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Le journal d’une masseuse/02

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R. Dorn (p. 10-11).

CHAPITRE II

OÙ L’AUTEUR COMMENCE À S’ENNUYER

Les jours se suivent et se ressemblent. Je n’ai qu’une occupation : manger ; qu’un plaisir : me promener ; qu’un besoin : dormir.

Et je mange, je me promène et je dors tant que je peux. On ne se figure pas cependant comme c’est pénible de travailler tant. Le soir, quand je me couche, je suis éreinté.

J’ai eu hier la visite du père Fifre, le pasteur. Ah ! quel brave homme, quel digne homme, quoique pasteur. On s’est mis tout de suite à blaguer d’un tas de choses… Et pas un mot de la religion ; rien ! Il y en a de ces pasteurs qui ne savent que citer des versets de l’Évangile appliqués à toutes sortes de circonstances plus ou moins saugrenues ; par exemple, si un serin meurt, avalé par un chat, vite : « Hélas ! Le Seigneur l’avait donné, le Seigneur l’a repris, etc., etc. » ; ou bien, quand madame a des coliques pour avoir pris une purge trop active, c’est : « Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai. »

Ah, la barbe, la jambe !!!

Avec le père Fifre, rien de pareil. Il me traite un peu comme le père Boche, en enfant terrible. Avec cela, un drôle d’accent, le parler lent et gras des Vaudois. Il est drôle le papa Fifre, mais on ne peut cependant s’empêcher de l’aimer tout de suite. Un brave homme, quoi !

Vous ai-je dis que je m’ennuyais ? C’est vrai, tout ce qu’il y a de plus vrai. J’ai beau me promener partout, je ne puis écarter l’ennui. Je suis un peu seul, tout de même, malgré mon chat. J’ai demandé des livres au père Fifre. Que voulez-vous, on ne peut pas toujours travailler ! Je relis les Cinq Sous de Lavarède, le Dernier des Mohicans, le Robinson Suisse, le Tour du Monde en 80 jours… Je vous jure, un enfant de quinze jours en pleurerait !