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Les Aphrodites/6-2

La bibliothèque libre.
Briard (Poulet-Malassis) (p. 110-133).

COMME ILS SE CONSOLENT.




DEUXIÈME FRAGMENT.




La scène est au pavillon des glaces.


UN PRÉLAT[1], L’ABBÉ DARDAMOUR[2],

LE MARQUIS DE FESSANGE, CÉLESTINE,

FRINGANTE, ZOÉ.

Célestine (allant au-devant du prélat). — Arrive donc ! (Elle l’embrasse.) Nous nous morfondions en attendant ici Ta Grandeur !

Dardamour et Fessange s’empressent de mettre à la portée du prélat un fauteuil dans lequel il s’établit mollement. Célestine se place sans façon sur ses genoux.

Le Prélat. — Bon Dieu ! c’est que ze ne pouvais me résoudre à me mettre en voyaze pour me rendre ici. Z’étais frappé de l’idée que les yeux de tout Paris pénétraient à travers les panneaux de la voiture, et qu’on devinait que ze me rendais à ce lieu.

Pendant cette tirade, Dardamour, par les plus jolies manières, a tâché de se mettre bien avec Fringante : il réussit. De son côté, Fessange[3] fait le galant auprès de Zoé.

Célestine (au prélat). — Quelle folie !

Le Prélat. — C’est aceter cer le plaisir, que d’avoir tant de peine à venir le cercer.

Célestine. — Oublie tout cela chez nous, mon bel ami. (Elle le baise.)

Le Prélat. — Ze ne vois pas ici la cère Durut.

Célestine. — Mon cœur, elle est à Paris depuis hier soir. Je l’attends à toute minute, car elle est bien nécessaire quand je suis moi-même occupée au dehors.

Le Prélat. — Plains-moi, bien çarmante Célestine, z’ai passé la plus mauvaise nuit de ma vie. Il faut que z’aie eu le malheur d’emporter quelque puce de cez madame de Vadouze, qui m’a fait tenir son cien pendant une heure sur mes zenoux ; ze me suis senti tourmenté comme un damné pendant toute la nuit entière. Mon valet de çambre n’a zamais pu trouver dans les draps le méçant animal ; z’en ai presque eu la fièvre… Heureusement, vers le zour, ze me suis endormi ; mais ze suis stigmatisé de la tête aux pieds : c’est à faire compassion !

Célestine (le baisant). — Petit roi, voilà ce que c’est que d’être sensible…

Le Prélat (soupirant). — Ah ! que dis-tu ?

Célestine (qui depuis quelques instants s’est négligemment amusée du boute-joie de Sa Grandeur). — Mais en effet je pourrais m’être trompée. Comment, monsieur ! il y a un siècle que je caresse cette breloque, et voilà comme elle y répond !… Libertin ! je gage que tu n’as pas eu toujours sur tes genoux le chien de madame de Vadouze ? Voilà bien le plus triste lendemain de noces que j’aie vu de ma vie !… (L’embrassant) Monsieur le saint, voulez-vous bien bander ?

Le Prélat (s’animant un peu). — Tu vois bien que cela vient, petit çou (pour chou). En attendant, il faut que ze me zustifie. Ze te zure que z’ai ramené la Vadouze d’une maison, soupé et veillé avec elle, sans que z’aie à me reprocer le plus petit pécé. Elle est tout en train d’un nouveau zokuey, presque hors d’âze, qu’elle vient de se donner… Pour moi, ze lui ai conseillé de faire tout de suite de cet égrillard un çasseur… Elle en raffole ! N’a-t-elle pas voulu que ze visse comment il la sert ! Z’ai eu la complaisance de contempler tout l’ezercice. Le drôle est fort au fait et n’a pourtant zamais servi que des femmes de robe ; mais elles commencent à en savoir aussi long que celles de cour. Eh bien ! ma cère Célestine, z’ai vu tout cela sans me sentir, et z’avais la bonté de garder le cien, qui voulait à tout moment se zeter sur l’étranzer.

