Aller au contenu

Les Évangiles (Renan)/XVII. Trajan. — Les bons et grands empereurs

La bibliothèque libre.


CHAPITRE XVII.


TRAJAN. — LES BONS ET GRANDS EMPEREURS.


L’adoption de Trajan assurait à l’humanité civilisée, après de cruelles épreuves, un siècle de bonheur. L’empire était sauvé. Les haineuses prédictions des faiseurs d’apocalypses recevaient un complet démenti. Le monde voulait vivre encore ; l’empire, malgré la chute des Jules et des Flavius, trouvait en sa forte organisation militaire des ressources que les provinciaux superficiels ne soupçonnaient pas. Trajan, que le choix de Nerva venait de porter à l’empire, était un très-grand homme, un vrai Romain, maître de lui-même, froid dans le commandement, d’une attitude digne et grave. Il avait sûrement moins de génie politique qu’un César, qu’un Auguste, qu’un Tibère ; mais il leur était supérieur par la justice et par la bonté ; pour les talents militaires, il ne le cédait qu’à César. Il ne faisait pas profession de philosophie, comme Marc-Aurèle ; mais il l’égalait en sagesse pratique, en bienveillance[1]. Sa ferme croyance dans le libéralisme[2] ne se démentit jamais ; il montra par un illustre exemple que le parti héroïquement optimiste qui nous fait admettre que les hommes sont bons, quand il n’est pas prouvé qu’ils sont mauvais, peut se concilier avec la fermeté d’un souverain. Chose surprenante ! ce monde d’idéologues et d’hommes d’opposition, que la mort de Domitien porta au pouvoir, sut gouverner. Il se réconcilia franchement avec la nécessité, et l’on vit alors quelle chose excellente est la monarchie faite par des républicains convertis. Le vieux Verginius Rufus, ce grand citoyen qui avait rêvé toute sa vie la république, et qui fit tout ce qu’il put pour qu’elle fût proclamée à la mort de Néron, comme elle l’avait été à la mort de Caligula, Verginius, illustre pour avoir plusieurs fois refusé l’empire[3], était complètement rallié et servait de centre à cette société d’élite[4]. Le parti radical renonçait à sa chimère, et reconnaissait que, si le principat et la liberté avaient été jusque-là inconciliables[5], le bonheur des temps voulait que ce miracle fût devenu aisé.

Galba le premier avait entrevu un moment cette combinaison d’éléments en apparence contradictoires. Nerva et Trajan la réalisèrent. L’empire avec eux devient républicain, ou plutôt l’empereur est le premier et le seul républicain de l’empire. Les grands hommes qu’on vante dans le monde qui entoure le souverain sont Thraséa, Helvidius, Sénécion, Caton, Brutus, les héros grecs qui expulsèrent les tyrans de leur patrie[6]. Là est l’explication de ce fait que, à partir de l’an 98, il n’y a plus de protestation contre le principat. Les philosophes, qui avaient été jusque-là en quelque sorte l’àme de l’opposition radicale, et dont l’attitude avait été si hostile sous les Flavius, se taisent tout à coup ; ils sont satisfaits. Entre le régime nouveau et la philosophie il y a une alliance intime. Il faut dire qu’on ne vit jamais au gouvernement des choses humaines un groupe d’hommes aussi dignes d’y présider. C’étaient Pline, Tacite, Verginius Rufus, Junius Mauricus, Gratilla, Fannia[7], nobles hommes, femmes pudiques, tous ayant été les persécutés de Domitien, tous pleurant quelque parent, quelque ami, victime du règne abhorré.

L’âge des monstres était passé. Cette haute race des Jules et des familles qui leur étaient alliées avait déroulé devant le monde le plus étrange spectacle de folie, de grandeur, de perversité. Désormais l’âcreté du sang romain semble épuisée. Rome a sué toute sa malice. C’est le propre d’une aristocratie qui a mené la vie sans frein de devenir sur ses vieux jours réglée, orthodoxe, puritaine. La noblesse romaine, la plus terrible qui ait jamais existé, n’a plus maintenant que des raffinements extrêmes de vertu, de délicatesse, de modestie.

Cette transformation fut en grande partie l’œuvre de la Grèce[8]. Le pédagogue grec avait réussi à se faire accepter de la noblesse romaine, à force de subir ses dédains, sa grossièreté, son mépris pour les choses de l’esprit. Dès le temps de Jules César, Sextius le père apportait d’Athènes à Rome la fière discipline morale du stoïcisme, l’examen de conscience, l’ascétisme, l’abstinence, l’amour de la pauvreté[9]. Après lui, Sextius fils, Sotion d’Alexandrie, Attale, Démétrius le cynique, Métronax, Claranus, Fabianus[10], Sénèque, donnent le modèle d’une philosophie active et pratique, employant tous les moyens, la prédication, la direction des consciences, pour la propagande de la vertu[11]. La noble lutte des philosophes contre Néron et Domitien, leurs bannissements, leurs supplices achevèrent de les rendre chers à la meilleure société romaine. Leur crédit va toujours grandissant jusqu’à Marc-Aurèle, sous lequel ils règnent. La force d’un parti est toujours en proportion du nombre de ses martyrs. La philosophie avait eu les siens. Elle avait souffert, comme tout ce qui était noble, des abominables régimes qu’on avait traversés ; elle bénéficia de la réaction morale provoquée par l’excès du mal. Alors naît une idée, chère aux rhéteurs, le tyran ennemi-né du philosophe, le philosophe ennemi-né du tyran[12]. Tous les maîtres des Antonins sont pleins de cette idée ; le bon Marc-Aurèle passa sa jeunesse à déclamer contre les tyrans ; l’horreur pour Néron et pour ces empereurs que Pline l’Ancien appelait les « brandons incendiaires du genre humain »[13] remplit la littérature du temps[14]. Trajan eut toujours pour les philosophes les plus grands égards et les plus délicates attentions[15]. Entre la discipline grecque et la fierté romaine l’alliance est désormais intime. « Vivre comme il convient à un Romain, à un homme »[16], est le rêve de quiconque se respecte : Marc-Aurèle n’est pas au monde encore ; mais il est né moralement ; la maîtrise spirituelle d’où il sortira est complètement instituée.

