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Le Mahâbhârata (traduction Ballin)/Volume 2/3-LLDA-Ch28

La bibliothèque libre.
Traduction par Ballin, L..
Paris E. Leroux (2p. 339-345).



CHAPITRE XXVIII


DISCOURS DE VYASÂ


Argument : Vyâsa raconte au roi ce qu’Açman dit à Janaka, au sujet de ce que doit faire l’homme qui a perdu ses parents et ses biens.


833. Vaiçampâyana dit : Vyâsa (s’efforçait) de dissiper le chagrin de l’aîné des fils de Pândou qui, rempli de douleur (à propos de la mort) de ses parents, désirait mourir.

834. Vyâsa dit : Ô tigre des hommes, on rapporte aussi, à cet égard, une ancienne légende chantée par Açman. Écoute-la, ô Youdhishthira.

835. Janaka, roi de Videha, accablé de chagrin et de douleur, ô roi, interrogea le sage brahmane Açman, sur les doutes (qui l’assiégeaient).

836. Janaka lui posa cette question : « Comment un homme qui désire le bonheur, doit-il se conduire, quand il acquiert ou quand il perd, soit des parents, soit des biens ? »

837. Açman lui répondit : Aussitôt que l’âme d’un homme est entrée (en ce monde), les peines, aussi bien que les plaisirs, s’en emparent.

838. Que ce soit l’un ou l’autre de ces deux (genres d’impressions) qui l’envahisse, elle s’y abandonne rapidement, comme le nuage est chassé par le vent.

839. « Je suis de noble race ! Je réussis dans mes entreprises ! Je ne suis pas un simple mortel ! » La pensée (de l’orgueilleux) s’exprime de ces trois manières.

840. Ayant l’esprit attaché (aux jouissances), devenu pauvre après avoir dissipé les revenus amassés par ses parents, (l’homme) trouve bon de s’emparer des biens des autres.

841. Les rois donnent la chasse à cet homme qui manque de droiture, et prend injustement (ce qui ne lui appartient pas), comme des chasseurs frappent une gazelle de leurs flèches

842. Et, ô prince, ces hommes qui (ne vivent que) vingt ou trente ans, ne dépassent jamais cent ans, (qui est le terme ordinaire d’une longue vie).

843. En examinant, sous toutes ses faces, la conduite de tous les êtres vivants, on pourrait, à l’aide de la réflexion, remédier aux grands maux (que les hommes ont à souffrir),

844. Il y a (deux) peines mentales pour ceux qui renaissent : l’illusion, et les événements désagréables. Il n’y en a pas une troisième.

845. C’est ainsi que les peines, quelles qu’elles soient, ainsi que celles qui proviennent du commerce avec ses semblables, atteignent l’homme ici-bas.

846. Pour les êtres forts, faibles, petits et grands, la vieillesse et la mort sont pareilles à deux loups dévorants.

847. Aucun homme, eût-il conquis (toute) cette terre limitée par les mers, ne saurait échapper à la vieillesse et à la mort.

848. Que ce soit le plaisir ou la peine, tout ce qui atteint les êtres doit être accepté patiemment. Il n’y a pas moyen d’y faire obstacle.

849. Ô roi, ni dans la jeunesse, ni au milieu de la vie, ni à sa fin, les intérêts ne doivent être délaissés, même par ceux qui désirent autre chose (de préférable, le salut).

850. La privation des choses agréables, l’arrivée d’accidents désagréables, le gain ou la perte, le plaisir ou la peine, sont la conséquence de la destinée.

851. L’apparition des êtres sur la terre, l’abandon des corps (par les mourants), l’acquisition (des biens), l’activité (de l’homme), tout cela est fixé (à l’avance).

852. L’odeur, la couleur, le goût, le toucher, proviennent de la nature même des choses. De même, les plaisirs et les peines proviennent de la destinée.

853. Les sièges, les lits, les moyens de transports, le fait de se lever, le boire et le manger, sont (pendant un instant par la succession) du temps, (et ne sont plus ensuite).

854. Les médecins, même, deviennent malades, les forts deviennent faibles, il y a des riches et des eunuques. Les vicissitudes du temps sont variées.

855. On obtient la naissance dans une (noble) famille, la force, la santé, la beauté, le bien-être, les jouissances, parce que cela devait arriver.

856. Il naît de nombreux fils aux pauvres qui ne les désiraient pas. Ceux qui sont dans la prospérité n’ont pas d’enfants . Les œuvres du créateur sont variées.

857. Les maladies, (les accidents produits par) l’eau ou l’épée, la faim, les malheurs, le poison, la fièvre, la mort, la chute (d’une situation élevée), arrivent à la personne

858. À laquelle cela a été assigné pour lot. Ces épreuves sont conduites par une cause (qui est la destinée). Il n’y a (personne) qui ne revienne pas (en ce monde, après en être sorti), ou bien qui, inversement, n’en soit (jamais) sorti.

859. On voit aussi le coupable (ne pas sembler) devoir être puni, ou bien inversement. On voit, ici-bas, l’homme riche périr, quand il est encore jeune,

860. Et le pauvre, accablé par la vieillesse, vit cent ans. Les gens dépourvus de fortune sont réputés vivre longtemps.

861. Des (hommes), nés dans une famille prospère, périssent (souvent) aussi vite que des insectes. D’ordinaire, en ce monde, les riches ne peuvent pas manger (faute d’appétit),

862. Tandis que des morceaux de bois, (même), seraient digérés par les pauvres. On dit : « j’agis », alors qu’on agit sous l’impulsion du destin.

