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Les 120 journées de Sodome/23

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Numérisation : Jean Franval (p. 185-188).

(XXIII)

Dix-neuvième journée

Dès le matin, d’après quelques observations faites sur la merde des sujets destinés aux lubricités, on décida qu’il fallait essayer une chose dont Duclos avait parlé dans ses narrations : je veux dire le retranchement du pain et de la soupe à toutes les tables, excepté à celle de messieurs. Ces deux objets furent soustraits ; on y redoubla, au contraire, la volaille et le gibier. On ne fut pas huit jours à s’apercevoir d’une différence essentielle dans les excréments : ils étaient plus moelleux, plus fondants, d’une délicatesse infiniment plus grande, et l’on trouva que le conseil de d’Aucourt à Duclos était celui d’un libertin véritablement consommé dans ces matières-là. On prétendit qu’il en résulterait peut-être un peu d’altération dans les haleines. « Eh ! qu’importe ! dit sur cela Curval, à qui le duc faisait l’objection ; il est très mal vu de dire qu’il faille, pour donner des plaisirs, que la bouche d’une femme ou d’un jeune garçon soit absolument saine. Mettons à part toute manie, je vous accorderai tant que vous voudrez que celui qui veut une bouche puante n’agit que par dépravation, mais accordez-moi de votre côté qu’une bouche qui n’a pas la moindre odeur ne donne aucune sorte de plaisir à baiser : il faut toujours qu’il y ait un certain sel, un certain piquant à tous ces plaisirs-là, et ce piquant ne se trouve que dans un peu de saleté. Telle propre que soit la bouche, l’amant qui la suce fait assurément une saleté, et il ne se doute pas que c’est cette saleté-là même qui lui plaît. Donnez un degré de force de plus au mouvement, et vous voudrez que cette bouche ait quelque chose d’impur : qu’elle qu’elle ne sente pas la pourriture ou le cadavre, à la bonne heure, mais qu’elle n’ait qu’une odeur de lait ou d’enfant, voilà ce que j’affirme ne devoir pas être. Ainsi le régime que nous ferons suivre aura, tout au plus, l’inconvénient d’altérer un peu sans corrompre, et c’est tout ce qu’il faut. » Les visites du matin ne rendirent rien : on s’observait. Personne ne demanda de permission pour la garde-robe du matin, et l’on se mit à table. Adélaïde, au service, ayant été sollicitée par Durcet à péter dans un verre de vin de Champagne, et ne l’ayant pu faire, fut à l’instant inscrite sur le fatal livre par ce mari barbare qui, depuis le commencement de la semaine, ne cherchait qu’une occasion de la trouver en faute. On passa au café ; il était servi par Cupidon, Giton, Michette et Sophie. Le duc foutit Sophie en cuisses en la faisant chier dans sa main et en s’en barbouillant le visage, l’évêque en fit autant à Giton, et Curval à Michette ; pour Durcet il le mit en bouche à Cupidon, en venant de le faire chier. On ne déchargea point, et la méridienne faite on fut écouter la Duclos.

« Un homme que nous n’avions pas encore vu, dit cette aimable fille, vint nous proposer une cérémonie assez singulière : il s’agissait de l’attacher sur le troisième échelon d’une échelle double ; à ce troisième échelon on attachait ses pieds, son corps où il portait, et ses mains élevées l’étaient au plus haut de l’échelle. Il était nu en cette situation ; il fallait le flageller à tour de bras, et avec le manche des verges quand les pointes étaient usées. Il était nu, il n’était nullement nécessaire de le toucher, il ne se touchait pas non plus lui-même ; mais, au bout d’une certaine dose, son instrument monstrueux prenait l’essor, on le voyait ballotter entre les échelons comme le battant d’une cloche et peu après, avec impétuosité, lancer son foutre au milieu de la chambre. On le détachait, il payait, et tout était dit.

« Il nous envoya le lendemain un de ses amis auquel il fallait picoter le vit et les couilles, les fesses et les cuisses, avec une aiguille d’or ; il ne déchargeait que quand il était en sang. Ce fut moi-même qui l’expédiai, et comme il me disait toujours d’aller plus fort, ce fut en lui enfonçant presque jusqu’à la tête l’aiguille dans le gland, que je vis jaillir son foutre dans ma main. En le lâchant, il se jeta sur ma bouche qu’il suça prodigieusement, et tout fut dit.

« Un troisième, toujours de la connaissance des deux premiers, m’ordonna de le flageller avec des chardons sur toutes les parties du corps indistinctement. Je le mis en sang ; il se regarda dans une glace, et ce ne fut qu’en se voyant en cet état qu’il lâcha son foutre, sans rien toucher, sans rien manier, sans rien exiger de moi.

« Ces excès-là me divertissaient fort, et j’avais une volupté secrète à les servir ; aussi, tous ceux qui s’y livraient étaient-ils enchantés de moi. Ce fut environ vers le temps de ces trois scènes-là qu’un seigneur danois, m’ayant été adressé pour des parties de plaisir différentes et qui ne sont pas de mon ressort, eut l’imprudence de venir chez moi avec dix mille francs de diamants, autant de bijoux, et cinq cents louis d’argent comptant. La capture était trop bonne pour la laisser échapper : entre Lucile et moi, le gentilhomme fut volé jusqu’à son dernier sol. Il voulut faire des plaintes, mais comme je soudoyais fortement la police, et que dans ce temps-là, avec de l’or, on en faisait ce qu’on voulait, le gentilhomme eut ordre de se taire et ses effets m’appartinrent, à quelques bijoux près qu’il me fallut céder aux exempts pour jouir tranquillement du reste. Il ne m’était jamais arrivé de faire un vol sans qu’un bonheur ne m’arrivât le lendemain : cette bonne fortune-ci fut une nouvelle pratique, mais une de ces pratiques journalières qu’on peut regarder comme la pièce de bœuf d’une maison.