Certes, la philosophie ancienne avait eu des jours de plus grande originalité ; elle n’avait jamais pénétré plus profondément la vie et la société. Les différences des écoles étaient à peu près effacées ; les systèmes généraux étaient abandonnés ; un éclectisme superficiel, comme celui qu’aiment les gens du monde soucieux de bien faire, était à la mode. La philosophie devenait oratoire, littéraire, prêcheuse, visant plus à l’amélioration morale qu’à la satisfaction de la curiosité. Une foule de personnes en faisaient leur règle et même la loi de leur vie extérieure. Musonius Rufus et Artémidore étaient de vrais confesseurs de leur foi, des héros de la vertu stoïque[17]. Euphrate de Tyr offrait l’idéal du philosophe galant homme ; sa personne avait un grand charme, ses manières étaient de la plus rare distinction[18]. Dion Chrysostome créait un genre de conférences voisin du sermon, et obtenait d’immenses succès sans sortir jamais du ton le plus élevé[19]. Le bon Plutarque écrivait pour l’avenir la Morale en action du bon sens, de l’honnêteté, et imaginait cette antiquité grecque, douce et paterne, peu ressemblante à la vraie (laquelle fut resplendissante de beauté, de liberté et de génie), mais mieux accommodée que la vraie aux besoins de l’éducation. Épictète, lui, avait les paroles de l’éternité, et prenait place à côté de Jésus, non sur les montagnes d’or de Galilée, éclairées par le soleil du royaume de Dieu, mais dans le monde idéal de la vertu parfaite. Sans résurrection, sans Thabor chimérique, sans royaume de Dieu, il prêcha le sacrifice, le renoncement, l’abnégation. Il fut le pic de neige sublime que l’humanité contemple avec une sorte de terreur à son horizon ; Jésus eut le rôle plus aimable de dieu parmi les hommes ; le sourire, la gaieté, le pardon lui furent permis.

La littérature, de son côté, devenue tout à coup grave et digne, atteste un immense progrès dans les mœurs de la haute société. Déjà Quintilien, aux plus mauvais jours du règne de Domitien, avait tracé ce code de la probité oratoire, qui devait se trouver en un si parfait accord avec nos meilleurs esprits du xviie et du xviiie siècle, Rollin, MM. de Port-Royal ; or l’honnêteté littéraire ne va jamais seule ; il n’y a que les siècles sérieux qui puissent avoir une littérature sérieuse. Tacite écrivait l’histoire avec ce haut sentiment d’aristocrate qui ne le préservait pas des erreurs de détail, mais lui inspirait ces colères vertueuses qui ont fait de lui pour l’éternité le spectre des tyrans. Suétone se préparait par des travaux de solide érudition à son rôle d’exact et impartial biographe. Pline, homme bien élevé, libéral, humain, charitable[20] délicat, fonde des écoles, des bibliothèques publiques[21] ; on dirait un Français de la plus aimable société du xviiie siècle. Juvénal, sincère dans la déclamation et moral dans la peinture du vice, a de beaux accents d’humanité[22], et garde, malgré les taches de sa vie, un sentiment de fierté romaine. C’était comme une reflorescence tardive de la belle culture intellectuelle créée par la collaboration du génie grec et du génie italien. Cette culture était au fond déjà frappée à mort ; mais elle produisait avant de mourir une dernière poussée de feuilles et de fleurs.

Le monde va donc enfin être gouverné par la raison. La philosophie va jouir, pendant cent ans, du droit qu’elle est censée avoir de rendre les peuples heureux. Une foule de lois excellentes, formant la meilleure partie du droit romain, sont de ce temps. L’assistance publique commence ; les enfants surtout sont l’objet de la sollicitude de l’État[23]. Un vrai sentiment moral anime le gouvernement ; jamais, avant le xviiie siècle, on ne fit tant pour l’amélioration du sort de l’humanité. L’empereur est un dieu, accomplissant son voyage sur la terre et signalant son passage par des bienfaits.

Ce n’est pas qu’un tel régime ne différât beaucoup de ce que nous considérons comme l’essence d’un gouvernement libéral. On y chercherait vainement quelque trace d’institutions parlementaires ou représentatives[24] ; l’état du monde ne comportait rien de semblable. L’opinion des politiques du temps est que le pouvoir appartient, par une sorte de délégation naturelle, aux hommes honnêtes, sensés, modérés. Cette désignation se fait par le fatum[25] ; une fois qu’elle a eu lieu, l’empereur gouverne l’empire comme le bélier conduit son troupeau et le taureau le sien[26]. À côté de cela, un langage tout républicain. Avec la meilleure foi du monde, ces excellents souverains croient réaliser un État fondé sur l’égalité naturelle de tous les citoyens, une royauté ayant pour base le respect de la liberté[27]. Liberté, justice, respect de l’opposition, étaient leurs maximes fondamentales[28]. Mais ces mots, empruntés à l’histoire des républiques grecques, dont les lettrés étaient nourris, n’avaient pas beaucoup de sens dans la société réelle du temps. L’égalité civique n’existait pas. La différence du riche et du pauvre était écrite dans la loi ; l’aristocratie romaine ou italiote conservait tous ses privilèges ; le sénat, rétabli par Nerva dans ses droits et sa dignité, restait tout aussi muré qu’il l’avait jamais été ; le cursus honorum était le privilège exclusif des nobles. Les bonnes familles romaines ont reconquis leur prédominance exclusive dans la politique ; hors d’elles, on n’arrive pas.

