tête briile ; il ne peut étouffer les battements de son cœur ; il a la lièvre, le délire. Le type se dessine : « Oh ! oui, je t’aime, je t’aime, je t’aime ! Oui, cette fièvre m’a passé dans le sang, et il y a plus de passion et de frénésie dans mon amour qu’il n’y en a jamais eu. Ne crains rien. Je t’aime, je t’aime, et ne puis aimer que toi, toi seule au monde… Je t’aime, ô ma Mélanie ; ma tête brûle, et je suis bien plus près, en ce moment, de la folie que de la raison[41] »… Le moment est venu d’être infernal. « … Tu m’as enfin compris, tu sais ce que c’est qu’aimer, puisque tu sais ce que c’est que la jalousie… Connais-tu quelque chose de pareil ? Et ces imbéciles de faiseurs de religion qui ont inventé un enfer avec des souffrances physiques ! Qu’ils se connaissaient bien en tortures ! Cela fait pitié ! Un enfer où je te verrais continuellement dans les bras d’un autre ! Malédiction ! Cette pensée ferait naître le crime[42] ! » Il attrape son dénoûment, il tient les traits sataniques du rôle.

Il les essaye, il les répète ; il soigne son style. Il dispute sur la gaîté et la tristesse, la gloire et la fortune, sur l’amour et la jalousie, et autres beaux lieux communs. Cette faculté de dissertation, qui va poindre dans Antony, se conservera chez son fils[43]. « Oh ! qu’il y a une grande douceur à ne pas séparer ses sentiments, à dire nous au lieu de je, à ne voir dans l’absence qu’une séparation matérielle, qui ne désunit ni l’âme ni la pensée, à se retrouver comme on s’est quitté, à se quitter en croyant s’aimer davantage encore, à être sûr de son avenir comme d’un passé, et à sourire de mépris en regardant chaque homme, à qui l’on dit tout bas : « Tu ne peux rien sur nous !» Il y a là dedans quelque chose de la sérénité et du pouvoir de Dieu, oui, de Dieu ; car je ne suis pas athée, quoique tu en dises[44] »… Et, en effet, la tirade est dans le mouvement du théâtre.

Cette jalousie même, dont il fait grand bruit (la sienne ; car j’ai dit que celle de Mélanie le fatigue bientôt) semble toute prête pour la scène.

Oui, je voudrais qu’aucun ne vous trouvât aimable,
Que vous fussiez réduite en un sort misérable,
Que le ciel, en naissant, ne vous eût donné rien,
Que vous n’eussiez ni rang, ni naissance, ni bien[45]

Ainsi parle Alceste ; et voici le couplet dont Alexandre régale Mélanie. « Deux heures. … Ah ! que je voudrais te voir sans fortune, sans famille, abandonnée de tout le monde, pour te tenir lieu de monde, de famille et de fortune, pour être tout pour toi, comme tu serais tout pour moi, et pour pouvoir vivre ou mourir librement, sans éveiller un sourire ou faire répandre une larme, pour vivre au milieu de la société, étranger à elle comme elle serait étrangère à nous ; mais tout cela est un rêve, un songe, une vision[46]. » Tout cela est imagination pure, et jeu d’esprit à la mode, dont il fait l’expérience sur Adèle, quasi femme de lettres, et qu’il jettera vivement sur le théâtre, l’épreuve à huis clos ayant réussi. On s’assurera sans peine qu’Antony redit à peu près les mêmes choses, et que Dumas ne gaspille point ses effets. Et puis, l’on ne s’étonnera pas trop que la baronne d’Ange dans le Demi-Monde tienne à peu près les mêmes propos à M. de Nanjac[47]. Elle est de la famille.