Célestine. — Jalousie de métier ; rien n’est plus naturel.

Le Prélat. — C’est cela ! le cien était furieux ! Z’ai failli être mordu dix fois : heureusement, z’en ai été quitte pour mes mancettes.

Célestine. — Mais, mon toutou, cela n’avance pas. Regarde à droite, à gauche : tes acolytes se conduisent beaucoup mieux que toi…

En effet Fringante est fort en gaieté, folâtrant avec le brillant boute-joie du grand vicaire. Fessange n’est pas tout à fait en aussi grande faveur auprès de la timide Zoé, mais l’espiègle négrillonne ne laisse pas de bien rire, voyant en si beaux frais d’érection l’entreprenant marquis duquel son goût serait bien de contenter la lubrique espérance ; mais elle a garde de se laisser deviner, et même elle se propose de lui refuser les plus douces faveurs, à moins qu’on ne lui prescrive de l’en gratifier. D’où vient ce caprice, car Fessange est joli comme l’Amour ? C’est que depuis sa malheureuse aventure avec le comte de Vitbléreau[4] l’Adonis est déchu. L’on en a fait des gorges chaudes dans l’hospice, et Zoé se trouve du nombre de celles qui ne font point de grâce, dans leur opinion, aux bardaches amateurs.

Le Prélat. — Approcez, mes enfants… Plus resserrés, nous ferons un meilleur effet dans les glaces.

Il avait raison : les trois groupes n’étant plus qu’à deux pieds à peu près l’un de l’autre, le coup d’œil est déjà bien plus piquant. Sa Grandeur, pour lors étudiant en silence différentes manières de poser les cinq mannequins qui ne sont pas le sien, parvient, au bout de quelques minutes, à saisir un effet qui paraît l’enchanter.

Dans ce nouvel état de choses, les trois femmes sont nues : aux pieds du prélat est la négrillonne, assise sur un coussin ponceau, la bouche à portée du nonchalant engin de Sa Grandeur, et destinée à le glottiner. À droite, Dardamour, demeurant assis et faisant face un peu de biais au prélat, a visiblement son joujou d’amour sur le bord de celui de Fringante, légèrement écartée. Le mouvement de baiser en arrière donne à cette créature beaucoup de grâce et met les trésors de sa gorge dans la plus avantageuse exposition. À gauche, Fessange, étendu sur des carreaux verts et lilas, en regardant au plafond, voit par-dessus lui Célestine, à quatre pattes, venant à l’inverse emboucher le bijou masculin, tandis que le sien se présente ainsi tout naturellement à la bouche de l’Adonis. Ces attitudes, répétées à l’infini (dans des glaces de toute la hauteur d’une pièce éclairée d’en haut, et assez petite pour que les premiers objets ne soient pas trop fuyants), fournissent l’aspect d’une multitude variée pittoresquement.

Après avoir joui de ce coup d’œil pendant quelques instants, le prélat a le caprice de l’enrichir d’une piquante singularité. Zoé n’est plus à ses pieds, mais, non moins adroite que docile, elle a maintenant la tête en bas, toujours à portée du même objet ; elle est appuyée de ses deux mains sur les bras du fauteuil, son corps éclipsant en sens contraire celui de Sa Grandeur, qui pour lors a sur chaque épaule une cuisse de la négrillonne. On conçoit que, de cette façon, les deux routes où la nature a trouvé bon qu’on allât chercher le plaisir sont sous les yeux du voluptueux prélat, s’il abaisse ses regards, et à la merci de ses baisers, s’il a cette fantaisie. À travers l’Y que forme ainsi l’attrayante Zoé, Sa Grandeur peut aussi promener ses regards de glace en glace, et dans chacune jouir d’un tableau diversement composé.

