Aller au contenu

Le Livre des ballades/Appendice

La bibliothèque libre.


APPENDICE



LES RÈGLES DE LA BALLADE

I

Or ſera dit & eſcript cy-apres la façon des Balades ; & premièrement eſt aſſavoir qu’il eſt Balade de huit vers dont la rubriche eſt pareille en ryme au ver anteſequent, & toutefois que le derrain mot du premier ver de la Ballade eſt de trois ſillabes, il doit eſtre de onze piez, ſi comme il ſera veu par exemple cy-après, & ſe le derrenier mot du ſecond ver n’a que une ou deux ſillabes, ledit ver ſera de dix piez ; & ſe il y a aucun ver coppé qui ſoit de cinq piez, cellui qui vient après doit eſtre de dix.

Exemple ſur ce qui dit eſt :


Balade de huit vers couppez.


Je hez mes jours & ma vie dolente,
Et je maudis l’eure que je fu nez ;
Et à la mort humblement me preſente

Pour les tourmens dont je ſuy fortunes ;
      Je hez ma conception,
Et ſi mardi ma conſtellacion,
Où fortune me fiſt naiſtre premier,
Quand je me voy de touz maulx priſonnier.


Et eſt ceſte Balade léonine par ce qu’en chaſcun ver elle emporte ſillabe entiere, auſſi comme dolente & preſente ; conception & conſtellacion.


autre balade.


De tous les biens temporels de ce monde
Ne ſe doit nulz roys ne ſires clamer,
Puiſque telz ſont que fortune ſur onde,
Qui par ſon droit les puet ſouldre & embler ;
Le plus puiſſant puet l’autre déferler,
Si qu’il n’eſt roy, duc, n’empereur de Romme,
Qui en terre puiſt vray tiltre occuper
Ne dire ſien, fors que le ſens de l’omme.


Cette Balade eſt moitié léonine & moitié ſonant, ſi comme il appert par monde, par onde, par omme, par Romme, qui ſont plaines ſillabes & entières. Et les autres ſonans tant ſeulement, où il n’a point entière ſillabe, ſi comme : clamer & oſier, où il n’a que demie ſillabe, ou ſi comme ſeroit préſentement & innocent. Et ainſi ès cas ſemblables puet eſtre congneu qui eſt léonine ou ſonnant.

Exemple de Balade de neuf vers toute leonyne :


Vous qui avez pour paſſer voſtre vie,
Qui chaſcun jour ne fait que deſenir,
Vous vivez frans, ſans viande ravie.
Se du voſtre vous povez maintenir,
Or vous vueilliez du serf lieu tenir,
      Où pluſeurs par convoitiſe
Ont perdu corps, eſperit & franchiſe ;
C’eſt de ſervir autrui, dont je me laſſe.
Vieilleſſe vient, guerdon fault, temps ſe paſſe.


Exemple de Balade de dix vers, de dix & onze ſillabes :

Et ſe doit-on toujours garder, en faiſant Balade qui puet, que les vers ne ſoient pas de meſmes piez, mais doivent eſtre de neuf ou de dix, de ſept ou de huit ou de neuf, ſelon ce qu’il plaiſt au faiſeur ſanz les faire tous égaulx, car la Balade n’en eſt pas ſi plaiſante ne de ſi bonne façon.


autre balade.


Pour quoy fina par venin Alixandre,
Qui ſi puiſſans fu & ſi fortunez
Que le monde ſoubmiſt en aage tendre,
Et commença quinze ans puis qu’il fu nez
A conquérir : comment fu deſtinez
Cilz qui conquiſt Ynde, ce fut Pompée,
Apres Theſſale ot la teſte couppée ;
Et Égipte le fiſt ly roys fenir


Tholomée par traïſon dampnée :
Toudis avient ce qu’il doit avenir.


autre balade.