Il va sans dire que l’amour d’Alexandre s’exalte par l’écriture épistolaire jusqu’à la folie et au crime. Ne craignez rien : Dumas ni ne saurait vivre en un désert ni n’affronterait l’échafaud pour une femme trop maigre et d’humeur chagrine. Mais l’imagination fait rage sur le papier. Voici venir de loin la scène du hasard, de la fatalité, des préjugés. L’orage est dans sa tête ; il éclate en ses lettres à propos de tout et de rien. « Deux heures… Moi raisonnable !… Oh ! non ! Je suis fou, insensé, délirant. Et, quand nous sommes ensemble devant ta mère, il me prend des moments de rage, où je voudrais te serrer dans mes bras… et dire : « Elle était à moi, avant quelle ne me connût… » Oh ! non, tu te trompais : jamais mon amour, à moi, n’a été doux, paisible, et je ne comptais tant sur son influence, que parce qu’il me semblait aussi impossible que tu y résistasses qu’il est impossible au bois de ne pas être brûlé par le feu[48] » … Après le délire, la fatalité. « … Ne m’as-tu pas dit que tu croyais à la fatalité ? Ce mot me rappelle ce que je te disais un jour en parlant du hasard qui nous avait rapprochés et auquel j’appliquais le mot de fatalité. « Comment, me dis-tu, vous appelleriez fatalité notre rencontre dans le monde ? » Eh bien, n’était-ce pas de la fatalité, si ce n’eût été du bonheur ? Et que serais-je devenu, si tu ne m’avais pas aimé ? Et ce n’est pas un amour doux, paisible que celui auquel, dès sa naissance, on applique le mot fatalité[49]. » Il se met au point. De cette phraséologie galante, que Firmin appelait « rabâchage », naîtra le lyrisme d’Antony[50]. Il s’échaufre à blanc ; il incite Mélanie, lui malin, à braver les préjugés du monde, un jour qu’il l’a espérée vainement et qu’elle fut sans doute empêchée par sa mère. « Huit heures et demie… Eh bien, quand je te parlais du monde et de ses lois, de ces misérables concessions à la société, qui se font toujours aux dépens du bonheur particulier, dis-moi, avais-je tort de la maudire et de regarder comme heureux l’homme qui pourrait s’en affranchir ? Dans une nation civilisée la liberté peut exister pour un peuple ; elle n’existe jamais pour les individus. On fait à tout ce qui nous entoure une foule de petites concessions, auxquelles le temps et l’habitude finissent par imposer le nom de devoir : et, alors qu’on s’en écarte, on est coupable. Certes, personne n’aime plus sa mère et ne la respecte plus que moi ; eh bien, je regarde comme un préjugé des nations l’amour et le respect imposé (sic) aux parents. L’un et l’autre doivent naître, selon moi, de leur manière de nous traiter, et non du hasard même qui nous les a donnés pour père (sic). Leur devons-nous de la reconnaissance pour la vie qu’ils nous ont donnée ? (Figaro était plus timide ; il n’avait ni la taille ni l’humeur de lancer ces hardis blasphèmes, que le Franz Moor de Schiller brandit, que ramasseront plus tard Jules Vallès et M. Jean Richepin)… Souvent, ce n’était pas leur intention, et plus souvent encore ils nous ont fait un triste présent[51]…  » Plus tard, Alex et Antony seront dépassés, et le Fils naturel ne sera qu’une déduction dramatique et logique de la phrase qui suit : « Nos parents ne le sont que relativement aux soins qu’ils ont pris de nous, et il me semble naturel de mesurer l’amour sur les actions et le respect sur les vertus[52] ».