La victoire de ces familles fut assurément une victoire juste ; car, sous les règnes odieux de Néron et de Domitien, elles avaient été l’asile où s’étaient réfugiés la vertu, le respect de soi-même, l’instinct du commandement raisonnable, la bonne éducation littéraire et philosophique ; mais ces mêmes familles, comme il arrive d’ordinaire, formaient un monde très-fermé. Œuvre d’un parti conservateur libéral et aristocratique, l’avènement de Nerva et de Trajan mit fin à deux choses, aux troubles de la caserne et à l’importance des Orientaux, domestiques et favoris des empereurs. Il ne sera plus donné aux affranchis, aux gens d’Égypte et de Syrie, de faire trembler ce qu’il y a de meilleur dans Rome. Ces misérables, qui s’étaient rendus maîtres par leurs coupables complaisances des règnes de Caligula, de Claude, de Néron, qui avaient même été les conseillers et les confidents des débauches de Titus, avant son avènement[29], tombent dans le mépris. L’agacement qu’on voit les Romains éprouver devant les honneurs décernés à un Hérode Agrippa, à un Tibère Alexandre, ne se produit plus après la chute des Flavius[30]. Le sénat grandit d’autant ; mais l’action des provinces fut amoindrie ; les tentatives pour rompre la glace du monde officiel se trouvèrent à peu près réduites à l’impuissance.

L’hellénisme n’en souffrit pas ; car il sut, par sa souplesse ou par sa haute distinction, se faire accepter du meilleur monde romain[31]. Mais le judaïsme et le christianisme en souffrirent. Nous avons vu à deux reprises, au ier siècle, sous Néron et sous les Flavius, les juifs et les chrétiens approcher de la maison de l’empereur et y exercer une influence considérable. De Nerva à Commode, ils en resteront à mille lieues. D’une part, les juifs n’ont plus de noblesse : les juifs mondains, comme les hérodiens, les Tibère Alexandre, sont morts ; tout israélite est désormais un fanatique séparé du monde par un abîme de mépris. Un amas d’impuretés, d’inepties, d’absurdités, voilà ce qu’est le mosaïsme pour les hommes les plus éclairés du temps[32]. Les juifs semblent à la fois superstitieux et irréligieux, athées et voués aux plus grossières croyances[33]. Leur culte paraît un monde renversé, un défi à la raison, une gageure de contrarier en tout les coutumes des autres peuples[34]. Travestie d’une manière grotesque, leur histoire sert de thème à des plaisanteries sans fin[35] ; on y voit généralement une forme du culte de Bacchus[36]. « Antiochus, disait-on, avait essayé vainement d’améliorer cette race détestable[37]… » Une accusation surtout, celle de haïr tout ce qui n’était pas eux[38], était meurtrière ; car elle reposait sur des motifs spécieux et de nature à égarer l’opinion. Plus dangereuse encore était l’idée d’après laquelle le prosélyte qui s’attachait au mosaïsme recevait pour première leçon de mépriser les dieux, de dépouiller tout sentiment patriotique, d’oublier ses parents, ses enfants, ses frères[39]. Leur bienfaisance, disait-on, n’est qu’égoïsme ; leur moralité n’est qu’apparente ; entre eux tout est permis[40].

Trajan, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle se tiennent ainsi, à l’égard du judaïsme et du christianisme, dans une sorte d’éloignement hautain. Ils ne les connaissent pas, ne se soucient pas de les étudier. Tacite, qui écrit pour le grand monde, parle des juifs comme d’une curiosité exotique, totalement ignorée de ceux à qui il s’adresse, et ses erreurs nous surprennent. La confiance exclusive de ces nobles esprits dans la discipline romaine les rendait insouciants d’une doctrine qui se présentait à eux comme étrangère et absurde. L’histoire ne doit parler qu’avec respect des politiques honnêtes et courageux qui tirèrent le monde de la boue où l’avaient jeté le dernier Jules et le dernier Flavius ; mais ils eurent les imperfections qui étaient une suite naturelle de leurs qualités. C’étaient des aristocrates, des hommes à traditions, à préjugés, des espèces de torys anglais, tirant leur force de leurs préjugés mêmes. Ils furent profondément Romains. Persuadés que quiconque n’est pas riche ou bien né ne saurait être honnête homme, ils ne ressentaient pas pour les doctrines étrangères ces faiblesses dont les Flavius, bien plus bourgeois, ne savaient pas se défendre. Leur entourage, la société qui arrive au pouvoir avec eux, Tacite, Pline, ont le même mépris pour ces doctrines barbares. Un fossé semble creusé durant tout le iie siècle entre le christianisme et le monde officiel. Les quatre grands et bons empereurs y sont nettement hostiles, et c’est sous le monstre Commode que nous retrouverons, comme sous Claude, sous Néron et sous les Flavius, des « chrétiens de la maison de César ». Les défauts de ces vertueux empereurs sont ceux des Romains eux-mêmes, trop de confiance en la tradition latine, une fâcheuse obstination à ne pas admettre d’honneur hors de Rome, beaucoup d’orgueil et de dureté pour les petits, pour les pauvres, pour les étrangers, pour les Syriens, pour tous les gens qu’Auguste appelait dédaigneusement « les Grecs », et à qui il permettait des adulations interdites aux Italiotes[41]. Ces dédaignés prendront leur revanche, en montrant qu’eux aussi ont leur noblesse et sont capables de vertu.

La question de liberté se posait comme elle ne s’était posée dans aucune des républiques de l’antiquité. La cité antique, qui n’était que la famille agrandie, ne pouvait avoir qu’une religion, celle de la cité elle-même ; cette religion était presque toujours le culte des fondateurs mythiques, de l’idée même de la cité. En ne la pratiquant pas, on s’excluait de la cité. Une telle religion était logique en se montrant intolérante ; mais Alexandre eût été déraisonnable, Antiochus Épiphane le fut au plus haut degré, en voulant persécuter au profit d’un culte particulier, puisque leurs États, résultant de conquêtes, se formaient de cités diverses, dont l’existence politique avait été supprimée. César comprit cela avec sa merveilleuse lucidité d’esprit. Puis l’étroite idée de la cité romaine reprit le dessus, faiblement et par courtes intermittences au ier siècle, d’une manière beaucoup plus suivie au iie siècle. Déjà, sous Tibère, un Valère Maxime, faiseur de livres médiocres, doublé d’un malhonnête homme, prêche la religion avec un air de conviction qui étonne. Nous avons vu de même Domitien exercer une forte protection en faveur du culte latin, essayer une sorte d’union « du trône et de l’autel ». Tout cela se faisait par un sentiment analogue à celui qui rattache de nos jours au catholicisme une foule de personnes peu croyantes, mais persuadées que ce culte est la religion de la France. Martial et Stace, gazetiers de la chronique scandaleuse du temps, qui regrettaient au fond les beaux jours de Néron, deviennent graves, religieux, applaudissent à la censure des mœurs, prêchent le respect de l’autorité. Les crises sociales et politiques ont d’ordinaire pour effet de provoquer ces sortes de réactions. Une société en péril se rattache à ce qu’elle peut. Un monde menacé se range ; persuadé que toute pensée tourne à mal, il devient timide, retient en quelque sorte sa respiration ; car il craint que tout mouvement ne fasse crouler le frêle édifice qui lui sert d’abri.

