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Le Pays de l’or (Conscience)/19

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Michel Lévy Frères, éditeurs (Henri Consciencep. 247-265).


XI

LE FANTÔME


Une heure ou deux plus tard, pendant qu’ils passaient en silence non loin d’une forêt de broussailles, le Bruxellois s’arrêta tout à coup et regarda à terre avec surprise. Il semblait en effet que les plantes autour d’eux avaient été piétinées d’une manière particulière, et la terre portait les traces profondes de pieds de chevaux.

Il est arrivé quelque chose ici, murmura Pardoes en faisant quelques pas de côté. Tenez… voici la place. Une bourre de fusil ! On a tiré. Tous ces pas de chevaux entremêlés… On aura peut-être joué du lasso.

— Pouah ! s’écria Donat Kwik, voilà une mare de sang comme si l’on avait abattu un bœuf.

— Diantre ! nous sommes dans un mauvais chemin, messieurs, dit le Bruxellois. Il me semble que nous ferions mieux de nous éloigner de quelques milles vers le nord. Peut-être atteindrons-nous ainsi une contrée moins dangereuse. Venez, nous passerons au pied de cette colline, à côté des arbustes, jusqu’à ce que nous puissions reprendre notre première direction vers l’est.

Ils quittèrent la plaine par le côté gauche. Kwik les suivit en murmurant et en maudissant entre ses dents ce pays où l’on rencontrait presque à chaque pas une horreur.

À peine eurent-ils marché une demi-heure que Donat, effrayé, s’écria :

— Au secours ! au secours ! une bête féroce, un lion, un ours :

— Où ? où ? s’écrièrent les autres en levant leurs fusils.

— Là-bas entre les branches. Un four, messieurs, une gueule et des yeux, des yeux !…

— Nous ne voyons rien.

— Êtes-vous donc aveugles ? Ne remarquez-vous pas là, au-dessus de ces broussailles, ces deux cornes qui montent et qui descendent ! À moi ! il vient ! il vient !

— Ah ! ah ! tête sans cervelle ! dit le Bruxellois en riant, c’est une couple d’oreilles d’âne que tu vois. Tenez-vous tranquilles, mes amis ; c’est peut-être le ciel qui nous envoie un secours précieux. Ce mulet appartient probablement aux gens qui ont été attaqués à l’endroit où nous avons trouvé du sang. Le pauvre animal a fui le combat et erre sans maître dans le bois. Restez tranquilles pendant quelques minutes ; l’apparition de l’animal pourrait bien cacher quelque ruse.

— Un bon camarade pour toi, Donat, grommela le matelot ; vous serez deux désormais.

Il semblait que Donat le comprit également ainsi ; car il courut tout joyeux vers les broussailles, pendant que les autres le suivaient du regard. Une ou deux minutes après, il reparut dans la plaine tenant sous son bras le licou d’un mulet qui se laissait conduire très-docilement. Kwik était ravi de joie et embrassait le mulet en lui adressant toutes sortes de douces paroles. Pendant que les autres venaient à sa rencontre, ils virent qu’il baisait l’animal sur le nez.

C’était un mulet vieux et énervé, qui semblait avoir à peine la force de se tenir sur ses jambes ; mais le Bruxellois fit comprendre à ses camarades que ces animaux sont très-robustes et très-solides, et que celui-ci, malgré son âge, leur rendrait encore bien des services et les allégerait probablement d’une partie de leurs lourds bagages jusqu’aux placers. L’animal portait une marque brûlée sur la cuisse, et n’avait d’autre harnais qu’une corde au cou et deux paniers liés ensemble sur le dos ; à la corde pendait une petite clochette dont le battant était attaché par une petite courroie pour l’empêcher de sonner.

Les haches, pioches, marmites et couvertures furent tirées sur-le-champ des havre-sacs et chargées sur le mulet ; on lui lia également la grande manne sur le dos et chacun se déchargea de son bagage autant qu’il lui plut.

— Donat, je te fais muletier ! dit le Bruxellois avec un sérieux comique.