Enlin si vous voulez vous mettre en état de goûter la distinction de l’amour délirant et de l’amour mondain que fait, à l’acte IV, M. Eugène, poète sensé, ni fou ni fade, une manière de Mérimée dans ce salon où l’on cause, lisez ce billet : « Midi… Quelle lettre je t’ai écrite !… Si je pouvais la rappeler !… Mais j’espère qu’elle aura été assez mouillée de mes larmes pour que tu ne puisses pas la lire ! J’ai dormi une heure et demie, à peu près comme les damnés peuvent dormir, s’ils dorment, avec des songes, des visions, du délire ! Quand je pense à ce qu’on appelle aimer dans le monde ! Quelles marionnettes[53] ! »

L’aventure est banale, je le répète, mais non pas l’homme qui s’y était engagé. Ses Lettres à Mélanie nous ont fait voir ses sens et son imagination à l’ouvrage, et ses lectures amalgamées à ses désirs. Tout cela bouillonne. Mais l’imagination l’emporte. Elle transforme cette liaison, dont les douceurs sensuelles furent bientôt émoussées, en une expérience intime, qui sert de prélude et d’exercice préparatoire au drame, — personnel et lyrique sans doute à l’origine, et d’un lyrisme appris et postiche (par quoi je reconnais qu’Antony plut d’abord), — mais singulièrement élargi ensuite par une intuition de génie, d’oii se dégagent en action le théâtre, l’homme et la société modernes.

Le mercredi 6 octobre 1830, Dumas écrivait une de ses dernières lettres à Mélanie. « … Antony, copié et distribué aux acteurs, entrera, je crois, en répétitions samedi. Trois semaines ou un mois lui suffiront. J’ai grand peur pour lui. Je ne le trouve pas d’une forte constitution[54]. »


  1. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 117 : « J’allai trouver un de mes amis employés au ministère : trois fois le congé, prêt à être envoyé, disparut, déchiré ou brûlé par lui. Le mari ne vint pas. » — Un jour il y eut alerte. Le capitaine demandait son changement pour Courbevoie : « Il faut le faire nommer major, mon ange. Il n’y a que ce moyen-là de nous tirer d’affaire. Courbevoie est beaucoup trop près de Paris. » Lettres inédites, 12 octobre.
  2. Mes mémoires, t. V, ch. cxviii, p. 82. Première lecture d’Henri III en petit comité chez madame W… — Voir ibid., ch. cxv, pp. 43 sqq., première rencontre ; énumération de la famille. Cf. le Testament de M. de Chauvelin, ch, i. La maison de la rue de Vaugirard, p. 13.
  3. Ces lettres ont été rachetées par Alexandre Dumas fils, son nom et celui de sa mère s’y trouvant parfois mêlés. Je me suis appuyé, pour les classer, tantôt sur les dates du cachet postal, tantôt sur les allusions à des événements connus qu’elles renferment, et même sur les sentiments qu’elles contiennent. J’ai pu ainsi, pour écrire ce chapitre, les ranger dans leur suite chronolog-ique très probable. Je donne en note les dates, quand elles y sont.
  4. Lettres inédites. « Le mercredi 6 octobre » (1830, d’après les allusions au drame) : « Je ne le trouve pas (le drame) d’une forte constitution. J’espère en tout cas que son homonyme n’aura rien de cette faiblesse. Oui, mon amour, j’y songe, à notre Antony. Ce sera un lien ignoré entre nous, qui fait que jamais nous ne deviendrons étrangers l’un à l’autre. Je parle de quinze ou vingt ans de ce jour. « — Il y songeait chez une autre Mélanie, chez qui il fréquentait dès la fin de mai 1830. Voir plus bas, p. 294, n. 4.
    Cf.
    Lettres inédites, « 12 octobre » (1830) : « Mais tout cela, quelque chose qui arrive, ne fait rien à Antony ; il faut qu’il vienne à bien, pauvre petit ».
  5. C’est le mot dont il se sert, quand il explique sous quelle inspiration il fit Antony. Mes mémoires, t. VIII, ch. cc, p. 117.
  6. Lettres inédites. Ces vers sont suivis de ces lignes : « Appelle-moi fat, voilà un trait caractéristique : penser que de pareils vers valent la peine d’être lus deux fois. Ah ! de la besogne… Grand merci. (On lui apporte des dossiers à copier.) — La lettre finit par la phrase que je cite ensuite, datée de quatre heures et demie. — Comme il utilisa tout, on trouvera la première strophe reproduite dans le Mari de la Veuve (Th., III), sc. iii, p. 248.
