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Les Aphrodites/5-4

La bibliothèque libre.
Briard (Poulet-Malassis) (p. 71-93).

PASSE POUR CEUX-CI !




QUATRIÈME FRAGMENT.




La scène est à l’extrémité la plus reculée de l’ample territoire de l’hospice. Il y a une colline fortuite au haut de laquelle on arrive d’un côté par une montée peu rapide ; l’autre offre des escarpements naturels, que l’on a rendus plus pittoresques. On a eu l’idée de bâtir sur la cime un ermitage, c’est-à-dire un bâtiment qui a toute l’apparence d’une petite chapelle fort ancienne, avec son péristyle soutenu de deux colonnes de bois, sa porte et ses fenêtres gothiques, et ses vitrages diaprés. Un petit clocher surmonte le comble. Une cabane est adossée à cette espèce de sanctuaire. Tout le terrain de cette retraite est en bosquets, coupés de petits sentiers et d’un ruisseau qu’occasionne une cascade artificielle qui s’échappe du point le plus élevé. De ce point l’œil découvre au loin un fort beau paysage, mais l’ermitage, à cause de ses bosquets, est vu de peu d’endroits de l’intérieur de l’hospice, et plus on approche, moins cette solitude est visible.

Elle est d’ailleurs palissadée et close.

Messieurs les jeudis font grand cas de l’ermitage : c’est ordinairement là qu’ils prennent leur champ de bataille pour les petits coups fourrés,… et c’est là que sont pour le moment


CÉLESTINE ET BELAMOUR.

Célestine (se promenant avec Belamour dans les bosquets). — Il tarde bien, ce vicomte de Culigny.

Belamour. — Peut-être ne viendra-t-il pas.

Célestine. — Lui ! pour la récréation qu’il s’est ménagée, il arriverait des antipodes. Il avait essayé d’émigrer, mais il ne pouvait s’accommoder, a-t-il dit hier à ma sœur, ni des femmes du pays, bégueules, sur son article, à faire pitié, ni des réfugiées françaises, dont les taudis sont engorgés du matin au soir, si bien l’aristocratie elle-même s’accommode, à petit bruit, de ce système d’égalité, de liberté, contre lequel elle proteste. N’étant pas non plus affriandé par des jeunes gens qui, pour se rendre aussi laids que possible, se sont mis à porter des moustaches et des barbes, à l’instar de nos sapeurs de la garde nationale, il n’y a pas tenu, et, au risque de se faire prendre, il est rentré. Durut, avertie par ses mouchards, est accourue chez lui ; son premier mot a été : “ Que fait Célestine ? Pourrai-je l’avoir demain ? „

Il est bon de te dire que je suis ce qu’il aime le mieux à Paris, et pour cause… En même temps ma sœur lui a fait voir ton portrait en miniature, qu’elle venait de retirer de chez le peintre, pour la petite duchesse de Confriand. Il s’est extasié. “ Le divin enfant ! s’est-il écrié ; je déjeune avec lui demain à l’ermitage. — Et Célestine ? a dit ma sœur, la voilà cassée aux gages ! — Point du tout ; tous deux, ma chère Durut : je les veux l’un et l’autre. „ Juge, mon petit ami, si cet affamé, qui peut-être n’a pas vu un seul cul depuis six semaines, et qui d’avance a doublé le prix ordinaire de sa fantaisie, peut manquer une partie pour laquelle s’est si vivement montée son imagination !

Belamour. — En vérité, je ne les conçois pas, ces messieurs ! Qu’ils aient tant de plaisir avec vous autres, cela se comprend ; mais avec nous !

Célestine. — Tiens, Belamour, ne te mets pas à raisonner comme un con, je n’aurais pas la complaisance de te répondre. Suis-moi, petit imbécile.

Elle le prend par la main et le mène grand train, à dix pas, dans la cabane qui est en dedans un délicieux boudoir garni de glaces.

Célestine (après avoir mis à nu la mappemonde de Belamour, se trousse et montre aussi la sienne : elles sont toutes deux à portée d’une glace et réfléchies dans une autre). — Regarde, mon polisson, ces deux messieurs que nous voyons là ne sont-ils pas également ronds, également frais, appétissants ? à ton âge heureux, n’est-on pas une jolie fille, quand toutefois on a le bonheur d’être joli ? Et puis que répliquer au caprice, quand il dit : Cela me plaît ? Quant à moi, je sens que si j’étais homme tu y passerais tout de suite.