— Je le suis de naissance, répondit Kwik. Ayez confiance en moi ; j’aurai soin du mulet comme de mon propre frère.

— En avant, messieurs, en avant maintenant, légers de cœur et légers de corps.

Tous marchèrent gaiement en avant. En effet, ce n’était pas un mince soulagement de se sentir délivrés des lourds fardeaux sous lesquels ils ployaient si longtemps. Donat, en muletier fidèle, marchait à côté du mulet, la main sur le cou de la bête en signe d’amitié.

Déjà l’événement avait perdu de sa nouveauté et les autres continuaient silencieusement leur route, lorsque Donat n’avait pas encore fini de parler au mulet. Bien que le matelot se moquât de temps en temps de l’affection des deux amis intimes qui s’étaient retrouvés si inopinément, Donat ne lui répondait pas et continuait sa conversation avec le mulet :

— Courage, camarade ! disait-il. Ne crois pas que tu sois tombé dans des mains étrangères. Feu mon père, que Dieu ait pitié de son âme ! avait aussi un mulet, et c’était moi qui devais le soigner, lui donner l’avoine, le mener à la prairie et préparer sa litière. Nous étions si bons amis, que je partageais quelquefois ma tartine de pain de seigle avec Jean Mul, car il se nommait ainsi. Tu dois aussi m’aimer, ne fût-ce que parce que j’ai si bien soigné Jean Mul de Natten-Haesdonck. Tous les hommes sont frères et tous les mulets aussi. Tu me regardes ? Je crois, pardieu, que tu me comprends ! Cela t’étonne, n’est-ce pas ? qu’une personne que tu ne connais pas encore te témoigne tant d’affection ; mais elle a ses raisons. Tu sauras, mon ami, que j’aime quelqu’un. C’est la fille d’un garde-champêtre. J’ai été assez puni d’avoir osé lever les yeux aussi haut ; car le garde-champêtre, lorsque j’allai lui demander de pouvoir me marier avec Anneken, m’a jeté si violemment à la porte que je suis tombé la face dans la boue. Anneken ne me hait pourtant pas ; et moi, de mon côté, je la vois toujours devant mes yeux aussi bien que je vois en ce moment tes deux longues oreilles. Vois-tu, j’étais allé un jour avec ton frère Jean Mul à Malines. En retournant, je trouve, entre Villebrock et Natten-Haesdonck, Anneken, la fille du garde champêtre, en train de pleurer sur le bord du chemin. La pauvre enfant s’était foulé le pied et ne pouvait plus marcher. Je l’aidai à monter sur le dos de Jean Mul. Elle était si contente ! Nous causâmes ensemble pendant tout le long du chemin. Quand elle me regardait de dessus le mulet avec ses petits yeux noirs pleins d’amitié, c’était comme si mon cœur se gonflait et devenait gros comme une tête d’enfant. J’étais heureux, heureux ! Pourquoi ? je ne le sais pas au juste, mais j’étais extrêmement heureux. Tiens, je ne puis pas t’expliquer cela ainsi, tu devrais être un homme pour le comprendre. Il n’est donc pas étonnant que je t’aime parce que tu es un mulet, car, s’il n’y avait pas eu de mulets, je n’aurais pas fait connaissance avec Anneken… Il est vrai aussi que je ne serais pas en Californie ; mais nous ne parlerons pas de cela. Anneken, Anneken au-dessus de tout… Hue ! hue ! tu auras bonne vie avec moi. Je t’appellerai aussi Jean Mul. Sois content ! si je trouve beaucoup, beaucoup d’or, je t’emmène en Belgique. Cela t’irait joliment, hein, fripon, si tu pouvais habiter un château avec Anneken et moi ? Hue ! Jean Mul, hue !

Donat aurait peut-être continué ce gai bavardage pendant des heures entières ; mais il fut interrompu parce que ses amis s’arrêtaient comme s’ils ne devaient pas aller plus loin ce jour-là.