  7. Lettres inédites.
  8. Lettres inédites., mercredi 6 octobre (1830 ; — il est parlé dans a même lettre d’« Antony copié et distribué aux acteurs »).
  9. Ibid.
  10. Mes mémoires, t. V, ch. cxv, p. 43.
  11. Edouard Pailleron, le Monde où l’on s’ennuie, III, sc. iv, p. 149.
  12. On trouve à la fin de su lellre du 6 octobre 1830 citée plus haut, pp. 289-297, le souvenir des deux dates fatales, « envers et contre tout ton Alex, du 12 sept, et du 22 » (1827 ?).
  13. Lettres inédites. Cachet postal 1827 (27 septembre).
  14. Lettres inédites. Dans la même lettre : « Sois tranquille. Je suis à la fois le moi du jour où je te baisai la main, le moi du 12 septembre ; et le moi d’aujourd’hui, cher ange, est le plus heureux de ces trois moi. » Cette lettre est évidemment du début. Il lui demande un souvenir à conserver pendant un mois d’absence forcée : son écharpe, par exemple.
  15. Lettres inédites.
  16. Lettres inédites.
  17. Lettres inédites. « Mais tu n’auras pas d’étouffements ni moi de palpitations. Nous avons besoin de vivre tous les deux maintenant. »
  18. Lettres inédites. « Que fais-tu de tes savants et de ta Minerve ? » Il s’agit du père et de la mère, nommés dans Mes mémoires.
  19. Lettres inédites. À cette époque Mélanie est à la Jarrie.
  20. Lettres inédites. Ibid., son estomac de bureaucrate va bien : le pauvre homme ! « Quatre heures. Toutes les douleurs possibles : à la besogne a succédé la besogne. Et me voilà pressé entre mes quatre heures et mon dîner. Et toi, pauvre amour, penses-tu au tien ?… »
  21. Lettres inédites.
  22. Lettres inédites. Voici dans une lettre précédente la phrase incriminée, avec le contexte « … Rappelle-toi bien, mon amie, qu’on tue un amour en le tourmentant, que la femme n’a qu’à penser à cet amour, que l’homme a en outre tous les soins matériels de la vie à remplir ; — moi surtout, mon ange, l’existence de tant de personnes se rattache aux soins qui m’occupent que dans le commencement où je t’aimais et où je craignais de ne pas cire aimé, alors je pouvais tout sacrifier au désir de l’être. Maintenant, je le suis. Eh bien, laisse tout naturellement les soins matériels de la vie reprendre leur place. Que l’amour devienne mes heures de récréation, non de travail. Rapporte-t’en à moi pour t’aimer, mais ne me tourmente pas, je t’en supplie… » La lettre où il rectifie cette phrase significative est datée du 7 juillet. Elle est de 1830 ; car on y lit : « Il faut que je passe un traité avec le Théâtre-Français. Je veux qu’il soit engagé vis-à-vis de moi. » Or un auteur joué peut seul avoir ces prétentions. Il s’agit donc de la seconde version de Christine ou plutôt d’Antony ) : car dans la même lettre on trouve des développements qui annoncent ce drame, comme nous le verrons. « … Je suis seul au monde, etc… Rassembler vite de quoi vivre seul, et abandonner mère, enfant et pays pour aller vivre partout ailleurs comme un bâtard
  23. Lettres inédites. « … Je l’ai écrit avec la plus grande régularité, même quand je ne pouvais pas écrire, même quand une goutte de sueur me tombait à chaque lettre, et que j’étais obligé d’écrire deux fois les mots pour tâcher qu’ils fussent une fois lisibles…  »
  24. Lettres inédites. 30 septembre. (1830 ?) La date de l’année semble résulter de ces mots de la même lettre : « … Tout est autour du roi dans le même état. Je lui ai fait remettre un rapport. Je ne sais pas même s’il l’a lu… On l’aime de jour en jour davantage, et l’on use même de familiarités inconvenantes. M. Dupaty lui a envoyé l’autre jour un billet de garde comme faisant partie de l’arrondissement du Palais-Royal. C’est absurde. » Il s’agit très probablement du rapport sur la Vendée, où Dumas était allé le 10 août 1830, au lendemain de l’avènement de Louis-Philippe. Ce rapport fut remis à Lafayelto qui le fit tenir au roi. Dumas fut reçu en audience au mois d’octobre 1830. Cf. Mes mémoires, t. VII ch. clxxiii, p. 150 et p. 155.
