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Le Principe de relativité et la théorie de la gravitation/chap. 6

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CHAPITRE VI.

L’UNIVERS DE MINKOWSKI.

« À l’heure actuelle, l’espace et le temps considérés en eux-mêmes doivent disparaître comme des fantômes et seule leur union peut posséder une individualité.
» H. Minkowski. »
[Raum und Zeit[1], 1908.]

20. L’invariant « intervalle d’Univers ».
Union de l’espace et du temps.

Considérons deux événements quelconques. Lorsqu’on les repère dans des systèmes différents (en translation uniforme), ni la distance spaciale des points où se produisent ces événements, ni l’intervalle de temps qui les sépare ne sont les mêmes, car chaque système possède son espace propre et son temps, mais la quantité

(1-6)

a la même valeur dans tous les systèmes, ainsi qu’on le vérifie aisément en appliquant les formules de Lorentz.

D’ailleurs nous avons vu (no 15) que si la quantité

est nulle dans un système, elle est nulle dans tous les autres, parce que la vitesse de la lumière est un invariant. Pour qu’une valeur nulle de cette quantité entraîne nécessairement une valeur nulle dans un autre système quelconque, il faut et il suffit que les formules de transformation (formules de Lorentz) possèdent la propriété de laisser invariante la quantité quelle que soit sa valeur.

L’invariant est l’intervalle d’Univers, il remplace la distance de deux points, considérée en géométrie.

Nous avons vu, en effet, que dans les anciennes notions d’espace et de temps, la distance de deux événements simultanés est un invariant. En géométrie, où l’on ne considère que des événements simultanés, cet invariant est la distance de deux points.

La condition d’invariance de la distance, quand on passe d’un système de coordonnées à un autre, définit complètement, comme nous l’avons déjà fait remarquer, les formules de transformation de la Géométrie analytique. Mais la conception ancienne ne peut plus être conservée, puisque la simultanéité est purement relative.

Dans la théorie nouvelle, la condition d’invariance de l’intervalle définit aussi les formules de transformation, et ces formules sont celles de Lorentz.

La réalité objective de l’espace était affirmée autrefois par l’invariance de la distance de deux points en Géométrie. La réalité du temps était affirmée par l’invariance du temps. Ces invariants (distance géométrique et temps) doivent être supprimés et remplacés par l’invariant

Il n’y a donc ni espace absolu, ni temps absolu, mais il y a une réalité unique, affirmée par l’invariant La modification est radicale : le nouvel invariant contient à la fois les trois coordonnées d’espace et la coordonnée de temps. L’espace et le temps, unis par cet invariant, ne sont pas indépendants et leur union seule possède une individualité. L’Espace-Temps ou Univers est l’ensemble des événements : il est quadridimensionnel[2].

L’Univers est indépendant du système de référence qui sert à repérer les événements : c’est cette indépendance qui est exprimée dans l’énoncé du principe de relativité. Les lois de l’Univers quadridimensionnel, qui sont les mêmes dans tous les systèmes, doivent pouvoir s’énoncer sous une forme intrinsèque, comme le fait la Géométrie pour l’espace, grâce à l’introduction d’éléments invariants. Nous verrons comment cette idée a guidé Einstein, l’a conduit à la relativité généralisée et à la découverte de la loi de la gravitation.

Que devient alors l’espace ? L’espace reste toujours l’ensemble des événements simultanés ; c’est une « coupe de l’Univers à temps donné » (P. Langevin). Cette définition s’applique à l’ancienne conception de l’espace et à celle d’aujourd’hui, mais la différence est profonde : la conception compatible avec la mécanique newtonienne admettait un temps universel, et la coupe était la même dans tous les systèmes, la forme des corps était la même pour tous les observateurs. Dans l’Univers de Minkowski, la simultanéité étant relative, la coupe à temps donné dépend du système de référence ; la forme des corps n’est plus invariable, il y a une infinité d’espaces euclidiens dans l’Univers « euclidien » unique à quatre dimensions, comme en Géométrie il y a une infinité de plans dans l’espace euclidien à trois dimensions.

21. Propriétés des couples d’événements [P. Langevin[3]].

Soient et deux événements ; trois cas peuvent se présenter : l’intervalle est imaginaire, nul ou réel.

