Le Malade imaginaire/Prologue

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Le Malade imaginaire
Œuvres complètes de Molière, Texte établi par Charles LouandreCharpentiertome III (p. 586-592).
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PROLOGUE.


Après les glorieuses fatigues et les exploits victorieux de notre auguste monarque, il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d’écrire travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C’est ce qu’ici l’on a voulu faire ; et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malade imaginaire, dont le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux.

Le théâtre représente un lieu champêtre, et néanmoins fort agréable.

ÉCLOGUE

EN MUSIQUE ET EN DANSE.



Scène I.

FLORE, DEUX ZÉPHYRS, dansants.
flore.

      Quittez, quittez vos troupeaux ;
     Venez, bergers, venez, bergères ;
Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux :
Je viens vous annoncer des nouvelles bien chères,
     Et réjouir tous ces hameaux.
      Quittez, quittez vos troupeaux ;
      Venez, bergers, venez, bergères ;
Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux.


Scène II.

FLORE, DEUX ZÉPHYRS, dansants ; CLIMÈNE, DAPHNÉ, TIRCIS, DORILAS.
climène, à Tircis ; et daphné, à Dorilas.

      Berger, laissons là tes feux :
     Voilà Flore qui nous appelle.

tircis, à Climène ; et dorilas, à Daphné.

      Mais au moins, dis-moi, cruelle,

tircis.

Si d’un peu d’amitié tu payeras mes vœux.

dorilas.

Si tu seras sensible à mon ardeur fidèle.

climène et daphné.

     Voilà Flore qui nous appelle.

tircis et dorilas.

Ce n’est qu’un mot, un mot, un seul mot que je veux.

tircis.

Languirai-je toujours dans ma peine mortelle ?

dorilas.

Puis-je espérer qu’un jour tu me rendras heureux ?

climène et daphné.

     Voilà Flore qui nous appelle.


Scène III.

FLORE ; DEUX ZÉPHYRS, dansants ; CLIMÈNE, DAPHNÉ, TIRCIS, DORILAS ; BERGERS ET BERGÈRES de la suite de Tircis et Dorilas, chantants et dansants.
PREMIÈRE ENTRÉE DE BALLET.
Toute la troupe des bergers et des bergères va se placer en cadence autour de Flore.
climène.

     Quelle nouvelle parmi nous,
Déesse, doit jeter tant de réjouissance ?

daphné.

     Nous brûlons d’apprendre de vous
     Cette nouvelle d’importance.

dorilas.

     D’ardeur nous en soupirons tous.

climène, daphné, tircis, dorilas.

     Nous en mourons d’impatience.

flore.

     La voici ; silence, silence !
Vos vœux sont exaucés, LOUIS est de retour ;
Il ramène en ces lieux les plaisirs et l’amour,
Et vous voyez finir vos mortelles alarmes.
Par ses vastes exploits son bras voit tout soumis ;
     Il quitte les armes,
     Faute d’ennemis.

chœur.

   Ah ! quelle douce nouvelle !
   Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !
Que de plaisirs ! que de ris ! que de jeux !
   Que de succès heureux !
Et que le ciel a bien rempli nos vœux !
   Ah ! quelle douce nouvelle !
   Qu’elle est grande ! qu’elle est belle !

DEUXIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Tous les bergers et bergères expriment, par des danses les transports de leur joie.
flore.

   De vos flûtes bocagères
   Réveillez les plus beaux sons ;
   LOUIS offre à vos chansons
   La plus belle des matières.
     Après cent combats,
     Où cueille son bras
     Une ample victoire,
     Formez entre vous
     Cent combats plus doux,
     Pour chanter sa gloire.

chœur.

     Formons, entre nous,
     Cent combats plus doux,
     Pour chanter sa gloire.

flore.

   Mon jeune amant, dans ce bois,
   Des présents de mon empire
   Prépare un prix à la voix
   Qui saura le mieux nous dire
   Les vertus et les exploits
   Du plus auguste des rois.

climène.

   Si Tircis a l’avantage,

daphné.

   Si Dorilas est vainqueur,

climène.

   À le chérir je m’engage.

daphné.

     Je me donne à son ardeur.

tircis.

      Ô trop chère espérance !

dorilas.

      Ô mot plein de douceur !

tircis et dorilas.

  Plus beau sujet, plus belle récompense
    Peuvent-ils animer un cœur ?

Les violons jouent un air pour animer les deux bergers au combat, tandis que Flore, comme juge, va se placer au pied d’un arbre qui est au milieu du théâtre, avec deux Zéphyrs, et que le reste, comme spectateurs, va occuper les deux côtés de la scène.
tircis.

Quand la neige fondue enfle un torrent fameux,
Contre l’effort soudain de ses flots écumeux,
     Il n’est rien d’assez solide
    Digues, châteaux, villes et bois,
    Hommes et troupeaux à la fois,
    Tout cède au courant qui le guide :
    Tel, et plus fier et plus rapide,
    Marche LOUIS dans ses exploits.

TROISIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Les bergers et bergères du côté de Tircis dansent autour de lui, sur une ritournelle, pour exprimer leurs applaudissements.
dorilas.