Trajan et ses successeurs n’eurent garde de renouveler les tristes excès d’hypocrisie sournoise qui caractérisèrent le règne de Domitien. Cependant ces princes et leur entourage se montrèrent en religion très-conservateurs[42]. On ne voyait de salut que dans le vieil esprit romain. Marc-Aurèle, si philosophe, n’est nullement exempt de superstitions. C’est un rigide observateur de la religion officielle[43]. La confrérie des saliens n’avait pas de membre plus exact. Il affectait de ressembler à Numa, dont il prétendait tirer son origine, et maintenait avec sévérité les lois qui interdisaient les religions étrangères[44]. Dévotions de l’avant-veille de la mort ! Le jour où l’on tient le plus à ces souvenirs est celui où ils égarent. Combien n’a-t-il pas nui à la maison de Bourbon de trop penser à saint Louis et de prétendre se rattacher à Clovis et à Charlemagne !

À cette forte préférence pour le culte national se joignait, chez les grands empereurs du iie siècle, la crainte des hétéries, cætus illiciti, ou associations susceptibles de devenir des factions dans les villes[45]. Un simple corps de pompiers était suspect[46]. Trop de monde à une fête de famille inquiétait l’autorité. Trajan veut que les invitations soient limitées et nominatives[47]. Même les associations ad sustinendam tenuiorum inopiam[48] ne sont permises qu’aux villes qui ont à cet égard des chartes particulières. En cela, Trajan était dans la tradition de tous les grands empereurs depuis César[49]. Il est impossible que de telles mesures eussent paru nécessaires à de si grands hommes si elles n’avaient été à quelques égards justifiées. Mais l’esprit administratif du iie siècle alla aux excès. Au lieu de pratiquer la bienfaisance publique, ainsi que l’État commençait à le faire, combien il eût mieux valu laisser les associations libres l’exercer ! Ces associations aspiraient à naître de toutes parts ; l’État fut pour elles plein d’injustice et de dureté. Il voulait le repos à tout prix[50] ; mais le repos, quand l’autorité le fonde sur la suppression des efforts privés, est plus préjudiciable à une société que les troubles mêmes auxquels on prétend obvier par le sacrifice de toute liberté.

Là est la cause de ce phénomène, en apparence singulier, que le christianisme s’est en réalité trouvé plus mal de la sage administration des grands empereurs du iie siècle que des coups de fureur que lui portèrent les scélérats du ier. Les violences de Néron, de Domitien, ne durèrent que quelques semaines, quelques mois ; elles furent ou des actes de brutalité passagère ou des vexations, fruit d’une politique fantasque et ombrageuse. Dans l’intervalle qui s’écoule depuis l’apparition du christianisme jusqu’à l’avènement de Trajan, on ne voit pas une seule fois invoquer contre les chrétiens une loi qui les constitue à l’état de délinquants. La législation sur les collèges illicites existait déjà en partie ; mais on ne l’appliquait pas avec autant de rigueur que l’on fit plus tard. Au contraire, le régime très-légal, mais très-gouvernemental (comme on dit aujourd’hui) des Trajan, des Antonins, sera plus oppressif pour le christianisme que la férocité et la méchanceté des tyrans[51]. Ces grands conservateurs de la chose romaine apercevront, non sans raison, un danger sérieux pour l’empire dans cette foi trop ferme en un royaume de Dieu qui est l’inverse de la société existante. L’élément de théocratie qui est au fond du judaïsme et du christianisme les effraye. Ils voient vaguement, mais sûrement, ce que verront plus clairement après eux les Dèce, les Aurélien, les Dioclétien, tous les restaurateurs de l’empire croulant au iiie siècle, qu’il faut choisir entre l’empire et l’Église ; que la pleine liberté de l’Église, c’est la fin de l’empire. Ils luttent par devoir ; ils laissent appliquer une loi dure, qui est la condition de l’existence de la société de leur temps. On était ainsi bien plus loin de s’entendre avec le christianisme que sous Néron ou sous les Flavius. Les politiques avaient senti le danger et se tenaient en garde. Le stoïcisme s’était roidi ; le monde n’était plus aux âmes tendres, pleines de sentiments féminins, comme Virgile. Les disciples de Jésus ont maintenant affaire à des hommes fermes, doctrinaires inflexibles, sûrs d’avoir raison, capables d’être durs systématiquement, car ils se rendent témoignage de n’agir qu’en vue du bien de l’État, et se disant avec une douceur imperturbable : « Ce qui n’est pas utile à l’essaim n’est pas non plus utile à l’abeille[52]. »

Certes, d’après nos idées, Trajan, Marc-Aurèle eussent mieux fait d’être tout à fait libéraux, de concéder pleinement le droit d’association, de reconnaître les corporations comme capables de posséder, sauf, en cas de schisme, à partager les propriétés de la corporation entre les membres, en proportion du nombre des adhérents de chaque parti. Ce dernier point eût suffi pour écarter tous les dangers. Déjà, dès le iiie siècle, c’est l’empire qui maintient l’unité de l’Église en posant en règle que l’évêque véritable d’une ville est celui qui correspond avec l’évêque de Rome et est reconnu par ce dernier[53]. Que serait-il arrivé au ive, au milieu de ces luttes ardentes de l’arianisme ? Des scissions sans nombre et irrémédiables. Les empereurs, puis les rois barbares purent seuls y mettre fin, en tranchant la question de savoir qui était le vrai orthodoxe, qui était l’évêque canonique. Les corporations sans lien avec l’État ne sont jamais bien redoutables à l’État, quand l’État reste réellement neutre, ne se fait pas juge des dénominations, et, dans les procès qu’on porte devant lui pour la possession des biens, observe le règle de partager le capital social au prorata du nombre. De la sorte, toutes les associations dangereuses pour la paix du monde seront facilement dissoutes ; la division les réduira en poussière. L’autorité de l’État peut seule faire cesser les schismes dans les corps de ce genre ; la neutralité de l’État les rend incurables. Le système libéral est le plus sûr dissolvant des associations trop puissantes. Voilà ce que de nombreuses expériences nous ont appris. Mais Trajan et Marc-Aurèle ne pouvaient pas le savoir. Leur erreur en ceci, comme sur tant d’autres points où nous trouvons leur œuvre législative défectueuse, était de celles que les siècles seuls pouvaient corriger.

