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Les Échos (Adolphe-Basile Routhier)/30

La bibliothèque libre.
P.-G. Delisle (p. 216-220).


LE PETIT GAZETTIER AUX LECTEURS

DU « COURRIER DU CANADA »




Lecteurs, ouvrez-moi votre porte ;
Ouvrez-vite, car il fait froid :
Je suis l’enfant qui vous apporte
Ce pain auquel vous avez droit,
Quand vous avez pendant l’année
Bien payé votre abonnement,
Ce pain qui de chaque journée
Est l’indispensable aliment.

Sur mon honneur je vous l’atteste,
Je le prépare de mon mieux ;
Si parfois il est indigeste,
C’est que le levain est trop vieux.
J’y mets toujours beaucoup d’épices,
Du clou, du poivre et du sel fin ;
Un feuilleton pour les lectrices
Qui chaque soir me crient : j’ai faim.


À chacun de vous j’administre
Le morceau qu’il trouve plus doux,
Et quand le lecteur est ministre,
J’y mets du beurre et du saindoux.
Pour ceux qui me font bonne mine,
Un accueil chaleureux et franc,
J’ai la fleur extrasuperfine
Et des gâteaux au sucre blanc.

Pour l’adversaire qui me tâte,
J’aime à couler adroitement
De la moutarde dans ma pâte,
Et cela fait un pain charmant,
Excellent pour le dyspeptique,
Et cher aux estomacs blâsés,
Fort goûté dans la politique
Par les vaincus et les blessés.

Je consulte enfin pour vous plaire
Vos appétits et volontés,
Car je veux gagner mon salaire
Et bien mériter vos bontés.
Mais voici la nouvelle année ;
Je veux vous nourrir mieux encor,
Et je vous offre une fournée
De bons souhaits, de rêves d’or.


Aux journalistes je souhaite
(C’est par eux qu’il faut commencer)
De faire une nouvelle emplette
De l’esprit qu’il faut dépenser.
Il en est dont la marchandise
Est tellement hors de saison,
Qu’il faut bien que l’on en médise,
Et qu’on s’en moque sans façon.

Pour les ministres je supplie
La Providence tous les jours
Que jamais leur force ne plie
Sous le fardeau de leurs… amours.
Je sais que les caisses publiques
Sont parfois lourdes à porter ;
Mais les citoyens héroïques
Ne sont-ils pas là pour aider ?

Si ma prière est entendue,
Les avocats moins ignorants
Auront la langue bien pendue,
Et des procès nombreux et grands.
Les Juges qui veulent paraître
Laborieux, n’en diront rien :
Ils en seront heureux peut-être,
Eux qui jugent toujours si bien !…


Je souhaite aux célibataires
D’en finir avec leurs amours,
Et d’aller pardevant notaires
Se lier enfin pour toujours.
Sans contrat l’amour est stupide,
Et le plaisir est passager :
Or, quand la vie est si rapide,
Il est bien sage d’y songer.

Pour le bonheur des jeunes filles
En ce beau jour je fais des vœux,
Quoique sur leurs têtes gentilles
Je n’aime pas les faux cheveux.
Que le ciel bénisse leur rêve
Et le change en réalité !
Que la lune de miel se lève
Sur leur défunte liberté !

Je souhaite aux femmes mondaines
Le plus joyeux des carnavals,
Et je leur offre pour étrennes
De beaux concerts et de grands bals ;
Pourvu que de toutes leurs fêtes
Les scandales soient expulsés,
Et qu’en admirant leurs toilettes
Leurs anges ne soient pas blessés !


Pour tous enfin mon cœur désire
Des jours sans ombre et sans douleur,
Ces biens auxquels tout homme aspire :
L’amour, la paix et le bonheur ;
La santé, ce vase d’argile
Auquel il faut toujours veiller ;
La vertu, ce miroir fragile
Qu’un souffle de vent peut souiller.


Le 1er janvier 1868.


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