Tout cela n’est que prélude : Fringante a la complaisance de se borner à frotter légèrement son brûlant sillon avec le bout du triomphant boute-joie de Dardamour. Célestine et Fessange se possèdent de même assez pour ne pas user complétement du bénéfice de leur attitude. Il est ordonné à Zoé d’entretenir doucement Sa Grandeur, sans l’électriser tout de bon.

Cette heureuse combinaison dure pendant quelques minutes. Pour lors l’ordonnateur se trouve au plus beau degré de roideur que lui permette l’altération un peu prématurée de ses ressorts érecteurs.

Un certain coup de sifflet, que les femelles savent être uniquement l’annonce de madame Durut, ne dérange rien. Celle-ci, avec son passe-partout, s’introduit dans la pièce…


LES MÊMES, MADAME DURUT.

Le Prélat (voyant celle-ci devant la glace). — Eh ! bonzour, ma cère Durut.

Dardamour. — Soyez la bienvenue, notre maman.

Fessange (d’une voix étouffée). — Honneur à l’incomparable !

La Durut (à Fessange). — Il a bien fait de parler celui-ci, car du diable si je l’avais deviné sous sa coiffure !… Eh bien ! mes enfants, il paraît que ça ne va pas mal ?

Le Prélat. — Tu nous surprends aux petits pâtés.

Pour lors, il affranchit Zoé de la position gênante où pourtant elle trouvait bien quelque petite douceur, mais il la garde assise, lui donnant à couver son engin le long de sa sentine brûlante. Fessange et Célestine changent aussi d’attitude et prennent un siége ; Fringante et Dardamour restent comme ils étaient. L’entretien n’a point été suspendu.

Célestine. — Eh bien ! Agathe, quelles nouvelles ?

La Durut. — Il y en a de toutes les couleurs. D’abord l’honnête Limecœur, ayant pris querelle au spectacle de Monsieur avec un révolutionnaire, a couché sur le carreau son homme et s’est sauvé la nuit avec cent louis, notre cher Alfonse étant accouru les lui offrir comme de sa poche ; mais ils sortaient tout de bon de celle de la généreuse madame de Fièremotte, qui, bien entendu, ne souffrira jamais qu’ils lui soient rendus. Entre nous, le plaisir de conserver paisiblement le bel Alfonse, moins orageux que Limecœur, a bien été de quelque poids dans les motifs de son bienfait…

Le Prélat. — Limecœur ! Alfonse ! c’est de l’inconnu pour moi[5].

La Durut. — Nous vous dirons en temps et lieu ce que c’est ; sachez, en attendant, qu’ils sont tous deux bien aimables, sans pourtant se ressembler… Et puis une grosse finesse cousue de fil blanc[6], qui a parfaitement réussi au bel Edmond… Votre Grandeur connaît celui-ci ?

Le Prélat. — Le prince Edmond ? infiniment.

La Durut. — Et la baronne de Wakifuth, que le trait regarde ?

Le Prélat. — Wakifuth ! N’avons-nous pas eu cela, Dardamour ?

Dardamour. — Oui, Monseigneur, c’est l’abbé de…

Le Prélat. — Sut ! ne nommons pas les masques… Eh bien ! ma cère Durut ?