« Celle-ci était un vieux courtisan qui, las des hommages qu’il recevait dans le palais des rois, aimait à venir changer de rôle chez des putains. Ce fut par moi qu’il voulut débuter ; il fallait que je lui fisse dire sa leçon, et à chaque faute qu’il y faisait, il était condamné à se mettre à genoux et à recevoir, tantôt sur les mains, tantôt sur le derrière, de vigoureux coups d’une férule de cuir, telle que celle dont les régents font usage en classe. C’était à moi de m’apercevoir quand il était bien en feu ; je m’emparais alors de son vit et je le secouais adroitement, toujours en le grondant, en l’appelant petit libertin, petit mauvais sujet, et autres invectives enfantines qui le faisaient voluptueusement décharger. Cinq fois de la semaine, pareille cérémonie devait s’exécuter chez moi, mais toujours avec une fille nouvelle et bien instruite, et je recevais pour cela vingt-cinq louis par mois. Je connaissais tant de femmes dans Paris qu’il me fut aisé de lui promettre ce qu’il demandait et de le lui tenir ; j’ai eu dix ans dans ma pension ce charmant écolier, qui s’avisa vers cette époque d’aller prendre d’autres leçons en enfer.

« Cependant je prenais des années, et quoique ma figure fût d’espèce à se conserver, je commençais à m’apercevoir que ce n’était plus guère que par caprice que les hommes voulaient avoir affaire à moi. J’avais cependant encore d’assez jolies pratiques, quoique âgée de trente-six ans, et le reste des aventures où j’ai eu part s’est passé pour moi depuis cet âge jusqu’à celui de quarante.

« Quoique âgée, dis-je, de trente-six ans, le libertin dont je vais vous conter la manie qui va clore cette soirée-ci ne voulut avoir affaire qu’à moi. C’était un abbé, âgé d’environ soixante ans (car je ne recevais jamais que des gens d’un certain âge, et toute femme qui voudra faire sa fortune dans notre métier m’imitera sur cela, sans doute). Le saint homme arrive, et dès que nous sommes ensemble, il me demande à voir mes fesses. “Voilà le plus beau cul du monde, me dit-il ; mais malheureusement ce n’est pas lui qui va me fournir la pitance que je vais dévorer. Tenez, me dit-il ; en me mettant ses fesses entre les mains : voilà celui qui va me la fournir… Faites-moi chier, je vous en prie.” Je m’empare d’un vase de porcelaine que je place sur mes genoux, l’abbé se place à hauteur, je presse son anus, je l’entrouvre, et lui donne en un mot toutes les différentes agitations que j’imagine devoir hâter son évacuation. Elle a lieu ; un énorme étron remplit le plat, je l’offre au libertin, il se saisit, se jette dessus, dévore, et décharge au bout d’un quart d’heure de la plus violente fustigation administrée par moi sur ces mêmes fesses qui viennent de lui pondre un si bel œuf. Tout était avalé ; il avait si bien compassé sa besogne, que son éjaculation n’avait lieu qu’à la dernière bouchée. Tout le temps que je l’avais fouetté, je n’avais cessé de l’exciter par des propos analogues : “Allons donc, petit coquin, lui disais-je, petit malpropre ! Pouvez-vous manger de la merde comme cela ? Ah ! je vous apprendrai, petit drôle, à vous livrer à de pareilles infamies !” Et c’était par ces procédés et ces propos que le libertin arrivait au comble du plaisir. »

Ici, Curval, avant le souper, voulut donner à la société le spectacle en réalité dont Duclos ne venait de donner que la peinture. Il appela Fanchon, elle le fit chier, et le libertin dévora, pendant que cette vieille sorcière l’étrillait à tour de bras. Cette lubricité ayant échauffé les têtes, on voulut de la merde de tous les côtés, et alors Curval, qui n’avait point déchargé, mêla à son étron celui de Thérèse qu’il fit chier sur-le-champ. L’évêque, accoutumé à se servir des jouissances de son frère, en fit autant avec la Duclos, le duc avec Marie, et Durcet avec Louison. Il était atroce, inouï, je le répète, de se servir de vieilles gouines comme celles-là, quand on avait à ses ordres d’aussi jolis objets : mais, on le sait, la satiété naît au sein de l’abondance, et c’est au milieu des voluptés que l’on se délecte par des supplices. Ces saletés faites sans qu’il en eût coûté qu’une décharge, et ce fut l’évêque qui la fit, on fut se mettre à table. En train de faire des saletés, on ne voulut aux orgies que les quatre vieilles et les quatre historiennes, et on renvoya tout le reste. On en dit tant, on en fit tant, que pour le coup tout le monde partit, et nos libertins ne furent se coucher que dans les bras de l’épuisement et de l’ivresse.