1o Couples dans l’espace. Supposons imaginaire. Quel que soit le système de référence, est négatif ; la distance spaciale est plus grande que le trajet que parcourt la lumière dans l’intervalle de temps qui sépare les événements, et cela est vrai dans tous les systèmes, parce que est un invariant. Deux tels événements n’ont pas, dans le temps, un ordre de succession déterminé, car leur ordre de succession peut être inversé par un changement convenable du système de référence.

Repérons, en effet, les deux événements dans deux systèmes et dont les axes des passent par les deux événements ; donnons à une vitesse par rapport à Soient les coordonnées des deux événements dans leurs époques dans leurs époques dans Les formules de Lorentz donnent

(2-6)

Nous avons d’autre part, puisque

ce que nous pouvons écrire

(3-6)

étant une certaine vitesse comprise entre 0 et .

Supposons que soit antérieur à dans le système c’est-à-dire supposons qu’on ait pour toutes les vitesses dont la valeur absolue est comprise entre et (vitesses possibles, puisque ), vitesses que nous prendrons positives ou négatives selon que la différence est positive ou négative, nous aurons

et, par suite, d’après (2-6),

l’événement antérieur à dans le système lui est donc postérieur dans le système

Dans le système animé par rapport à de la vitesse définie par (3-6), les deux événements sont simultanés.

La distance spaciale de ces deux événements est minimum dans le système pour lequel ils sont simultanés, car étant constant, est minimum pour

Deux tels événements, qui, par un choix convenable du système de référence, peuvent être amenés en coïncidence dans le temps, mais non dans l’espace, forment un couple dans l’espace.

Deux événements qui constituent un couple dans l’espace sont nécessairement sans influence mutuelle. Aucun lien de cause à effet ne peut exister entre eux ; en effet, s’il existait entre eux un lien de causalité, comme leur ordre de succession peut être inversé, la cause serait, pour certains observateurs, postérieure à l’effet, ce qui est absurde comme dit Einstein, « on ne peut pas télégraphier dans le passé ».

2o Coïncidence absolue. Lorsque si et sont nuls dans un système, ils sont nuls aussi dans tous les systèmes ; les deux événements sont en coïncidence absolue dans l’Espace-Temps (no 17).

3o Couples dans le temps. Lorsque est réel, la distance spaciale est dans tous les systèmes plus courte que le trajet de la lumière pendant la durée qui s’écoule entre les deux événements.

On voit immédiatement, d’après (2-6), que lorsque est toujours du même signe que quelque choix qu’on fasse du système L’ordre de succession a alors un sens absolu.

De même que dans le cas où on peut trouver un système dans lequel de même lorsque on peut trouver un système dans lequel s’annule. Ainsi, lorsque deux événements sont tels que ils peuvent être amenés en coïncidence dans l’espace, mais non dans le temps : ils forment un couple dans le temps. De plus, la durée qui les sépare est minimum dans le système pour lequel ils coïncident dans l’espace.

Deux événements qui constituent un couple dans le temps peuvent être unis par un lien de causalité. Ils peuvent aussi, bien entendu, être indépendants, mais toujours le premier événement peut avoir été annoncé au lieu où le second va se produire.

L’intervalle d’Univers est donc réel ou imaginaire, suivant que l’un des événements peut ou non influer sur l’autre ; il indique la « possibilité d’influence ou d’action » d’un des événements sur l’autre (P. Langevin).

22. La contraction des longueurs.

Appliquons les considérations qui précèdent à une tige de longueur pour un observateur immobile par rapport à elle dans le système et de longueur pour un observateur du système par rapport auquel elle se déplace dans le sens de sa longueur.

Prenons comme événements et les positions des extrémités de la tige à un même instant pour l’observateur ces événements forment un couple dans l’espace. Pour l’observateur la distance. spaciale des événements et est la longueur de la tige, mais, pour l’observateur de et ne sont plus simultanés, et, pour cet observateur, la tige est plus longue.

