Aller au contenu

Le Moqueur amoureux/15

La bibliothèque libre.
Michel Lévy frères, éditeurs (p. 121-126).


XV


Dans les mariages d’intérêt, la discussion des articles du contrat est la partie dramatique de cette grande affaire. C’est le moment des craintes, des agitations, des aveux difficiles, des prétentions exagérées ; presque toutes les passions, excepté l’amour, sont en jeu dans cet instant décisif. Aussi le jour fixé pour l’arrêté de compte, la signature du marché, est-il devenu la véritable solennité des mariages à la mode. On invite avec ses parents, ses habitués, une foule de gens que l’on ne connaît pas, à venir contempler les émotions de la fiancée et l’air gauchement heureux du futur. On veut surtout faire admirer les parures éclatantes qu’il offre à sa bien-aimée, et qu’elle s’efforce à recevoir d’un air reconnaissant pour cacher aux admirateurs de ces diamants qu’une partie de sa dot vient de les payer.

Les bans étant déjà publiés et le jour solennel fixé par les deux familles, M. d’Erneville pensa qu’il était temps d’aller faire part de ce mariage à sa belle-sœur. M. Ribet voulut accompagner le marquis et Rodolphe dans cette visite ; il avait préparé un certain nombre de phrases sur l’honneur d’une alliance dont il sentait tout le prix, l’avantage qui résulterait pour sa fille d’être présentée à la cour par la charmante duchesse qui en faisait l’ornement, et plusieurs flatteries aussi délicates qui firent sourire Mathilde malgré elle en pensant au parti qu’en pourrait tirer la gaieté d’Albéric. Enfin, la communication faite, le marquis pria sa belle-sœur de vouloir bien se charger du soin de la corbeille. Son bon goût reconnu, ajouta-t-il, en doublerait le prix.

Mathilde aurait pu se dispenser de prendre cette peine en témoignant quelque humeur sur la manière dont on avait agi envers elle dans cette circonstance ; mais elle dédaignait avec raison ces petits ressentiments pour les petites offenses, qui n’ont d’autre effet que de satisfaire la malignité de ceux qui aiment à contrarier ; et sa générosité naturelle ne lui permit pas de se refuser à ce que l’on réclamait de sa complaisance.

Mathilde consacra plusieurs matinées à l’emplette des châles, des bijoux et des chiffons élégants qui devaient composer cette riche corbeille. Le soin de veiller à ce que les diamants fussent montés avec goût la ramenait souvent chez notre plus fameux joaillier ; elle avait déjà acheté tous les bijoux de fantaisie, lorsque M. F… lui montra une chaîne émaillée qu’il venait de finir, et qui parut à Mathilde plus jolie que celle qu’elle avait choisie quelques jours auparavant ; après l’avoir passée autour de son cou, elle pensa à la garder ; mais par réflexion elle se crut obligée à ne l’acheter pour elle qu’autant que le Comte Rodolphe ne la préférerait pas à celles dont Mathilde avait déjà fait l’emplette, et elle dit au bijoutier de joindre la chaîne, qu’elle détachait lentement, aux divers objets qu’il devait lui envoyer le lendemain à choisir.

Mais lorsque ces différents bijoux lui furent apportés, elle chercha vainement la chaîne qu’elle désirait.

— Comment se peut-il que vous l’ayez oubliée, dit-elle au bijoutier avec impatience ?

Il répondit que la chaîne s’était rompue lorsqu’on avait voulu y suspendre la montre qui lui était destinée, et qu’il faudrait plusieurs jours pour la raccommoder.

L’embarras, le sourire qui accompagnèrent cette réponse, lui donnaient tellement l’air d’un mensonge, que Mathilde demanda à M. F… de lui dire tout simplement la vérité.

— Si vous l’exigez, je vous avouerai, madame, que cette chaîne m’a été pour ainsi dire volée par une personne à qui j’ai eu la sottise de dire que madame la duchesse de Lisieux venait de l’essayer, et qu’elle la trouvait fort jolie.

— Quelle extravagance ! reprit Mathilde en rougissant, cette personne a voulu plaisanter, elle va sans doute vous renvoyer la chaîne.

— Oh ! non, madame, je n’y compte pas, elle en a déjà envoyé le prix ; et si madame savait le nom de cette personne, elle verrait bien que je n’ai aucun moyen de la lui faire rendre ; mais j’ai commandé une semblable chaîne, et dans peu madame la duchesse…

— Je n’en veux pas d’autre, interrompit vivement Mathilde, tâchez seulement qu’il n’en soit pas de même pour les bijoux qui vous restent à me fournir.

Et M. F… se retira en faisant un profond salut.

Peu de jours après, les gendarmes, les lampions placés à la porte de M. Ribet, apprirent à tous les passants le motif qui réunissait tant de gens d’opinions, de goûts, et de quartiers opposés.

Déjà les badauds malins s’amusaient à voir défiler à pas lents le brillant carrosse de l’ambassadeur à la suite de l’humble fiacre du parent ; les bons mots, les quolibets se renouvelaient à chaque fois que la file s’arrêtait ; et les invités se voyaient, malgré leur contenance fière, contraints de subir patiemment les arrêts sévères que l’on rendait sur eux du milieu de la foule.

Avec la fortune de M. Ribet, il était facile d’imiter, de surpasser même le luxe de la plupart de nos grands seigneurs ; et s’il avait obtenu de sa famille de garder le silence sur les choses qu’elle ignorait, on aurait pu se croire chez des personnes habituées à l’élégance et à toute la recherche des gens distingués. M. de Varèze étant l’oracle de la famille, on le consultait toujours sur la manière la plus convenable de dépenser un revenu considérable, et grâce à ses conseils, M. Ribet était parvenu à avoir ce qu’on appelle à Paris une bonne maison ; l’esprit d’ordre du maître s’y faisait reconnaître à travers la magnificence qui d’abord frappait les regards. Ses appartements étaient décorés avec autant de bon goût que de richesse, ses tableaux bien choisis, ses gens bien tenus, sa table servie avec toute la recherche possible ; enfin, l’on peut dire que dans cet ensemble parfait lui et les siens faisaient seuls disparate.

C’était surtout lorsqu’on parlait des ouvrages de nos grands maîtres, des antiquités ou des livres précieux qu’on admirait chez lui, que le bon M. Ribet se montrait dans toute la naïveté de son ignorance. Ravi de l’effet d’un tableau, lui demandait-on de quel peintre il était :

— Ma foi, je ne m’en souviens plus, répondait-il avec le ton d’un homme qui n’est point fait pour entrer dans ces détails-là. Cependant, ajoutait-il, celui-ci doit être de Girodet… ou de Ténières ; car j’en ai payé deux l’hiver passé qui se nommaient ainsi ; au reste, Varèze vous le dira plus certainement, c’est lui qui les a commandés. Quant à ces babioles, disait-il en montrant les modèles en porphyre des temples de Pestum, je les ai achetées à la vente de Denon. C’est lui-même qui les avait rapportées d’Égypte ; et cela donne assez bien l’idée des monuments de ce pays-là. Quant à ces livres, je vous les recommande comme ce que Thouvenin a relié de mieux.

— Dites donc, mon père, comme ce que Voltaire a fait de plus beau, car c’est son théâtre, interrompait alors mademoiselle Aspasie, toujours empressée de relever les bévues paternelles avec une exactitude qui prouvait plus sa science que son respect filial. Et ces petites scènes burlesques amusaient tellement M. de Varèze, que ses ennemis l’accusaient de ne rassembler chez M. Ribet tant d’objets précieux que pour se donner le plaisir de lui en entendre parler.