La persécution à l’état permanent, tel est donc le résumé de l’ère qui s’ouvre pour le christianisme[54]. On a pensé qu’il y eut un édit spécial ainsi conçu : Non licet esse christianos[55], lequel aurait servi de base à toutes les poursuites contre les chrétiens. Cela est possible ; mais cela n’est point nécessaire à supposer. Les chrétiens étaient, par le seul fait de leur existence, en contravention avec les lois sur les associations[56]. Ils étaient coupables de sacrilège, de lèse-majesté[57], de réunions nocturnes[58]. Ils ne pouvaient rendre à l’empereur les honneurs que lui devait un sujet loyal[59]. Or le crime de lèse-majesté était puni des plus cruels supplices ; aucune personne accusée de ce crime n’était exempte de la torture[60]. Et puis il y avait cette sombre catégorie des flagitia nomini cohærentia, crimes qui n’avaient pas besoin d’être prouvés, que le nom seul de chrétien faisait supposer a priori, et qui entraînaient la qualification d’hostis publicus. Contre de pareils crimes la poursuite se faisait d’office[61]. Telle était en particulier l’accusation d’incendie, sans cesse ravivée par les souvenirs de 64 et aussi par l’insistance avec laquelle les apocalypses revenaient sur l’idée de conflagrations finales. Il s’y joignait le soupçon permanent d’infamies secrètes, de réunions nocturnes, de séductions coupables sur des femmes, des jeunes filles, des enfants[62]. De là pour en venir à juger les chrétiens capables de tous les crimes et à leur attribuer tous les méfaits, il n’y avait qu’un pas à faire, et ce pas, la foule plus encore que la magistrature le franchissait tous les jours.

Qu’on ajoute à cela l’arbitraire terrible qui était laissé aux juges, surtout dans le choix de la peine[63], et l’on comprendra comment, sans lois d’exception, sans législation spéciale[64], a pu se produire ce désolant spectacle que nous présente l’histoire de l’empire romain à ses meilleures époques. La loi sera appliquée avec plus ou moins de rigueur ; mais elle reste la loi. Cet état durera comme une petite fièvre lente durant le iie siècle, avec des intervalles d’exaspération et de rémission au iiie siècle. Il se terminera par l’accès terrible des premières années du ive siècle, et sera clos définitivement par l’édit de Milan de 313. Chaque renaissance de l’esprit romain sera un redoublement de persécution. Les empereurs qui, à diverses reprises au iiie siècle, entreprennent de relever l’empire, sont des persécuteurs. Les empereurs tolérants, Alexandre Sévère, Philippe, sont ceux qui n’ont pas de sang romain dans les veines et qui sacrifient les traditions latines au cosmopolitisme de l’Orient.

« Vénère la divinité en tout et partout, conformément aux usages de la patrie, et force les autres à l’honorer. Hais et punis les partisans des cérémonies étrangères, non-seulement par respect pour les dieux, mais surtout parce que ceux qui introduisent des divinités nouvelles[65] répandent par là le goût des coutumes étrangères, ce qui mène aux conjurations, aux coalitions, aux associations, choses que ne comporte en aucune façon la monarchie. Ne permets non plus à personne de faire profession d’athéisme ni de magie. La divination est nécessaire ; nomme donc officiellement des aruspices et des augures, à qui s’adresseront ceux qui veulent les consulter ; mais qu’il n’y ait pas de magiciens libres ; car de telles gens, en mêlant quelques vérités à beaucoup de mensonges, peuvent pousser les citoyens à la révolte. Il en faut dire autant de plusieurs de ceux qui se disent philosophes ; garde-toi d’eux ; il n’est pas de maux qu’ils ne fassent aux particuliers et aux peuples[66]. »

Voilà en quels termes un homme d’État de la génération qui suivit les Antonins résume leur politique religieuse. Comme en un temps plus rapproché de nous, l’État crut faire acte d’habileté en s’emparant de la superstition pour la régler. Les municipes jouirent par délégation du même droit[67]. La religion ne fut plus qu’une simple affaire de police. Un système d’annulation absolue, où tout mouvement est comprimé, ou toute personnalité passe pour dangereuse, où l’individu isolé, sans lien religieux avec les autres hommes, n’est plus qu’un être purement officiel, placé entre une famille réduite à de mesquines proportions et un État trop grand pour être une patrie, pour former l’esprit, pour faire battre le cœur ; tel était l’idéal qu’on rêvait. Tout ce qui paraissait susceptible de frapper les hommes, de produire une émotion, était un crime[68], que l’on prévenait par la mort ou l’exil. C’est ainsi que l’empire romain tua la vie antique, tua l’âme, tua la science, forma cette école d’esprits lourds et bornés, de politiques étroits qui, sous prétexte d’arrêter la superstition, amenèrent en réalité le triomphe de la théocratie.

