Le Petit Passionné/07

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Éditions Prima (Collection gauloise ; no 57p. 24-29).

vii

L’Amante pour assassins


Athanase Sirup regarda avec un soupir de soulagement s’effacer au loin l’auto emportant le fruit de ses crimes, l’homme qu’il venait d’assassiner. Il essuya d’une main moite son front couvert de sueur. Maintenant, il se trouvait sauf. Il possédait aussi une somme congrue, honnête récompense


Elle avait quitté sa chemise (page 20).
de sa violence meurtrière, et se demanda alors si, réellement, il lui fallait reprendre sa route dans l’épineuse carriére du vol ?

Cependant, il s’éloignait tout doucement du groupe que l’évacuation du cadavre venait d’attirer mais que le départ de l’agent avec le malheureux, dans un taxi, déconcertait assez pour qu’il constituât des petits groupes bavards, bourrés de commentaires tragi-comiques. Soudain, une grande femme qui avait tout vu et dont il ne soupçonnait pas l’existence, s’approcha et lui dit avec un fort accent anglais.

— Monsieur, voulez-vous que je crie à l’assassin ?

Athanase Sirup, devenu d’un coup blême comme un œuf, regarda la survenante avec épouvante.

C’était une admirable créature aux formes opulentes, vêtue avec somptuosité et qui portait dans le dessin de son visage une telle volonté, une si âpre décision, qu’un grand frisson passa sur l’échine du malheureux à nouveau menacé.

Il dit, s’efforçant de maîtriser une peur atroce.

— Que… voulez-vous… dire…, madame ?

Elle reprit, l’air grave et dominateur.

— J’ai bien vu que vous étiez l’auteur du crime et que tous ces gens qui croyaient à un accident étaient des imbéciles.

— Moi ? dit Sirup stupidement.

— Oui, vous !

Un silence naquit. Sirup et l’Anglo-saxonne marchaient côte à côte en réfléchissant. Enfin, il se décida à protester.

— Madame, vous vous trompez. Je suis…

— Taisez-vous, ou j’appelle ! On viendra, je vous dénoncerai et bientôt vous finirez tout à fait guillotiné.

Puis, avec un air de reine :

— Je crie à l’assassin si vous ne me suivez pas.

Il suivit…

Lorsqu’ils eurent traversé trois ou quatre rues, avenues, boulevards, la femme s’arrêta devant une maison neuve, d’apparence magnifique, dont une lampe à arc faisait reluire les faïences vertes, bleues, jaunes, rouges, qui parsemaient la façade, comme des raisins de Corinthe dans un plum-pudding.

L’Anglaise leva jusqu’à la tempe de Sirup un petit revolver.

— Vous allez entrer derrière moi et me suivre à un pas jusqu’en mon appartement. Là-haut, je déciderai de votre sort…

Tout à fait abruti, Sirup suivit sans broncher l’étrange femme. Elle le précédait, revolver au poing. Enfin, ils furent tous deux dans une chambre éclatante de luxe, où le lit de marqueterie compliquée et illisible, l’armoire semblable à une forteresse, les fauteuils pareils à des cathédrales, et de petits meubles, constituaient le plus étonnant décor que le jeune Sirup eût jamais conçu.

— Asseyez-vous ici, ordonna, toujours sous la menace du revolver, l’autoritaire étrangère.

Il s’assit, sans comprendre.

Alors elle commanda.

— Je suis ravie de vous avoir trouvé. J’ai quitté mon pays pour venir à Paris satisfaire un désir difficile. Mais je m’étais juré, dès mon enfance, d’être adorée par un assassin. J’ai pourtant eu beau fréquenter tous les bouges de votre petite capitale, chercher des amants là où se recrutent les plus grands bandits, je n’ai jamais eu dans ce lit un assassin authentique. J’ai consulté master Francis Carco, mais les assassins dont il m’a donné l’adresse étaient de paisibles garçons coiffeurs, épiciers ou employés des magasins Dufayel. On m’avait recommandé sir Jean Galtier-Boissière, qui étudia certains personnages sachant tuer dans un livre charmant et pudibond, intitulé La Bonne Vie. Mais sir Galtier-Boissière m’a dit qu’on n’assassinait plus depuis longtemps que dans le Grand-Monde. J’ai donc consulté Son Excellence André de Fouquières, mais il a argué du secret professionnel. Alors, j’ai pris le parti de me promener dans les rues, au hasard, jusqu’à ce que je puisse voir un crime et en emmener l’auteur. Maintenant, déshabillez-vous !

Sirup, que, seule, pouvait désormais servir une obéissance strictement passive, se dévêtit lentement. Quand il ne lui resta plus sur le dos que sa chemise, un geste foudroyant du revolver lui fit comprendre qu’il dut renoncer à ce vain ornement. Lorsqu’il fut nu, l’Anglaise l’examina sur ses divers faces et profils.

Ensuite, elle décida.

— J’exige que vous me fassiez connaître toutes les luxures de votre pays, et surtout celles du monde où l’on tue, où l’on prostitue, où l’on vit des femmes. Mais, prenez garde que je puis vous tuer…

Sirup, retrouvant enfin son éloquence, car sa situation atteignait un degré vraiment excessif d’absurdité, s’écria :

— Madame, c’est bien moi qui ai tué l’homme que l’agent me fit mettre en taxi et emporta sans doute à l’hôpital. Mais ne pensez pas que vos ordres et vos menaces puissent avoir aucune influence érotique sur moi. Vous n’avez qu’à me regarder pour voir que c’est tout le contraire. Donc, vous désirez être aimée d’un assassin. Me voici ! Je ferai mon possible pour vous satisfaire. Mais j’exige que votre soufflant cesse de faire le garde-chasse, et je veux que vous me parliez amoureusement, galamment, gracieusement, et sans insister sur le pauvre bougre occis tout à l’heure, et qui n’est plus intéressant désormais. Enfin, vous allez vous mettre nue aussi, et faire tous vos efforts pour m’aider à retrouver mon… courage, Car j’ai déjà accompli ce soir, en compagnie de jolies femmes, moins belles certes que vous, mais point sans grâces, quelques exploits qui grèvent lourdement mes… capacités. Donc, mettez-y du vôtre si vous voulez que l’assassin vous… réjouisse, sinon, ce sera barka !

La femme avait écouté avec soin. Elle se mit à rire et plaça le revolver sur la cheminée.

— J’y consens, dit-elle. Alors, cette arme, elle vous nuisait, comment dit-on en France ?

— Parfaitement, elle me coupait la chique…

Quand, quittant rapidement ses ornements vestimentaux, l’Anglaise fut aussi nue que son partenaire, elle l’embrassa avec une passion non simulée.

— Repoussera-t-elle, la chique que mes menaces te coupaient tout a l’heure ?

— Je n’en sais rien ! s’exclama-t-il,

— Si, si !

Et, délirante, elle poussa quelques jolis appels sans destination, tandis qu’une agile frénésie arquait son corps puissant et poli.

— Ah ! murmura-t-elle, que je t’aime, mon petit assassin !