— Camarades, dit le Bruxellois, je propose de poser notre tente ici. Nous sommes sur une hauteur et nous pouvons regarder au loin. Il y a de l’eau là-bas dans le ruisseau, et, un peu plus loin, il y a de l’herbe et des broussailles pour laisser paître l’âne. Il fait encore jour et nous pourrions marcher encore une demi-heure ; mais nous ne sommes pas certains de trouver un autre endroit aussi favorable. Déposez les sacs, nous passerons la nuit ici.

Il déboucla les sanglés du mulet et le déchargea de son fardeau, puis il détacha le battant de la petite clochette et donna deux ou trois coups de pied dans les jambes du pauvre animal, qui bondit en avant et se dirigea avec une grande rapidité vers le taillis.

— Mon Dieu ! Jean Mul ! Jean Mul ! cria Donat. Il s’égarera !

Mais le Bruxellois le retint et dit :

— Ne crains rien, Donat. On n’agit jamais autrement ici avec les mulets. Il mangera et dormira très-paisiblement pendant la nuit. Demain matin, nous le retrouverons. La Clochette nous dira où il est. Il ne s’éloignera pas ; il est habitué à cela.

On alla dans le fourré couper le bois nécessaire pour dresser la tente. Jean Creps, qui devait être le cuisinier et qui était occupé à faire du feu, dit à Kwik :

— Tiens, prends la marmite, Donat, et cours au bas de la colline chercher de l’eau ; le café sera d’autant plus vite fait.

Kwik prit la marmite et s’éloigna dans la direction désignée.

— Ça, mes amis, un peu de hâte à l’ouvrage, cria le Bruxellois. La nuit passée, nous n’avons dormi ni trop bien ni surtout trop longtemps. Reposons-nous une bonne fois, afin de pouvoir nous mettre en route de très-bonne heure. Si nous ne sommes point paresseux, nous atteindrons bientôt les mines de Yuba.

— Bientôt ? Quand donc ? demanda le matelot.

— Encore trois ou quatre jours et nous y sommes. Là, nous nous reposerons un peu et nous renouvellerons nos provisions dans les stores ou boutiques, pour aller plus loin au placer ignoré.

— Mais que vend-on dans les stores ?

— Tout ce dont les chercheurs d’or peuvent avoir besoin : de la farine, du lard, du jambon, du sucre, du café, de l’eau-de-vie.

— Drôle d’idée d’établir une boutique à l’endroit même où les autres cherchent et trouvent de l’or ! dit Victor.

— Oui, ami Roozeman, et ce sont certes les plus malins, dit Pardoes. Ils vendent une once d’or des choses qui ne valent pas un dollar, et tandis que beaucoup de mineurs s’en retournent aussi pauvres qu’ils sont venus, les boutiquiers ne quittent jamais les placers sans avoir amassé une jolie fortune.

— Ce sont sans doute des Mexicains ?

— Non, des gens de tous pays : des Français, des Américains du Nord, des Espagnols, des Allemands, et aussi des Mexicains.

— Et comment défendent-ils leurs marchandises contre les voleurs et les brigands ?

— Vous ne connaissez pas les affaires de là-bas. Les stores se trouvent où les chercheurs d’or sont en grand nombre. On n’y fait pas grande attention à un coup de poignard ou de revolver ; mais, dès qu’un voleur est pris, on le pend sans…

Il fut interrompu dans son explication par l’arrivée de Donat, qui faillit laisser tomber sa marmite, et bégaya les joues pâles et les bras levés :

— Que Dieu me protège ! J’ai vu là quelque chose de si laid, de si horrible, que j’ai presque perdu la tête de peur. Je crois qu’il y a de la sorcellerie dans ce pays, et que le diable…

— Vas-tu dire ce que tu as vu, bavard ! grommela Pardoes avec impatience.

— Ouf ! laisse-moi reprendre haleine. Là-bas, derrière la montagne, près de l’eau, est pendu un homme dont les jambes frétillent encore. Il crierait à coup sûr ; mais il ne peut pas, car il est pendu par un nœud coulant à une corde !