Depuis que le diluge fu
Et que les cinq citez fondirent
Par leur pechié, par ardent fu,
Que Loth & ſa femme en yſſirent ;
Ne puis que les prophetes dirent
Les maulx dont ly mons ſervit plains,
Près de la fin li noms Dieu vains,
Et ſa loy eſcandaliſée,
Ne fut li termes ſi prochains
D’eſtre monarchie muée.


Balade équivoque, rétrograde à léonine.

Et ſont les plus fors Balades qui ſe puiſſent faire car il convient que la dernière ſillabe de chaſcun ver ſoit reprinſe au commencement du vers enſuivent, en autre ſignification & en autre ſens que la fin du vers précèdent ; & pour ce ſont telz mos appellez équivoques & rétrogrades ; car en une meiſme ſemblance de parler & d’eſcripture, ilz hûchent & baillent ſignification & entendement contraire des mos derreniers mis en la rime, ſi comme il apparra en ceſte couple de Balade miſe cy apres.


autre balade.


Laſſe ! laſſe ! malencontreuſe & dolente,
Lente me voy, fors de ſouſpirs & plains.

Plains ſont mes jours, d’ennuy & de tourmente.
Mente qui veult car mes cuers eſt certains ;
Tains juſqu’à mort, & pour celli que j’ains,
Ains mais ne fut dame ſi fort atainte,
Tainte me voy, quand il m’ayme le mains.
Mains, entendez ma piteuſe complainte.


Et convient que toutes les couples ſe finiſſent par le maniere deſſurdicte tout en equivocacion rétrograder ou autrement elle ne ſeroit pas dicte ne réputé pour équivoque ne rétrograde, ſuppoſé ore que le derrenier du ver ſe peuſt reprandre à aucun entendement du ver enſuivant, ſe il ne reprenoit toute autre choſe que le precedent.

Autre Balade de neuf & de huit piez, & de huit vers de ryme pareilles ce ſemble par la maniere de l’eſcripre, qui eſt une meſme eſcripture, & par lettres ſemblables.

Et ne ſe pourrolt cognoiſtre que par la manière de prononcer en langue françoiſe, car les mos ſonnent par la prononciation l’un mot une choſe & l’autre une autre ; & ainſi ſemble que nous avons deffault de lettres, ſelon meſmes les Hebrieux ; & apparra ci-après par la lecture. Item en la dicte Balade à envoy. Et ne les ſoulait on point faire anciennement fors ès chançons royaulx qui eſtoient de cinq couples, chaſcune couple de dix, onze ou douze vers, & de tant ſe pueleut bien faire & non pas de plus par droite réglé. Et doivent les envois d’icelles chançons, qui ſe commentcent par princes, eſtre de cinq vers entez par ceux aux rimes de la chançon ſanz rebrique ; c’eſt aſſavoir deux vers premiers, & puis un pareil de la rebriche ; & les deux autres ſuyvans les premiers, d’eux concluans en ſubſtance l’effect de ladict chançon & ſervans à la rebriche. Et l’envoy d’une Balade de trois vers ne doit eſtre que de trois vers auſſi, contenant ſa matière & ſervant à la rebriche, comme il ſera dit cy-après.


Autre balade.


Chaſcuns ſe plaint, chaſcuns ordonne
Sur ce que Dieux a ordonné ;
Ly uns dit, quand il pluet ou tonne :
Que n’a Dieux le beau temps donné !
Las ! c’eſt trop pleu & trop tonné,
S’il fait chaut on ſouhaide froit :
Pourquoy eſt-on ſi mal ſené ?
Encor eſt Dieux où il fouloit.


l’envoy.


Princes, chaſcuns veult mettre bonne
Aux euvres Dieu qui tout voit ;
C’eſt péchiez : ſa juſtice eſt bonne :
Encor eſt Dieux où il fouloit.


D’autres Balades de sept vers.


