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Le pays, le parti et le grand homme/Expulseurs er expulsés

La bibliothèque libre.
Castor
Gilbert Martin, éditeur (p. 54-57).

EXPULSEURS ET EXPULSÉS.


I


Revenons à nos expulsés.

Comment ! l’on a chassé ainsi du parti des chefs vénérés, nombre de ses officiers supérieurs, des bataillons complets ? Que dis-je ! des légions entières de ses plus valeureux soldats !…

Et le parti lui-même, je parle de ce parti sérieux, indépendant, dépositaire des principes dont Lafontaine, Morin, Taché et Cartier ont été la personnification, le parti des hommes qui sont conservateurs pour des fins autres que celles du pouvoir, des jobs et du patronage, ce parti n’aurait pas même son mot à dire !…

Allons-nous ainsi laisser décréter, par une autorité plus que contestable, la division du parti ou son démembrement ? Allons-nous sanctionner, par notre silence, cet ostracisme révoltant ?

Eh bien non ! Notre confiance dans le parti conservateur est assez grande pour nous permettre de croire qu’il n’en peut être ainsi.


II


Du moins, ne sanctionnerons-nous pas cet ostracisme avant d’avoir constaté :

1° Quels sont respectivement, vis-à-vis le parti conservateur, les expulseurs et les expulsés ?

2° Quels sont les droits et les titres de chacun à notre confiance et à nos sympathies ? Qui sont restés fidèles aux principes de leur parti ? qui en a respecté les traditions, l’honneur, les intérêts ?

Si les bannis ne sont que des renégats et des traîtres, que la juste colère de M. Chapleau a balayés de sa présence, à la bonne heure ! Mais si c’est tout le contraire ?…

Si les victimes sont des hommes honorables, coupables du seul crime d’avoir défendu loyalement, énergiquement l’intérêt public ? Si leur honneur est sauf et leur drapeau sans tache !…


III


Bien plus, si par hasard, il était constaté que ces implacables exécuteurs des hautes œuvres de M. Senécal, ne sont, pour la plupart, qu’une bande d’individus plus ou moins tarés, plus ou moins compromis, dont cinq sur dix au moins sont l’objet du mépris, de l’exécration générale ?

Si, par hasard, il était avéré que plusieurs de ces arrogants expulseurs ont été convaincus publiquement, officiellement, de manœuvres sales : soit malversations, soit, dilapidation des deniers publics, soit spéculations archi-véreuses ?

Si, par hasard, il était admis de tous qu’une portion d’entre eux se compose de transfuges politiques, bien connus pour n’avoir, en fait de principes, rien de commun avec les conservateurs, professant, même et mettant en pratique des principes et des doctrines que le parti conservateur a pour principale mission de combattre… bien plus, s’il est indubitable que la destruction de ces principes délétères ou leur triomphe parmi nous est une question de vie ou de mort pour le parti conservateur… pour notre nationalité… pour notre foi ?…

S’il est de notoriété publique que ces transfuges, si nombreux dans nos rangs, devenus aujourd’hui nos maîtres, ne sont passés de notre côté que pour y recevoir le prix d’une trahison ou pour y suivre, à l’odeur, comme le chacal suit une charogne, les jobs illicites, les spéculations véreuses, les gains nés de la fraude et réalisés dans la corruption ?…

S’il était évident que certains écrivains, qui depuis quatre à cinq mois ont noirci de leur encre les réputations les plus intactes, ne sont que de vulgaires insulteurs soudoyés, des plumes vénales…

Si, par hasard, il en est ainsi, allons-nous permettre à de tels intrus, déjà si imprudemment installés chez nous et nous faisant la loi, de chasser de notre foyer les enfants de la famille et de faire maison nette ?…

Eh ! bien ! ! non ! ! !

D’un bout à l’autre de la province de Québec s’élève un demi million de voix conservatrices pour nous répondre : Non ! mille fois non ! ! !


IV


Or, quels ont été les expulseurs ?

1° Le chef d’abord, M. Chapleau fulminant… parce qu’il est chef ; parce qu’il s’appelle lion… parce qu’il en porte la crinière et qu’il en pratique l’arithmétique.