  25. Lettres inédites. « … Et ne va pas croire que c’est par amour-propre que je crois à ta fidélité. Non, attirés l’un vers l’autre, comme ; nous l’avons été, il me semble qu’une force étrangère pourra seule nous séparer, et non l’effet de notre volonté. Notre amour change de nature sans doute. Nos sensations sont autres, mais notre amour est toujours notre vie. Nos sensations sont toujours heureuses. »
  26. Il ne s’agit pas ici de fouiller la vie intime de Dumas. Cet indiscret reportage à distance est une misère de notre temps. Mais pour être édifié sur la sincérité du lyrisme dans Antony, il est nécessaire de ne pas oublier l’état du cœur de l’écrivain au moment où il écrit son drame. Les Lettres inédites et Mes mémoires nous renseignent très suffisamment.
    Avant la fin du niois de mai 1830, Dumas avait noué une autre liaison avec une autre Mélanie, dont il eut une fille, Marie, dite Marie-Alexandre Dumas, née en 1831, devenue plus tard madame Olympe Petel. Cf. Mes mémoires, t. VI, ch. xcliii, pp. 72 sqq. Il continuait à voir la mère de son fils Alexandre, né en 1824. Une de ces lettres à Mélanie commence par ces mots : « Une heure… Je t’écris près de mon fils, qui va de mieux en mieux… » Dans une autre il est question du petit Alexandre qu’on ne pourra emmener dans une promenade dominicale, parce que son costume neuf ne sera pas prêt.
    On n’oubliera pas qu’en 1829, il s’intéressait fort à mademoiselle Virginie Bourbier de la Comédie-Française, (Voir ch. Glinel, ch.iv. p. 216.)
    Le chapitre de ses Mémoires où il conte la lecture d’Antony qu’il fit à Dorval (t. VII, ch. clxxvi, pp. 187 sqq.) ne laisse aucun doute sur le degré d’intimité où il est avec elle depuis le mot imprudent de l’actrice : « Vous faites un peu bien les femmes. » (Mes mémoires t. VI, ch. cxxxviii, p. 26.)
    Enfin dans l’une de ces lettres inédites, il semble que Mélanie W. ait été jalouse de mademoiselle Mars. Dumas, lui racontant une soirée chez Firmin de la Comédie-Française, s’empresse de lui dire : « … Si tu savais combien toutes ces femmes, avec leurs manières libres et leur danse dégagée, m’ont déplu. Je n’ai voulu danser avec aucune d’elles. Il me semblait qu’en touchant leur main je profanerais la tienne ; d’ailleurs mademoiselle Mars n’y était pas. Le souper était fort bien, garni de truffes ; la soirée eut été charmante pour ceux qui eussent été disposés de manière à s’amuser. » La pudeur ne lui coupe l’appétit aucunement. Car la fin de la lettre indique la raison profonde de ces mines pudiques. « Demain, c’est aujourd’hui. Je dormirai trois heures et trois heures dans tes bras ; cela reviendra au même. »
    Restent deux lettres, où il semble que Mélanie W… l’ait obligé à rompre avec une actrice dont elle était jalouse, et avec qui Dumas avait avoué ses relations. Est-ce Virginie Bourbier, ou Mélanie S… ou même madame Firmin ? Voici un passage de la lettre importante, datée du lundi 4 octobre. Comme dans la suivante, datée du mercredi 6 octobre, il est question des répétitions d’Antony et j’y note une allusion à la jalousie de Mélanie. Comme Dumas y glisse ce mot : « Les