La Durut. — Edmond, que j’ai vu se bien moquer d’un sot adorateur de la baronne, en perd la tête à son tour. Il lui a donné le 15 une fête à sa petite maison du faubourg Saint-Honoré : concert, souper délicieux, un pharaon pendant le bal. Les fonds de la banque étaient le montant en espèces du riche legs destiné à la baronne par l’infortuné comte dont innocemment elle a causé la mort[7]. Un quidam, ci-devant valet de chambre du prince, et très-adroit manipulateur, taillait ; cet homme avait le mot : à chaque taille, deux cartes connues devaient gagner chacune quatre fois. Le prince, de moitié avec la baronne, pontait sur ces cartes avec vingt louis. On conçoit que ces associés ont eu bientôt fait sauter la banque. L’or évanoui, les bijoux de prix ont paru : “ Dernière taille. Cette montre contre trente louis… „ Perdue. “ Cette bague contre les soixante… „ Perdue. “ Cent vingt louis contre ce brillant… „ Le brillant à tous les diables. Et le banquier de jouer, tout au mieux, le déchirement, le désespoir !… Bref, maison nette. Il sort furieux et de l’air d’un homme qui va se tirer un coup de pistolet. Le jeu fini, les associés partagent… “ Madame la baronne, va mon gain contre le vôtre, à rouge ou noire ?… „ Le coup est fou… La baronne hésite,… ose pourtant : “ Rouge ! „ Elle a gagné. La coupe était sûre : dans un talon qui se trouve là, comme par hasard, toutes les cartes rouges étaient au-dessous, les noires au-dessus. Quant à la galerie, tel avait gagné, tel avait perdu, sans toutefois que la supercherie du prince eût pu faire du tort à personne. Il ne faut cependant pas qu’Edmond, en apparence si magnifique sans qu’il lui en coûte un sou du sien, se flatte de captiver par ce trait la luxurieuse baronne. L’heureuse fortune qui vient d’arriver à celle-ci ne ferme point son cœur à l’humanité qui lui est si naturelle. Son premier soin est de chercher l’infortuné tailleur ; elle le trouve, le console, et lui offre, à titre de prêt, tout son comptant pour qu’il revienne tenter le sort ; mais il jure, lui, que de ses jours il ne taillera. Cependant il ne refuse pas d’écouter les douces raisons que la beauté daigne opposer à son prétendu désespoir : il se laisse persuader qu’il faut vivre, et pour qu’il y reprenne un peu de goût, on le comble des plus intimes faveurs auxquelles est encore ajouté le bienfait de l’une des plus belles pièces de ses dépouilles supposées. Comme le bien est doublement beau quand il est fait secrètement, la baronne a si bien pris ses mesures qu’Edmond la cherche vainement partout : elle est introuvable ;… mais au bout d’une heure elle reparaît…

Dardamour. — Oh ! parbleu ! le trait est unique ; je veux en divertir ce soir chez…

La Durut. — Tout doux, monsieur l’abbé. Ceci reste entre nous. Quoique la société fût composée de personnes toutes fort estimables, la partie doit demeurer d’autant plus secrète qu’Edmond ne voudrait pas qu’on sût dans Paris qu’on a joué chez lui.

Dardamour. — C’est autre chose.

Fessange. — Tu me permettras cependant, ma chère Durut, de t’observer qu’à travers cette collection de personnes fort estimables il y avait l’héroïne elle-même, madame de Wakifuth.

La Durut. — Qu’à cela ne tienne ! il y avait bien aussi votre cher ami, le comte de Vitbléreau.

Ce nom, cité par malice, rappelle cruellement au trop caustique Fessange son humiliante aventure du bal des parieurs. Célestine et même Zoé ne peuvent s’empêcher de rire malignement et aux éclats. Voilà ce qu’on gagne à manquer d’indulgence quand on est soi-même dans le cas de la réclamer.

Fessange (interdit). — Prenez que je n’ai rien dit, madame Durut, et continuez votre intéressante gazette.

La Durut (au prélat). — Voici, pour le coup, une bonne nouvelle. Je vous annonce, pour la première assemblée, un travail rédigé par Culigny, et sur l’objet duquel il a déjà pressenti la plupart des membres des deux sexes dont l’avis est de quelque poids dans l’ordre. Il s’agit de démontrer la convenance et la nécessité d’exclure de la fraternité quelques individus qui la dégradent, c’est-à-dire les andrins. Ils ne résisteront pas à un décret funeste pour eux qui ordonnera la radiation : 1° de quiconque n’aura pas requis une femme, comme telle, pendant l’espace de trois mois ; 2° de quiconque sera convaincu d’avoir pris ses ébats avec un être masculin âgé de plus de dix-huit ans. J’espère que, pour le coup, tous nos fieffés gadouards vont être mis une bonne fois à la porte.

