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Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch15

La bibliothèque libre.
Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 282-288).



CHAPITRE XV


DISCOURS D’ARJOUNA


Argument : Le principal devoir d’un roi étant de tenir avec équité la verge du châtiment, Youdhishthira ne doit pas renoncer à la royauté, car il manquerait à ce devoir.


424. Vaiçampâyana dit : Après avoir entendu le discours de la Yajnasenienne (Draupadî fille de Yajnasena), Arjouna, ayant salué son inébranlable frère aîné, aux bras puissants, lui dit encore :

425. Arjouna dit : La verge (du châtiment) commande : seule, la verge (du châtiment) protège tous les sujets. La verge (du châtiment) veille sur ceux qui dorment. Les sages ont reconnu que la verge (du châtiment) était le devoir (personnifié).

426. La verge (du châtiment) protège le dharma (devoir) et l’artha (intérêt), ô maître suprême des hommes. La verge (du châtiment) est appelée le trivarga.

427. Le blé est protégé par la verge (du châtiment) ; la richesse est protégée par la verge (du châtiment) ; sachant qu’il en est ainsi, tiens-la à la main et rends-toi compte de la manière d’être du monde.

428. La crainte du bâton du roi empêche quelques méchants de commettre le mal ; quelques autres (sont arrétés par la crainte du bâton d’Yama, ou par (la crainte) de l’autre monde.

429. Il y a des pécheurs qui s’abstiennent du péché par crainte des autres (hommes). Le monde étant ainsi fait, tout repose sur le bâton.

480. La crainte seule du châtiment empêche certaines (gens) de s’entredévorer. Si le châtiment ne protégeait pas la société, (les hommes) se plongeraient dans les ténèbres de l’enfer.

431. Les sages ont reconnu que le bâton possédait la propriété de dompter et de châtier, parce qu’il dompte les indomptés et châtie les pervers.

432. La parole est le bâton des brahmanes ; l’énergie de leurs bras, celui des kshatriyas ; la libéralité celui des vaicyas. Les coudras n’ont pas de bâton.

433. Ô maître des hommes, on a établi dans le monde, sous le nom de verge (du châtiment), des lois destinées à prévenir l’égarement d’esprit des mortels et à protéger les intérêts.

434. Là où la verge du châtiment) agit (convenablement), (si celui qui la tient) a (l’esprit) sombre (et inflexible), les yeux rouges (de colère), s’il voit bien (lui même ce qu’il y a à faire), les sujets n’ont pas l’esprit égaré.

435. Seule, la crainte du châtiment retient fermes dans la voie (de leurs devoirs) : Le brahmacârin le maître de maison, l’ascète habitant les bois et le (brahmane) mendiant.

436. Ô roi, l’homme qui ne craint rien, n’offre pas de sacrifices ; celui qui ne craint rien, ne fais pas de libéralités. Personne, sans craindre (le châtiment), ne tiendrait ses engagements.

437. On ne saurait obtenir une grande prospérité, sans avoir détruit les parties vitales des ennemis, sans avoir accompli des actions difficiles, sans avoir tué, comme le pêcheur (tue les poissons qui lui servent d’aliment).

438. Ici-bas, (le roi) qui ne frappe pas, n’obtient ni renommée, ni moyens de subsistance, ni sujets. Ce n’est que par le meurtre de Vritra, qu’Indra est devenu Mahendra (le grand Indra).

439. Les dieux même ont tué, et (cependant) le monde leur rend de grands honneurs. Roudra fut un meurtrier, ainsi que Skanda, Çakra, Agni, Yarouna, Yama ;

440. Kâla (le temps (fut un meurtrier, ainsi que Mrityou (la mort), Vâyou (le vent), le fils de Viçravana (Kouvera), le Soleil, Vâsava, les Marouts, les Viçvedevas, ô Bharatide.

441. Les hommes s’inclinent devant la majesté de ces dieux, et leur rendent des hommages qu’ils refusent à Brahma, à Poushan et au créateur.

442. Quelques hommes (seulement), dont toutes les œuvres sont vantées, offrent des sacrifices (aux dieux qui se sont montrés) indifférents à l’égard de tous les êtres, et qui, ayant dompté leurs sens, ont fait de l’apaisement leur but principal.

443. Je ne vois pas, en vérité, dans le monde, de créature qui vive sans causer de dommage ; les êtres se nourrissent des êtres, les plus forts (mangent) les plus faibles.

444. L’ichneumon mange la souris, le chat mange l’ichneumon, le chien mange le chat, ô roi, et les bêtes de proie mangent le chien.

445. L’homme les mange tous. Vois quelle est la marche du temps ! Tout ce qui est mobile et immobile sert d’aliment à la vie ;

446. C’est une régie établie par le destin, et l’homme intelligent ne s’en étonne pas. O Indra des rois, sois tel que tu as été créé.

447. Des insensés, renonçant à la colère et à la joie, se retirent dans les bois. Sans le meurtre (des créatures), les ascètes (eux-mêmes) ne sauraient entretenir leur vie.

448. Il y a de nombreuses créatures dans l’eau, dans la terre et dans les fruits, et (cependant), nul ne (se prive) de les détruire. Quoi de plus (impérieux), que d’entretenir son existence ?

449. Il y a certains êtres si petits, qu’on ne peut que conjecturer (leur existence), et dont la seule chute des paupières cause la perte par milliers.

450. Dans les bois, des mounis, renonçant à la colère et à la joie, se voient si perplexes, (qu’ils continuent) à y suivre les règles de maître de maison.

451. Des hommes ayant creusé la terre, ayant coupé les plantes, les arbres, etc., font des sacrifices d’oiseaux et de bestiaux et gagnent le Svarga.