répétitions ne sont point à craindre, mon ange. Ainsi, qu’elles ne t’inquiètent pas », il est probable que ces deux lettres ont trait à la même personne, et que le fragment que je vais citer de la première est du 4 octobre 1830. « … Hier elle est revenue. Je venais de recevoir ta lettre. C’était un véritable palladium. Je lui en ai fait lire une partie. Il y a eu, comme tu peux le croire, des larmes en quantité, plus par crainte de son avenir à elle que par véritable amour. Bref, peut-être t’écrira-t-clle : car elle ne peut croire que tu saches tout. Elle pense que tu ignores nos relations et les lettres que je lui ai écrit (sic). Mais tu sais tout. Ainsi ne te tourmente de rien. Il a été convenu que nous n’étions plus rien l’un pour l’autre qu’amis. Cependant elle m’a quitté en larmes et en colère. N’en parlons plus. Mais il fallait te dire cela encore une fois. N’en parlons plus, dans cette lettre du moins. Je vais achever ma pièce. Elle sera engagée et contente. Tout sera donc fini… » Et un peu plus loin : « Je lui ai remis ton petit mot. Il était fiévreux, et elle a eu grand’peine à y comprendre quelque chose, mais enfin je le lui ai remis. Je ne crois pas du reste qu’il y ait en elle amour profond. Il s’évaporera en mots aigres, puis la certitude que je veillerai toujours à son sort théâtral la consolera de tout. »
    N’allons pas plus avant. Tout cela n’est pas très édifiant. Ces échanges de lettres, cette mésestime de l’ancienne maîtresse affectée devant la femme jalouse manquent de délicatesse. Il importait seulement de donner à la partie passionnelle des Lettres à Mélanie (à partir de 1828) le caractère expérimental qu’il m’a paru qu’elles ont.
  27. Lettres inédites, 3 juin 1830. Cf. Antony, II, sc. i, p. 175. « Je le vois là, triste, pâle, regardant le bal. Je fuis cette vision… »
  28. Lettres inédites.
  29. Lettres inédites.
  30. Lettres inédites.
  31. Barberine.
  32. Lettres inédites.
  33. Le poète des Femmes savantes, le philosophe galant du Monde où l’on s’ennuie.
  34. Lettres inédites.
  35. C’est la conclusion d’une lettre sombre de pessimisme, et qui se termine par « mille millions de baisers, et des caresses sans nombre et sans fin. Adieu, ma Méianie, dans dix minutes, je serai près de toi. » Oui, la question du repas, de l’appétit revient souvent à la fin de ses dissertations philosophiques, mais l’autre immédiatement après. « Adieu, mon ange, la faim me presse ; je me sauve et je serai chez toi à sept heures moins un quart. » Ailleurs : « pardon du blanc qui reste (sur le papier), mais ma mère me poursuit en criant : « Tes œufs sont cuits, Dumas ! Tes œufs vont être durs ! » Et le moyen de résisier à une logique aussi pressante ? Adieu, adieu encore, mon ange… »
  36. Cf. Mes mémoires, t. IV, ch. xciv, p. 78. « En 1823 et 1824, la mode était à la maladie de poitrine ; tout le monde était poitrinaire, les poètes surtout ; il était de bon ton de cracher le sang à chaque émotion un peu vive, et de mourir avant trente ans. Il va sans dire que nous avions, Adolphe (de Leuven) et moi, tous deux jeunes, longs et maigres, cette prétention. »