Belamour. — Eh bien ! j’ai l’honneur de l’être, moi… Je vais donc… (Il se dispose à la coucher sur un meuble.)

Célestine (s’opposant). — Allons, soyez sage : vous savez ce qui vous est prescrit. Il faut de la bonne foi dans les traités…

Belamour (tendrement). — Mais voyez donc !

Célestine. — Oui, je vois là quelque chose de très-persuasif, assurément, mais je sais me posséder, moi,… finissons ! (Avec sévérité.) Allons, monsieur, rengainez votre compliment. (On conçoit ce qu’il en coûte à Belamour de voir refuser quelque chose de fier et d’imposant.) Tenez… (Elle donne à cet audacieux quêteur un baiser humide.) Voilà tout ce que je puis faire pour son service.

Belamour. — Grand merci ! C’est toujours ça !

En même temps l’espiègle se laisse aller à terre, assis. Aussitôt il a fourré sa tête sous les jupes de Célestine et entre ses jambes. Tandis qu’il gravit pour atteindre au magique sillon, de sa main il attaque l’équilibre de la nymphe et lui fait ployer le jarret. Elle tombe en plusieurs temps, et sans rudesse, d’abord à genoux, puis sur les mains ; cette attitude est ce que l’ardent Belamour désirait d’obtenir. Dès lors il a sur le nez la céleste mappemonde, et sa langue amoureuse aiguillonne le brûlant bijou. En même temps, le petit boute-joie fait fièrement l’obélisque, à trois doigts des yeux de Célestine, à qui l’on en fait trop pour ne pas l’entraîner. Elle se jette donc avec un transport glouton sur l’intéressant joujou et lui rend hommage pour hommage. Sa bouche lubrifie le bigarreau vermeil, tandis qu’une main folâtre joue avec les truffes d’Adonis[1] qui décorent le pied de cet arbuste. Mais elle a grand soin, à ce jeu, de ne pas pousser avec Belamour les choses aussi loin qu’il s’en pique avec elle. Il convient que le jouvenceau, destiné et de service, ne perde rien de ses moyens. Célestine, au contraire, verse libéralement cette rosée de vie que les gens qu’elle dégoûte ne sont pas dignes qu’on répande pour eux, mais que savourent comme un nectar ces élus fervents à qui la reconnaissante Vénus fait trouver de tant de façons les cieux sur la terre. C’est lorsqu’il finit cette pieuse manière de lui sacrifier que survient le vicomte.


LE VICOMTE DE CULIGNY[2], CÉLESTINE, BELAMOUR.

Le Vicomte (chante.)

J’aime à voir cet hommage flatteur
Qu’ici l’on s’exerce à vous rendre[3].

Célestine (debout et se rajustant). — D’autant plus, monsieur le vicomte, que c’était sans vous faire aucun tort…

Le passe-temps auquel Culigny vient de surprendre le joli couple n’empêche pas qu’il ne baise fort amoureusement Célestine et qu’avec la même passion il n’en fasse autant au petit languayeur[4].

Célestine. — N’est-ce pas qu’il est charmant ?

Le Vicomte (avec transport). — Incroyable ! Il surpasse encore ce fripon de portrait qui, toute la nuit, ne m’a pas permis de fermer l’œil.

Culigny se jette sur la duchesse, et attire sur l’un de ses genoux Célestine, sur l’autre le charmant camillon[5]. Il leur partage avec autant de grâce que de vivacité mille tendresses, mille baisers, mille éloges. Bientôt, à travers de menus propos qui n’ont rien d’assez intéressant pour qu’on les cite, un groupe se compose. Célestine, étendue enfin sur la duchesse, reçoit dans ses bras le fortuné Belamour, tandis que le vicomte, avec toute l’ardeur de son goût socratique, devient le Jupiter du plus désirable Ganymède. Ce n’est pas dans le raccourci des objets réels, mais dans la glace, qui les répète et les déploie, que le voluptueux Culigny cherche cette quintessence du plaisir dont son procédé matériel ne lui fournit que la sensation grossière. Malheur au prêtre vulgaire qui ne sait qu’immoler bêtement sa victime et qui, sous quelque forme qu’il te sacrifie, ô Vénus ! n’a pas toute son âme embrasée de ta divinité[6] !

