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Le Radium qui tue/p02/ch02

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Éditions Jules Tallandier (12 Voir et modifier les données sur Wikidatap. 73-83).


CHAPITRE II

La Tache jaune


Quelques minutes plus tard, Dick, rentré dans sa cabine, appelait un des stewards du bord et se faisait apporter un verre de gin.

La chose n’était pour surprendre personne. Seulement, celui qui eût pu observer le détective eût été surpris de sa façon de consommer.

Il s’était enfermé soigneusement d’abord. Puis, de sa valise, il tira une sorte d’écrin. À l’intérieur étaient rangées deux ou trois éprouvettes graduées, des pipettes de verre, et enfin plusieurs petits flacons bouchés à l’émeri et contenant des réactifs variés.

Quelques gouttes de gin passèrent du verre dans l’une des éprouvettes, au fond de laquelle il avait laissé tomber le pétale de tulipe.

Alors, Dick se rapprocha du hublot, mira le contenu du tube de verre, c’est-à-dire qu’il le considéra par transparence, et, satisfait sans doute de son examen, il choisit l’un des flacons coiffé d’un bouchon compte-gouttes.

Avec précaution, il fit couler une gouttelette dans le récipient. L’effet fut instantané. Le liquide se troubla, une sorte de buée opaline embruma le gin transparent.

— On nous a endormis, murmura le jeune homme. Le chloroforme, soluble dans l’alcool, vient de se révéler.

Il continua pensivement :

— Les fleurs imbibées de chloroforme, des tulipes remplacées ensuite par des roses, nos hublots ouverts, afin que l’odeur de l’anesthésique s’échappât… Plus de traces… Je ne me serais douté de rien sans cette mince feuille oubliée dans ma cabine par le nocturne visiteur.

Il eut un geste rageur.

— Je ne me serais douté de rien !… Seulement, si je vois l’acte à cette heure, je ne conçois pas le but.

Une minute, il garda le silence. Son front penché, son attitude décelaient l’effort de la réflexion :

— Parbleu, reprit-il, chez miss Fleuriane, c’est clair. Le but était le vol des corindons… Mais pour moi personnellement, quelle nécessité de m’endormir ?… La crainte de me voir troubler leurs opérations ? Non, ce n’est pas cela… Larmette est trop intelligent… Il devait comprendre que je serais sans défiance jusqu’au dernier jour de la traversée… ; car, il n’y a pas à dire, en opérant au départ il a compliqué sa situation. Il me donne cinq fois vingt-quatre heures pour découvrir la nouvelle cachette des gemmes…

Mais le détective amateur secoua la tête :

— Non, il ne me les donne pas. Cet homme est très fort. Il a opéré avec le maximum de chances de n’être pas surpris. S’il a agi ainsi, c’est qu’il a ou croit avoir une cachette sûre, introuvable. Le tout est de savoir s’il ne s’est pas trompé.

Les recherches faites à bord se chargèrent de répondre à la question. Cabines, machinerie, salons, cales, furent fouillés en vain. Les automobiles mêmes, sur une remarque du pseudo-Frachay, soucieux de ne pouvoir être soupçonné, furent visitées dans la cale. Rien n’apparut qui mit sur la trace des voleurs. La caissette de corindons semblait s’être volatilisée, réduite en vapeurs. Et le commissaire du bord en arriva à supposer :

— N’aurait-on pas jeté la chose à la mer ?

Larmette et ses compagnons, l’ingénieur chilien Botera ainsi que Davisse semblaient unir leurs efforts pour aider l’enquête. Des premiers, ils avaient ouvert leurs cabines, leurs bagages aux investigations. Avec une inlassable amabilité, ils avaient démonté les divers compartiments de leur voiture automobile. À chaque instant, ils exprimaient une idée nouvelle.

— Avez-vous fouillé telle partie du navire ? tel coin ?

On eût cru que la prise des voleurs les intéressait plus que tout le monde. Et cette ardeur même troublait Dick Fann. À part lui, le jeune homme en arrivait peu à peu à se dire :

— On ne trouvera rien.

Au soir, aucun recoin du paquebot n’avait échappé aux perquisitions. Commissaire, officiers, passagers, matelots donnaient, selon l’expression populaire, leur langue aux chiens.