2° Certains collègues de M. Chapleau, expulsant afin de n’être pas expulsés ;

3° Senécal, Dansereau & Cie avec leurs instruments : Provencher et Gélinas anathématisant par la voix de la Minerve.

4° Messieurs Flynn et Bouchard opérant dans le Journal de Québec ;

5° Monsieur Demers se commettant dans le Monde.

6° Monsieur Fabre, pour la dixième fois, girouettê conservateur ! Fabre ! carottant dans l’Événement avec son compère M. Levasseur.

Chapleau ! Flynn ! Paquet ! Senécal ! Dansereau ! Fabre ! Bouchard ! Demers ! Levasseur ! Provencher !

Voilà l’espèce de conseil des dix qui, deux mois durant, a fait trembler la république québecquoise ! voilà le formidable tribunal qui a décrété et exécuté l’expulsion de nos amis politiques !

Cercle d’apôtres singulièrement qualifiés vraiment ! pour faire régner chez nous l’orthodoxie en matière de politique conservatrice et expurger nos rangs de tout, ce qui n’est pas pur de tout alliage !

Ce ne sont là, naturellement, que les plus fortes têtes du conseil, les gros canons avec lesquels on a bombardé l’ostracisme. Car nous n’en finirions pas, s’il fallait mentionner tous les petits pétards, les torpilles inoffensives, les fusils sans plaque, les mitrailleuses à poudre, etc., que l’on a sur les proscrits… Et les maigres roquets acharnés à leurs talons ! et les acrobates et saltimbanques politiques qui, deux mois durant, ont dansé la carmagnole autour des ennemis de MM. Senécal, Dansereau & Cie, s’il fallait les nommer tous !…


V


Voilà donc les expulseurs.

Il semble tout d’abord qu’avant de chasser les conservateurs de chez eux, Messieurs Senécal, Flynn, Paquet, Fabre, Levasseur et Bouchard, eux du moins, eussent dû se demander ce qu’ils sont dans les rangs conservateurs… comment ils y sont venus… à quel titre ils y demeurent… pour quels motifs on les y tolère !…

M. Chapleau devrait, il nous semble, se rappeler qu’on le surprenait, il n’y a pas longtemps, à offrir l’olivier de la paix, à fumer le calumet de l’alliance avec ce qu’il y a de plus avancé dans les rangs libéraux ; que, depuis de nombreuses années, il s’applique, avec une funeste ténacité, à renier l’une après l’autre les doctrines conservatrices, à démolir peu à peu l’édifice des institutions politiques que nos chefs, ses prédécesseurs, avaient érigé avec tant de soin.

M. Dansereau devrait se rappeler combien de fois il a mérité d’etre expulsé ignominieusement des rangs conservateurs ; il devrait ne pas oublier notamment que le stigmate a été officiellement imprimé à son nom, par l’unanimité du Parlement, dans l’affaire des Tanneries, sur proposition même de l’un de ses chefs politiques.


VI


Nous avons déjà dit quels sont les expulsés : Leur nomenclature, certes ! proclame bien éloquemment l’importance que doit avoir tout mouvement politique appuyé par de tels hommes ! Et nous n’avons pas nommé la centième partie de ceux qui leur sont tout à fait unis de principes et de sentiment.

Haute position sociale et politique, services rendus à la vérité, à l’État, à la société ; honorabilité proverbiale, honnêteté parfaite, habileté remarquable dans les affaires, notabilités professionnelles, commerciales, industrielles et agricoles, grands propriétaires, riches capitalistes, etc., etc. Voilà ! voilà ce que sont les expulsés et leurs amis. Nous n’hésitons pas à le dire, la masse de ces hommes représente : la fidélité aux principes conservateurs, le respect de ses traditions, la sauvegarde de ses intérêts, l’honneur de son drapeau !

Il n’est pas impossible, toutefois, que chez quelques-uns d’eux peuvent se découvrir quelques défaillances, tant la contagion a, depuis quelques années, fait des ravages dans la société canadienne. Mais nous n’hésitons pas à dire que ce ne pourrait être que de très rares exceptions.

Il n’est donc pas besoin d’un long examen pour découvrir qui, des expulseurs ou des expulsés, mérite davantage les sympathies du parti conservateur ; qui a plus de titres à sa confiance.