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Le Peuple vosgien/n°2 du 22 décembre 1849/Feuilleton

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feuilleton du peuple vosgien.

souvenirs du dernier règne.

À vingt années de distance, années de luttes, de persécutions et de proscriptions, je viens, aujourd’hui, dans mon pays natal, comme au premier point de départ, mettre, au service de la cause démocratique, la volonté et l’activité dont je puis disposer.

Ce n’est jamais sans de graves difficultés, suscitées par un milieu rétrograde, que l’on fonde une œuvre utile aux intérêts généraux, que l’on entreprend d’éclairer les esprits, en semant dans les cœurs honnêtes et généreux les premiers germes du vrai, car toujours s’élèvent autour de vous les résistances ennemies, les jalousies de toute sorte, les suspicions plus ou moins mal fondées, et, par-dessus tout, les positions et les intérêts acquis dont nul ne sait faire le moindre sacrifice en faveur d’une amélioration sociale.

Nous sommes parce que nous sommes, et nous voulons rester ce que nous sommes, disent les hommes du statu quo, à quelque nuance qu’ils appartiennent. Ne nous troublez pas dans notre possession, dans notre influence, dans nos privilèges ; ou nous vous ferons une guerre à outrance, une guerre à mort.

Mais ceux que soutient et enhardit l’amour de la République, qui n’est autre que l’amour de la cause populaire, laissent dire, lèvent les épaules, vont en avant et continuent leur mission d’avenir. Exercés à toutes les luttes possibles de la vie sociale, les hommes de foi et de volonté marchent, dans leur force et selon leur conscience, à la conquête des droits et de la liberté publiques, sans trop se préoccuper des mesquins intérêts ou des mobiles personnels qui s’agitent autour d’eux.

La faiblesse et l’égoïsme ne sont point la force, pas plus que le défaut de savoir n’est la science, pas plus que l’enfance plus ou moins n’est l’expérience.

Toujours une lourde tâche pèse sur les hommes de cœur, sur les hommes sérieux, tâche imposée aux plus forts par Dieu lui-même, dès la création de l’humanité.

L’humanité n’est pas un vain mot, car l’humanité c’est la vie, et la vie c’est la pensée de Dieu dans l’infinité des siècles.

Un arrêt irrévocable assigna donc à l’homme un labeur continu sur la terre comme objet d’activité, comme but de perfectibilité humaine.

Il dit : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front.

Et de même qu’il mesura la laine aux agneaux, de même il fortifia le cœur et trempa l’âme de quelques individualités, selon des desseins préconçus et des vues de progrès social.

Le sacrifice d’un certain nombre apparaît donc ici comme sanction du progrès, ce qui a donné naissance à cette maxime : Beaucoup d’appelés, peu d’élus.

Tout en effet concourt à le prouver.

Jamais, à aucune époque de transformation et de rénovation, les dévouements et les sacrifices ont-ils manqué à l’accomplissement de l’œuvre sociale ?

À ne remonter qu’aux temps vulgairement connus, niera-t-on le dévouement et le sublime sacrifice de Jésus, de ses disciples, de ses apôtres et de tant de martyrs de la foi religieuse et humanitaire ?

Ceux-là seuls qui réfléchissent peu, ou qui manquent de sentiment, peuvent l’ignorer ou le mettre en doute ; toujours est-il que le progrès ou la perfectibilité de l’homme n’a d’autre levier plus puissant que le dévouement et le sacrifice.

Certes, les exemples ne nous manqueraient pas dans l’antiquité, à partir de Socrate, seulement, jusqu’à Jésus, le révélateur, et depuis ce dernier jusqu’à ce jour. L’histoire philosophique des sociétés en fourmille.

À chacun donc sa tâche en ce monde.

Aux uns la possession des biens, des privilèges, des honneurs en ce monde ; aux autres toutes les épines, toutes les amertumes, toutes les angoisses de la vie.

C’est que l’homme vit de l’homme a dit Pierre Leroux, c’est-à-dire que la pensée ajoute à la pensée, le progrès au progrès.

Cette loi, aujourd’hui découverte et que je ne fais qu’indiquer dans ce cadre étroit, est cette loi immuable qui nous a conduit de générations en générations à travers toutes les phases et les péripéties des marches séculaires.

Sans pourtant chercher à pénétrer dans l’avenir plus loin qu’il ne m’est permis et qu’il ne me convient aujourd’hui pour mon sujet, je suis donc fondé à établir que le dévouement et le sacrifice ont fait faire un pas immense à l’humanité, et qu’ils ne tarderont pas à réaliser parmi les hommes la liberté, l’égalité, la fraternité.

Et quant à notre époque, il y a quelques jours seulement, et en quelque sorte sous nos yeux, nous voyons l’Europe s’agiter convulsivement, les nations courir aux armes et joncher les champs de batailles de cadavres humains, dites alors : La liberté est proche ! Rome, Venise, Hongrie, Italie, vos martyrs soulèveront bientôt la pierre de leur fosse, et à leur vue les armées de la tyrannie s’enfuiront épouvantés comme les soldats qui gardaient le tombeau du Rédempteur !

Dix-huit cent trente, dix-huit cent quarante huit ont porté leurs fruits ; l’idée se développe et grandit, aucune puissance humaine ne saurait lui assigner de terme.

Après ces quelques considérations générales, nous allons esquisser quelques-unes des scènes qui montreront les soldats de l’idée démocratique sous leur véritable jour.

(La suite au prochain numéro.)

J. M.