452. Il n’y a aucun doute pour moi que les efforts de tous les êtres n’atteignent leur but, quand la politique du bâton est (bien) appliquée, ô fils de Kountî.

453. Si la verge (du châtiment) n’existait pas en ce monde, les peuples périraient, de même que, dans les eaux, les petits poissons sont mangés par les gros.

454. Cette vérité a jadis été proclamée par Brahma (qui a dit) : « Le bâton bien conduit protège les créatures. » Vois ! Quand les feux s’éteignent, (il suffit) de les menacer (du soufflet), pour que la crainte du châtiment (les fasse) se rallumer d’effroi.

455. Si, dans le monde, il n’y avait pas le bâton pour séparer le bien du mal, on serait comme dans une obscurité profonde, on ne distinguerait rien.

456. Les incrédules eux-mêmes, qui secouent (le joug) des lois et méprisent les védas, deviennent capables (d’accomplir de bonnes actions), dont ils jouiront (plus tard), quand ils sont corrigés de bonne heure.

457. Chacun, en ce monde, est soumis par le bâton, car l’homme pur (parfait) se rencontre difficilement. Effrayé du danger d’être corrigé, (chacun) devient (propre à accomplir de bonnes actions), dont il peut profiter.

458. Le bâton a été établi par l’ordonnateur du monde, pour protéger le devoir et l’intérêt, (maintenir) la séparation des quatre castes et pour leur imprimer une bonne direction.

459. S’ils ne redoutaient le bâton, les (oiseaux de proie) et les animaux féroces dévoreraient les bestiaux et les hommes, les objets du sacrifice et les offrandes.

460. N’était la protection du bâton, on n’étudierait pas la science sacrée, on ne pourrait pas traire une belle vache, une jeune fille ne trouverait pas de mari.

461. Si le bâton ne protégeait pas (la société), la confusion régnerait, toutes les lois seraient violées, on n’aurait pas l’exacte notion du mien (et du tien) .

462. Les (hommes), exempts de toute crainte (des dieux), n’offriraient pas les sacrifices annuels aux dakshinâs régulières, si le bâton ne protégeait pas (l’exercice des pieux devoirs).

463. Ceux qui sont astreints à une règle, ne rempliraient pas les devoirs que leur genre de vie comporte, on ne saurait acquérir aucune science, sans la protection du bâton.

464. Les chameaux, les taureaux, les chevaux, les mulets et les ânes, ne se laisseraient pas atteler pour conduire des voitures, si le bâton ne protégeait pas (les intentions de leurs maîtres).

465. Ni les serviteurs, ni les enfants n’exécuteraient les ordres (qui leur sont donnés), la femme qui a un époux ne se tiendrait pas dans son devoir, si le bâton ne protégeait pas (la famille).

466. Les sages ont reconnu que tout (repose) sur le bâton. Toutes les créatures sont conduites par le bâton. Pour les hommes, le Svarga, ainsi que ce monde, dépendent du bâton.

467. Là où le bâton bien conduit s’emploie à détruire l’ennemi (du bien), on ne voit ni une chose fausse, ni un péché, ni une tromperie.

468. Si le bâton n’était pas levé, le chien qui voit une libation, la lécherait. Le corbeau enlèverait le gâteau du sacrifice, si le bâton ne protégeait pas celui-ci.

469. Que cette royauté t’ait été attribuée justement ou injustement, il ne faut pas t’en inquiéter. Jouis des plaisirs (qu’elle procure) et offre des sacrifices 11.

470. Couverts de beaux vêtements, mangeant une nourriture excellente, partageant leur demeure avec des épouses, les riches pratiquent le devoir allié au plaisir.

471. Toutes les entreprises sont certainement fondées sur l’intérêt, et l’intérêt dépend du bâton. Vois comme le bâton est respectable !

472. Ici-bas, les prescriptions du devoir ne sont faites qu’en vue de régler la marche du monde. La meilleure définition (qu’on puisse donner) du devoir, c’est que, ne nuire qu’en vue du bien, ce n’est pas nuire.

473. Il n’y a rien d’entièrement honnête ni d’entièrement déshonnête. On rencontre en toutes choses ces deux (principes), le bien et le mal.

474. Après avoir coupé les testicules des bestiaux, ou leur avoir brisé la tête, beaucoup leur font porter des fardeaux, les lient ou les domptent.

475. Le monde étant ainsi, désordonné, faux et vermoulu, ô grand roi, accomplis le devoir ancien, avec l’enchaînement des pratiques qu’il comporte.

476. Sacrifie, donne, gouverne tes sujets, pratique ton devoir, triomphe de tes ennemis, ô fils de Kountî, et protège tes amis.

477. N’éprouve aucun chagrin, ô prince, à tuer tes ennemis. Il n’y a pas de péché à agir ainsi, ô Bharatide.

478. Celui qui, l’arc bandé, tue un (ennemi) qui arrivait sur lui l’arc bandé, n’est pas, pour cela (coupable) du meurtre d’un embryon, car la colère (qui animait son adversaire) a causé (sa propre) colère.

479. Il n’est pas douteux que l’âme qui réside au dedans de tous les êtres, ne saurait être détruite. Comment pourrait-on tuer (l’âme) qui est immortelle ?

480. De même qu’un homme entre successivement dans de nouvelles demeures, de même, la vie (sous la forme de l’âme), entre dans les différents corps.

481. L’âme entre dans de nouveaux corps, en abandonnant les anciens. C’est, pour ceux qui connaissent le vrai, ce qu’on appelle : « mourir ».