Après le dîner, Fleuriane, Dick Fann et Jean Brot se retrouvèrent sur le pont. Mme Patorne, elle, s’était éloignée discrètement ; mais, en cherchant bien, on eût aperçu à peu de distance son anguleuse silhouette accoudée au bastingage auprès de celle du joaillier Larmette. La laide continuait son flirt.

En tout état de cause, sa folie douce permettait aux jeunes gens de causer en liberté.

— Eh bien ? interrogea Fleuriane.

— Ce Larmette est très fort, riposta Dick Fann.

— Quoi ! vous vous découragez.

— Je n’ai pas dit cela, mademoiselle. Au contraire, mon adversaire m’intéresse beaucoup. Il y a plaisir à se mesurer avec un coquin de cette envergure.

Il y eut un silence. La jolie Canadienne fut la première à le rompre :

— Avez-vous quelque idée de la cachette choisie ?

— Aucune.

— Mais alors ?…

Dick coupa la phrase commencée, phrase de doute qui allait être exprimée.

— Souvenez-vous de ce que je vous disais hier. Le difficile n’est pas de prendre, mais de garder.

— Eh bien ?

— C’est au moment de débarquer qu’ils se trahiront… Il faudra remporter les corindons… Jean et moi nous veillerons.

La traversée devait se continuer sans qu’aucun fait nouveau se produisit.

Toujours aimable, Larmette offrait chaque jour des fleurs à ses compagnes de voyage.

Au départ du Havre, il avait dévalisé le magasin d’un fleuriste, et sa moisson odorante, enfermée dans une caisse, qu’un arrosage savant rafraîchissait chaque matin, lui permettait de continuer ses gracieux envois.

L’ingénieur Botera travaillait au salon, coupant son labeur de courtes promenades. Le mathématicien apparaissait en lui, et durant ces brèves absences, il laissait négligemment sur la table les feuilles de papier où ses calculs algébriques s’alignaient en rangs serrés.

Larmette, lui, lisait, ou s’empressait autour de Mme Patorne, que ces attentions rendaient positivement folle. La dame de compagnie arborait maintenant des parures inédites, combinaisons de couleurs hurlant de se trouver côte à côte.

À l’infirmerie, elle avait découvert du henné et, munie de ce produit tinctorial, elle avait transformé sa chevelure, que des fils blancs striaient, en une tignasse d’un rouge inédit, criard, aveuglant. Ce qui avait fait dire à Jean Brot, avec le pittoresque d’expression du vrai Parisien :

Mme Patorne fait le ravalement de sa façade.

Mais la vieille dame n’avait point entendu l’ironique appréciation du gamin. Elle n’avait d’oreilles, et quelles oreilles, grands dieux ! que pour la voix de Larmette, devenue à son cœur la plus douce des musiques.

Et le joaillier saluait chacune de ses transformations de coloris par des exclamations admiratives.

Trois jours, puis quatre de traversée s’écoulèrent ainsi.

Le soir de la dernière journée, Jean Brot avait regagné sa cabine vers dix heures. Il en était onze lorsque Dick Fann vint le joindre.

Il trouva le gamin assis dans un coin, l’air préoccupé, considérant l’un de ses pieds nus avec une inquiétude manifeste. Si absorbé était Jean, qu’il n’entendit pas son compagnon entrer dans la cabine.

— Qu’y a-t-il donc ? fit ce dernier, quelque peu surpris de l’étrange attitude du petit.

L’interpellé tressaillit. Il leva les yeux vers le détective.

— Il y a quelque chose, bien sûr ; mais vous dire quoi, je n’en suis pas capable. Tenez, tout à l’heure j’arrive. Je me déchausse pour me coucher. Je me plante là, au milieu de la cabine, en face de la petite glace ovale du lavabo.

— Après ? Je ne vois rien là qui ait pu t’émouvoir à ce point.