Supposons qu’une des extrémités coïncide avec et à l’origine des temps, la formule

montre que, pour

(4-6) ou

Ainsi, pour l’observateur qui voit passer la tige, celle-ci est plus courte que pour l’observateur pour qui la tige est immobile quand la tige est animée par rapport à l’observateur d’une vitesse sa longueur est la longueur au repos multipliée par

C’est la contraction de Lorentz, mais cette contraction n’a plus aucun caractère absolu, et, sous cette forme, elle ne prête plus aux objections précédemment indiquées (no 9). En somme, la contraction résulte simplement de la manière différente dont les deux observateurs définissent la simultanéité et du fait que la forme d’un corps en mouvement ne peut être définie que comme le lieu des positions simultanées des différents points de ce corps (P. Langevin).

Bien entendu, la contraction est réciproque : si deux tiges identiques sont immobiles, l’une dans le système l’autre dans le système chaque observateur trouve que la tige de l’autre système est plus courte que celle de son système.

Le fait qu’un objet en mouvement est contracté dans le sens du mouvement ne signifie donc pas que l’objet a été réellement modifié par le mouvement ; il signifie que l’espace relatif à l’observateur et l’espace relatif à l’objet ne sont pas les mêmes (ainsi que nous l’avions fait pressentir au no 9).

Un objet qui passerait avec la vitesse de la lumière serait, pour l’observateur, infiniment aplati.

23. La dilatation du temps (Einstein).

Une horloge est immobile dans le système elle marque le temps Comment marche-t-elle, vue du système

Supposant, comme précédemment, que, dans chacun des systèmes, le temps soit compté à partir de la coïncidence des origines et des coordonnées, nous avons

d’où

(5-6)

En particulier, pour l’horloge du système placée à l’origine des coordonnées,

On peut raisonner encore de la façon suivante. Considérons une horloge du système et deux événements infiniment voisins se produisant sur cette horloge ; nous avons

invariant avec

d’où

Ainsi, pour les observateurs du système les horloges de retardent, par seconde, de seconde.

Naturellement, la relation entre les temps et est réciproque : pour les observateurs du système ce sont les horloges du système qui retardent de plus en plus sur celles de

La dilatation du temps est la contre-partie de la contraction des longueurs.

Soit, en effet, une tige infiniment courte dirigée parallèlement à la vitesse, immobile dans le système et de longueur dans ce système ; considérons deux événements infiniment voisins concernant cette tige ; d’après (4-6) et (5-6), l’observateur du système mesure

et

On a donc

Avec des tiges de longueurs au repos, dirigées parallèlement aux axes de coordonnées, formons un parallélépipède rectangle immobile dans soit un intervalle de temps infiniment court marqué par une horloge au centre de ce parallélépipède ; comme avec notre choix particulier d’axes, et nous obtenons

ou encore, en prenant comme coordonnée de temps la longueur

(6-6)

formule qui exprime l’invariance de l’élément d’hypervolume (quadridimensionnel) d’Univers.

24. Les lignes d’Univers (Minkowski).

Suivons maintenant la succession des événements qui constituent la vie d’une même portion de matière ou d’un même être. Leur ensemble forme dans l’Espace-Temps une « ligne d’Univers », comme en Géométrie une succession de points forme une ligne dans l’espace.

Dans l’espace de la Géométrie, l’élément d’arc de courbe s’écrit

dans l’Espace-Temps, l’élément d’arc de ligne d’Univers a pour expression l’invariant

(7-6)

c’est l’intervalle, indépendant de tout système de référence, entre deux événements infiniment voisins pris sur la ligne d’Univers considérée. Entre deux événements et pris sur cette ligne, la longueur de l’arc de ligne d’Univers est

(8-6)

l’intégrale étant étendue à tous les couples d’événements infiniment voisins qui se succèdent d’une manière continue le long de cette ligne. Cette intégrale a une valeur indépendante du système de référence.

Prenons comme système de référence un système lié à la portion de matière considérée : dans ce système, tous les événements concernant cette portion de matière sont fixes dans l’espace, puisqu’ils occupent la même position par rapport aux axes du système ; pris deux à deux, ils constituent des couples dans le temps (no 21) ; l’arc de ligne d’Univers qui les sépare est donc réel[4] et leur ordre de succession ne peut être inversé : le passé, le présent et l’avenir gardent un ordre immuable pour les événements concernant un même objet ou un même être.