Item encores puet l’en faire Balades de ſept vers, dont les deux vers ſont touſjours de la rebriche, ſi comme il puet apparoir cy après ;

Balade


Parfondement me doy plaindre & pleurer
Et regreter des neuf preux la vaillance.
Car je voy bien que je ne puis durer ;
Confort me fuit, honte vers moy s’avance ;
Convoitiſe met en arreſt ſa lance,
Qui me deſtruit mon plus noble païs.
Preux Charlemaine, ſe tu fuſtes en France
Encor y fuſt Roland, ce m’eſt advis.

Alixandre, qui ot à juſticier
Tout le monde par ſa bonne ordonnance,
Quant il ſçavoit un poure chevalier.
Armes, chevaulx li donnoit & finance ;
Pour ſa bonté li faiſoit révérence.
De ce faire ſont les plus haulx remis.
Preux Charlemaine, ſe te fuſſes en France
Encor y fuſt Roland, ce m’eſt advis.

Car chaſcun jour me fault amenuiſer
Par le défault de vraye congnoiſſance,
Et par déduit qui fient en ſon dangier
Cil qui doit en moy mettre deffenſe.
Par le jeune conſeil qu’il a d’enfance,
Dont Roboam fut convaincu jadis.
Preux Charlemaine, ſe tu fuſtes en France
Encor y fuſt Roland, ce m’eſtl advis.

Autre Balade



S’Ector li preux, Ceſar Alixandre,
Deyphile, Tautha, Semiramis,
David, Judas Machabée, qui tendre
A ſubjugner vouldrent leurs ennemis,
      Joſué, Panthaſillée,
Ypolite, Thamaris l’onourée,
Artus, Charles, Godefroy de Buillon,
Marſopye, Ménalope, dit l’on,
Et Synode qui eurent corps crueux,
Revenoient tout en leur region,
Du temps qui eſt ſeraient merveilleux.


l’envoy.


Princes, ſe ceuls qui orent ſi grand nom
N’euſſent tendu d ce qui eſtoit bon,
Leur renom fuſt en ce monde doubteux ;
Or ont bien fait, & pour ce les loe on ;
Mais ſe tout vir povoient par raiſon,
Du temps qui eſt ſeroient merveilleux.

(L’Art de dictier & de fere Chançons, Balades, Virelais & Rondeaulx, dans les Poéſies morales & hiſtoriques d’Euſtache Deſchamps, publiées pour la première fois par G.-A. Crapelet, imprimeur. Paris, m dccc xxxii.)


II

La Balade eſt Poëme plus graue que nul des précédens (Sonnet & Rondeau), pour ce que de ſon origine s’adreſſoit aux Princeſſes, & ne traitoit que matières graues & dignes de l’aureille d’vn roy. Auec le temps empireur de toutes choſes, les Poëtes Françoys l’ont adaptée à matières plus légères & facecieuſes, en ſorte qu’auiourd’huy la matiere de la Balade eſt toute telle qu’il plaiſt a celuy qui en eſt autheur. Si eſt elle neantmoins moins propre à facecies & legeretez.

Sa forme eſt telle qu’elle contient trois coupletz entiers, & vn epilogue communement appellé Enuoy. Les trois coupletz doyuent auoir tous autant de vers les vns comme les autres, & vniſones en ryme : car s’ilz ſont de different ſon, ia la bonne part de la grace que doit auoir la Balade, eſt eſgarée. Le nombre des vers en chaſque couplet eſt huittain ou dizain, par foys ſeptain ou vnzain… L’enuoy ou epilogue meſure le nombre de ſes vers à la forme du couplet ; car ſi le couplet eſt huictain, l’Enuoy ſera quatrain. Si le couplet ha dis vers, l’epilogue en aura cinq plus communement : aulcuns foys fept. S’il eſt vnzain, l’Enuoy ſera icy de cinq, là de ſix, ailleurs de ſept vers. Et ſi le couplet a douze vers, comme tu en trouueras, en aucunes Balades de Marot, l’Enuoy en doit auoir ſept pour légitime propoſition. Voyla quant au nombre des vers : mais quant à la ryme, tu entens aſſez ſans mon auertiſſement, qu’à raiſon de l’analogie, les vers de l’Enuoy, en quelque nombre qu’ils ſoyent, doyuent reſembler en fon, autant des derniers du couplet, qu’ilz ſont en leur nombre : comme ſi l’epilogue a cinq vers, ces cinq doyuent eſtre vniſones aux cinq derniers de chaſque couplet precedent, & ainſi en plus grand nombre. Mais ſur tout fault que tu auiſes au dernier vers du premier couplet, qu’on appelle Refrain, pource qu’il ſe repete entier en la fin de chaſque couplet, & de l’Enuoy de meſme. Repete di-ie, non comme au Rondeau ſimple ou double, auquel la répétition du vers ou hemiſtiche eſt abondante, c’eſt à dire qu’elle ne diminue point le nombre des vers autrement requis au couplet, ains eſt ſupernumeraire. Mais en la Balade le refrain repeté eſt conté pour vn des vers conſtituans le couplet, comme tu peuz voir en ceſte Balade de Marot :


