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Le Koran (Traduction de Kazimirski)/70

La bibliothèque libre.
Traduction par Traduction d’Albin de Kazimirski Biberstein.
Librairie Charpentier (p. 476-479).

CHAPITRE LXX.

LES DEGRÉS[1].


Donné à la Mecque. — 44 versets.


Au nom du Dieu clément et miséricordieux


  1. Un tel demande[2] un châtiment sans délai
  2. Pour les infidèles. Nul n’est capable d’empêcher
  3. Dieu de l’accomplir, Dieu, maître des DEGRÉS,
  4. Degrés par lesquels les anges et l’esprit montent vers lui dans l’espace d’un jour, dont l’espace est de cinquante mille ans[3].
  5. Attends donc avec une belle patience
  6. Eux (les infidèles) regardent le jour du jugement comme éloigné.
  7. Et nous, nous le voyons proche.
  8. Le jour où le ciel sera comme l’airain fondu,
  9. Où les montagnes seront comme des flocons de laine teinte en rouge,
  10. Et où l’ami ne questionnera pas son ami,
  11. Bien qu’on les fasse voir les uns aux autres ; alors le coupable désirera se racheter du châtiment au prix de ses enfants,
  12. De sa compagne et de son frère,
  13. Au prix des parents qui lui témoignaient de l’affection,
  14. Au prix de tous ceux qui sont sur la terre. Il désirera être sauvé.
  15. Point du tout, — car le feu de l’enfer,
  16. Saisissant par les crânes,
  17. Revendiquera tout homme qui tournait le dos et s’en allait,
  18. Qui thésaurisait et se montrait avare.
  19. L’homme a été créé avide,
  20. Abattu quand le malheur l’atteint,
  21. Insolent lorsque quelque bien lui arrive.
  22. Il n’en sera pas ainsi des hommes pieux,
  23. Qui ne cessent jamais d’accomplir leurs prières ;
  24. Dans les biens desquels il y a majeurs une part t
  25. Pour celui qui demande et pour le pauvre honteux[4].
  26. Ceux qui regardent le jour de la rétribution comme une vérité,
  27. Que la pensée du châtiment de Dieu saisit d’effroi
  28. (Car nul n’est a l’abri du châtiment de Dieu) ;
  29. Ceux qui vivent avec continence,
  30. Et n’ont de commerce qu’avec leurs femmes et les esclaves qu’ils ont acquises, car alors ils n’encourent aucun blâme ;
  31. Et quiconque porte ses désirs au delà est transgresseur.
  32. Ceux qui gardent fidèlement les dépôts qui leur sont confiés et remplissent leurs engagements,
  33. Qui sont inébranlables dans leurs témoignages,
  34. Qui observent exactement les heures de la prière,
  35. Ceux-là seront dans les jardins du paradis l’objet des honneurs.
  36. Qu’ont-ils donc ces infidèles qui courent haletants devant toi,
  37. Partagés en troupes, à droite et à gauche ?
  38. Ne serait-ce pas parce que chacun d’eux voudrait entrer dans le jardin de délices ?
  39. Nullement. — Nous les avons créés, ils savent de quoi[5].
  40. Je ne jure point par le souverain de l’Orient et de l’Occident que nous pouvons les
  41. Remplacer par un peuple qui vaudra mieux qu’eux ; et ce n’est pas nous qui laisserons prendre le pas sur nous dans l’accomplissement de nos arrêts.
  42. Laisse-les agir et se divertir jusqu’à ce qu’ils se trouvent en face de leur jour, de ce jour qui leur a été promis.
  43. Ce jour où ils s’élanceront de leurs tombeaux en toute hâte comme s’ils se ralliaient sous les étendards,
  44. Les yeux baissés, couverts d’ignominie. — Tel est le jour qu’on leur promet.

  1. Le titre de cette sourate est pris du verset 3.
  2. Mot à mot : un demandant demande ; c’est un idiotisme arabe employé toutes les fois qu’on ne nomme pas la personne.
  3. Ce passage, traduit littéralement comme nous l’avons fait, veut dire simplement que les anges ont besoin d’un jour long de cinquante mille ans pour monter au trône de Dieu. On a vu, chap. XXXII, 4, que tout remontait vers Dieu dans l’espace d’un jour long de mille ans. Pour concilier ces deux passages, le savant traducteur anglais Sale pense que dans le chapitre XXXII il s’agit de l’ascension depuis la terre, tandis que, dans celui-ci, il peut être question de l’ascension à partir de la dernière échelle de la création. Cette explication est arbitraire ; dans tout le Koran il n’y a rien qui l’autorise, et l’on doit s’étonner que le traducteur anglais veuille y trouver autre chose qu’une expression hyperbolique. Mahomet n’était pas plus embarrassé pour donner aux journées de Dieu la durée de cinquante mille ans que celle de mille ans, et ce n’est pas sur des contradictions de ce genre que devrait s’exercer la critique du Koran. Les commentateurs, d’un autre côté, pensent que, dans le verset qui nous occupe, le jour de cinquante-mille ans est le jour du jugement dernier : nouvelle contradiction avec ce qu’ils disent sur la promptitude que Dieu mettra à juger le genre humain, savoir que la moitié d’une journée suffira à Dieu pour prononcer sur le sort des hommes. Dans ce cas-là les cinquante mille ans, selon les uns, sont les jours d’attente ; selon d’autres, c’est le jugement des nations infidèles qui absorbera tout ce temps ; il y en a cinquante, et chaque nation sera jugée pendant mille ans : les fidèles seront toujours expédiés dans une demi-journée. On peut juger, par cet exemple, choisi entre cent autres, de quelle valeur sont les commentaires, et il est incontestable que, pour tout ce qui ne regarde pas les pratiques religieuses, les coutumes des Arabes anciens et quelques points de l’histoire de Mahomet, les commentateurs n’ont fait souvent qu’embrouiller le sens du Koran et le charger d’une foule d’absurdités. Selon nous, il ne s’agit point, dans notre passage, du jour du jugement, mais bien de toute journée de Dieu. On n’a qu’à comparer ce verset avec le verset 44 du chap. XXXII, et voici ce qu’on y lit : « Dieu dirige toutes les affaires du ciel (du haut des cieux) à la terre (c’est-à-dire sans descendre sur la terre), et tout monte à lui dans le jour dont la durée est de mille ans de votre comput. » On voit que ces deux passages se tiennent, tant les expressions des deux sont analogues, tant ils s’expliquent mutuellement. Au chapitre XXXII, le sujet n’est pas nommé, il l’est au chapitre LXX. Ce sont les anges et l’esprit qui montent vers Dieu, et ce n’est pas au jour du jugement, car au chapitre XXXII il est dit : « Dieu dirige les affaires (de l’univers) du haut des cieux ; il les dirige par ses ministres, les anges, et c’est ce que dit plus explicitement le verset 4 du chapitre LXX. » Toute la différence entre ces deux passages git donc dans les mots cinquante mille ans ; mais cette expression, comme nous l’avons dit tout à l’heure, est simplement hyperbolique et ne saurait conduire à aucune autre induction. On peut comparer le verset qui est l’objet de cette note avec le verset 4, chapitre XCVII, où il est dit que les anges et l’Esprit (Gabriel) descendent avec les ordres de Dieu dans la nuit Alkadr.
  4. Celui qui n’hésite pas à demander est un mendiant ; mais autre chose est un mahroun, qui veut dire proprement frustré dans son espoir, et qui a ici, d’après les commentaires, le sens de pauvre honteux.
  5. Ils ont été créés avec des défauts et des pêchés qui les excluent du paradis.