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Le Livre des mères et des enfants/I/L’enfant gâté

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L’ENFANT GÂTÉ.

Que je vous dise ce que l’on m’a raconté d’un petit garçon !

Un jour qu’il s’était endormi profondément sur un monceau de fleurs, destinées à faire des guirlandes pour la Fête-Dieu, il se réveilla comme suffoqué, les membres engourdis, la tête lourde, si faible, si pale, que sa mère crut qu’il allait mourir. Les fleurs, en trop grande abondance, voyez-vous, sont aussi dangereuses qu’elles sont attrayantes : il ne le savait pas, lui si nouveau dans ce monde.

Ainsi donc sa mère, triste et active en même temps le veilla nuit et jour, ouvrant fréquemment les fenêtres, afin que son lit qui n’était pas plus grand qu’un berceau, fût constamment purifié par l’air.

Mais les parfums avaient comme paralysé l’enfant. Sa mère en était si pleine d’affliction qu’elle ne mangea plus, ne dormit plus, et laissa coucher son doux malade sur ses genoux, jusqu’à ce qu’elle devint malade elle-même ; car, nulle peine ne lui paraissait trop grande pour sauver la vie de sa jeune créature.

Il plût a Dieu de rouvrir les yeux fermés de l’enfant. Un soir il sourit à sa mère, et ils furent guéris tous deux !

Alors elle pensa qu’il allait être reconnaissant, qu’il l’aimerait davantage ; car elle l’aimait davantage aussi pour tous les tendres soins que lui avait coûté ce cher amour malade.

Mais voici ce qui me coûte à vous avouer.

Il ne fat pas si bon qu’il devait l’être.

Si sa maman n’était pas à la maison, il ne voulait pas se laisser mettre au lit par sa bonne. Il criait, se tordait comme un petit serpent, jusqu’à ce qu’elle revînt. On dit même qu’un soir il tira la langue avec une grimace qui fit pleurer la Vierge, la Vierge si tendre aux enfants soumis ! Ce train recommençait quand on l’habillait le matin. Il accrochait ses mains aux barres de son berceau, et criait : « Je veux maman ! je veux maman ! »

La servante était mortifiée dans son zèle et le déjeuné fort retardé ; tout allait mal. Quand sa patiente mère lui montrait à lire, dans un livre acheté tout exprès pour lui, il retenait à peine une lettre, il roulait le coin des pages. Il était de plus, puisqu’il faut tout vous dire, devenu si friand, qu’il ne tendait les bras qu’aux gâteaux, dont il emplissait sa bouche à perdre la respiration. Un tel état de choses ne pouvait durer. Sa maman se mit à réfléchir en elle-même, et dit :

« Quelle triste chose ! j’ai bercé et nourri cet enfant, je l’ai veillé sur mes genoux jusqu’à ce qu’il fût sauvé ; je dois maintenant le guérir d’une autre maladie : la malice. Mon Dieu ! inspirez-moi ! car je trouve qu’il est devenu très-méchant, et je ne puis avoir ni paix ni calme avec lui. »

Dieu lui inspira de parler ainsi au petit gâté. J’ai à vous apprendre, enfant que je voudrais aimer comme autrefois, qu’il faut nous quitter pour un peu de temps. Venez donc que je vous embrasse, car nous ne nous reverrons que quand vous serez corrigé de vos mauvaises habitudes ; vous avez troublé la paix de ma maison !

L’enfant s’arrêta devant sa mère sérieuse et grave ; il la regarda long-temps et sa poitrine se souleva ; car tout jeune qu’il était, il pensait que jamais et nulle part il ne trouverait une si douce amie que sa mère, et qu’il allait être malheureux. On doit avouer qu’il l’aimait beaucoup ; plus que les gâteaux et plus que tout.

Il laissa donc éclater un sanglot, où sa mère entendit qu’il disait :

« Je serai bon ! je serai bon ! »

Cette promesse suffit pour attendrir la mère, qui le prit dans ses bras et lui dit : « je vous crois ! ne pleurez plus. » Cette promesse fut, en effet, remplie comme si elle eut été faite par devant notaire, encore mieux peut-être ;

Car vingt notaires ne sont pas plus imposants que la crainte de désobéir à une mère qui croit en vous, et de mentir à sa conscience, tribunal des petits comme des grands enfants de Dieu.