Quand Neptune puiſſant Dieu de la mer
Ceſſa d’armer Carraques & Galées,
Les Gallicans bien le deurent aymer,
Et reclamer ſes grans vndes ſalées :
Car il voulut en ces baſſes vallées
Rendre la mer de la Gaule hautaine
Calme & paiſible ainſi qu’vne fontaine.
Et pour oſter Matelots de ſouffrance,
Faire nager en ceſte eau clere & ſaine
Le beau Dauphin, tant deſiré en France.

Nymphes der bois pour ſon nom ſublimer
Et eſtimer, ſur la mer ſon allées :
Si ſurent lors, comme on peut preſumer
Sans eſeumer les vagues rauallées :
Car les forts vents heurent gorges halées,
Et ne ſouffloyent ſinon à douce halene,
Dont Mariniers voguoient en la mer pleine,
Sans craindre en rien des orages l’outrance :

Bien preuoyans la paix que leur amene
Le beau Dauphin, tant deſiré en France.

Monſtres marins veit on lors aſſommer
Et conſommer tempeſtes deuallées :
Si que les nefs ſans crainte d’abymer
Nageoient en mer à voiles auallées.
Les grans poiſſons faiſoient ſaulz & halées,
Et les petits d’vne voix fort ſereine
Doucettement auecque la Sereine
Chantaient au iour de ſa noble naiſſance,
Bien ſoit venu en la mer ſouueraine
Le beau Dauphin tant deſiré en France.

Prince marin, fuyant œuure vilaine
Ie te ſupply, garde que la Baleine,
Au Celerin plus ne face nuiſance,
Afin qu’on aime en ceſte mer mondaine
Le beau Dauphin, tant deſiré en France.


Tu trouueras d’autres Balades à double refrain, l’vn repeté au mylieu du couplet, & l’autre à la fin : comme en la Balade de Marot à Frere Lubin : & ceſte manière de refrain double, eſt autant rare que plaiſante. La Balade au demourant ſe fait de vers de huit & dix ſyllabes mieux & plus communément. Mais tiens touſiours en memoire ceſte regle generalle, que le vers de huit ſyllabes eſt lié ſeulement pour les choſes legeres & plaiſantes. Note conſéquemment quant au fait de la Balade, que ſa première vertu & perfection eſt, quand le refrain n’eſt point tiré par les cheueux pour rentrer en fin de couplet : mais y eſt repete de meſme grace & connexion que je t’ay dit au chapitre precedent eſtre requiſe à la repriſe du Rondeau.

L’Enuoy commence quaſi toujours par ce mot. Prince, ſi la Balade dreſſe à homme ; & par, Princeſſe, ſi à femme, d’où tu peuz congnoiſtre la maieſté & pris d’elle. Cela toutesfois n’eſt tant neceſſaire que tu ne trouues en beaucoup d’Euuoys ces mots laiſſez pour autres mieulx à propos qui ayent pareille ou meilleure harmonie.