Le Prélat. — Z’aime à la fureur cet arranzement. Il faut de la décence partout. Ze n’ai cessé de soutenir dans nos assemblées qu’il serait possible de rendre l’ordre de si bonne compagnie, qu’on pourrait enfin avouer publiquement d’en être. Cependant, dix-huit ans ! c’est un peu court… Voilà Fessanze, par exemple, qui en a dix-neuf.

La Durut. — Eh bien ?

Le Prélat. — Z’en appelle à Dardamour : ne serait-ce pas domaze… hein ?

Dardamour. — On pourra, monseigneur, proposer quelque amendement[8], comme deux ou trois ans de plus.

Le Prélat. — Cela me paraît fort saze. Z’irai sans faute ce soir me faire inscrire cez le vicomte pour lui marquer mon estime au suzet de l’important service qu’il rend à la fraternité.

À travers cette presque sérieuse conversation, Sa Grandeur, Fessange et le grand vicaire lui-même ont baissé pavillon. Au premier moment de silence, Fringante, d’un seul baiser, ravive Dardamour. Fessange aussi n’a pas plutôt reçu quelque marque d’intérêt de la part de Célestine, qu’il redevient lui-même fort intéressant. Il n’y a que le prélat qui demeure encore l’oreille basse, mais la caressante Zoé ne tardera pas à la lui faire redresser. Enchanté des petits soins qu’elle lui donne, il la dévore de caresses. Un bon effet, quoique lent dans ses progrès, le prévient encore davantage en faveur de la négrillonne.

Le Prélat. — Que penserais-tu de moi, ma cère Durut, si ze dérozeais auzourd’hui au prézuzé que tu me connais pour les appas africains, car tu sais que ze n’eus zamais le cœur de tâter d’une négresse ?

La Durut. — Monseigneur, je dirais que vous faisiez bien quand vous vous passiez d’une chose qui ne vous tentait pas, et que vous ferez encore mieux de vous la donner quand enfin elle vous promet du plaisir.

Le Prélat. — Ze m’étais figuré que c’était abominable, une noire, et maintenant ze trouve que c’est çarmant… Oui, ze vais t’avoir, petite Zoé.

Zoé. — C’est bien de l’honneur à moi, monseigneur.

Le Prélat (la baisant). — Et ze crois pour moi bien du bonheur. Allons, Fessanze ! Dardamour ! (Il chante.) “ Tôt, tôt, tôt, battons çaud, bon couraze[9] ! „

La Durut (achevant). — “ Il faut avoir cœur à l’ouvrage. „

Tous (répétant en chœur). — “ Il faut avoir cœur à l’ouvrage. „

En même temps Durut s’est hâtée de former sur le tapis, avec des coussins, trois espèces de lits. Sa Grandeur va occuper celui du milieu. Couchée sur le dos, elle a la fantaisie de se faire travailler par Zoé, d’avoir du plaisir sans fatigue. Des deux côtés sont jetées, Fringante sous Dardamour, Célestine sous Fessange. C’est à qui s’en donnera le mieux. Le groupe de Fringante avec le grand vicaire est pétulant ; celui de Célestine avec le petit marquis est plus voluptueux. Quant au prélat et Zoé, l’indolence, l’art et le caprice président à leurs ébats. Zoé, brûlante, est aussi remplie d’amour-propre. La préférence de Sa Grandeur flatte au dernier point une petite subalterne que d’importants succès peuvent seuls dégager enfin des liens de la domesticité. Madame Durut, après avoir joui pendant quelque temps d’un spectacle toujours charmant, toujours nouveau pour elle, s’éclipse à la sourdine, vers le dénoûment de cette besogne où personne ne pense plus qu’à soi.


