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Les Échos (Adolphe-Basile Routhier)/43

La bibliothèque libre.
P.-G. Delisle (p. 251-253).


SOUVENIR D’ENFANCE




Le cœur garde toujours ses souvenirs d’enfance.
Plus il voit s’éloigner ces beaux jours d’autrefois,
Et plus il en chérit la douce souvenance.

Un matin de printemps, les gazons et les bois
Secouaient au soleil leur parure joyeuse,
Et versaient sur le sol de larges gouttes d’eau
Dont les avait chargés une nuit orageuse.
La pluie avait cessé, l’Orient était beau ;
Mais, au Couchant lointain, la colline brumeuse
Restait couverte encor de nuages pesants,
Sur lesquels scintillait un arc-en-ciel superbe.


Cet hémicycle immense aux tons éblouissants,
Dont les pieds se posaient légèrement sur l’herbe,
Fascina mes regards, et je voulus courir
Admirer de plus près ces gouttes lumineuses,
Où brillaient le rubis, l’onix et le saphir,
Et qui, comme un collier de pierres précieuses,
S’égrainaient au versant de la colline en fleurs.

Je parvins à l’endroit où l’arc touchait la plaine ;
Mais il n’étaif plus là ; ses brillantes couleurs
Avaient fui devant moi. Je repris donc haleine,
Et je recommençai ma course à travers champs,
Ébloui, fasciné, plein de naïve ivresse,
Croyant toujours atteindre au collier de brillants.
Mais l’arc-en-ciel trompeur fuyait, fuyait sans cesse,
Et je revins brisé de fatigue et d’ennui.

Bien des jours sont passés depuis cette heure folle.
Or suis-je devenu bien plus sage aujourd’hui ?
Hélas ! je n’oserais en donner ma parole.
Que d’arcs-en-ciel fuyants j’ai vu depuis vingt ans
Dorer de leurs rayons l’horizon de ma vie !
Et que de fois j’ai cru dans mes rêves ardents
Que ma soif de bonheur en serait assouvie !
Pour contempler de près leur trompeuse beauté
Et leur faux diamants, que de courses j’ai faites !
Pétri d’illusion et de naïveté,

Je conserve toujours, sans les voir satisfaites,
Ces aspirations d’impossible bonheur !
Et je m’en vais ainsi vers la rive éternelle,
Laissant parfois tomber des lambeaux de mon cœur
Où l’espérance saigne, en restant immortelle !

Toute âme tourmentée a soif de l’idéal,
Et lui seul à jamais pourra la satisfaire.
Mais loin de le chercher au ciel, son lieu natal,
Nous souffrons et mourons en le cherchant sur terre !



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