Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 1/Chap9

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (1p. 59-64).


CHAPITRE IX


COMBAT GÉNÉRAL


Argument : Le combat général est terrible. L’armée Kourouide est mise en désordre. Exploits de Bhîmasena, d’Arjouna, de Dhrishtadyoumna, de Çikhandin. Fuite de l’armée Kourouide.


413. Sañjaya dit : Alors, ô Indra des rois, commença entre les Kourouides et les Sriñjayas, un combat terrible, effrayant, semblable à celui des dieux contre les Asouras.

414. Les hommes, les chars, les chevaux, les troupes d’éléphants se rencontrèrent en montrant leur héroïsme.

415. On entendait le grand et terrible bruit des éléphants courant, semblable (au bruit que font) dans le ciel les nuages produisant les pluies (d’orage).

416. Quelques chefs de chars, avec leurs chars, tombaient frappés par les éléphants. Poursuivis par ces animaux irrités, les héros couraient çà et là dans la bataille.

417. Les habiles guerriers, combattant sur leurs chars, envoyaient dans l’autre monde, avec leurs flèches, des multitudes de chevaux, et les gardiens à pied des éléphants, ô Bharatide.

418. D’adroits cavaliers, rôdant dans la bataille, entouraient les grands guerriers et les frappaient avec des javelots, des lances et des épées.

419. Quelques archers, ayant environné de grands guerriers, et se mettant plusieurs pour en attaquer un seul, l’expédièrent au séjour d’Yama.

420. Et d’autres guerriers d’élite, montés sur leurs chars, entourant à une certaine distance un éléphant, tuèrent le grand guerrier qui courait (monté sur cet animal).

421. De même, des éléphants entouraient et tuaient sur son char un guerrier irrité qui lançait de nombreuses flèches, ô grand roi.

422. L’éléphant se précipitant contre l’éléphant, le guerrier sur son char, contre le guerrier sur son char, on se tuait là avec des lances, des javelots et des nârâcas, ô Bharatide.

423. Les chars, les éléphants et les chevaux, écrasant les fantassins, produisaient une grande confusion au milieu de la bataille,

424. Et les chevaux parés de queues de bœuf grognant, couraient çà et là sur le sol, pareils à des cygnes se désaltérant sur le plateau de l’Himalaya.

425. Ô maître des hommes, la terre, labourée par les sabots de ces animaux, semblait une femme couverte des égratignures (que son amant lui a faites dans l’ardeur de sa passion amoureuse).

426. Le bruit des pieds des chevaux, celui des roues des chars, celui des fantassins et la voix des éléphants,

427. Le bruit des instruments de musique et celui des conques, faisaient résonner la terre (comme l’eussent fait] des tourbillons de vent, ô Bharatide.

428. Le scintillement des cuirasses, le bourdonnement des arcs, les lueurs des épées brillantes, empêchaient de rien discerner (en rendant tout confus).

429. De nombreux membres coupés, ayant l’apparence de bras de rois et de trompes d’éléphants, se roulant et se déroulant avec une grande rapidité, (se voient çà et là).

430. Ô grand roi, on entend aussi le bruit des têtes tombant sur la terre, (bruit) semblable à celui que feraient des fruits abattus par le vent.

431. La terre brille, (couverte) de têtes humides de sang, tombées, souillées et comme dorées dans la mort, ô Bharatide.

432. Ô roi, ces (têtes) couvertes de blessures, privées de vie et dont les yeux sont tournés en haut, font briller la terre comme (le feraient) des lotus.

433. Les bras enduits d’huile de santal et portant les bracelets précieux (avec lesquels ils) sont tombés, font briller la terre, comme le feraient les étendards d’Indra.

434. Le champ de bataille est couvert des cuisses des Indras des hommes coupées pendant le grand combat et par d’autres (débris) ayant l’aspect de trompes d’éléphants.

435. L’emplacement où se tient l’armée, rempli de milliers de corps sans têtes, de parasols et de queues de bœufs grognant, en resplendit comme un bois couvert de fleurs.

436. On y voyait, ô grand roi, les guerriers courant dans toutes les directions, comme des gens sans crainte, le corps enduit de sang, semblables à des kimcoukas en fleur.