25. Le temps propre (Minkowski).

Dans un système de référence lié à une portion de matière, c’est-à-dire dans un système dont tous les points sont dans le même état de mouvement, d’ailleurs quelconque, que cette portion de matière, la distance spaciale entre deux événements concernant la portion de matière est toujours nulle. On a donc, dans ce système où

(9-6)

est l’élément de temps propre de la portion de matière considérée et de tout le système qui lui est lié. Le temps propre écoulé entre deux événements et est le temps que mesurera un observateur, c’est le temps qu’enregistreront les horloges dans ce système.

Une horloge, liée à un mobile (dont le mouvement n’a plus besoin ici d’être soumis à la restriction de la translation uniforme) mesure la longueur, divisée par de l’arc de ligne d’Univers de ce mobile.

Considérons maintenant un point matériel libre la loi d’inertie de Galilée nous enseigne que ce point est en mouvement rectiligne et uniforme : à cet état de mouvement correspond, dans l’Espace-Temps, une ligne d’Univers formée par l’ensemble des événements qui représentent les diverses positions successives de ce mobile dans son état de mouvement uniforme, positions qu’on peut repérer dans un système quelconque.

Sur la ligne d’Univers de choisissons deux événements déterminés et ces deux événements forment un couple dans le temps ; leur ordre de succession est le même dans tous les systèmes de référence ; nous supposerons, pour fixer les idées, que soit antérieur à

Entre ces événements et nous pouvons imaginer dans l’Espace-Temps une infinité de lignes d’Univers réelles (de même qu’entre deux points de l’espace de la Géométrie ordinaire, on peut tracer une infinité de courbes) ; prenons l’une quelconque de ces lignes d’Univers : il suffit pour cela de considérer un second mobile parti de l’événement qui, après avoir parcouru, avec une vitesse plus ou moins grande, un trajet spacial plus ou moins long, trajet que nous allons repérer dans un système en translation uniforme lié à rejoint ce mobile à l’événement

En résumé, nos données sont les suivantes : les deux mobiles et sont en coïncidence absolue aux événements et entre ces événements, leurs lignes d’Univers sont différentes ; est supposé en translation uniforme. Enfin, nous repérons les événements dans un système lié à

Il importe de remarquer que ayant quitté en le système uniforme pour y revenir en (ou seulement pour y passer en ), a nécessairement subi une accélération entre les événements et

Prenons deux époques et du temps du système comprises entre les époques et auxquelles se produisent, toujours dans le système lié à les événements et Aux époques et le second mobile est repéré dans le système ces coordonnées déterminent, sur la ligne d’Univers de deux événements et infiniment voisins, dont l’intervalle est on a

mais on a aussi

étant l’élément de temps propre du mobile On déduit de là

étant la vitesse du mobile à l’époque vitesse et temps mesurés dans le système uniforme du mobile

On a donc finalement

(10-6)

ce qui signifie : le temps propre d’un mobile entre deux événements de sa ligne d’Univers est plus court que le temps mesuré entre les mêmes événements dans un système en translation uniforme ; il est d’autant plus court que la vitesse du mobile par rapport au système uniforme est plus grande.

Ce résultat est d’ailleurs absolument général, quel que soit le système uniforme considéré, et il pouvait se déduire de la propriété de minimum démontrée au no 21 : lorsque deux événements forment un couple dans le temps, la durée qui les sépare est minimum dans le système pour lequel ils sont en coïncidence dans l’espace ; le temps propre jouit donc de la propriété de minimum par rapport au temps évalué dans tout système en translation uniforme.

Nous n’avons pas encore tenu compte de la coïncidence absolue des mobiles (en translation uniforme) et (mouvement quelconque) aux événements et Intégrons (10-6)

(11-6)

plus le mouvement du mobile entre les événements et communs aux deux mobiles différera d’un mouvement rectiligne et uniforme, plus, par conséquent, les vitesses par rapport à seront grandes, puisque la durée totale est fixe, et plus le temps propre total sera court.

En d’autres termes : entre deux événements déterminés, la plus longue ligne d’Univers est celle qui correspond au mouvement de translation uniforme[5].

Si, entre deux événements formant un couple dans le temps, il y a une ligne d’Univers de longueur maximum, celle qui représente la translation uniforme, par contre, il y a une infinité de lignes d’Univers de longueur nulle. En effet, dans le système lié à les événements et se produisent au même point d’espace : il y a une infinité de trajectoires possibles pour un rayon lumineux partant de ce point à l’époque et y revenant à l’époque après diverses réflexions ; or la ligne d’Univers d’un rayon lumineux est de longueur nulle, puisque

D’étranges conséquences se déduisent des résultats qui viennent d’être établis.