863. Le méchant, non satisfait (de son état), commet tous les péchés qui lui sourient. La chasse, les dés, les femmes, la boisson, les attachements, sont (des plaisirs) réprouvés par les sages.

864-866. On voit (cependant) des hommes, qui ont beaucoup étudié les écritures sacrées, s’y livrer. Ici-bas, tous les êtres obtiennent du temps toutes les choses, qu’ils ont ou non désirées. La cause n’en est pas comprise. Qui fait et entretient le vent, l’air, le feu, la lune et le soleil, le jour et la nuit, les étoiles, les rivières, les montagnes ? Le froid et le chaud, ainsi que la pluie, sont l’œuvre de la révolution du temps.

867. Ô taureau des hommes, c’est ainsi même que le plaisir et la peine (sont produits) pour les hommes. Mais, ni les remèdes, ni les incantations, ni les offrandes, ni les prières,

868. Ne garantissent l’homme, dont la vieillesse et la mort se sont approchées. De même qu’un morceau de bois en rencontre un autre sur l’Océan,

869. Et, qu’après s’être rencontrés, (ces deux morceaux de bois) se séparent (définitivement), de même il arrive pour la réunion des créatures. Les hommes qui jouissent de la compagnie des femmes, et (des charmes) de la musique et du chant,

870. Et ceux qui, dépourvus de protecteurs, reçoivent des autres leur nourriture (quotidienne), sont traités de la même manière par le temps. Des milliers de mères et de pères, des centaines de fils et d’épouses,

871. Se rencontrent dans les cycles de la transmigration. À qui se rattachent-ils et à qui nous rattachons-nous ? Personne n’est l’auteur de personne. (C’est le destin seul qui rapproche le fils du père.)

872. Des personnes qui s’appellent des épouses, des parents, des amis, se sont simplement rencontrées en chemin. « Où suis-je ? Où irai-je ? Qui suis-je ? Pourquoi me trouvé-je ici ?

873. Pourquoi et sur quoi m’affligerais-je. » Voilà (ce qu’on peut dire). C’est en se livrant à ces réflexions qu’on peut affermir son esprit. La cohabitation avec les êtres chers n’étant pas durable, ce monde où l’on transmigre se mouvant circulairement à la manière d’une roue,

874. Frère, père, mère, amie, (tout cela) n’est qu’une rencontre (fortuite) en chemin. Avant de l’avoir vu, les sages connaissent l’autre monde comme s’ils l’avaient sous les yeux.

875. Sans négliger (l’étude) des livres sacrés, celui qui veut continuer d’être, doit croire. Qu’il accomplisse les rites relatifs aux pitris, et qu’il exécute (les prescriptions de) la loi.

876-878. Que le sage sacrifie selon les règles, et qu’il pratique le trivarga. Nul ne s’aperçoit que ce monde est plongé dans le profond océan des temps, où se rencontrent deux grands requins, la vieillesse et la mort. On voit de nombreux médecins, connaissant toute la science de la vie (la médecine), qui sont, eux et leurs familles, accablés par les maladies. Ils ont beau boire des décoctions de diverses sortes, et (offrir des oblations) de beurre clarifié,

879, 880. Ils n’évitent pas plus la mort que l’Océan ne dépasse ses rives. On voit aussi des hommes connaissant les élixirs, et en faisant un usage judicieux, brisés par la vieillesse, comme des arbres le sont par de puissants éléphants. De même, aussi, les ascètes qui s’adonnent à l’étude et à la récitation des védas,

881-883. Qui font des libéralités et offrent de nombreux sacrifices, ne triomphent pas plus de la vieillesse que d’Antaka (la Mort). L’homme suit, inconsciemment et sans fixité, ce grand chemin (de la vie), foulé par tous les êtres et fixé par le temps. Ou bien le corps se sépare du principe vital, ou bien le principe vital se sépare du corps, (et on meurt).

884. (Mais en attendant), il n’y a qu’une rencontre (fortuite) en chemin, entre les (époux), les épouses et les autres parents ; nul n’obtient une cohabitation durable,

885. Même avec son propre corps, à plus forte raison avec une autre personne, quelle qu’elle soit. Où est maintenant ton père, ô roi, où sont tes ancêtres ?

886. En ce moment tu ne les vois pas et ils ne te voient pas. L’homme (vivant) ne voit ni le Svarga ni l’enfer, ô homme sans péché.

887. 888. Mais les livres sacrés sont les yeux des gens de bien. Conduis-toi, ici-bas, suivant leurs indications, ô roi. Celui qui a pratiqué l’état de brahmacârin, doit engendrer (ensuite des fils), et offrir des sacrifices. (Il doit) payer, sans murmurer, sa dette envers les pitris, les dieux et les hommes.

889. Celui qui offre de nombreux sacrifices, après avoir été brahmacârin, qui procrée (des enfants), qui voit distinctement (les choses), peut, après s’être débarrassé des peines morales, obtenir le Svarga, ce monde et l’autre.

890. La gloire du roi qui, en suivant la loi, pratique ses devoirs et qui (ne) prend (à ses sujets) que ce que la règle (lui accorde), va en s’accroissant dans tous les mondes, et (parmi les êtres) mobiles et immobiles.

891. Après avoir entendu tout ce discours complètement concluant, le roi de Videha, dont la sagesse était éclairée, et dont le chagrin était évanoui, rentra dans son palais.

892. Toi aussi, ô (prince) inébranlable, chasse tes chagrins. Lève-toi, ô (homme) semblable à Çakra, livre-toi à la joie. La terre a été conquise selon la loi des kshatriyas. Jouis-en, ô fils de Kountî, ne sois pas dédaigneux.