— Allons, venez, il faut voir ce que c’est.

Donat les conduisit au bas de la montagne et leur montra, en effet, un homme pendu à la plus grosse branche d’un arbre. Le vent qui soufflait à travers l’étroit défilé faisait tourner le cadavre au bout de la corde ; ce mouvement avait fait croire à Kwik que le pendu pouvait encore être vivant.

Victor, s’avançant plus près de l’arbre, remarqua qu’on avait cloué un plat en fer-blanc contre le tronc. Donat s’arrêta en tremblant et n’osa pas s’approcher du cadavre ; cependant les railleries du matelot le décidèrent à suivre les autres.

Sur le plat en fer-blanc, on avait gravé des caractères avec une pointe en fer, Victor les lut et dit :

— C’est de l’anglais ; cela signifie : Respectez la loi de Lynch. Jacques Kalef a assassiné ici son ami intime pour lui voler son or.

— Voyez, à côté de l’arbre, il y a une petite croix de bois dans la terre, dit le baron ; c’est la tombe de la victime.

— Bah ! ce sont des choses qui ne nous regardent pas, dit le Bruxellois en se retournant. Ne perdons pas un temps précieux à regarder le scélérat. Venez, retournons à la tente.

— Ciel ! allez-vous laisser cet homme pendu là ? murmura Kwik avec dégoût.

— Il y pend assurément depuis six semaines.

— Et vous ne l’enterrez pas ? C’est peut-être un chrétien comme nous !

— Laisse-moi tranquille, Donat. Serais-tu assez stupide pour mettre la main à cette charogne ?

— Mais… mais l’esprit de cet homme reviendra et errera aussi longtemps que ses restes ne seront pas enterrés.

Pour toute réponse il n’obtint qu’un éclat de rire. Chemin faisant, Victor s’efforça de lui faire comprendre qu’il devait mettre des bornes à sa compassion. Le pendu était un horrible assassin et avait bien mérité sa punition. Mais Kwik ne se laissait pas rassurer ; il détournait la tête avec angoisse, comme s’il craignait d’être poursuivi par le pendu ; il poussa un soupir profond et murmura d’une voix presque inintelligible :

— Je préfère encore coucher dans le cimetière de Natten-Haesdonck, quoiqu’il n’y fasse, pardieu, pas bon à minuit… Allons, allons, mon cher petit Donat, roule-toi bien dans tes couvertures, mets toi sur la terre molle et rêve d’Anneken et de l’or, jusqu’à ce qu’un fantôme vienne te tordre le cou. Quel pays, bon Dieu, quel horrible pays !

Le café et les crêpes furent bientôt prêts. On soupa. Victor fut mis en sentinelle et les autres se glissèrent sous la tente pour se coucher.

Donat se démenait plus fiévreusement encore que la veille. Il tenait ses yeux fermés ; car, aussitôt qu’il les ouvrait, l’obscurité prenait pour lui toutes sortes de formes effroyables. Il voyait le cadavre du Mexicain, le cadavre du pendu et le cadavre de la victime passer et repasser devant ses yeux en le menaçant. Mais ce qui le frappait d’une terreur encore plus profonde, c’était la pensée qu’il allait être appelé vers le milieu de la nuit pour relever la sentinelle. Il allait donc se trouver seul aussi dans les ténèbres ! Ses camarades sous la tente ronflaient sourdement et semblaient plongés dans un sommeil bienfaisant ; il enviait cette tranquillité d’esprit et se disait en lui-même qu’il eût donné un morceau d’or aussi gros qu’une pomme pour pouvoir oublier comme eux qu’il y a des esprits qui reviennent. Il se mit à prier ardemment, et, soit que sa prière diminuât son effroi en occupant son esprit, soit qu’il succombât aux fatigues du voyage, il tomba enfin dans un léger assoupissement qui finit par devenir un vrai sommeil.