1o Dans un système en translation uniforme — la Terre, par exemple, car son accélération est faible — deux horloges identiques et synchrones sont au même endroit. On déplace l’une très rapidement et on la ramène près de l’autre au bout du temps (temps du système) ; elle se trouve en retard sur l’autre horloge, de si l’accélération a été instantanée au départ comme à l’arrivée et si la vitesse est restée constante en grandeur, le retard est

2o Dans les mêmes conditions, un échantillon de matière radioactive aura moins évolué que celui qui n’a pas été déplacé, qui n’a pas subi d’accélérations (Langevin).

Il reste bien entendu que de semblables phénomènes ne seraient rendus appréciables qu’en réalisant des vitesses colossales. Pour réduire à 0,9, il faut déjà une vitesse de 133 000 km : sec.

3o Avec P. Langevin[6], imaginons qu’un observateur ait une machine lui permettant de quitter la Terre et d’atteindre une vitesse fantastique. Supposons, pour fixer les idées, que cette vitesse soit inférieure de 1/20 000 seulement à la vitesse de la lumière. Pendant 1 an, le voyageur s’éloigne de la Terre et il revient au bout de 2 ans ; il n’a vieilli que de 2 ans, il a vécu le temps propre de son système, temps d’ailleurs enregistré par ses horloges. Cependant, à son retour, il trouve sur la Terre d’autres générations, et il apprend qu’il est parti depuis 200 ans. Il s’est transporté dans l’avenir, mais sans retour possible dans le passé.

Le calcul montre que si les habitants de la Terre et le voyageur pouvaient se suivre mutuellement par des signaux, la Terre attendrait 2 siècles avant de recevoir le signal envoyé par le voyageur pour annoncer le commencement de son voyage de retour, et que le retour se produirait, pour la Terre, 2 jours seulement plus tard. Tandis que le voyageur aurait vu la Terre s’éloigner et se rapprocher de lui pendant des temps égaux chacun, pour lui, à 1 an, la Terre, prévenue seulement par l’arrivée d’ondes électromagnétiques, aurait vu le voyageur s’éloigner d’elle pendant 2 siècles et revenir pendant un temps 40 000 fois plus court.

Les chiffres qui viennent d’être donnés supposent que la vitesse a été atteinte très rapidement, ce qui serait évidemment impossible, même si l’homme disposait d’une énergie suffisante, car la force d’inertie serait telle que le voyageur serait écrasé. Toutefois, cet exemple met admirablement en évidence la relativité du temps.

Pour un mobile qui serait animé de la vitesse de la lumière, le cours du temps serait suspendu.

26. La loi d’inertie[7].

Nous venons d’établir que l’intégrale est maximum pour la ligne d’Univers qui correspond au mouvement rectiligne et uniforme, c’est-à-dire pour un mobile qui se meut conformément à la loi d’inertie de Galilée.

Cette loi a donc pour énoncé intrinsèque et simple

(12-6)

Le mouvement rectiligne et uniforme joue, dans l’Univers de Minkowski, le rôle que joue la droite en Géométrie euclidienne, avec cette différence que la ligne d’Univers qui se traduit pour nous par l’état de mouvement rectiligne et uniforme entre deux événements est la ligne la plus longue, alors qu’en Géométrie, la ligne droite entre deux points est la ligne la plus courte ; cependant, dans un cas comme dans l’autre, l’énoncé sous forme de loi d’action stationnaire (12-6) est le même.

La ligne d’Univers du point matériel libre, dans un Univers régi par les formules de Lorentz, peut être appelée droite d’Univers, car elle présente une analogie frappante avec la droite de la Géométrie euclidienne : aussi dirons-nous que l’Univers de Minkowski est un Univers euclidien[8]. Cet Univers euclidien est caractérisé par le fait qu’on peut imaginer une infinité de systèmes de référence en mouvement de translation uniforme les uns par rapport aux autres, dans lesquels les équations de Maxwell sont exactes, dans lesquels la propagation de la lumière est isotrope, dans chacun desquels on peut définir un temps, valable pour le système tout entier (no 13) et susceptible d’une mesure optique, dans lesquels enfin le mouvement du mobile libre est rectiligne et uniforme.