On passe dans la chapelle, où est préparé un déjeuner auprès duquel est de garde la plus jeune des camillonnes de l’hospice. Cette enfant, très-novice, à qui le temps avait duré, et qui se croyait tout de bon dans une chapelle[7], s’était mise à genoux en prière devant le modeste canapé d’une niche décorée d’un tableau dont voici le sujet. Une jeune et jolie brunette quitte sa chemise par le bas ; elle n’y a plus qu’une jambe, l’autre est élevée et ployée dans le mouvement qui vient de la dégager ; le reste du corps est absolument nu ; elle montre en plein ce petit orifice rosé que sa décoration fait, nommer quelquefois, par de mauvais plaisants, l’as de pique. La jeune vierge paraît fort troublée de l’entrée pétulante que fait par la fenêtre un jeune homme d’une beauté céleste, et qui porte perché au bout de… ce qui plaît tant aux dames un pigeon blanc ; la lumière est sur la table, mais placée de façon que le pigeon en éclipse le lumignon, d’où résulte l’effet que l’oiseau paraît entouré de toutes parts d’une sphère de rayons. Au bas de la peinture on lit : Je vous salue, Marie. C’est ce qui a fait que l’innocente camillonne a pris cette image pour une Annonciation. Il ne faut pas demander si Culigny et Célestine rient comme des fous d’une dévotion si candide. Il n’y a pas jusqu’au demi-dessalé Belamour qui n’y entende aussi malice.

Vis-à-vis dans une pareille niche, est un tableau de même grandeur, mais d’une touche plus ferme, représentant le seigneur Loth, d’insensible et luxurieuse mémoire. On l’y voit levrettant vigoureusement dans une caverne sa brune fille aînée, tandis que la blonde cadette, debout sur le grabat où l’on travaille si bien sa sœur, et jambe de çà, jambe de là, vidant une coupe de vin, est troussée sous les yeux de son vertueux père, à qui, la ceinture en avant, elle fait un surcroît de moustaches du duvet naissant de ses jeunes appas. On lit au bas : Notre Père, qui êtes aux cieux !

Enfin, dans le fond, en face de l’entrée, on voit, au-dessus d’une espèce de buffet que l’ingénuité pourrait prendre aussi pour un autel, la tentation de saint Antoine, exécutée en bas-relief, d’un habile ciseau. La composition de ce morceau, quoique assez simple, fait honneur à l’imagination de l’artiste.

Belzébuth et sa femme (lui velu, cornu, affreux ; elle fort jolie, mais ayant l’air d’être diablement coquine) sont venus surprendre le saint ermite pendant son sommeil, et lui ont attaché la barbe après la queue de son cochon. Pour lors, ils ont éveillé les deux amis. Le saint aussitôt se prosterne et se met en prière, mais l’infâme Belzébuth, se bouchant le nez à tout événement, abuse de l’attitude, et l’imprudent Antoine est impitoyablement traité comme le jeune secrétaire d’un cardinal. En même temps, madame Belzébuth, faisant face, vient d’enjamber le cochon qui prenait son élan. De l’aventure, le défloré solitaire se trouve horriblement tiraillé par sa sainte barbe. Il a toutefois pour consolation la faveur de baiser, s’il peut y prendre goût, l’énorme, noir et brûlant anneau de mariage du roi des damnés. Il faut endurer cette permanente accolade, sous peine de perdre, le saint son poil, le cochon sa queue. Le moment de la double infamie des époux infernaux et du vain effort du cochon est celui qu’a choisi le sculpteur. Ce bas-relief est un chef-d’œuvre d’exécution et de caractère[8].

Le vicomte n’avait pas encore vu ces embellissements, très-récemment mis en place ; en connaisseur, il en est enchanté. Célestine soupçonne, mais à tort, que Belzébuth surtout le frappe et lui fait envie, car monsieur H… n’a pas fait de l’anachorète un vieux magot, mais bien un dodu cénobite dont le postérieur, moelleusement arrondi, suppose de la jeunesse et permet d’imaginer qu’on verrait un agréable visage, s’il n’était pas aux trois quarts incrusté dans la bifurcation un peu mollasse de madame Belzébuth.