Un grand affaiblissement intellectuel était la conséquence de ces efforts pour revenir à une foi que personne n’avait plus. Une sorte de banalité se répandit sur les croyances et leur enleva tout sérieux. Les libres penseurs, innombrables au ier siècle avant et au ier siècle après Jésus-Christ[69], diminuent peu à peu et disparaissent. Le ton dégagé de la grande littérature latine se perd et fait place à une pesante crédulité. La science s’éteint de jour en jour. Depuis la mort de Sénèque, on peut dire qu’il n’y a plus un seul savant tout à fait rationaliste. Pline l’ancien est curieux, mais n’a aucune critique. Tacite, Pline le jeune, Suétone, évitent de se prononcer sur l’inanité des plus ridicules imaginations. Pline le jeune croit à de puériles histoires de revenants[70]. Épictète veut que l’on pratique le culte établi[71]. Même un écrivain aussi frivole qu’Apulée se croit obligé de prendre, quand il s’agit des dieux, le ton d’un conservateur rigide[72]. Un seul homme, vers le milieu de ce siècle, paraît tout à fait exempt de croyances surnaturelles, c’est Lucien. L’esprit scientifique, qui est la négation du surnaturel, n’existait plus que chez un très-petit nombre ; la superstition envahissait tout, énervait toute raison.

En même temps que la religion corrompait la philosophie, la philosophie cherchait des conciliations apparentes avec le surnaturel[73]. Une théosophie niaise et creuse, mêlée d’imposture, devenait à la mode. Apulée appellera bientôt les philosophes « les prêtres de tous les dieux »[74] ; Alexandre d’Abonotique fondera un culte avec des prestiges de jongleur. Le charlatanisme religieux, la thaumaturgie, relevée par un faux vernis de philosophie, devenaient à la mode. Apollonius de Tyane en donnait le premier exemple, quoiqu’il soit difficile de dire ce que fut en réalité ce singulier personnage. C’est plus tard qu’on prétendit en faire un révélateur religieux, une sorte de demi-dieu philosophe[75]. Telle était la promptitude de la décadence de l’esprit humain qu’un théurge misérable qui, à l’époque de Trajan, n’eut de vogue que parmi les badauds de l’Asie Mineure, devenait cent ans après, grâce à des écrivains sans vergogne, qui s’emparèrent de lui pour amuser un public devenu totalement crédule, un personnage de premier ordre, une incarnation divine, que l’on osa comparer à Jésus[76].

L’instruction publique obtenait des empereurs bien plus d’attention que sous les Césars et même que sous les Flavius[77] ; mais il n’y était question que de littérature ; la grande discipline de l’esprit, qui vient surtout de la science, tirait de ces chaires peu de profit. La philosophie fut spécialement favorisée par Antonin et Marc-Aurèle[78] ; mais la philosophie, but suprême de la vie, résumé de tout le reste, ne peut guère être enseignée par l’État. En tout cas, cette instruction atteignait bien peu le peuple. C’était quelque chose d’abstrait et d’élevé, qui passait par-dessus sa tête, et, comme d’un autre côté le temple ne donnait rien de cet enseignement moral que l’église a dispensé plus tard, les classes inférieures croupissaient dans un déplorable abandon. Il ne résulte de tout cela aucun reproche contre les grands empereurs qui ne réussirent pas dans la tâche impossible de sauver la civilisation antique. Le temps leur manqua. Un soir, après avoir subi dans la journée l’assaut de déclamateurs qui lui promettaient une gloire infinie, s’il convertissait le monde à la philosophie, Marc-Aurèle écrivait sur son carnet ces réflexions destinées à lui seul[79] : « La cause universelle est un torrent qui entraîne toutes choses. Qu’ils sont naïfs, ces prétendus politiques qui s’imaginent régler les affaires sur les maximes de la philosophie ! Ce sont des enfants qui ont encore la morve au nez… N’espère pas qu’il y ait jamais une république de Platon ; contente-toi des petites améliorations, et, si tu y réussis, ne crois pas que ce soit peu de chose. Qui peut en effet changer les dispositions intérieures des hommes ? Et sans le changement des cœurs et des opinions, que sert le reste ? Tu n’aboutirais qu’à faire des esclaves et des hypocrites… L’œuvre de la philosophie est chose simple et modeste ; loin de nous ce galimatias prétentieux. » Ah ! l’honnête homme !

En résumé, malgré tous ses défauts, cette société du iie siècle était en progrès. Il y avait décadence intellectuelle, mais amélioration morale, comme cela semble avoir lieu de nos jours dans les classes supérieures de la société française. Les idées de charité, d’assistance des pauvres, le dégoût des spectacles[80] se développaient de toutes parts[81]. Tant que cet excellent esprit présida aux destinées de l’empire, c’est-à-dire jusqu’à la mort de Marc-Aurèle, le christianisme sembla enrayé. Il s’élança au contraire d’un mouvement irrésistible quand, au iiie siècle, les belles maximes des Antonins furent oubliées. Nous l’avons dit : Nerva, Trajan, Adrien, Antonin, Marc-Aurèle prolongèrent la vie de l’empire de cent ans ; on peut dire aussi qu’ils retardèrent l’avènement du christianisme de cent ans. Les progrès que le christianisme fit au ier et au iiie siècle sont des pas de géant, comparés à ceux qu’il fit au iie siècle. Au iie siècle, le christianisme avait en présence de lui une forte concurrence, celle de la philosophie pratique, travaillant rationnellement à l’amélioration de la société humaine. À partir de Commode, l’égoïsme individuel et ce qu’on peut appeler l’égoïsme de l’État ne laissent plus de place aux aspirations idéales que dans l’Église. L’Église devient alors l’asile de toute la vie du cœur et de l’âme ; bientôt après, la vie civile et la vie politique s’y concentreront également.