LES MÊMES, moins MADAME DURUT.

Le Prélat. — Eh bien ! mes amis, comment vous trouvez-vous de vos sampionnes ?

Dardamour. — C’est de ce moment, monseigneur, que j’apprends à connaître tout ce que vaut la mienne : Fringante est un trésor !

Fessange. — Célestine est le paradis !

Le Prélat. — Peste soit du polisson ! il me vole ce que z’allais dire de ma petite Zoé. Ze ne sais plus à présent à quoi la comparer ;… si fait pourtant,… à l’enfer !…

Zoé (étonnée). — À l’enfer ! moi ?

Le Prélat (la caressant). — Ne te fâce pas, mon enfant, tu en as la çaleur. Du reste, il n’y a pas de comparaison qui ne cloce. (Il la baise assez amoureusement pour la rassurer, si elle pouvait avoir quelque humeur d’un propos qu’a rendu à peu près bête l’envie de s’exprimer avec singularité).

Célestine (à Fessange qui lime encore). — Nous recommençons donc ?

Fessange. — Aurais-tu la désobligeante envie de me laisser là ?

Célestine. — Non, mais…

Le Prélat. — Célestine a raison : il faut croiser les zouissances. Viens, Fessanze ; ze veux que tu le mettes à cette petite. Pendant la cérémonie, que ze verrai bien à mon aise (à Célestine),… nous nous amuserons. Le veux-tu bien, céleste enfant ?

Célestine. — De toute mon âme, dès que cela peut te faire plaisir.

Déjà Fessange est en devoir d’obéir avec Zoé, qui, dès qu’elle ne raisonne plus sur la bardacherie de Fessange, est vivement émoustillée par ce qu’il a d’agréments. Tout près d’eux est le voluptueux prélat, dans un large fauteuil, d’où il ne perd pas non plus de vue Fringante et Dardamour. Célestine, sur les genoux de Sa Grandeur, s’occupe sur-le-champ à faire redevenir digne du même titre un engin qui a considérablement perdu de sa contenance, quoique déjà deux fois une bonbonnière, dûment fournie de diabolini, ait été appelée à son secours. Cependant Fringante attire sur elle tous les regards par un cri vif qui lui échappe ;… c’est l’effet d’une supercherie du grand vicaire. Tandis qu’il fait semblant de doubler, bon jeu, bon argent, avec sa belle dont il a follement élevé les jambes en l’air, lui tenant les cuisses embrassées contre la poitrine (attitude très-favorable, pour lui-même et pour les autres, au plaisir de voir ce qu’il fait), il s’est subtilement dérobé, pour heurter, sans dire gare, à la porte au-dessous. Du train dont Fringante allait, elle s’est elle-même à moitié joué le tour. Son mécompte, son étonnement, un petit mal, c’est tout cela qui l’a fait crier. Cependant, avec de l’adresse et dans une posture si avantageuse à la chose, d’ailleurs à moitié faite, le stratagème réussirait peut-être, mais il échappe trop tôt à l’arrogant

Dardamour. — Cela me revenait ; on ne m’essaye plus, ma belle enfant, c’est moi qui me fais essayer. Je fus une fois victime de ton caprice ; il s’agit maintenant d’endurer le mien.

Il ne connaissait pas Fringante. En premier lieu, bien éloignée d’avoir pour Dardamour l’infatigable complaisance de Célestine, mais surtout fière, ne supportant pas d’être contrariée, et très-aisée à fâcher, elle se débat, se dégage, frustre tout net le grand vicaire au plus beau moment, et lui donne le chagrin de tirer son coup en l’air.