On a déjeuné ; la petite dévote est renvoyée. On essaye une nouvelle combinaison. C’est pour lors Belamour qui gît ; il est aussitôt surmonté par l’ardente Célestine. Dès que le vicomte, qui avait presque le nez sur les objets, la voit dûment pénétrée, il l’init à son tour. On sait que la capricieuse Célestine, à moins qu’elle ne regrettât de n’enfourcher qu’un enfant, ne pouvait selon ses goûts être plus agréablement occupée.

Ensuite on se met à causer.

Célestine. — Çà ! vicomte, pour ma propre satisfaction, et pour l’instruction de ce morveux, tu vas, s’il te plaît, me résoudre un problème ; mais sans compliment… la vérité, mon cher.

Le Vicomte[9]. — De quoi s’agit-il ?

Célestine. — Avec qui, de Belamour ou de moi, cela t’a-t-il fait le plus de plaisir ?

Le Vicomte. — Avec tous deux.

Célestine. — C’est une réponse normande.

Le Vicomte. — Point du tout. En lui faisant, je l’aimais mieux que toi ; avec toi, tu me plaisais davantage.

Célestine. — Mais le sexe…

Le Vicomte. — Il n’y a point de sexe : il n’y a que des formes et de l’électricité[10]. Que m’importe qu’au revers de cet enfant charmant il y ait une prolongation, et qu’au tien il y ait une lacune[11] ? J’oublie tout cela quand je suis avec l’un, avec l’autre, également étreint dans un élastique anneau, également appuyé sur deux magnétiques hémisphères, d’un satin un peu plus un peu moins blanc, mais qui procurent à la vue des sensations également voluptueuses. Tous deux vous m’offrez plaisir et sûreté. Je n’ai pas, hors de l’acte même, un scrupule de motif qui puisse faire pencher ma balance, soit du côté de Belamour, soit de celui de Célestine.

Célestine (à Belamour). — Eh bien ! petit, voilà tes doutes réfutés.

Belamour. — Je vois bien que je n’étais qu’une bête, mais à mon âge on est fait pour cela.

Le Vicomte (l’embrassant). — On n’est pas bête longtemps (si toutefois tu l’étais) quand on a le bon sens de s’apercevoir de quelque degré de sottise. Revenons à notre sujet. Ce que je disais, ma chère Célestine, est l’arrêt de condamnation de ces brutaux et sordides culomanes qui se dégradent en se livrant à d’horribles jouissances. Dès que le rasoir a fauché, sur le visage d’un être masculin, certaine fleur enfantine, seul prétexte à l’équivoque, il est rare que sans dépravation on puisse désirer d’avoir un tel personnage[12]. Fi ! du grossier pédéraste qui ne recherche pas la féminine illusion. Fi ! de celui qu’on voit, comme à Berlin, affronter pour ses six gros la mappemonde poilue d’un grenadier qui ne sut jamais si le papier est bon à autre chose qu’à faire des rapports de la garde et des cartouches. Fi ! du penaillon qui, dans sa communauté, se plante aussi complaisamment chez le bouquin de prieur, que chez l’imberbe novice. En un mot, fi ! de ces canules banales du genre humain, tels que nos messieurs Stercoran, Trichecon, Piquemignon, Merdin, et tant d’autres, desquels je ne cesse de dire aux assemblées que ce n’est que par un abus criant qu’ils conservent le droit de figurer dans l’ordre. À Dieu ne plaise, Célestine, que tu m’avilisses dans ton esprit au point de me comparer avec de tels frères ! Je ne suis pas plus dépravé, moi, que tant de dieux et de héros pour lesquels on a, comme de raison, assez d’indulgence. Alcibiade, Sporus, Narcisse, Antinoüs, le jeune César, pour ne pas parler des modernes, n’ont point déshonoré comme jouissance leurs capricieux adorateurs. Mais ce qu’il y a d’odieux, même parmi nous, c’est quand un président Fauxconnin vient céans en partie fine avec un abbé Cudard, et reçoit le mouchoir après l’avoir jeté ; c’est quand on vient à savoir que messieurs Déviant, Gitonard, Cognebran et Foirigny se sont permis une petite orgie à laquelle pas même les camillons ne furent admis !

Célestine. — Oh ! parbleu ! il me semble entendre parler ma sœur. Quand ces vilains nous tombent sur les bras, elle est furieuse.