Disons dès maintenant que, dans l’Univers réel, ces conditions ne peuvent être réalisées que localement ; nous verrons, dans l’exposé de la relativité généralisée, que l’Univers réel n’est pas euclidien dans son ensemble, mais qu’en chaque point-événement on peut considérer un Univers de Minkowski euclidien tangent à l’Univers réel, de même qu’en Géométrie des surfaces courbes on peut, aux alentours de chaque point, remplacer la surface par son plan tangent.

Dans l’Univers réel non euclidien, la loi d’inertie reste la ligne d’Univers du mobile libre est une géodésique de l’Espace-Temps, mais cette géodésique n’est plus une « droite d’Univers ».

La ligne d’Univers d’une perturbation électromagnétique est une géodésique de longueur nulle.

27. La géométrie de Minkowski (géométrie des événements).

Poursuivant l’étude de l’Univers euclidien de Minkowski, nous allons montrer comment l’invariant qui joue dans l’Espace-Temps le même rôle que la distance dans l’espace de la Géométrie, permet de donner une interprétation géométrique de la transformation de Lorentz[9].

La géométrie des événements diffère de celle des figures de l’espace, non seulement parce qu’elle est à quatre dimensions, mais parce que les coordonnées d’espace et la coordonnée de temps ne sont pas affectées du même signe dans l’expression du carré de l’intervalle d’Univers : comme nous l’avons déjà fait remarquer (note du numéro précédent), il y a dans l’expression de un terme positif et trois termes négatifs, alors qu’en géométrie ordinaire, le carré de la distance de deux points est exprimé par la somme de trois carrés : en d’autres termes encore, dans l’espace, la distance est toujours réelle, dans l’Espace-Temps l’intervalle peut être réel ou imaginaire.

Nous prendrons comme quatrième coordonnée la longueur Dans un hyperespace à quatre dimensions, imaginons quatre axes de coordonnées rectangulaires constituant un système il y a six plans de coordonnées sur chacun desquels on peut représenter la projection d’une figure quadridimensionnelle ; il y a aussi quatre espaces de coordonnées euclidiens, à trois dimensions, perpendiculaires les uns sur les autres : un seul de ces quatre espaces est celui que nous appelons l’« espace »

En géométrie ordinaire, tridimensionnelle, si nous portons à partir d’un point origine, dans toutes les directions, la distance unité, nous obtenons une surface sphérique

(13-6)

Dans l’hyperespace quadridimensionnel, prenons un événement origine Nous devons remplacer la distance de la Géométrie par l’intervalle d’Univers qui peut être réel ou imaginaire. Les événements tels que le carré de l’intervalle qui les sépare de l’événement origine soit égal à ±1 sont représentés par les espaces hyperboliques (à trois dimensions)

(14-6)

Ces espaces jouent le même rôle que la surface sphérique (13-6) de la géométrie ordinaire.

Figurons dans le plan du papier les axes et coupons par ce plan les deux espaces hyperboliques : nous obtenons les deux hyperboles

(15-6)

Considérons maintenant un système de points matériels, ou, selon l’expression de Minkowski, de points substantiels, le mot substance étant pris dans un sens très général et signifiant qu’il y a « quelque chose », matière, électricité, énergie. Supposons que les points substantiels soient animés, parallèlement à d’une vitesse par rapport au système leurs lignes d’Univers sont toutes représentées par des droites faisant avec l’axe l’angle

On a, en effet,

(16-6)

de sorte que les équations de la ligne d’Univers d’un point substantiel immobile dans le système sont

(17-6)

Ces lignes sont bien des droites parallèles à la droite du plan des faisant avec l’angle la droite est la ligne d’Univers du point substantiel dont la position à l’origine des temps est un événement en coïncidence absolue avec l’événement origine du système

Fig. 7.

La valeur absolue de la vitesse ne pouvant dépasser l’angle est compris entre

Prenons maintenant comme nouvel axe du temps la ligne et comme nouvel axe des son diamètre conjugué Ceci revient à repérer les événements dans le système en mouvement par rapport à avec la vitesse parallèle à en effet, tous les points animés de cette vitesse apparaissent immobiles si l’on adopte les axes puisque leurs lignes d’Univers sont parallèles à l’axe du temps, et que par conséquent leurs coordonnées d’espace restent constantes.

