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Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/2-LLDF-Ch26

La bibliothèque libre.
Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 209-214).


MAHÂBHÂRATA




LIVRE DES FEMMES


SECTION III, DES CÉRÉMONIES FUNÈBRES




CHAPITRE XXVI


PRÉPARATIFS POUR L’AUTRE VIE EN FAVEUR DES KOUROUIDES


Argument : Suite de la réponse de Krishna à Gândhârî. Dhritarâshtra interroge Youdliisbthira. Réponse de ce dernier. Nouvelle question de Dhritarâshtra. Youdhishthira lui répond et donne les ordres pour les cérémonies funèbres. Ils sont exécutés. Désespoir général.


756. L’adorable Krishna dit : « Lève-toi, lève-toi, ô Gândhârî, n’abandonne pas ton esprit au chagrin. Certes, pour ta seule faute, de nombreux héros ont trouvé la mort.

757. Puisque tu considères comme vertueux Douryodhana ton fils, (qui était) méchant, envieux, extrêmement vain, malfaisant,

758. Rude, l’hostilité faite homme, qui ne se soumettait pas aux injonctions des gens âgés, pourquoi veux-tu m’imposer la responsabilité (de ce qui est arrivé) ?

759. Celui qui pleure ce qui est mort, perdu ou passé, souffre deux fois. Un mal en produit un autre (le regret).

760. La femme brahmane engendre un enfant destiné à l’ascétisme, la vache un taureau, la jument un coursier, la çoûdrâ un esclave, la vaiçyâ un gardeur de troupeaux ; la fille de roi, comme toi, (enfante) un fils destiné à être tué. »

761. Vaiçampâyana dit : En entendant cette fâcheuse réponse du Vasoudevide, Gândhârî, les yeux égarés par le chagrin, resta silencieuse.

762. Le râjarshi Dhritarâshtra, à l'âme vertueuse, ayant triomphé de Terreur, dans laquelle son peu de sagesse lavait fait tomber, interrogea Youdhisthira Dharmarâja.

763. « Ô fils de Pândou, (dit-il), toi qui connais combien de soldats formaient les armées, (quand elles étaient) vivantes, dis-moi, si tu le sais, le nombre de ceux qui ont été tués. »

764. Youdhishthira dit : « Dix mille dizaines de mille, plus vingt mille, plus cent soixante dizaines de millions (d'hommes), ont été tués dans cette guerre.

765. Ô Indra des rois, voilà pour les hommes sans importance. Pour les héros, vingt quatre mille cent soixante-cinq ont péri. »

766. Dhritarâshtra dit : « Ô Youdhishthira, le plus excellent des hommes, quels buts ont-ils atteint ? Dis-le moi, ô guerrier aux bras puissants, car j’estime que tu sais tout. »

767. Youdhishthira dit : « Ces hommes, véritablement héroïques, qui ont, avec joie, fait le sacrifice de leurs corps dans le combat suprême, ont atteint les mondes qui sont le partage du roi des dieux.

768. Ô Bharatide, ceux qui sans enthousiasme, se sont dit : « Il faut mourir, » (et qui ont été) tués en combattant, sont réunis aux gandharvas.

769. Et ceux qui, sur le champ de bataille, ont trouvé la mort par les armes, en tournant le dos ou en demandant quartier, sont allés au monde des gouhyakas (demi-dieux de la suite de Kouvera).

770, 771. Mais les magnanimes qui, ayant pour but suprême le devoir des kshatriyas, (quoique) sans armes et abandonnés (par leurs camarades), (craignant) la honte (de fuir), ont continué à faire face (à l’ennemi) dans le combat, et ont été taillés en pièces par des armes aiguës, ces héros, après leur mort, sont allés, avec un grand éclat, au séjour de Brahma.

772. Ô roi, ceux qui ont purement et simplement été tués au milieu de la bataille, ont atteint (le séjour) des Outtarâkourous (Kourous du nord). »

773. Dhritarâshtra dit : « Ô guerrier aux bras puissants, dis-moi, si tu crois que je puisse l’entendre, par le moyen de quelle science excellente, tu vois ces choses comme les verrait un siddha. »

774. Youdhisthira dit : « J’ai obtenu cette faveur en visitant les tirthas, lorsque j’errais dans les bois par ton ordre.