  1. « Favorabilis, civilis animus. »
  2. Notez ses phrases habituelles : Non est ex justitia temporum nostrorum…, nec nostri seculi est (Corresp. de Pline et de Trajan, lettres 55, 97).
  3. Voir sa belle épitaphe républicaine, faite par lui-même. Pline, Lettres, VI, 10 ; IX, 19.
  4. Pline, Lettres, II, I ; Dion Cassius, LXVIII, 2.
  5. Tacite, Agricola, 3.
  6. Pline, Lettres, I. 17 ; Juvénal, Sat., v, 36 et suiv. ; Marc-Aurèle, Pensées, I, 14.
  7. Voir la belle Lettre de Pline, III, 11. Comp. V, 1.
  8. Livre Ier des Pensées de Marc-Aurèle, tout entier.
  9. Fabianus, dans Sénèque le Rhéteur, Controv., II. 9.
  10. Sénèque, Epist., 52, 59, 62, 64, 66, 67, 73, 93, 98, 100, 108, 110 ; De ira, III, 36 ; Quæst. nat., VII, 32 ; De provid., 3, 5. Sénèque le Rhét., Controv., II, præf.
  11. « Disserebat populo Fabianus. » Sén., Épîtres, 52. Cf. ép. 100.
  12. Voir surtout, dans la Vie d’Apollonius de Philostrate, la façon dont l’auteur insiste sur le rôle brillant du philosophe, en lutte avec les mauvais empereurs, honoré de leur haine personnelle, persécuté nommément par eux, puis, à partir de Nerva, recherché, flatté, ayant ses entrées particulières au palais. Voir aussi du même Vies des soph., I, vii ; Lucien, Nero seu de isthmo ; Arrien, Dissert. Epict., I, viii, 12 ; Spartien, Adrien, 16 ; Thémistius, Orat. 5, ad Jov. imp., p. 63, édit. Hardouin.
  13. Pline, Hist. nat., VII, 45.
  14. Voir, par exemple, la pièce d’Octavie, attribuée faussement à Sénèque. Remarquez l’aversion de Marc-Aurèle pour les Césars, Pensées, VI, 30 ; son opinion sur Néron, III, 16.
  15. Pline, Panégyr., 44.
  16. Marc-Aurèle, Pensées, II, 5 ; III, 5.
  17. Pline, Lettres, III, 11. Se défier de Philostrate, qui, surtout dans sa Vie d’Apollonius, a tout à fait faussé le caractère de ces grands hommes, et leur a donné un air de théosophie qu’ils n’eurent pas. Lucien, en ces matières, est aussi plus romancier qu’historien de la philosophie.
  18. Pline, Lettres, I, 10. Cf. Manuel d’Epict., xxix, 1 ; Arrien, Dissert. Epict., IV, viii, 15 ; Philostrate, Soph., I, vii, 3 ; xxv, 11 ; Dion Cassius, LXIX, 8.
  19. Voir ses œuvres et Philostrate, Soph., I, vii.
  20. Pline, Epist., I, 19 ; IV, 22 ; VI, 3, 32 ; VII, 18.
  21. Inscr. (rétablie par Mommsen) dans Borghesi, Œuvr. compl., IV, p. 119 ; Bibl. de l’Éc. des hautes études, 15e, p. 86-87. Cf. Pline, Lettres, I, 8 ; IV, 13.
  22. Sat. iii entière ; x, 78, 81 ; xiii, 190, 198 ; xiv, 15, 19, 44 ; xv, 131.
  23. Voir les Apôtres, p. 323 ; Dion Cassius, LXVIII, 2 ; Pline, Panég., c. 26-28 ; Épitres, VII, 31 ; Spartien, Hadr., c. 7 ; Capitolin, Anton. Pius, c. 8 ; Pertinax, c. 9. Comparez la monnaie de Nerva Tutela Italiæ (Cohen, I, p. 479) et celles de Trajan (Cohen, II, Traj., nos 13, 14, 299, 300-304, 373, p. 5, 48-49, 60), sans oublier l’arc de Bénévent. Il faut reconnaître que l’intention politique avait plus de part dans ces fondations que l’intention charitable. Il s’agissait avant tout de faciliter les mariages, d’empêcher la dépopulation et de se procurer des soldats dévoués (Pline, l. c.). Ce n’étaient là que des congiaria comme d’autres. Orelli-Henzen, no 6664 (ou Henzen, Tabula aliment. Bæb.).
  24. « Jubes esse liberos ; erimus. » Pline.
  25. « Fatis designatus. »
  26. Marc-Aurèle, Pensées, XI, xviii, 1o.
  27. Marc-Aurèle, Pensées, I, 14.
  28. Ibid., II, 5 ; VI, 55.
  29. Suétone, Titus, 7.
  30. Juv., i, 129-131 ; iii, 73-78.
  31. La colère de Juvénal contre l’envahissement des Grecs (Sat. iii, 80 et suiv.) ne signifie autre chose que la jalousie du parasite italien supplanté par le parasite grec.
  32. « Instituta sinistra, fœda, pravitale valuere… Pessimus quisque… Mos absurdus sordidusque… Teterrimam gentem… colluvie… pervicacissimus quisque… » Tac., Hist., V, 5, 8, 12.
  33. Tac., Hist., V, 5, 8, 13.
  34. Tac., Hist., V, 4.
  35. Tac., Hist., V, 2-4.
  36. Tac., Hist., V, 5. Cf. Plutarque, Quæst. conv., IV, 5 et 6.
  37. Tac., Hist., V, 8.
  38. Tac., Hist., V, 5.
  39. Tac., Hist., V, 5. Voir le passage de Juvénal cité ci-dessus, p. 235.
  40. « Inter se nihil inlicitum. » Tac., Hist., V, 6.
  41. Dion Cassius, LI, 20. Cf. Suétone, Aug., 98.
  42. Pline, Panég., 52. Pline, Epist., VIII, 24 : « Reverere conditores deos et numina deorum. » Comp. l’inscription, Corp. inscr. lat., vol. III, no 567, et les additamenta ; Mém. des sav. êtr. de l’Acad. des insc., VIII, 1re partie, p. 1 et suiv.
  43. Marc-Aurèle, Pensées, II, 11 ; VI, 30 ; IX, 11 ; XII, 28.
  44. Capitolin, Marc-Aurèle, 4, 13, 15, 20, 26, 27, 28, 29.
  45. Pline, Epist., X, 34 (43), 93 (94), 96 (97), édit. Keim.
  46. Epist., X, 33 (42), 34 (43).
  47. Livre X, 116 (117), 117 (118).
  48. Livre X, epist. 93 (94).
  49. Suétone, César, 42 ; Aug., 32.