Dans le nouveau système d’axes les équations des hyperboles, qui sont rapportées à deux diamètres conjugués, et celles des espaces hyperboliques restent les mêmes

(18-6)

à condition de changer d’unité de longueur et d’unité de temps, en prenant pour unités sur et sur au lieu de et de

Transformation de Lorentz. — Nous pouvons maintenant trouver les formules de transformation permettant de passer du système au système

Les droites et ont pour équations dans le système

Les coordonnées des points et d’intersection avec les hyperboles sont, dans le système

point point

Dans le système les coordonnées de ces mêmes points sont les suivantes :

point point

Soient alors

les formules de transformation des coordonnées. Il suffit de remplacer successivement par les coordonnées des points et pour avoir quatre relations qui déterminent les coefficients On trouve immédiatement

Les formules de transformation s’écrivent donc

ou

ce sont précisément les formules de Lorentz.

La transformation de Lorentz consiste donc dans la substitution de deux diamètres conjugués aux axes des hyperboles et dans le changement d’unités indiqué. Elle laisse invariantes les équations des espaces hyperboliques (18-6).

Toute droite coupant l’hyperbole (1) peut être choisie comme axe du temps De même toute droite coupant l’hyperbole (2) peut servir d’axe des mais non d’axe du temps ; tout événement tel que peut ainsi être rendu simultané avec l’événement origine en prenant pour axe du temps le diamètre conjugué de

Construction générale. — On peut généraliser les résultats précédents et les étendre au cas où les axes d’espace sont orientés arbitrairement par rapport à la vitesse

L’espace hyperbolique à deux nappes

(19-6) (1)

et l’espace à une nappe

(20-6) (2)

ont un espace conique asymptote

(21-6)

Dans l’espace hyperbolique (1), choisissons un point quelconque et joignons Nous pouvons prendre cette droite comme nouvel axe du temps à la droite correspond un espace diamétral conjugué (euclidien), comme à un diamètre d’un hyperboloïde correspond un plan diamétral conjugué. Cet espace a pour équation

(22-6)

il coupe l’espace hyperbolique (2) à une nappe suivant un ellipsoïde (comme un plan coupe un hyperboloïde suivant une ellipse) ; l’ellipsoïde est une sphère si est un sommet de l’espace hyperbolique (1) cas du système

Nous pouvons toujours prendre pour l’intersection de l’espace conjugué de par le plan et d’autre part faire tourner le système pour amener dans le même plan Nous sommes alors ramenés à la construction précédente, et étant dans le plan

La vitesse de l’espace conjugué de par rapport à l’espace est étant l’angle des axes du temps et

Il existe une triple infinité de points dans l’espace hyperbolique (1) ; il y a, par suite, une triple infinité d’axes du temps et une triple infinité d’espaces euclidiens conjugués de ces axes du temps.

Le passé et l’avenir. — L’espace conique

partage l’Univers en trois domaines :

1o Le domaine antérieur, pour lequel ou avec Par chaque événement de ce domaine, on peut faire passer un axe du temps le sens du temps croissant étant Un événement quelconque de ce domaine est « dans le passé » de l’événement origine quel que soit le système de référence ; il forme avec un couple dans le temps, étant antérieur à l’événement origine, puisque

2o Le domaine postérieur : ou avec Par chaque événement de ce domaine, on peut encore faire passer un axe du temps ; le sens du temps croissant étant l’événement est « dans l’avenir » de l’événement origine.

3o Le domaine intermédiaire : ou Dans ce domaine, trois événements quelconques, c’est-à-dire trois points d’Univers, forment avec un espace euclidien qui peut être choisi comme espace l’axe du temps est alors le diamètre conjugué de cet espace. Dans le système de référence ainsi constitué, les trois événements sont simultanés avec l’événement origine pour Par un choix convenable d’un autre système on peut, à volonté, rendre un événement de ce domaine antérieur ou postérieur à

En résumé : le cône se compose de deux parties : le cône antérieur, pour lequel et le cône postérieur pour lequel Le premier contient les points d’Univers ou événements dont l’annonce a pu précéder l’événement ces points d’Univers peuvent « envoyer de la lumière à  ». Le cône postérieur contient l’ensemble des événements qui peuvent être avertis de l’événement ces points d’Univers peuvent « recevoir de la lumière de  ».

