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Les Amours de Mars et de Vénus

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IX[1]


LES AMOURS DE MARS ET DE VÉNUS


Gélaste montre à Acante une tapisserie, ou sont représentées les Amours de Mars et de Vénus, et lui parle ainsi :


Vous devez avoir lu qu’autrefois le dieu Mars,
Blessé par Cupidon d’une flèche dorée,
Après avoir dompté les plus fermes remparts,
_____Mit le camp devant Cytherée.
Le siège ne fut pas de fort longue durée :
_____A peine Mars se présenta,
_____Que la belle parlementa.

Dans les formes pourtant il entreprit l’affaire :
_____Par tous moyens tâcha de plaire :
De son ajustement prit d’abord un grand soin.
_____Considérez-le en ce coin,
_____Qui quitte sa mine fière.
Il se fait attacher son plus riche harnois.
__Quand ce serait pour des jours de tournois,
On ne le verrait pas vêtu d’autre manière.
L’éclat de ses habits fait honte à l’œil du jour.
Sans cela, fit-on mordre aux Géants la poussière,
Il est bien malaisé de rien faire en amour.


En peu de temps Mars emporta la dame.
Il la gagna peut-être, en lui contant sa flamme :
Peut-être conta-t-il ses sièges, ses combats ;
Parla de contrescarpe, et cent autres merveilles
Que les femmes n’entendent pas,
Et dont pourtant les mots sont doux à leurs oreilles.
Voyez combien Vénus en ces lieux écartés
Aux yeux de ce guerrier étale de beautés :
Quels longs baisers ! la gloire a bien des charmes ;
Mais Mars en la servant ignore ces douceurs.
Son harnois est sur l’herbe : Amour pour toutes armes
Veut des soupirs et des larmes :
C’est ce qui triomphe des cœurs.

Phébus pour la déesse avait même dessein ;
Et charme de l’espoir d’une telle conquête
Couvait plus de feux dans son sein,
Qu’on n’en voyait à l’entour de sa tête.
C’était un dieu pourvu de cent charmes divers.
Il était beau mais il faisait des vers ;
Avait un peu trop de doctrine ;
Et qui pis est, savait la médecine.
Or soyez sûr qu’en amours,
Entre l’homme d’épée et l’homme de science,
Les dames au premier inclineront toujours ;
Et toujours le plumet aura la préférence.
Ce fut donc le guerrier qu’on aima mieux choisir.
Phébus outre de déplaisir
Apprit à Vulcan ce mystère ;
Et dans le fond d’un bois voisin de son séjour,
Lui fit voir avec Mars la reine de Cythère,
Qui n’avaient en ces lieux pour témoins que l’amour.

La peine de Vulcan se voit représentée :
Et l’on ne dirait pas que les traits en sont feints.
II demeure immobile, et son âme agitée
Roule mille pensers qu’en ses yeux on voit peints.

Son marteau lui tombe des mains.
Il a martel en tête, et ne sait que résoudre,
Frappé comme d’un coup de foudre.
Le voici dans cet autre endroit
Qui querelle et qui bat sa femme.
Voyez-vous ce galant qui les montre du doigt ?
Au palais de Vénus il s’en allait tout droit,
Espérant y trouver le sujet qui l’enflamme.
La dame d’un logis, quand elle fait l’amour
Met le tapis chez elle à toutes les coquettes
Dieu sait si les galants lui font aussi la cour.
Ce ne sont que jeux et fleurettes,
Plaisants devis et chansonnettes :
Mille bons mots, sans compter les bons tours,
Font que sans s’ennuyer chacun passe les jours.
Celle que vous voyez apportait une lyre,
Ne songeant qu’à se réjouir.
Mais Vénus pour le coup ne la saurait ouïr :
Elle est trop empêchée, et chacun se retire.
Le vacarme que fait Vulcan,
A mis l’alarme au camp.

Mais avec tout ce bruit que gagne le pauvre homme ?
Quand les cœurs ont goûté les délices d’Amour,
Ils iraient plutôt jusqu’à Rome,
Que de s’en passer un seul jour.
Sur un lit de repos voyez Mars et sa dame
Quand l’Hymen les joindrait de son nœud le plus fort,
Que l’un fut le mari, que l’autre fut la femme,
On ne pourrait entre eux voir un plus bel accord.
Considérez plus bas les trois Grâces pleurantes :
La maîtresse a failli, l’on punit les suivantes.
Vulcan veut tout chasser. Mais quels dragons veillants
Pourraient contre tant d’assaillants,
Garder une toison si chère ?
Il accuse sur tous l’enfant qui fait aimer :
Et se prenant au fils des pêchés de la mère
Menace Cupidon de le faire enfermer.


Ce n’est pas tout : plein d’un dépit extrême
Le voilà qui se plaint au monarque des dieux ;
Et de ce qu’il devrait se cacher à soi-même,
Importune sans cesse et la terre et les cieux.
L’adultère Jupin, d’un ris malicieux,
Lui dit que ce malheur est pure fantaisie,
Et que de s’en troubler les esprits sont bien fous.
Plaise au ciel que jamais je n’entre en jalousie ;
Car c’est le plus grand mal, et le moins plaint de tous.

Que fait Vulcan ? car pour se voir vengé,
Encor faut-il qu’il fasse quelque chose.
Un rets d’acier par ses mains est forgé :
Ce fut Momus qui je pense en fut cause.
Avec ce rets le galant lui propose
D’envelopper nos amants bien et beau.
L’enclume sonne ; et maint coup de marteau,
Dont maint chaînon l’un à l’autre s’assemble,
Prépare aux dieux un spectacle nouveau
De deux Amants qui reposent ensemble.

Les noires sœurs apprêtèrent le lit :
Et nos amants trouvant l’heure opportune,
Sous le réseau pris en flagrant délit,
De s’échapper n’eurent puissance aucune.
Vulcan fait lors éclater sa rancune :
Tout en clopant le vieillard éclopé
Semond les dieux, jusqu’au plus occupé,
Grands et petits, et toute la séquelle.
Demandez-moi qui fut bien attrapé ;
Ce fut, je crois, le galant et la belle.

Cet ouvrage est demeuré imparfait pour de secrètes raisons : et par malheur ce qui y manque est l’endroit le plus important ; je veux dire les réflexions que firent les dieux, même les déesses, sur une si plaisante aventure. Quand j’aurai repris l’idée et le caractère de cette pièce je l’achèverai. Cependant comme le dessein de ce recueil a été fait à plusieurs reprises, je me suis souvenu d’une Balade[2] qui pourra encore trouver sa place parmi ces contes puisqu’elle en contient un en quelque façon. Je l’abandonne donc ainsi que le reste au jugement du public. Si l’on trouve qu’elle soit hors de son lieu, et qu’il y ait du manquement en cela ; je prie le lecteur de l’excuser avecque les autres fautes que j’aurai faites.

  1. Fragment publié pour la première fois dans les Contes et nouvelles en vers. Paris Barbin 1665 in-12.
  2. Cette ballade sera insérée en son lieu dans les Poësies meslées.