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Le Peuple vosgien/n°1 du 15 décembre 1849/Variétés

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VARIÉTÉS.

LE CULTIVATEUR ET LA BONNE RÉCOLTE.

De tous les coins de la France, de toutes ces riches campagnes sur lesquelles la Providence a répandu cette année et l’année dernière toutes les munificences de la nature, des plaintes et des gémissements s’élèvent ; les populations effrayées voient déjà apparaître, avec les feuilles tombantes, le fantôme de la misère.

Tandis que les granges sont encombrées de gerbes, que déjà les grains de blé ruissèlent sous le fléau des batteurs ; que les grappes de raisin pendent aux ceps plus nombreuses que les feuilles ; que la chaleur a promis aux vignerons une récolte sinon exquise, du moins très-abondante ; — le fantôme de la misère apparaît.

Chose incroyable, monstrueuse anomalie ! qui fera frémir nos descendants d’indignation s’ils parviennent à la comprendre : c’est l’abondance même de tous les produits du sol qui amène la ruine et le désespoir des producteurs agricoles ; c’est la richesse qui enfante l’indigence.

Oui, le laboureur contemple avec regret et douleur ces gerbes entassées, ces grains pleins et mûrs qui vont rendre sous la meule des torrents de farine ; oui, le vigneron verse des larmes de désespoir, en comptant ces grappes innombrables qui vont remplir ses cuves d’un vin généreux.

Oui, les travailleurs du sol se ruineront chaque fois que la récolte sera trop bonne.

Comprenez-vous ? la récolte est trop bonne ! c’est-à-dire que le blé et le vin se vendent à vil prix ; que le propriétaire cultivateur retirera à peine de ses produits la somme nécessaire pour alimenter l’usure qui le ronge ; que le fermier ne rapportera pas même du marché le loyer de ses terres, et sera contraint, pour éviter son expulsion du domaine qu’il exploite, de vendre jusqu’aux provisions nécessaires à sa famille.

Le laboureur mangera du pain noir, cet hiver, parce qu’il aura récolté trop de froment ; le vigneron boira de l’eau pour avoir fait trop de vin.

La récolte est trop bonne ; et pourtant, dans chaque centre de population, grand ou petit, combien de malheureux iront quêter de porte en porte un morceau de pain qui les soutienne ; combien vont languir épuisés sur leur grabat ou tomber de faiblesse sur le bord d’un chemin faute d’un peu de vin qui les ranime.

Une seule classe profitera de l’abondance comme elle profite de la disette. C’est la classe des intermédiaires parasites qui règlent le cours des marchés, des spéculateurs qui exploitent le producteur dans les années fécondes, et rançonnent le consommateur dans les années stériles.

Et les gouvernements qui se sont succédés jusqu’à ce jour n’ont pas reconnu la monstrueuse iniquité de ce coupable trafic.

Ou s’ils l’ont reconnue, ils ont déclaré ne pas devoir intervenir ; ils ont déclaré cela au nom de la liberté du commerce.

Et il existe dans le monde une école qui s’intitule économiste, école inhumaine, immorale et impie, qui, sacrifiant l’inviolabilité humaine à l’inviolabilité des écus, a le courage de proclamer, en face de ces révoltantes iniquités, sa fameuse et triste doctrine du laisser-faire, laissez-passer.

Oui, laissez faire l’exploitation, l’agiotage, le trafic et l’usure !

Laissez passer la ruine, la banqueroute, la famine et la mort !

Eh quoi ! sur cette terre privilégiée où mûrissent tant de produits divers, sur ce sol généreux que peuple trente-cinq millions de têtes humaines, le producteur maudit l’abondance des récoltes, tandis que des millions d’hommes, de femmes et d’enfants sont réduits à une nourriture grossière, insuffisante et insalubre !

Le froment surabonde, et des provinces entières ne se nourrissent que de pâte de maïs, sarrasin, châtaigne, etc. ; le vin ne vaut pas quelquefois la valeur des futailles qui le contiennent, et la moitié des habitants de la France est privée de l’usage du vin.

Et vous ne comprenez pas qu’il y a là un vice caché, radical, dont la source réside à la base même de nos institutions économiques ; vous ne voyez pas que notre état social est atteint au cœur d’un ulcère qui le ronge ; vous ne vous dites pas qu’il faut réformer bien vite cette organisation désastreuse, anti-humaine et anti-divine ; qu’il est temps de porter enfin résolument le scalpel dans ces plaies vives de la société, si vous ne voulez pas que la civilisation meure d’épuisement ou se déchire en lambeaux dans les convulsions d’une sanglante agonie !

Les travailleurs ne consomment pas : voilà le vice auquel il faut remédier ; voilà la pluie mortelle qu’il s’agit de guérir.

Les travailleurs souffrent de la disette et ne profitent pas de l’abondance, parce que le salaire décroît toujours en proportion du prix des denrées.

La plupart des produits demeurent au-dessous de leurs ressources, parce que la distribution des produits est mal faite.

Substituez l’association au salaire, cautérisez le chancre de l’usure en remplaçant le crédit particulier par le crédit de l’État ; organisez un vaste système de distribution équitable et de répartition économique ; supprimez les agents parasites, mettez la providence sociale à la place de l’incohérence individuelle, faites enfin que le producteur consomme et vous aurez résolu à la fois tous les problèmes de l’industrie, de l’agriculture et du commerce.

Alors la production, quelqu’abondante qu’elle soit, aura toujours un écoulement fructueux et facile, et le consommateur trouvera dans l’épargne sociale des ressources contre les années malheureuses, alors on ne verra plus des malheureux mourir de faim à la porte des magasins où le blé se pourrit, en attendant que la famine progresse, et le laboureur ne maudira plus la fertilité de son champ.


séance du 13 décembre.

6 heures du soir. — Nous apprenons, par notre correspondance particulière, qu’à la séance de l’assemblée nationale du 13, M. le ministre de l’instruction publique a présenté un projet de loi concernant les instituteurs, qui a soulevé une des tempêtes les plus orageuses que les annales parlementaires puissent compter.

Ont voté contre, les citoyens Forel, Huot.

Se seraient abstenus, Perreau et Fervrel.

Auraient voté pour, MM. Resal, de Ravinel, Houel et Aubry (Maurice).


Le Rédacteur Gérant, A. Thérin.