— Attendez. Voilà que je sens une douleur à la plante de ma patte gauche comme si l’on m’avait piqué avec une aiguille… D’abord, ce n’était pas très fort ; puis cela augmentait de minute en minute… Alors je saute en arrière, je tombe assis sur votre couchette… Excusez, je ne l’ai pas fait exprès. Machinalement, je regarde mon pied, car il me cuit toujours, et…

— Et ?… répéta avec une nuance d’impatience Dick, voyant que le gamin s’arrêtait

— Et voilà.

Jean avait avancé son pied gauche. Sous la plante, à l’endroit que le petit désignait du doigt, Dick discerna une sorte de disque rougeâtre. En ce point, la peau tendue, brillante, semblait avoir été désorganisée par le contact d’un objet de température élevée.

— Mais tu es brûlé ! s’exclama le détective.

— Brûlé… et avec quoi ? Vous pensez bien que je ne m’amuse pas à me frotter des allumettes à cet endroit-là.

— Cependant, ceci est une brûlure.

Dans un geste de désespoir comique, Jean Brot leva les bras au ciel.

— Et moi qui pensais que vous m’expliqueriez…

— Comment t’expliquer ?…

— Bien sûr… Comme chaque soir, je tourne un peu avant de me couler dans les draps. Il n’y a pas de danger, ou du moins je croyais qu’il n’y en avait pas, à marcher nu-pieds sur le tapis moelleux qui recouvre le plancher. Bon, première surprise, il me semble que le tapis me pique comme un hérisson, et je ne découvre pas de trace de pointe. C’était déjà fort. Mais paraît que c’est encore plus raide que cela. Vous dites que le tapis m’a brûlé… Alors, vrai, ça ne me va plus, car enfin, les tapis, ça ne brûle pas les orteils, en général.

Le petit homme eût pu parler longtemps ainsi.

Dick Fann était loin de songer à lui répondre. Son esprit actif travaillait, cherchant à percer le nouveau mystère qu’il pressentait.

Oui, un point rouge sur le pied d’un enfant venait tout à coup de faire naître, dans le cerveau du détective amateur, une hypothèse étrange, grosse de conséquences… Dick se demandait si la brûlure de son jeune compagnon n’avait pas été causée par des effluves de radium.

De radium ! La supposition compliquait encore la situation. Des hommes de moindre intuition l’eussent repoussée sans hésiter comme invraisemblable.

Et cependant elle s’imposait tyranniquement à la pensée de Dick.

Brûlure de radium, avait-il dit. Pourquoi ? Parce que son raisonnement, incessamment tendu vers Larmette, ne pouvait plus séparer de cet homme les idées de corindons et de radium.

Soudain, tout l’être de Dick Fann fut agité comme par une commotion électrique. Le plancher de la cabine était recouvert d’un épais tapis feutré, de couleur cachou.

Or, à l’endroit que désignait tout à l’heure Jean Brot, le détective avait eu l’impression qu’une tache minuscule claire se dessinait.

Il l’indiqua de l’index à son compagnon. Celui-ci haussa les épaules.

— Bon, fit-il, dans ces niches où l’on a à peine la place de remuer, rien d’étonnant à ce que l’on fasse des maladresses. Cette tache-là ne doit pas être la seule.

L’Anglais s’était agenouillé sur le tapis et avait recouvert le petit cercle jaunâtre de la paume de sa main.

— Qu’est-ce que vous faites donc ? questionna le gamin très intrigué par la manœuvre.

— Chut !

Ce fut là la seule réponse de son interlocuteur. Mais elle fut lancée de façon si autoritaire qu’en dépit de son audace de Parisien, Brot resta coi.

Seulement si ses lèvres n’exprimaient pas les interrogations qui se pressaient sous son crâne, ses regards les traduisaient avec une incomparable éloquence. Ils ne quittaient plus le gentleman.

Dick Fann s’était immobilisé. Il était là sans mouvement, les paupières mi-closes, donnant l’impression d’un chasseur à l’affût.

Et, brusquement, un sourire passa sur les traits du détective.

Par effet réflexe, le visage de son compagnon s’illumina.

— Vous avez découvert quelque chose ?

Cette fois, Dick Fann répliqua :

— Oui. Et maintenant je sais pourquoi j’ai trouvé un pétale de tulipe dans cette cabine.