  37. Lettres inédites. Cachet postal, 21 septembre 1827.
  38. Il faut d’ailleurs reconnaître que ce doute, qui l’obsède, revêt parfois une forme assez utilitaire. « … Jouissons du bonheur des vivants avant d’aller envier le repos des morts. Ah ! leur couche est bien froide, Mélanie, pour qu’il y reste une étincelle de vie et d’amour… Oh ! n’attendons pas ce moment pour dormir dans les bras l’un de Pautre ; tu n’aurais qu’à t’étre trompée… » Et si ce doute refroidit l’âme croyante de Mélanie, alors il n’est pas plus athée qu’il ne sied. « … Car je ne suis pas athée, quoi que tu en dises ; je ne le deviendrai jamais, puisque l’athée est celui qui ne croit en rien, et que, si je cessais de croire en Dieu, je croirais encore en toi ». Au fond, son athéisme n’est qu’un beau geste, le poing tendu vers Dieu, et qui ne tient pas contre le plaisir de faire un madrigal. Voir plus bas, p. 317. Il reproduit textuellement ce madrigal dans le manuscrit original d’Antony.
  39. La nuit de mai, Alfred de Musset.
  40. Mes mémoires, t. I, ch. xxiv. p. 271. Cf. t. II, ch. xxxi, p. 27. Cf. t. ix, ch. ccxxxi, p. 133.
  41. Lettres inédites.
  42. Même lettre. Il y prend des précautions… « Ne crois rien de ce que te dira ta mère. Je te dirais presque : Ne crois rien, tes yeux dussent-ils voir, tes oreilles dussent-elles entendre… »
  43. Voir notre Génie et Métier, ch. viii. Les manuscrits originaux de Diane de Lys et du Demi-Monde, pp. 256 sqq.
  44. Lettres inédites. Il rencontre d’assez jolies choses. « Il y a un certain plaisir à être heureux d’un coup d’œil, d’un regard au milieu d’indifférents. Ce sont deux personnes qui auraient trouvé moyen d’allumer du feu dans une carrière de neige, et jouiraient, au milieu du froid, d’une température douce. » Il a même des mots. « Encore une distraction, cher amour… Tu ne m’as pas remis ta lettre, et j’ai été obligé de me coucher veuf. »
  45. Le Misanthrope, IV, sc. iii.
  46. Lettres inédites. Cf. Antony, V, sc. iii, p. 222. « … Si un cœur dévoué, si une existence d’homme tout entière que je jette à tes pieds… te suffisent, dis oui… Je t’arrache à ta famille, à ta patrie… Eh bien, je serai pour toi et famille et patrie… En changeant de nom. nul ne saura qui nous sommes pendant notre vie, nul ne saura qui nous avons été, après notre mort. Nous vivrons isolés, tu seras mon bien, mon Dieu, ma vie… Viens, viens, et nous oublierons les autres pour ne nous souvenir que de nous. »
  47. Le Demi-Monde, II, sc. iii, p. 80.
  48. Lettres inédites. Cf. Henri III et sa Cour, I, sc. v, p. 134. Saint-Mégrin à la duchesse de Guise : « Ah ! madame, on n’aime pas comme j’aime pour ne pas être aimé ».
  49. Même lettre. Cf. Antony, II, sc. iii, iv et v, pp. 177-190. Antony dit (II, sc. v, p. 186) : « Les autres hommes dit moins, lorsqu’un événement brise leurs espérances, ils ont un frère, un père, une mère !… etc. » Alexandre écrit à Mélanie, 7 juillet 1830 (lettre déjà citée) : « … Je suis seul au monde : pas un parent sur qui je puisse m’appuyer pour lui demander un service ; quand je me manque à moi, tout manque non seulement à moi, mais à ma mère d’un côté et à mon fils de l’autre. Tout ce qui est bonheur pour un autre est peine pour moi
  50. Mes mémoires, t. VII, ch. clxxv, p. 180.
  51. Lettre inédites. Cf. Antony, II, sc. v, pp. 187 sqq.
  52. Même lettre. Voir plus bas, p. 316.
  53. Lettres inédites. Cf. Antony. IV. sc. i. p. 204.
  54. Lettres inédites, mercredi 6 octobre. Il s’agit des répétitions à la Comédie-Française qui n’aboutirent point.