Toute telle difference y a-t-il entre le Chant Royal & la Balade, comme entre le Rondeau & le Triolet. Car le Chant Royal n’eſt autre choſe qu’vne Balade ſurmontant la Balade commune en nombre de couplez, & en grauité de matiere. Auſſi s’appelle-il Chant Royal de nom plus graue : ou a cauſe de ſa grandeur & maiefté, qu’il n’appartient eſtre chantée que devant les Roys : ou pour-ce que veritablement la fin du Chant Royal n’eſt autre que de chanter les louanges, prééminences & dignitez, des Roys, tant immortelz que mortelz : comme il eſt à preſumer que la Balade ayt eſté ainſi nommée à cauſe du bal, auquel le peut croire que par ſon chant ſe ſouloir accommoder au temps de ſon origine. Mais afin que tu ne me dies curieux d’étymologies (qui touchent toutesfoys de bien près la force & ſubſtance de la choſe, ie me contenteray de ce peu, que ie t’en ay dit, pour t’auiſer au reſte que le plus ſouuent la matiere du Chant Royal eſt vne allegorie obſcure enueloppant ſoubz ſon voyle la louange de Dieu ou Déeſſe, Roy ou Royne, Seigneur ou Dame ; laquelle autant ingenieuſement deduitte que trouvée, ſe doit continuer iuſques à la fin le plus pertinemment que faire ſe peut : & conclure en fin ce que tu pretens toucher en ton allégorie auec propos & raiſon. Sa ſtructure eſt de cinq couplets vnifones en ryme, & eſgaulx en nombre de vers, ne plus ne moins qu’en la Ballade : & d’vn Enuoy de moins de vers ſuyuant la proportion mentionnée au chapitre précèdent. Mais il a plus de certitude, car peu de Chans Royaux trouueras tu autres que de onze vers au couplet, & conſecutiuement de ſept à l’Enuoy, ou de cinq, ſelon que l’interpretation de l’allegorie requiert. Car couſtumierement l’Enuoy du Chant Royal porte la déclaration de l’allegorie qui y a eſté deduicte, & par là cognoit ou ſi pertinemment & proprement la ſimilitude de l’allegorie eſtre accomodée à ce que declare l’Enuoy. Lequel ainſi comme en la Balade commence par ce mot, Prince : & repete auec congrue & pertinente coucluſion le refrain qui aura par deuant finy chaſcun des cinq couplets de meſme propriété & coherence que i’ay dit en la Balade…

Retien que tu ne liras point de Chant Royal fait d’autres vers que de dix ſyllabes. Note d’auantage, que l’elegance & pertinente deduction de l’allegorie eſt la première vertu du Chant Royal : la ſeconde, la coherence du refrain à chaque couplet.

Or liras tu en Marat entre ſes œuvres des tiltres d’autres chantz : chantz paftauraux, chantz nuptiaux, chantz de joye, chantz de follie, & femblables intitulés ainſi plus à l’auenture à l’arbitre de l’imprimeur, que ſuyuant la phantaſie de l’autheur. Quoy que ſoit, retien ce pendant que le Chant Royal eſt le premier & ſouuerain entre touz les chantz : & que les autres ne ſe font qu’à l’ombre & imitation de luy. Ainſi en trouveras tu les vns en forme de Ballade : les autres en façon d’epigramme, & d’autres en formes de dizains ou huytains ſeparez, ſans nombre aſſeuré, ne ryme certaine. Qui en refrain double, qui auec refrain ſimple : qui ſans l’un ne l’autre. Pourtant voulant faire chant autre que Royal, fay-le de la forme que tu penſeras la plus commode & propre à la matière dont tu l’entreprendras baſtir : & tu n’y feras faulte digne de reprehenſion, mais que tu te propoſes l’analogie par tout recommandée par moy icy dedans, & ce decore tant inculque par Horace au diſcours de ſon Art poétique.

(Art poëtique François, pour J’i«yirM£ion des ieunes ſtudieux, & encor pour auancez en la Poëſie Françoiſe… A Paris. Par la veuſue Françoys Regnault, 1555.)

