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Le Parfum des prairies (le Jardin parfumé)/12

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CHAPITRE XII

DE L’HOMME ET DE LA FEMME


Écoutez, Vizir, bien aimé de Dieu !

Celui qui voudra compléter sa science, fera bien de lire ce livre : le savoir vaut mieux que l’ignorance.

Histoire

Une femme spirituelle et instruite, qui s’appelait Mouirbada, jouissait, auprès des savants, d’une grande réputation ; son érudition portait sur toutes choses et ses conseils étaient droits et sensés. C’était à qui la consulterait, tant la confiance qu’elle inspirait était grande.

Un jour, un thaleb lui dit :

— Ma dame, peut-on savoir ce que les femmes ont dans la tête, ou plutôt dites-nous où elles logent leur esprit.

— Entre les cuisses, répondit-elle.

— Et le bonheur, où le placent-elles ?

— Au même endroit.

— Et qu’entendez-vous par les passions ardentes et les rêves ambitieux des hommes.

— C’est une question de fordj. Les femmes considèrent le zouque comme leur trésor le plus précieux ; et la preuve c’est qu’elles le livrent à ceux qu’elles aiment, tandis qu’elles abandonneront plutôt leurs richesses que de céder aux désirs d’un homme qui ne leur inspire aucune sympathie. Un rien, venant de leur amant préféré, leur paraîtra merveilleux ; si la fortune les abandonne, une simple caresse leur suffira ; mais elles fuiront l’or, les perles et les bijoux de celui qui leur est indifférent.

— Et comment comprenez-vous l’amour ? lui demanda-t-on encore.

— L’histoire tout entière de l’amour est contenue dans ces trois mots : l’œil, le cœur et le zouque. L’amour commence par la vue, se fixe ensuite au cœur, qui est le sanctuaire de ce doux sentiment, et dans le zouque réside la jouissance physique, qui est, pour ainsi dire, le complément du bonheur moral. Quand les yeux aperçoivent un homme beau de corps et d’intelligence, ils se sentent éblouis et communiquent au cœur la passion qui l’enchaîne à son tour ; l’amour prend naissance dans les yeux, mais c’est au cœur qu’il reste fixé : c’est là qu’il habite tout entier. Mais ce cœur a des désirs immenses qu’il ne peut assouvir seul ; il a besoin d’un aide qui les matérialise en partie, car dans son sein est uniquement renfermée l’essence de l’amour, la portion idéale : il appelle à lui le fordj, qui le seconde à merveille et termine la série des sensations amoureuses.

Et comme on lui demandait, à cette femme pleine de science, de compléter ses renseignements, elle ajouta :

— L’amour dégénère souvent en passion essentiellement physique. Il y a des femmes folles de leur corps, d’autres dont l’insensibilité est absolue. Chacune a une façon différente de sentir, cela dépend souvent de leur constitution ; leurs zouques n’étant pas conformés de même, le tota qu’elles envient doit être de plusieurs façons. Celles qui ont l’aoualda rapproché des lèvres, voudront un zeb court mais gros ; celles qui auront, au contraire, l’aoualda profondément placé dans le fordj, rechercheront un membre grand, gros et long. Elles rejetteront avec mépris un tota petit et mince. Il y en a qui repousseront l’approche de l’homme ; ce sont les femmes maladives. Celles qui ont l’habitude noire, c’est-à-dire qui ne sentent rien, repousseront aussi les caresses. Celles qui ont l’habitude de sang ou les fureurs de l’amour, seront, au contraire, insatiables, ainsi que celles qui jouissent en toussant. Ces dernières sont ordinairement faibles de poitrine ; si elles pouvaient trouver un zeb de fer, elles l’useraient tant elles sont ardentes ; les hommes qui épouseront de pareilles femmes seront bien vite sur les dents, et ils pourront s’estimer bien heureux s’ils ne sont pas cornards. Il y a encore celles qui sont capricieuses ; celles-là aiment les membres de toutes les dimensions, selon le désir du moment. Les femmes grandes aiment ordinairement les petits hommes, et les petites envieront ceux de belle taille. Les femmes peu estimées et dont il faudra se garer, sont celles dont le caractère est avare, qui se disent pauvres lorsqu’elles sont riches, qui parlent de leur bienfaisance. Ce sont celles encore dont la voix est forte ; celles dont la jalousie est fatigante ; celles qui crient plus fort que l’homme qui les réprimande ; celles dont la langue ne peut rester en paix dans la bouche ; celles qui détachent leurs voiles devant des étrangers ou que l’on rencontre sans cesse dans la rue ; celles qui crient constamment et se tiennent de préférence sur le seuil de leurs portes ; celles-là sont de vraies cahabah de la pire espèce. Les mauvaises créatures sont encore indiscrètes, toujours mécontentes, faisant de grands gestes en parlant ; mettant à vide la bourse de leurs maris sans autorisation, toujours colères, reniant leurs bienfaiteurs et aimant mieux courir que d’habiter chez elles ; contredisant tout, discutant à propos de rien et faisant à tous de la peine avec satisfaction. Il y a encore les femmes fausses qui regardent en dessous et cherchent à faire le mal en cachette ; elles sont ordinairement menteuses, rusées et trahissent leurs serments. D’autres auront l’impudence de demander les premières à faire l’amour ; elles crieront sans honte et de toutes leurs forces dans les bras de leurs amants.

Que Dieu vous préserve de pareilles rencontres !