Le Vicomte (s’animant). — Ou je perdrai tout à fait le peu de crédit que je me flatte d’avoir dans l’ordre, ou l’on y sera délivré de cette peste. Oui, Célestine, je solliciterai fortement une loi sur cet objet ; mais l’adonisement (selon moi très-raisonnable) doit être que, jusqu’à l’époque de la nécessité du rasoir, tout jouvenceau fasse corps avec le beau sexe.

Célestine. — Ainsi, plus d’andrins[13] !

Le Vicomte. — Il n’y aurait plus d’avoués que les janicoles[14].

Célestine. — Mais, entre nous, vicomte, vous-même, vous ne l’êtes pas… Vous avez, dit-on, pour ceci (elle montre on se doute quoi) la plus invincible aversion…

Le Vicomte (la renverse brusquement et baise le bijou). — Voilà bien, je crois, la preuve du contraire.

Célestine. — On m’avait pourtant assuré…

Le Vicomte. — Tu doutes encore ! (Pour lors il s’arrange tout de bon pour la gamahucher en forme.)

Célestine (sans beaucoup résister). — Holà !… holà !… nous dissertions, mon cher ; mais… je vois bien qu’il… n’y aura pas moyen de lui faire… reprendre le fil de son discours.

Alors elle tend les bras à Belamour, l’attire, le baise, le mord, et lui prend une main qu’elle fourre dans sa gorge, le tout en remuant moelleusement le croupion pendant cette lesbienne que le vicomte a le galant caprice de lui administrer. Culigny, sans interrompre son langayage[15], a mis en campagne, dans le pantalon de Belamour, une de ses mains inutiles à la besogne ; le petit Adonis, méthodiquement excité, n’en répond qu’avec plus d’ardeur aux caresses de la voluptueuse Célestine.

Après l’affaire.

Célestine. — Voilà bien la plus burlesque digression !

Le Vicomte. — Elle n’est pas achevée. (Il monte sur le meuble, et se met en devoir de finir congrument.)

Célestine. — Tout de bon, mon cher, c’est bien cela qu’il vous faut ?

Culigny ne lui répond qu’en ne lui laissant aucun doute : il y est. Célestine, touchée de cet excellent procédé, croit obliger le vicomte en faisant signe à Belamour de faire… une fort vilaine chose qu’on sait que le bel enfant a soufferte.

Le Vicomte (refusant). — Non, non, mon cœur, à moi tant d’honneur n’appartient : il y a plus de vingt ans qu’on me rase.

Célestine. — Eh bien donc !… (Elle débusque le vicomte, d’abord assez étonné.) je ne veux pas que mon petit Belamour soit redevenu si beau pour rien : à moi l’aubaine ! (Elle a forcé le vicomte à se mettre sur le dos ; elle monte sur lui, se penche, et reçoit ailleurs le docile Belamour.)

Le Vicomte (travaille). — Que tu es bonne ! que de grâce tu mets à ta complaisance ! Ce visage disgracié n’effarouche point ce désir ?

Célestine (allant toujours son train). Tu te fous de moi, je pense ! L’homme aimable fut-il jamais laid ? Que je ferme cette bouche qui se met à raisonner si mal.

Ce nouvel arrangement a bien plus d’effet que le précédent pour la voluptueuse Célestine. Mais c’est assez excéder le lecteur de ces détails à peu près monotones pour lui, s’ils sont variés pour mes acteurs. On a fini : Belamour s’est écarté, Célestine demeure encore en place.

Célestine. — Comme il faut croire aux réputations ! J’aurais juré que tu étais homme à fuir à la seule vue d’un con… Pardonne !

Le Vicomte. — Oui bien, de celui qui a la prétention de se faire attacher par des soins, des soupirs et des détails aussi ennuyeux que ridicules ; oui bien, de celui qui porte des certificats effrayants de ses nombreuses fatigues ou de ses malheurs, ou bien de celui qui vous attend avec du poison ; de celui qui, s’arrogeant l’honneur de vous fatiguer, est incapable de prendre part à la chose ; oui, Célestine, il y en a de cent espèces que j’abhorre et que je fuis. Mais il en est un bien aimable, ainsi que ses pareils ; s’il n’y en avait que de cette espèce, je crois que notre secte s’éteindrait… Celui que je veux dire, c’est le frais, le pur, le sensible et reconnaissant, en un mot (Avec un bon baiser.) le tien !…

Après les vives caresses que peut causer cet éloge flatteur, on se lève. Culigny promet de renouveler bientôt ce délicieux déjeuner. Il fait présent à Belamour d’une montre, et à Célestine d’une paire de boucles d’oreilles. On se sépare enfin, après mille baisers circulaires, enfants bien légitimes de la reconnaissance de l’amour.