En d’autres termes, les événements du cône antérieur peuvent être causes de l’événement ceux du cône postérieur peuvent être causés par

Dans le domaine intermédiaire, le cours du temps n’a pas de sens absolu ; aucun événement de ce domaine ne peut avoir avec l’événement une relation de cause à effet.

Nous retrouvons, par cette représentation géométrique, les résultats indiqués au no 21.

28. L’équivalence du temps et d’une longueur imaginaire (Minkowski).

Posons

(23-6) ou

Le carré de l’intervalle, changé de signe, séparant l’événement origine de l’événement s’écrit

(24-6)

Nous pouvons prendre comme quatrième coordonnée ; cette coordonnée intervient exactement au même titre que les coordonnées longueurs

Les formules de Lorentz deviennent

(25-6)

Définissons un angle tel que

(26-6) d’où

Cet angle imaginaire est lié à l’angle réel de la Géométrie hyperbolique par la relation

Les équations de Lorentz s’écrivent

(27-6)

formules bien connues : ce sont celles qui permettent de passer de deux axes rectangulaires à deux axes faisant un angle avec les premiers. La transformation de Lorentz est donc simplement une rotation d’un angle (imaginaire) des deux axes et dans le plan

Avec cette représentation, il est facile d’établir la loi de composition des vitesses.

Soient, en effet, la vitesse du système par rapport au système la vitesse d’un mobile dans le système ces deux vitesses étant parallèles à

correspond à une rotation correspond à une rotation dans le système Par rapport à nous avons à calculer la vitesse qui correspond à la rotation nous avons donc

d’où

La formule de composition des vitesses n’est donc autre chose que la formule qui exprime la tangente de la somme de deux angles.

Plus généralement, si l’on effectue transformations dans le plan des avec les rotations successives il en résulte une rotation unique d’un angle

La vitesse du ième système par rapport au système primitif est

Or la fonction

croît de à lorsque l’argument est purement imaginaire et augmente de à Par conséquent, est toujours inférieur ou au plus égal à et La vitesse de la lumière est la limite supérieure des vitesses.

L’équation « mystique » de Minkowski[10]. — L’équivalence des longueurs et des temps a été exprimée par Minkowski par une formule qu’il a appelée « formule mystique ». La limite des vitesses étant prise pour unité naturelle, on a

kilomètres seconde.

Effectivement, une longueur de 300 000km et le temps imaginaire seconde jouent exactement le même rôle dans l’expression des lois de l’Univers.

Séparateur

  1. Conférence publiée dans le Recueil Lorentz-Einstein-Minkowski, Das Relativitätsprinzip (Teubner, éditeur).
  2. L’union de l’espace et du temps a été exprimée pour la première fois par Minkowski, d’où le nom d’Univers de Minkowski.
  3. L’évolution de l’espace et du temps (Scientia, 1911) ; Le temps, l’espace et la causalité (Bulletin de la Société de Philosophie, 19 octobre 1911).
  4. C’est la raison pour laquelle nous avons écrit et non
  5. Il importe de remarquer que, dans la démonstration précédente, il n’y a pas réciprocité entre les systèmes de référence liés à et à parce que n’est pas en translation uniforme. C’est l’accélération de qui a créé la dissymétrie : on reconnaît ici le caractère absolu de l’accélération.
  6. P. Langevin, L’évolution de l’espace et du temps.
  7. P. Langevin, Bulletin de la Société des Électriciens, 3 décembre 1919.
  8. Nous conservons la qualification d’euclidien, bien que les carrés qui figurent dans l’expression de ne soient pas tous affectés du même signe, si l’on conserve des coordonnées réelles. Dans la géométrie de l’espace euclidien, les carrés ont tous le même signe :

    c’est là la seule différence. Nous reviendrons plus loin sur ce point.

  9. H. Minkowski, Raum und Zeit. — Max von Laue, Die Relativitätstheorie, t. I, 1919, p. 66.
  10. H. Minkowski, Raum und Zeit.