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Le pays, le parti et le grand homme/Prologue

La bibliothèque libre.
Castor
Gilbert Martin, éditeur (p. 5-7).

PROLOGUE.

I


« si l’ridicule ne t’tue ; si ta klick
« ne te domine
« K shock ! Tu survivras à
« l’Grand-Homme qui t’ruine. »
Tiré des prophéties d’un
Malgache du Madagascar.


Outaouais n’est qu’un embryon de capitale ; c’est encore une ville à son berceau ; Et cependant comme la Mecque, cité patriarcale des premiers âges du monde, elle attendait son Messie. Comme la Mecque, elle était sûre qu’IL viendrait, parce que le prophète l’avait dit et qu’ainsi le voulait le Grand Homme. Mais plus fortuné que la Mecque, elle ne devait attendre guère plus de mois que la cité de Mahomet ne devait attendre de siècles.

Seulement… la date de SA venue était quelque peu incertaine. Un simple petit retard de rien ; quelques détails à règler avant de laisser Québec : histoire de créer l’âge d’or dans une bonne province… et ensuite, il y allait.


II


Or, voilà que c’est arrivé :

IL y est allé ! ! !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


III


« Y ira-t-il N’y ira-t-il pas ? » répétaient en cœur, depuis quatre ans, les commères politiques de notre provinces.

Suivant la Minerve, le gouvernement fédéral faisait régulièremennt tous les trois mois, un siège, en règle autour de M. Chapleau pour le prendre d’asseau et l’emporter de force à Outaouais.

Mais M. Chapleau, plus fort qu’Ulysse, résistait héroïquement à cette sirène enchanteresse que l’on appelle « Sir John ».

Il y a pourtant eu un moment où il a fallu se faire lier à l’humble barque de Québec avec les liens d’or de la compagnie juive euphoniquement appelée : « Le Crédit foncier franco-canadien. » Autrement, Sir John et Langevin nous l’enlevaient !

Je vous le demande ! Nous prendre ainsi, avant l’heure, notre Tabou ! notre Mikado !

Mais la Minerve criait sans cesse, à la province de Québec :

« Pas de danger ! » IL l’a dit : « Tant que la province de Québec n’aura pas le coffre plein et la poule au pot, je n’irai point à Ottawa. »

Et la province de Québec qui savait bien, elle, qu’elle n’avait ni le coffre plein ni la poule au pot, se disait :

« Pas de danger ! »

« Sans doute que, y aller, cela doit arriver. Mais qui lui refusera de nous consacrer au moins une avant-déjeuner pour restaurer nos finances et nous bailler l’âge d’or… et quelques semaines pour faire éclore, les poulets ? On a beau être Grand Homme, on n’est pas obligé de couver plus vite que le violon…

« Donc ! pas de danger ! »


IV


Et pourtant, ça y est !…

Un beau malin de l’autre jour, on se réveille et le télégraphe nous apporte la nouvelle :

« Factum est ! » comme auraient dit les Romains ! L’affaire est bâclée !

M. Chapleau a, tout à coup, daigné consentir à entrer dans le gouvernement fédéral et à réaliser l’espoir d’Ottawa. Et pour Québec, il ne reste plus qu’à dire, avec la Perrette de La Fontaine : « Adieu, âge d’or, poule au pot, couvée ! »

On a d’abord cru à un enlèvement. Sir John et Langevin ont été, vingt-quatre heures durant, violemment soupçonnés d’avoir fait usage de la force brutale.

Mais il parait qu’IL y a consenti…


V


Pourquoi y est-il allé ? Dans quelles circonstances ? À quelles fins ?

Questions indiscrètes ! impertinentes même ! Je voudrais bien savoir qui a le droit de demander à Nos Seigneurs et Maîtres le pourquoi et le comment d’un remaniement ministériel !

Les Maîtres l’ont voulu !

M. Chapleau daigne condescendre à accepter un portefeuille à Ottawa !

Il se contente même d’un seul portefeuille !…

Mais c’est parfait !

Que veut-on savoir de plus ?…

VI


Tout de même, c’est, un grand événement que ce fait-là… arrivé après plus de quatre années d’enfantement !!!


VII


Personne, du moins, ne nous empêchera de nous rappeler les péripéties de ce drame historique, de dire jusqu’à quel point le travail générateur du fait « d’y aller » a pu occasionner de combinaisons au Grand Homme, affecter les intérêts du parti, compromettre la fortune du pays.