FIN DU NUMÉRO CINQ.

  1. On connaît sans doute la fable ingénieuse dont voici l’extrait en deux lignes : “ Vénus, au désespoir, enterre le plus précieux fragment de son cher Adonis au pied d’un cerisier. „ De là les truffes et leur stimulante propriété ; de là cette forme intéressante et fidèle de la cerise, fruit charmant que j’ai vu plusieurs de nos jolies naturalistes ne pouvoir porter à la bouche, les unes sans sourire, les autres sans rougir…
    (Le Rédacteur.)
  2. Le vicomte de Culigny, quarante-deux ans, grand, svelte, on ne peut mieux fait, mais dont la petite vérole a fait du plus joli homme le plus laid, aux yeux de certaines femmes qui comptent pour peu de chose l’ineffaçable beauté de la physionomie. Le vicomte, aimable, galant, enjoué, fut longtemps à la mode, en dépit d’un joujou d’œuvre assez médiocre. Son affreuse maladie lui fit perdre la vogue. Outré de voir que ses succès n’avaient tenu qu’à son visage, tourmenté du triomphe de certains rivaux qui ne lui semblaient pas faits pour devoir l’éclipser, irrité contre un sexe qu’il jugeait dès lors ingrat et peu connaisseur, il abjura, mais avec tolérance et demeurant au point de certains renégats par spéculation qui sont encore plus près d’adorer la croix que de la fouler aux pieds. Le degré d’hérésie du vicomte sera bientôt mieux connu par ses confessions et sa conduite.
  3. Vers d’une ariette d’Iphigénie.
  4. On ne saurait assez enrichir la stérile nomenclature de l’art du plaisir.
  5. Camillon, synonyme de servant ; on l’a déjà dit quelque part.
  6. Cette dernière période n’a pas laissé d’embarrasser le compositeur. Elle était au crayon à la marge du manuscrit, avec un renvoi : pourtant ce n’est pas une note. D’un autre côté, l’exaltation qu’on y remarque n’est ni du ton, ni à propos. Cette invocation, dans une circonstance aussi burlesque, est-elle sérieuse ? est-elle une plaisanterie ? On s’y perd.
    (Note de l’Éditeur.)
  7. C’est pour l’ordinaire aux Enfants trouvés que madame Durut fait la recrue de petits domestiques des deux sexes. Elle ne paraît jamais ; un cafard, sournois affilié, se charge d’arranger toutes choses. Il répond des petits êtres qu’on abandonne à sa bienfaisante protection. Les enfants, au sortir de cet hôpital, où ce cafard est en grand crédit, sont encore tout imbus de la piété dans laquelle on y élève cette jeunesse. Autres lieux, autres idées. (Note du Censeur.)
  8. Les trois descriptions qu’on vient de lire sont copiées mot à mot du journal de monsieur Visard.
    (Note du Censeur.)
  9. Cette dissertation est, d’un bout à l’autre, une satyre amère de l’horrible goût des andrins. Culigny, quoique mitigé, janicole en un mot, n’est pas moins ridicule. On pourrait dire que les vilains andrins sont les jacobins de la galanterie ; que les janicoles en sont les monarchiens-démocrates ; les francs adorateurs du beau sexe sont conséquemment les royalistes de Cythère. Vivent ceux-ci ! Puissent les seconds rentrer dans la bonne voie ! Périssent les sans-culottes et ceux qui les font aller cul nu !
  10. Détestables paradoxes, d’un bout à l’autre de la tirade.
  11. On observe que ces jeudis sont à nous ce que sont les Indiens aux Européens : ceux-ci font le diable noir parce qu’ils sont blancs, ceux-là le font blanc parce qu’ils sont noirs. C’est ainsi que l’apostat vicomte appelle revers ce qui est pour nous, l’endroit, et réciproquement.
  12. Voilà le vicomte pleinement justifié du soupçon intérieur de Célestine.
  13. Il en a été parlé dès le premier numéro.
  14. Voyez le second numéro.
  15. Langayage doit passer si l’on accepte langayer, langayeur.