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Le Théâtre pendant les jours du Siège et de la Commune/IV

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IV


Représentations au bénéfice d’œuvres patriotiques. — Les dernières soirées de l’Opéra, de l’Opéra-Comique. — Fermeture du Vaudeville, de l’Ambigu, du théâtre Cluny.

Bien que le public désertât les théâtres, l’espoir de prochaines victoires succédant à nos premiers revers n’en entretenait pas moins les plus grandes illusions dans le monde des artistes et de la presse théâtrale. Il est question, pour le 1er septembre, de la réouverture de l’Odéon, de celle de la Porte-Saint-Martin, où Raphaël Félix veut jouer Jeanne d’Arc, de Jules Barbier ; on parle d’engagements aux Italiens pour la saison d’hiver ; Offenbach dirige, à l’Opéra-Comique, les répétitions de Fantasio. La distribution des prix aux élèves du Conservatoire a eu lieu le 5 août avec le même cérémonial que d’habitude ; Maurice Richard, ministre des lettres, sciences et arts, a décoré Reber, promu officier de la Légion d’honneur, et Baillot, chevalier.

Mais, en réalité, après la terrible déroute de Reichshoffen, Paris désemparé par les nouvelles foudroyantes de nos défaites, par la marche envahissante des armées allemandes, par les craintes d’un siège, dont on envisage déjà la sinistre perspective, n’a ni le temps ni l’envie de songer aux spectacles.

Seules, attireront son attention les représentations au bénéfice des œuvres nombreuses qu’enfantent les malheurs de la guerre et qui vont se multiplier fatalement jusqu’à la fin de la campagne.

Des représentations au profit des blessés furent organisées, dès les premières semaines d’août, aux Français, au Gymnase, aux Variétés, aux Bouffes, à Cluny, ainsi que dans les théâtres de quartier. On y applaudit Darcier qui chante, en uniforme de vieux sergent, au Gymnase, les Souvenirs d’un vieux grognard, la Première bataille, la Gauloise ; Melchissédec dans un chant patriotique de Léo Delibes, Serrons les rangs ; Pradeau, Blaisot et Mme Dunoyer dans un à-propos, Après la guerre, déjà cité.

Quant aux représentations ordinaires de ces soirées enfiévrées d’août 1870, elles furent données devant les salles que la recrudescence de nos défaites dégarnissait progressivement.

L’Opéra, que les abonnés ont déserté, essaie en vain de lutter contre l’indifférence du public ; La Muette, qu’intercalent à de rares intervalles le Freyschütz et Coppélia, est représentée onze fois presque consécutivement ; mais malgré la Marseillaise, chantée chaque soir et qui tourne à l’obsession, l’enthousiasme de la soirée mémorable du 20 juillet a fait place à l’appréhension et même au découragement.

On joue, le 22 août, l’opéra d’Auber ; les portes de l’Académie nationale de musique restent fermées les jours suivants. Encore la Muette le 26 ; le 29, un essai de réouverture avec le Trouvère. Le 2 septembre, on donne Guillaume Tell pour la rentrée de Faure et de Mme Carvalho « et la rentrée plus problématique des abonnés », lit-on dans l’Entr’acte. Mais les événements prennent une tournure de plus en plus grave ; ni abonnés, ni spectateurs ne viennent assister à cette reprise. La veille, on donne une seconde représentation, mais Guillaume Tell n’est que le chant du cygne de cette lamentable fin de saison ; l’Opéra ferme définitivement ses portes[1]. Il devait avoir, pendant le siège, une affectation utilitaire assez inattendue :

En présence des craintes que l’on avait de voir les conduites d’eau alimentant Paris coupées par les Allemands, Garnier se souvint qu’une nappe d’eau venant de Montmartre se trouvait sous les fondations. Par un forage ingénieux, il remplit d’eau les bas-fonds du monument : poursuivant ses idées de prévoyance, il fit accumuler, dans les sous-sols destinés aux décors, du blé, des pommes de terre, des farines, du vin. Il installa également une boulangerie militaire, d’où ce mot qui fit fortune et qu’on attribua à Auber :

Dans le palais du son, on fait de la farine.

Ajoutons qu’une ambulance et une cuisine furent installées dans diverses salles et, dominant le tout, un appareil électrique échangeait, du faîte de l’Opéra, des signaux avec un poste analogue situé sur les tours de Saint-Sulpice.

L’Opéra-Comique devait rester fermé jusqu’en juillet 1871, mais la saison se poursuivit sans interruption pendant le mois d’août avec l’Ombre, Lalla Roukh, le Kobold, la Fille du Régiment, Mignon, Zampa[2]. Le 3 septembre, une très intéressante reprise de la Servante maîtresse, avec une admirable interprétation, Melchissédec et Galli-Marié, passa inaperçue. Le 5 septembre, les affiches mentionnaient « relâche », sans indiquer une époque de réouverture.

Les représentations de la Comédie-Française n’ont pas un sort meilleur que celles de l’Opéra. Le Lion amoureux y tient la place de la Muette, pour faire réaliser quelques médiocres recettes. Mais les autres ouvrages, le Duc Job, Une Fête sous Néron, Mlle de Belle-Isle, malgré des à-propos de circonstance, ne parviennent pas à attirer un nombreux public.

Le 4 septembre, on avait affiché Mérope et le Menteur. « À quatre heures, dit le registre journalier du théâtre, la Chambre, après avoir renversé le gouvernement de Napoléon III, proclama la République. » Le 5, dernière du Lion amoureux. Le 8 septembre, devançant l’arrêté de fermeture, le Théâtre-Français fermait ses portes. Mais alors que l’Opéra ne devait les rouvrir que dix mois après, la Comédie-Française allait, pendant le siège comme pendant la Commune, donner des représentations de façon continue, se lier étroitement à la vie angoissée de Paris, aux longs jours d’épreuve qui se préparaient.

Suivant l’exemple de la Comédie-Française, le Gymnase devait rester presque constamment ouvert. Ce fut celui des théâtres non subventionnés qui résista le plus longtemps à la tourmente. Il donna successivement Fernande, de Sardou, Diane de Lys et le Demi-Monde, d’Alexandre Dumas fils, une reprise de Séraphine, de Sardou, le 20 août. F. Sarcey, dans son feuilleton du Temps, le 8 septembre, félicitait Montigny, le directeur, de « tenir bon » sans aucune subvention. Il complimentait Mlle Desclée qui venait de brillamment débuter dans le Demi-Monde.

Les seuls théâtres encore ouverts étaient le Vaudeville, la Gaîté, le théâtre Cluny, où les spectacles étaient à peu près les mêmes qu’en juillet ; l’Ambigu avec le Gladiateur de Ravenne, et les Variétés avec les Brigands.

Cependant, avec les derniers jours du mois d’août, les affiches disparaissent peu à peu ; le 7 août, relâche à Cluny ; le 11, relâche à l’Ambigu ; le 15, au Vaudeville ; le 16, aux Variétés. Dès le 12 août, les programmes des spectacles ne paraissent plus à l’Officiel. Les chroniques du lundi, de Théophile Gautier, seront bientôt remplacées par ses curieuses « Promenades dans Paris assiégé ».


  1. La réouverture eut lieu, comme nous le verrons, le 12 juillet 1871. On ne peut considérer comme représentations de l’Opéra quelques concerts organisés pendant le siège.
  2. Le directeur de l’Opéra-Comique reçut, le 20 août, une lettre du fils de Hérold, qui regrettait que la reprise de Zampa eût lieu en présence de nos désastres. Il abandonnait les droits d’auteur à la Société internationale des Secours aux blessés.