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Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/2-LLDF-Ch15

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Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 160-166).



CHAPITRE XV


PRITHÂ VOIT SES FILS


Argument : Bhîma et Gândhârî échangent des discours. Youdhishthira implore le pardon de Gândhârî. Petite vengeance de cette dernière. Effroi des fils de Pândou. Ils s’approchent de leur mère. Douleur de celle-ci en les voyant blessés. Douleur de Draupadî. Discours tenu par Gândhârî pour les consoler.


381. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ce que Gândhârî venait de dire, Bhîmasena, un peu effrayé, lui adressa ces paroles courtoises :

382. « Que mon action soit juste ou injuste, j’ai agi sous l'empire de la terreur, et pour protéger ma vie ; tu dois me pardonner.

383. Ton fils, dont la force était très grande, n’a pu être terrassé régulièrement. Il ne pouvait être tué par personne dans un combat conforme aux règles de la loyauté.

384. (Je me suis dit) : « Il ne faut pas que (ce guerrier) héroïque, resté seul de son armée, nous ravisse la royauté dans ce combat à la massue. » J’ai alors fait (ce que tu me reproches.

385. Jadis, Youdhishthira aussi a été déloyalement vaincu, et (nous avons) toujours été humiliés par (Douryodhana). C’est pour cela que j’ai commis cette action déloyale.

386. Tu sais toutes (les injures) que ton fils a adressées à la princesse Pâñcâlienne lorsque, dans la saison critique de son mois, elle (n’était couverte que) d’un seul vêtement.

387. Sans nous être rendus maîtres de Douryodhana, nous ne pouvions pas jouir (en paix) de la terre et des mers. C’est pour cela que j’ai agi ainsi.

388. Ton fils faisait (tout) ce qui pouvait nous être désagréable. C’est ainsi qu’au milieu de l’assemblée, il découvrait publiquement la cuisse gauche de Draupadî.

389. Alors même, ton fils devait être tué par nous, et, cependant, sur l’ordre de Dharmarâja, nous nous renfermâmes dans la convention (réciproquement consentie).

390. Ô reine, cette grande hostilité a été suscitée par ton fils, qui nous a continuellement maltraités dans les bois. C’est pourquoi j’ai agi ainsi.

391. Youdishthira a eu raison de cette hostilité, en tuant Douryodhana dans la bataille. Il a conquis la royauté et notre colère s’est calmée. »

392. Gândhârî dit : « Ce genre de mort n’était pas celui qui convenait à mon fils, puisque tu le loues, quoiqu’il ait commis toutes les fautes que tu m’as dites.

393. Mais, quand Nakoula eut ses chevaux tués par Vrishasena, ô Bharatide, en buvant dans le combat le sang qui sortait du corps de Dousçâsana,

394. Tu commettais une action terrible, cruelle, blâmée par les gens de bien, (qui ne pouvait être) accomplie que par un homme vil. (Cette manière d’agir) n’était pas convenable, ô Bharatide. »

395. Bhîmasena dit : « Il ne faut pas boire le sang d’un autre, à plus forte raison le sien. Un frère est, (à cet égard), à considérer comme soi-même. Il n’y a aucune différence.

396. Mais, ô ma mère, le sang ne dépassa pas mes lèvres et mes dents. Ne te désole pas. (Karna), fils de Vivasvant (le soleil), l’a vu ; mes deux mains (seules) furent baignées de sang.

397. Quand je vis Nakoula perdre ses chevaux, tués dans la bataille par Vrishasena, je fis trembler (de peur) les frères de (Douryodhana, qui étaient) pleins de joie.

398. J’ai conservé dans mon esprit, (et je me rappelle) ce que j’exprimais (jadis) avec colère quand, à la suite du jeu de dés, (tes fils) arrachèrent les tresses de cheveux de Draupadî.

399. Ô reine, je serais, pendant une suite ininterrompue d’années, (considéré comme) ayant abandonné mes devoirs de kshatriya, si je n’avais pas accompli la promesse (que je fis alors). C’est pour cela que j’ai accompli cette action.

400, 401. ô Gândhârî, tu ne dois pas me reprocher cette faute. Toi qui n’as pas réprimé la malice de tes fils envers nous, qui ne les offensions pas, comment peux-tu m’accuser d’un crime ? »

402. Gândhârî répondit : « Tu as tué, sans avoir été vaincu, les cent fils d’un vieillard ! (Mais) pourquoi n’en as-tu pas laissé un sans le condamner,

403. Pour continuer la race du vieux couple qui avait perdu son royaume, ô mon ami ? Pourquoi, pas un seul bâton (de vieillesse) n’a-t-il été laissé à ce vieux couple (dont le chef) est aveugle ?