Le foudre menaçant qui perce avec fureur
L’affreuse obscurité de la nue enflammée,
      Fait, d’épouvante et d’horreur,
      Trembler le plus ferme cœur ;
     Mais, à la tête d’une armée,
     LOUIS jette plus de terreur.

QUATRIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Les bergers et bergères du côté de Dorilas font de même que les autres.
tircis.

Des fabuleux exploits que la Grèce a chantés

Par un brillant amas de belles vérités
    Nous voyons la gloire effacée ;
    Et tous ces fameux demi-dieux,
    Que vante l’histoire passée,
    Ne sont point à notre pensée
    Ce que LOUIS est à nos yeux.

CINQUIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Les bergers et bergères du côté de Tircis font encore la même chose.
dorilas.

LOUIS fait à nos temps, par ses faits inouïs,
Croire tous les beaux faits que nous chante l’histoire
      Des siècles évanouis ;
      Mais nos neveux, dans leur gloire,
      N’auront rien qui fasse croire
      Tous les beaux faits de LOUIS.

SIXIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Les bergers et bergères du côté de Dorilas font encore de même.
SEPTIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Les bergers et bergères du côté de Tircis et de celui de Dorilas se mêlent et dansent ensemble.

Scène IV.

FLORE, PAN ; DEUX ZÉPHYRS, dansants ; CLIMÈNE, DAPHNÉ ; TIRCIS, DORILAS ; FAUNES, dansants ; BERGERS ET BERGÈRES, chantants et dansants.
pan.

Laissez, laissez, bergers, ce dessein téméraire ;
       Hé ! que voulez vous faire ?
      Chanter sur vos chalumeaux
      Ce qu’Apollon sur sa lyre,
      Avec ses chants les plus beaux,
      N’entreprendroit pas de dire :
C’est donner trop d’essor au feu qui vous inspire ;
C’est monter vers les cieux sur des ailes de cire,
     Pour tomber dans le fond des eaux.

Pour chanter de LOUIS l’intrépide courage,

     Il n’est point d’assez docte voix,
Point de mots assez grands pour en tracer l’image ;
      Le silence est le langage
      Qui doit louer ses exploits.
Consacrez d’autres soins à sa pleine victoire ;
Vos louanges n’ont rien qui flatte ses désirs :
      Laissez, laissez là sa gloire,
      Ne songez qu’à ses plaisirs.

chœur.

Laissons, laissons là sa gloire,
Ne songeons qu’à ses plaisirs.

flore, à Tircis et à Dorilas.

Bien que, pour étaler ses vertus immortelles,
    La force manque à vos esprits,
Ne laissez pas tous deux de recevoir le prix,
    Dans les choses grandes et belles,
    Il suffit d’avoir entrepris[1].

HUITIÈME ENTRÉE DE BALLET
Les deux Zéphyrs dansent avec deux couronnes de fleurs à la main, qu’ils viennent donner ensuite aux deux bergers.
climène et daphné, donnant la main à leurs amants.

    Dans les choses grandes et belles,
    Il suffit d’avoir entrepris.

tircis et dorilas.

Ah ! que d’un doux succès notre audace est suivie !

flore et pan.

Ce qu’on fait pour LOUIS, on ne le perd jamais.

climène, daphné, tircis, dorilas.

Au soin de ses plaisirs donnons-nous désormais.

flore et pan.

Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie !

chœur.

    Joignons tous dans ces bois
    Nos flûtes et nos voix :

        Ce jour nous y convie ;
Et faisons aux échos redire mille fois :
       LOUIS est le plus grand des rois ;
Heureux, heureux qui peut lui consacrer sa vie !

NEUVIÈME ENTRÉE DE BALLET.
Faunes, bergers et bergères, tous se mêlent, et il se fait entre eux des jeux de danse ; après quoi ils se vont préparer pour la comédie.

AUTRE PROLOGUE.





Scène I.

UNE BERGÈRE, chantante.

Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,
    Vains et peu sages médecins ;
Vous ne pouvez guérir, par vos grands mots latins
    La douleur qui me désespère :
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère.

  Hélas ! hélas ! je n’ose découvrir
      Mon amoureux martyre
    Au berger pour qui je soupire,
    Et qui seul peut me secourir.
    Ne prétendez pas le finir,
Ignorants médecins ; vous ne sauriez faire :
Votre plus haut savoir n’est que pure chimère.
Ces remèdes peu sûrs, dont le simple vulgaire
Croit que vous connoissez l’admirable vertu,
Pour les maux que je sens n’ont rien de salutaire ;
Et tout votre caquet ne peut être reçu
     Que d’un malade imaginaire.

Votre plus haut savoir n’est que pure chimère,
    Vains et peu sages médecins, etc.

Le théâtre change et représente une chambre.
  1. C’est la traduction de l’adage latin tiré de Tibulle : In magnis et voluisse sat est. La Fontaine a dit de même, en terminant son Discours à M. le Dauphin :


    Et, si de t’agréer je n’emporte le prix,
    J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.  (Auger).