Cet Art poëtique eſt de Thomas Sibilet.


III

La Ballade peut être écrite en vers de dix ſyllabes (avec céſure après la quatrième ſyllabe) ou en vers de huit ſyllabes.

Elle peut commencer par un vers maſculin ou par un vers féminin…

La Ballade en vers de dix ſyllabes n’eſt autre choſe qu’un poème formé de trois Dizains écrits ſur des rimes pareilles. Après les trois Dizains vient, — non une quatrième ſtrophe, mais une demi-ſtrophe de cinq vers, appelée Envoi, & qui eſt comme la ſeconde moitié d’un quatrième Dizain qui ſerait écrit ſur des rimes pareilles à celles des trois premiers Dizains.

La Ballade en vers de huit ſyllabes n’eſt autre choſe qu’un poëme formé de trois Huitains écrits ſur des rimes pareilles. Après les trois Huitains vient, — non une quatrième ſtrophe, mais une demi-ſtrophe de quatre vers, appelée Envoi, & qui eſt comme la ſeconde moitié d’un quatrième Huitain, qui ſerait écrit ſur des rimes pareilles à celles des trois premiers Huitains.

L’Envoi, claſſiquement, doit commencer par le mot : Prince, & il peut auſſi commencer par les mots : Princeſſe, Roi, Reine, Sire ; car, au commencement, les Ballades, comme tout le reſte, ont été faites pour les rois & les ſeigneurs. Il va ſans dire que cette règle, même chez Gringoire, Villon, Charles d’Orléans & Marot, ſubit de nombreuſes exceptions, car on n’a pas toujours ſous la main un prince à qui dédier ſa Ballade. Mais enfin telle eſt la tradition. Dans l’Envoi qui termine les Ballades, ces mots : Prince, Princeſſe, Roi, Reine, Sire, ſont ſouvent auſſi employés ſymboliquement, pour exprimer une royauté tout idéale ou ſpirituelle. C’eſt ainſi qu’on dira : Prince des cœurs ou Reine de Beauté, en s’adreſſant au Dieu Amour ou à quelque dame illuſtre.

La Double Ballade n’eſt autre choſe qu’une Ballade qui renferme ſix Dizains ſur des rimes pareilles ou ſix Huitains ſur des rimes pareilles au lieu de trois Dizains ou de trois Huitains ſeulement dont ſe compoſe la Ballade ordinaire, — à qui, communément, ne ſe termine pas par un Envoi.

De tous les poëmes français, la Ballade, ſimple ou double, eſt celui peut-être qui offre les plus redoutables difficultés, à cauſe du grand nombre de rimes pareilles, concourant à exprimer les aſpects divers d’une pensée ou d’un ſentiment uniques qu’il faut imaginer à voir à la fois. Mais c’eſt ici l’occaſion de révéler un ſecret de Polichinelle. Pour la compoſition de la Ballade, il y a un moyen mécanique d’un emploi ſûr, avec lequel on peut impunément ſe paſſer de tout génie & qui ſupprime toutes les difficultés, il conſiſte ſimplement à compoſer en une fois (ſans s’inquiéter du reſte) la ſeconde moitié des trois Dizains & l’Envoi, & une autre fois la première moitié des trois Dizains, — puis à raccorder le tout. Seulement, en employant ce moyen, on eſt ſûr de faire une mauvaiſe — irrémédiablement mauvaiſe Ballade !

J’ai à peine beſoin de dire en terminant que les poëmes intitulés Ballades par Victor Hugo dans ſes Odes & Ballades, par analogie avec des poëmes appelés Ballades dans des pays autres que la France, ne peuvent raiſonnablement s’appeler en France des Ballades. Car dans une même langue, le même mot ne peut ſervir à déſigner deux genres de poëmes abſolument differents l’un de l’autre ; & pour le mot Ballade en France, depuis longtemps la place était priſe.

(Petit traité Poéſie françaiſe, par Théodore de

Banville, Bibliothèque de la Sorbonne.)