  50. Pline, Lettres, X, 117 (118).
  51. Les apologistes, il est vrai, ne sont pas de cet avis. Pour Tertullien, c’est Néron, c’est Domitien qui ont été les seuls persécuteurs dans toute la force du terme ; les bons empereurs se sont montrés relativement favorables au christianisme (Apol., 5). Méliton exprime la même pensée (Fragm. dans Eus., H. E., IV, xxvi, 9 et suiv., μόνοι πάντων). Lactance présente les choses de la même façon (De mort. persec., c. 3). Comp. Théodoret, De cura græc. aff., serm. ix, p. 612, Paris, 1642. On sent là une petite habileté oratoire et le parti systématique de présenter les alternatives de paix ou de persécution de l’Église comme répondant aux alternatives de splendeur ou de misère de l’empire.
  52. Marc-Aurèle, Pensées, VI, 54.
  53. Affaire de Paul de Samosate.
  54. Cf. Lactance, Instit. div., V, 11. Pour Porphyre (dans Eus., H. E., VI, xix, 7), χριστιανῶς et παρανόμως sont synonymes.
  55. Justin, Apol. I, 11 ; Sulp. Sév., Chron., II, 29 ; Tertullien, Apol., 4 ; Origène, Homel. x In Josue, § 10 ; Lampride, Alex. Sév., 22 ; Lactance, De mort. persec., 34. Voir Boissier, Revue archéol., juin 1876.
  56. Voir les textes dans les Apôtres, p. 354 et suiv.
  57. Tertullien, Apol., 10, 35 ; Ad Scap., 2.
  58. Cic., De legibus, II, 9 ; Paul, Sentent., V, xxiii, 15 ; Porcius Latro, Declam. in Catil., c. 19 ; Pline, Epist., X, 96 (97) ; Minucius Félix, Oct., 8 ; Tertullien, Ad uxorem, II, 4 ; De corona mil., 3 ; De fuga in persec., 14.
  59. Ruinart, Acta sinc., p. 82, 87, 150, 217, 463 (édit. de 1713).
  60. Voir l’Antechrist, p. 163 ; Paul, Sentent., V, xxix, 2 ; Suét., Aug., 27 ; Ammien Marc., XIX, 12 ; Cod. Just., l. 4, Ad legem Juliam maj. (IX, 8) ; l. 16, De quæst. (IX, 41).
  61. « In reos majestatis et publicos hostes omnis homo miles est ; ad socios, ad conscios usque inquisitio extenditur. » Tertullien, Apol., 2, 35, 37 ; Ruinart, Acta sinc., p. 82, 217. Comp. Digeste, l. 7, De re militari (XLIX, 16) ; Cod. Just., l. 1, De bonis libert. (VI, 4) ; Code Théodos., 1. 6 et 41, De malef. et mathem. (IX, 16). Cf. l’Antechrist, p. 185. Voir aussi Vulc. Gall., Avid. Cass., 7 ; Spartien, Sev., 14 ; Lampride, Comm., 18 ; Aurel. Victor, Cæs., xvii.
  62. Tatien, Adv. gentes, 33 ; Min. Félix, Octav., 8, 9, 28.
  63. Digeste, l. 6, Ad leg. Jul. pecul. (XLVIII, 13) ; cf. l. 4, § 2.
  64. Voir cependant Lactance, Inst. div., V, 11, et l’essai de M. Le Blant pour rétablir le De officio proconsulis d’Ulpien (Comptes rendus de l’Acad. des inscr., 1866, p. 358 et suiv.).
  65. Καινά τινα δαιμόνια. Comp. Act., xvii, 18 ; Lettre de l’Égl. de Vienne, dans Eus., H. E., V, i ; (ξένη καὶ καινὴ θρησκεία) ; Arnobe, Adv. nat., II, 66.
  66. Dion Cassius, discours fictif mis dans la bouche de Mécène (LII, 36).
  67. Bronzes d’Ossuna. Journ. des sav., nov. 1876. p. 707-710.
  68. « Qui novas et usu vel ratione incognitas religiones inducunt, ex quibus animi hominum moveantur, honestiores deportantur, humiliores capite puniuntur. » Paul, Sentent., V, xxi, 2. Cf. Digeste, l. 30, De pœnis (XLVIII, 19) : « Si quis aliquid fecerit quo leves hominum animi superstitione numinis terrerentur, Divus Marcus hujusmodi homines in insulam relegari rescripsit. » Ce rescrit se rapportait sans doute à des faits comme celui qui est rapporté dans Jules Capitolin, Ant. Phil., 13.
  69. Qu’on se rappelle César, Lucrèce, Cicéron, Horace, etc. Voir, par exemple, Cicéron, De nat. deorum, II, 2. Juvénal seul continue, dans la société romaine, jusqu’aux temps d’Adrien l’expression d’une franche incrédulité.
  70. Epist., VII, 27.
  71. Manuel, xxxi, 5.
  72. Florida, I, 1 ; De magia, 41, 55, 56, 63.
  73. Apulée, De Deo Socratis, 17.
  74. De magia, 41.
  75. Si Apollonius de Tyane avait été un homme sérieux, nous le connaîtrions par Pline, Suétone, Aulu-Gelle, etc., comme nous connaissons Euphrate, Musonius et d’autres philosophes, dont Philostrate a changé la physionomie véritable pour les accommoder au goût de son public. Lucien (Alexander, 5) et Apulée (De magia, 90) parlent déjà d’Apollonius d’après des récits romanesques, probablement d’après l’écrit du prétendu Mœragène (Philostr., Apoll., I, iii, 2 ; Origène, Contre Celse, VI, 41). Dans ces écrits, Apollonius avait simplement le caractère d’un magicien, d’un charlatan visant à l’effet.
  76. Lampride, Alex. Sev., 29.
  77. Voir les Apôtres, p. 329. Pour Adrien, voir Spartien, Adr., 16 ; Aurelius Victor, Cæs. xiv, 2, 3.
  78. Capitolin, Anton. Pius, 2 ; Philostrate, Vitæ soph., II, ii.
  79. Marc-Aurèle, Pensées, IX, 29.
  80. Épictète, Manuel, xxxiii, 10 ; Marc-Aurèle, Pensées, VII, 3.
  81. Pline, Epist., X, 94. Cf. Mommsen, Inscr. regni Neap., 4546 ; Orelli, 114, 6042, 6669. Voir les Apôtres, p. 320.