437. On y voyait aussi les éléphants couverts de flèches et de javelots, tombant çà et là au milieu du combat, comme des nuages dispersés.

438. Ô grand roi, l’armée des éléphants, tuée par les magnanimes (guerriers), était dispersée dans toutes les directions, semblable à des nuages éparpillés par le vent.

439. Ô homme puissant, ces éléphants, pareils à des démons, tombaient de tous côtés sur la terre, comme les montagnes brisées par la foudre à la fin du Youga (âge du monde).

440. On voyait çà et là des amas, gros comme des montagnes, des chevaux tombés à terre avec leurs cavaliers.

441. On apercevait sur le champ de bataille une rivière qui conduit dans l’autre monde. Elle roule du sang en guise d’eau, des chars simulent ses vagues, des étendards sont les arbres (qui ornent) ses rives, des os sont ses cailloux ;

442. Des mains en sont les crocodiles, des arcs figurent son courant, des éléphants sont ses montagnes, des chevaux remplacent les pierres. Elle est rendue marécageuse par la moëlle des os et par celle des chairs ; (on y rencontre) des parasols en guise de flamants et des massues en guise de radeaux,

443. Des cuirasses et des turbans, des étendards en guise de beaux arbres. Des roues de chars l’ornent comme le feraient des troupes de cakravâkas. Elle est couverte de débris de chars et de manches de bannières.

444. Cette rivière formidable, remplissant de joie les héros et augmentant la terreur des gens apeurés, se remplit de Kourouides et de Sriñjayas.

445. Ces héros, dont les bras sont des barres de fer, traversèrent sur leurs véhicules, en guise de bateaux, cette formidable rivière qui conduit au monde des mânes.

446. Et, ô maître des hommes, dans ce combat terrible sans pitié, semblable à celui qui eut lieu jadis entre les dieux et les Asouras, (combat) dans lequel avait lieu la destruction des quatre espèces de forces de l’armée (les chars, les éléphants, les chevaux, les hommes),

447. Ô tourmenteur des ennemis, les uns appelaient leurs parents, les autres, effrayés (d’entendre) leurs parents les appeler, se mettaient en déroute.

448. Dans cet épouvantable combat sans fin, Bhîma et Arjouna mirent le trouble parmi leurs ennemis.

449. Ta grande armée, ô maître des hommes, se (voyant) détruite, perdait l’esprit, comme une belle femme sous l’influence de la passion.

450. Bhîmasena et Arjouna, ayant mis le trouble dans cette armée, soufflèrent dans leurs conques et poussèrent des cris terribles.

451. Dhrishtadyoumna et Çikhandin, ayant entendu ce grand bruit et mis Dharmarâja à leur tête, coururent sur le roi de Madra.

452. Nous vîmes là, ô maître des hommes, un prodige terrible : c’est que les héros réunis combattaient chacun de leur côté contre Çalya.

453. Les deux impétueux fils de Mâdri, exercés à l’usage des armes, frénétiques dans les combats, s’approchèrent avec rapidité de ton armée, qu’ils désiraient vaincre.

454. Ô excellent Bharatide, elle était alors chassée par les flèches des Pandouides victorieux.

455. Or, ô grand roi, sous les yeux de tes fils, cette armée, que l’on tuait, se dispersa dans toutes les directions, chassée par des pluies de flèches.

456, 457. Ô excellent Bharatide, on entendit tes guerriers pousser de grands cris de : Hâ ! Hâ. (Le cri de) arrête ! arrête ! était aussi (entendu) dans (ce combat), des magnanimes Pândouides (et) des Kshatriyas (de ton armée), désirant se vaincre les uns les autres. Tes soldats, mis en déroute par les Pândouides, fuyaient devant eux.

458. Abandonnant dans la bataille, les amis, les fils, les frères, les grands-pères, les oncles maternels, les fils de leurs sœurs, les parents et les alliés.

459. Les tiens, ô excellent Bharatide, s’enfuirent de toutes parts, hâtant (la course) des chevaux et des éléphants, et faisant tous leurs efforts pour se mettre à l’abri eux mêmes.