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Le Roman d’un enfant/60

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Paris Calmann Lévy (p. 240-242).


LX


Ce même printemps-là, il y eut un retour du père de la petite Jeanne qui me frappa beaucoup. Depuis quelques jours, sa maison était sens dessus dessous, dans les préparatifs et la joie de cette arrivée prochaine. Et, la frégate qu’il commandait étant rentrée dans le port un peu plus tôt qu’on n’avait supposé, je le vis de ma fenêtre un beau soir, qui revenait chez lui, seul, se hâtant dans la rue pour surprendre son monde… Il arrivait de je ne sais quelle colonie éloignée après deux ou trois ans d’absence, et il me parut qu’il n’avait pas changé d’aspect… On rentrait donc au foyer tout de même ! Elles finissaient donc, ces années d’exil, qui aujourd’hui du reste me faisaient déjà l’effet d’être moins longues qu’autrefois !… Mon frère lui aussi, à l’automne prochain, allait nous revenir ; ce serait bientôt comme s’il ne nous avait jamais quittés.

Et quelle joie, sans doute, que ces retours ! Et quel prestige environnait ceux qui arrivaient de si loin !

Le lendemain, chez Jeanne, dans sa cour, je regardais déballer d’énormes caisses en bois des pays étrangers ; quelques-unes étaient recouvertes de toiles goudronnées, débris de voiles sans doute, qui sentaient la bonne odeur des navires et de la mer ; deux matelots à large col bleu s’empressaient à déclouer, à découdre ; et ils retiraient de là dedans des objets d’apparence inconnue qui avaient des senteurs de « colonies » ; des nattes, des gargoulettes, des potiches ; même des cocos et d’autres fruits de là-bas…

Le vieux grand-père de Jeanne, ancien marin lui aussi, était à côté de moi, surveillant du coin de l’œil ce déballage, et tout à coup, d’entre des planches que l’on séparait à coups de masse, nous vîmes s’échapper de vilaines petites bêtes brunes, empressées, sur lesquelles les deux matelots sautèrent à pieds joints pour les tuer :

— Des cancrelats, n’est-ce pas, commandant ? demandai-je au grand-père.

— Comment ! tu connais ça, toi, petit terrien ? me répondit-il en riant.

À vrai dire, je n’en avais jamais vu ; mais des oncles à moi, qui avaient habité dans leur compagnie, m’en avaient beaucoup parlé. Et j’étais ravi de faire une première connaissance avec ces bêtes, qui sont spéciales aux pays chauds et aux navires…