Vers le milieu de la nuit, il sentit que quelqu’un lui tirait les jambes et lui pinçait les mollets.

Il sauta debout et dit en soupirant, les cheveux hérissés sur la tête :

— Ô mon Pieu ! secourez-moi ! un fantôme ! un fantôme !

— Tais-toi, âne que tu es ! grogna le matelot ; tu dois monter la garde : il est onze heures.

— Oui, murmura Kwik en sortant de la tente, c’est ainsi qu’un malheureux tombe d’un trou dans un autre.

— Voici la montre, dit l’Ostendais en la lui mettant dans la main. À minuit tu éveilleras le baron pour te relever.

— N’as-tu rien vu dans l’obscurité ? demanda Kwik avec anxiété.

— Si, Donat, quelque chose de très-vilain, mon garçon ; fais attention, ça ne sent pas bon, là dehors.

— Qu’as-tu vu ? Pour l’amour de Dieu, ne me trompe pas !

— Ce que j’ai vu ? un fantôme, un esprit avec un drap blanc sur le dos ! dit le matelot d’une voix creuse. Il m’a parlé !…

— Allons, allons, est-ce vrai ? Et qu’a-t-il dit ?

— « N’y a-t-il pas parmi vous un imbécile qui se nomme Kwik ? a-t-il demandé. — Oui, ai-je répondu, il montera la garde vers le milieu de la nuit. — Eh bien ! a dit le fantôme, c’est justement une bonne heure pour tordre le cou à ce peureux avaleur de bourdes. » Dors bien, à demain, Donat !

Lorsque le pauvre Kwik se vit seul dans l’obscurité, la peur le fit chanceler sur ses jambes. Il avait envie de tenir ses yeux fermés ; mais parmi toutes ses faiblesses il avait pourtant beaucoup de bonnes qualités, et une de celles-ci était qu’il voulait remplir fidèlement et sérieusement la fonction qu’il avait acceptée. Malgré son émotion, il se rappela qu’il était là pour veiller sur la vie de ses camarades et surtout sur Roozeman.

Il regarda donc de tous côtés, mais une sueur froide mouillait son front et il était tourmenté par mille folles visions. Arbres, rochers, nuages, tout prenait à ses yeux une forme effroyable.

Jusqu’alors, il se sentait cependant assez courageux pour ne pas quitter son poste ; mais sa terreur augmentait à mesure qu’approchait l’heure fatale de minuit, l’heure à laquelle, d’après les récits de son enfance, les esprits et les fantômes errent et cherchent vengeance.

Tout à coup il poussa un cri étouffé et ses cheveux se hérissèrent sur sa tête comme une brosse. Il vit ou crut voir que, dans le lointain, une ombre humaine, avec un drap blanc sur la tête, était sortie de terre.

Il recula jusque près du feu, et dut s’appuyer au piquet pour ne pas tomber. Là, une idée de salut surgit dans son esprit. Il tira la montre de sa poche, l’ouvrit, se pencha sur la flamme, et, avec ses doigts tremblants, avança l’aiguille de près de trois quarts d’heure. Alors il se glissa sous la tente, tira quelqu’un par les jambes et dit :

— Baron, baron, réveillez-vous ! Douze heures. C’est pour vous faction, minuit.

— Quoi, minuit ? murmura le Français en sortant de la tente ; il n’y a pas une demi-heure que je t’ai entendu relever.

— Allons, allons, baragouina Donat dans son mauvais français, quand dormir, pour savoir si douze heures ou pas. Tiens, la horloge marque juste cela !

Le baron prit la montre et se mit en faction.

Donat s’entortilla dans sa couverture, se coucha, fit le signe de la croix et murmura entre ses dents :

— Ce n’est pas loyal, je le sais ; mais je le lui revaudrai, dussé-je monter dix fois la garde pour lui un autre jour. Je n’ai pas peur, je suis assez courageux ; mais me battre contre des fantômes !… Aïe ! aïe ! Dors bien, Donat !

Et il laissa tomber avec découragement sa tête sur son havre-sac.