775. J’ai vu le devarshi Lomaça. J’ai réfléchi (à ce qu’il m’a dit). J’ai acquis la vue divine (l’intuition), en étudiant la science sacrée. »

776, 777. Dhritarâshtra dit : « Ô Bharatide, il y a (des morts) qui n’ont pas d’amis ici, parmi ce peuple, et d’autres qui en ont. Brûlera-t-on selon les rites, les corps de ceux qui n’ont personne pour accomplir (les cérémonies de leurs funérailles), et qui n’ont pas de bûchers, préparés ? Quant à nous, de quelle cérémonie nous occuperons-nous (d’abord), en présence du grand nombre (de celles que nous avons à accomplir) ?

778. Ô Youdhishthira, ceux que les souparnas (oiseaux de proie) et les vautours dévorent çà et là, obtiendront les mondes (supérieurs) par l’effet de leurs exploits. »

779. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu ces mots, le grand sage Youdhishthira fils de Kountî, donna ses ordres (en ces termes) à Dhaumya, à Soudharman et au cocher Sañjaya,

780. Au très sage Vidoura, au Kourouide Youyoutsou, et à tous les autres serviteurs qui avaient à leur tête Indrasena :

781. « Faites exécuter, en observant tous les rites, les services funèbres de ces héros, de telle sorte qu’aucun corps ne se perde, faute d’amis (pour lui rendre les derniers devoirs). »

782. Sur l’ordre de Dharmarâja, le Kshattar (Vidoura), le cocher Sañjaya, Soudharman, Dhaumya, et ceux qui avaient à leur tête Indrasena,

783, 784. Ayant rassemblé des morceaux de bois de santal et d’agourou, de kâlîyaka (santal noir), du beurre fondu, de l’huile, des parfums, de précieux vêtements de lin, des monceaux de bois, des débris de chars et diverses armes,

785. Et ayant construit des bûchers avec grand soin, y brûlèrent, avec les rites prescrits, en commençant par les maîtres des hommes.

786. Le roi Douryodhana et ses cent frères, Çalya, Cala, le roi Bhoûriçravas,

787. Le roi Jayadratha et Abhimanyou, ô Bharatide, Lakshmana, le fils de Dousçâsana, et le prince Dhrishtaketou,

788. Vrihanta, Somadatta, des centaines de Sriñjayas, le roi Kshemadhauvâna, Virâta et Droupada,

789. Cikhandin le Pâñcâlien, Dhrishtadyoumna le Prishatide, le courageux Youdyamanyou, Outtamaujas,

790. Le Koçalien, les fils de Draupadî, Çakouni fils de Soubala, Acala, Vrishaka, et le prince Bhagadatta,

791. Le Vikartanieu Karna, qui était enclin à la colère, avec ses fils, les grands archers Kekayas, et les grands guerriers Trigartes,

792. Ghatotkaca roi des rakshasas, le frère de Baka, Alambousha roi des rakshasas, et le prince Jalasamdha.

793. On les fit brûler, ainsi que des centaines et des milliers d’autres princes, ô roi, à l’aide de feux ardents, arrosés, comme oblation, de gouttes de beurre fondu.

794. Les pitrimedhas (sacrifices aux mânes) se faisaient pour quelques-uns des magnanimes (héros) ; on leur chantait des sâmans, pendant que d’autres (assistants) se lamentaient.

795. Tous les êtres tombaient dans (le plus grand) étonnement (en entendant), pendant la nuit, le bruit (de la récitation) des sâmans et des versets du rigveda, et les gémissements des femmes.

796. Ces feux allumés, et flambant sans produire de fumée, semblaient, dans l’atmosphère (obscur), des planètes entourées de légers nuages.

797, 798. Par l’ordre de Dharmarâja, Vidoura fit aussi brûler, après les avoir entassés par milliers sur des bûchers de bois arrosé d’huile, tous ceux qui, (venus) de diverses contrées et réunis en ce lieu, s’y trouvaient dépourvus d’amis.

799. Après avoir fait accomplir les cérémonies funèbres, Youdhishthira, roi des Kourouides, ayant placé Dhritarâshtra en avant, se dirigea vers la Gangâ.