Puis, sans paraître remarquer l’air hébété avec lequel son interlocuteur accueillait ces paroles inintelligibles pour son intellect, Dick continua :

— Très fort ! La cachette rêvée !… Moi-même je n’eusse point cherché là… Et au pis aller eut-on découvert le pot aux roses que Larmette demeurait à l’abri du soupçon. Très fort !…

Toujours à genoux, le jeune homme avait redressé son buste.

— Ah ! petit Jean, fit-il d’un ton de bonne humeur, ne te plains plus de ton accident ; tu as subi la plus heureuse brûlure qui te pût advenir.

Et, tendant vers son compagnon, la main qui tout à l’heure cachait la tache jaunâtre du tapis cachou :

— Regarde.

— Votre main ? bégaya l’enfant de plus en plus interloqué.

— Oui, ma main ; au-dessous de l’index, ne vois-tu rien ?

Jean considéra avec attention le point désigné.

— Vous… vous êtes brûlé aussi…, moins fort que moi, par exemple.

En effet, au bas de l’index du détective une marque rose, circulaire, du diamètre d’un pois, se dessinait nettement.

— Justement, je suis brûlé.

— Par quoi ?

— Par le tapis, comme toi.

— Par le tapis ?

— Ou plutôt par ce qui est dessous.

Du coup, Jean se prit à rire, en se frottant les mains :

— Ça a l’apparence d’une charade.

— Tu dis plus vrai que tu ne penses, mon enfant. Une recherche policière est toujours un rébus qu’il importe de déchiffrer.

Tout en parlant Dick Fann se relevait. Il allait à sa valide, l’ouvrait, en extrayait une pince, un petit marteau, puis, s’accroupissant de nouveau, il commençait à déclouer le tapis cachou.

— Je vais soulever le tapis.

— Pour ?

— Pour voir ce qu’il recouvre. Il n’existe pas de meilleur moyen, tu sais.

La tapisserie cédait. Dick la replia lentement sur elle-même, découvrant ainsi les lamelles de sapin rouge qui formaient le plancher. Au centre apparut une sorte de rectangle limité par une ligne bien tranchée.

Le détective rit silencieusement, et désignant ce parallélogramme :

— Vois, on a scié le plancher. Des vis ont fixé le panneau libre.

— Une cachette ! murmura l’enfant.

Maintenant, l’Anglais, maniant avec dextérité un mignon tournevis, faisait sortir de leurs alvéoles les spires d’acier immobilisant la plaquette mobile du plancher. Celle-ci soulevée à son tour, une cavité apparut, presque remplie par un objet que les deux explorateurs reconnurent aussitôt.

— Le coffret !

Oui, c’était le coffret de Fleuriane, le coffret aux corindons que l’on avait vainement cherché par tout le navire.

— Seulement, reprit le gamin entre haut et bas, cela ne me dit pas pourquoi ça brûle.

Dans un chuchotement, son interlocuteur prononça :

— Les voleurs ne veulent pas perdre de temps.

— Je ne devine pas davantage.

— Au moyen du four électrique, ils ont donné aux gemmes l’apparence de pierres sans valeur.

— Oui, je me souviens.

— Eh bien ! à présent, ils sont en train de rendre aux joyaux leur aspect primitif.

— La boite est fermée. À quoi distinguez-vous ?

— Je sais que, sous l’action du radium, tout corindon vulgaire devient une pierre précieuse.

— Le radium, à présent !

— Eh oui, le radium, dont les effluves traversant coffret plancher, tapis, ont impressionné désagréablement ton pied d’abord, ma main ensuite.

Et, avec une douce ironie, le détective ajouta :

— Un complice dangereux, ce radium… Il se trahit et trahit son maître.

Il avait retiré la cassette de sa cachette. La clef minuscule était demeurée dans la petite serrure d’acier nickelé.

Le couvercle soulevé, les deux chercheurs plongèrent à l’intérieur des regards avides. Les corindons étaient bien là : mais déjà presque transformés en saphirs, émeraudes, rubis, béryls, topazes, entre-croisant leurs feux multicolores. Tranquillement, Dick Fann les écarta, mettant à découvert un tube de verre de deux millimètres de diamètre dans lequel se distinguait un granule imperceptible.

— Tiens, Jean, voici le transformateur.