404. Certes, ô mon ami, je n’éprouverais pas de douleur à ce que tu restasses (seul) à jouir de la tranquillité. toi qui (pourtant) as été le meurtrier de mes fils, si tu t’étais astreint (aux obligations que t’imposait ton) devoir (de kshatriya). »

405. Vaiçampâyana dit : Après avoir ainsi parlé, tourmentée par la douleur que lui causait la mort de ses fils et de ses petits fils, Gândhârî s’enquit de Youdhishthira et demanda où était le roi.

400. L’Indra des rois, Youdhishthira, s’approcha d’elle en pleurant, en faisant l’añjâli, et lui adressa ces douces paroles :

407. « Ô reine, voici ce Youdhishthira, le meurtrier de tes fils ; devenu la cause de la ruine de la terre, je suis digne de malédiction. Maudis-moi.

408. Après avoir tué de tels amis, quel intérêt trouverait dans la vie, dans la royauté, dans la richesse, un fou tel que moi, qui ai fait le malheur de ceux qui me sont chers ? »

409. Gândhârî, poussant de grands soupirs, ne répondit rien à ce roi qui, après s’être approché d’elle, lui parlait ainsi avec crainte .

410. 411. Cette reine à la vue perçante et au fait des devoirs, aperçut, par un interstice entre les plis de son voile royal, les extrémités des orteils de ce roi qui, le corps courbé, se disposait à tomber à ses pieds. Alors, les ongles de ce roi, qui étaient beaux à voir, devinrent (subitement) laids, (brûlés par les regards de la reine).

412-415. À cette vue, Arjouna se retira derrière le Vasoudevide. Gândhârî, dont la colère était évanouie, parla doucement et maternellement aux (fils de Pândou), qui erraient sans repos de côté et d’autre, ô Bharatide. Après en avoir obtenu la permission de cette (reine), ces (guerriers) à la vaste poitrine s’approchèrent de leur mère Prithâ, qui avait engendré tant de héros. Plongée dans les soucis à cause de ses fils, en les apercevant après une longue (séparation), elle se couvrit la figure avec son vêtement et versa (d’abondantes) larmes. Puis Prithâ, après avoir pleuré avec ses fils,

416, 417. S’aperçut qu’ils avaient été blessés de beaucoup de manières, par une multitude d’armes (différentes). Les touchant les uns après les autres, et à plusieurs reprises, elle répandit de (nouvelles) larmes, (que lui arrachait) la douleur dont elle était atteinte. Puis elle considère la Pâñcâlienne Draupadî, dont les fils étaient tués, et qui pleurait, étendue à terre.

418. Draupadî prononça ces mots : « Que sont devenus ces nobles enfants, ainsi (qu’Abhimanyou) fils de Soubhadrâ ? (Pourquoi) ne s’approchent-ils pas de toi, qu’ils n’ont pas vue depuis longtemps, ô (grande) ascète ?

419. Privée de mes enfants, que ferai-je de la royauté ? » Prithâ aux grands yeux lui adressa alors des paroles de consolation.

420. Après avoir relevé la Yajnasénienne (Draupadî), en proie au chagrin, qui versait (d’abondantes) larmes, ô roi, accompagnée par elle et suivie de ses fils,

421. Elle s’approcha, plus triste qu’elle, de la triste Gândhârî. Mais Gândhârî parla en ces termes à cette glorieuse (femme) et à sa belle fille :

422. « Ô ma fille, ne sois pas ainsi. Le chagrin t’accable, mais vois comme je suis affligée moi-même. Je pense que ce combat, (où tant de gens ont succombé), est le résultat des vicissitudes du destin.

423. (Cette ruine), qui fait hérisser le poil (d’horreur), était fatale par sa nature même. Elle est accomplie, cette grande parole que Vidoura

424. Aux très (sages) pensées prononça, quand Krishna n’eut pas réussi à amener la réconciliation. Cette affaire était inévitable, et dès l’instant, surtout, où c’est un fait accompli,

425. Ne te désole pas. Ceux qui ont trouvé la mort dans le combat, ne doivent pas être pleurés. Je suis dans la même situation que toi. Qui nous consolera toutes les deux ?

426. C’est certainement par ma faute, à moi seule, que la plus grande des races est détruite. »