— Ce petit grain ?…

— De radium, mon ami.

— C’est cette poussière qui nous a rissolé la peau ?

— Et qui, durant deux mille ans, conserverait la propriété de transformer en magnifiques bijoux des cailloux sans aucun prix.

Le Parisien ne disait plus rien. La bouche bée, les yeux écarquillés, tout en lui décelait une surprise voisine de l’ahurissement.

Le grand mystère scientifique l’étreignait. Il avait, cet enfant de Paris, l’éblouissement de ce qui fut le rêve de l’alchimie moyenâgeuse.

La « pierre philosophale » opérait là, sous ses yeux. Et cette pierre, destinée à transformer la parure et la richesse du monde, lui apparaissait menue, presque impalpable.

Pourtant, dans un soupir, il bégaya :

— Enfin, nous les tenons, nos voleurs…

Il s’arrêta. Son interlocuteur secouait la tête.

— Pas encore, Jean. Quelle preuve déduiras-tu contre Larmette de la présence de ce coffret dans notre cabine ?

Et le visage du gamin se rembrunissant, il s’empressa d’ajouter :

— Seulement, nous les prendrons, maintenant que, sans qu’ils s’en doutent, nous avons lu dans leur jeu. À New-York, il faudra qu’ils s’emparent du coffret

— Ah ! oui… Leur acte même les condamnera.

— Je l’espère.

Jean sursauta à cette réponse.

— Comment ! vous n’êtes pas sûr ?

— On ne l’est jamais… Et puis une chose m’inquiète. Les gemmes paient, à l’entrée du territoire des États-Unis, des droits de douane exorbitants. Larmette aurait eu tout avantage à laisser aux corindons leur aspect de pierres communes. Il a compliqué la situation. Pourquoi ?… À moins qu’il n’ait un moyen de les faire entrer en fraude…

Mais, secouant la tête :

— Bah ! nous le verrons bien. En attendant, pas un mot de notre découverte, et veillons.

Dix minutes plus tard, cassette, plancher, étaient de nouveau cachés par le tapis remis en place. D’un air indifférent, Dick Fann remontait sur le pont, où il rencontrait Fleuriane, absorbée par la lecture d’un volume.

— À New-York, vous vous munirez d’un nouveau wattman, mademoiselle.

La jeune fille sursauta.

— Pourquoi ? Voulez-vous me quitter ?

Il y avait dans ces simples paroles une émotion si sincère que le détective amateur demeura un instant sans répondre.

— Non, fit-il enfin, mais pour veiller sur vous, j’ai besoin de disparaître.

— Qu’est-il donc arrivé ?

Elle avait joint les mains. Tout son être exprimait l’émoi. Il la rassura d’un sourire.

— Ne m’interrogez pas, je vous en prie. Par le sans-fil, faites retenir un appartement au Central-Hôtel, je vous enverrai un wattman de mon choix, et vous ne partirez que sur avis de moi.

Puis, avec une ferveur singulière :

— Ne craignez rien, je vous en conjure. Pas une minute je ne vous perdrai de vue… je vous rejoindrai à San-Francisco, peut-être avant… Mais je serai toujours autour de vous.

Il quitta brusquement la jolie Canadienne, bouleversée par cet étrange entretien, puis il rejoignit Jean Brot avec lequel il parla longuement à voix basse. Quelle mission confiait-il au gamin ?

Impossible de le savoir. Mais si la mission était active, le hasard se déclara contre lui, car, le soir même, le petit Parisien, en descendant les escaliers de la passerelle, tomba si malheureusement qu’il lui devint impossible de marcher, bien qu’il ne portât aucune blessure apparente.

Le médecin du bord bougonna vaguement ce diagnostic de fortune :

— Lésion interne.

Et prescrivit le repos absolu.

Jean fut transporté dans la cabine 16. Dick Fann lui céda la couchette du bas, et l’enfant, une fois bien bordé, parut s’endormir. Seulement, quand ses porteurs furent partis, qu’il se trouva seul dans l’étroite chambre, il fut secoué par une hilarité inexplicable, et se cacha sous les couvertures, afin que les éclats convulsifs de cette gaieté subite ne pussent parvenir au dehors.