Le Prélat (voyant leur mésintelligence). — Eh bien ! eh bien ! il y a du bruit dans le ménaze ! C’est zoli, vraiment !…

Fringante accourt occuper l’autre genou du prélat, et se met tout de suite à partager gaiement l’exercice de sa collègue. Deux doigts de chacune émeuvent artistement le boute-joie béni, qui bientôt recouvre tout son contingent de roideur. C’est à cela que se passe le temps de la séance de Fessange dans les bras de la voluptueuse Zoé. Dardamour, imparfaitement heureux, marque une grande envie de se mettre en tiers et de prendre sur l’attrayant marquis une revanche de l’outrage qu’il vient d’essuyer ; mais Monseigneur, qui se délecte à voir le couple bricoler, faire assaut le plus joliment du monde, ordonne d’un regard imposant qu’on les laisse consommer sans trouble.

Après l’affaire,

Le Prélat (gaiement). — Eh bien, Fessanze, qu’en dis-tu ?

Fessange, pour toute réponse, vient baiser avec reconnaissance la main presque féminine de son protecteur. Alors commence entre les masseuses une badine altercation. Tour à tour chacune d’elles veut chasser l’autre, en lui donnant un petit coup sur les doigts, et semble prétendre à l’honneur de finir seule la commotion électrique qu’elles administraient solidairement à Monseigneur. Quoique ce débat flatteur ajoute infiniment à la joie du prélat, il ne souffrira pas qu’on lui fasse répandre à vide son précieux élixir. — Un moment, continue

Le Prélat. — Si z’en avais deux, mes poulettes, ze ne serais nullement embarrassé ; mais ze le suis maintenant du çoix. Arranzez-vous : laquelle me veut ?

Célestine et Fringante (ensemble). — Moi ! — Moi !

Le Prélat (transporté). — Çarmantes ! (Il leur distribue des baisers.) Eh bien ! mes petites reines, le sort en décidera.

Le mot n’est pas plutôt lâché que Fringante, qui peut, en étendant le bras, atteindre Dardamour (en arrêt, et tout fier de sa tenue), lui saute au penil et en arrache une pincée de poils.

Fringante (à Célestine). — Pair ou non ? Si tu devines, Monseigneur est à toi.

Célestine (sans hésiter). — Pair ! (On compte : c’est impair.)

Fringante (riant et faisant à Célestine un pied de nez). — J’ai gagné, j’ai gagné ! déniche !

Au surplus, le grand vicaire n’a trouvé nullement plaisant de faire ainsi les frais de la chance. Il grimace de ce dont les autres rient aux larmes.

Laissons cette bande, et faisons un tour ailleurs.


  1. Le prélat : trente-quatre ans, brun et appétissant, jolis traits, formes rondes, santé fleurie, petites manières remplies de grâces féminines ; grasseyement, peut-être plus étudié que naturel ; ton béat, qui résulte du facile amalgame d’une indomptable luxure avec une indispensable hypocrisie ; à peine sept pouces.
  2. Dardamour : vingt-sept ans ; moins matériel que le prélat, restes de manières militaires, car le personnage a commencé par servir ; il n’est pas moins luxurieux que Sa Grandeur, mais il n’a pas encore assez l’esprit de son état pour sentir la nécessité de jouer l’hypocrite ; huit pouces forts et de bonne qualité.
  3. Le marquis de Fessange : le même qu’on a nommé page 174, quatrième numéro ; jeune blondin de la plus jolie figure ; sans caractère, capable de tout, faute de principes et par faiblesse. Manquant de fortune, il est commensal du prélat, à titre de neveu à la mode de Bretagne. Il est encore, sous un autre rapport, l’allié de Sa Grandeur, et de Dardamour au même degré.
  4. Voyez la page 174, quatrième numéro.
  5. Mais non pas sans doute pour le lecteur.
  6. Phrase proverbiale que tout le monde ne connaît peut-être pas, mais on n’y peut rien.
  7. Voyez page 46, numéro cinq.
  8. L’aristocratie se sert au besoin de quelques nouveaux termes et, qui pis est, de quelques-unes des manières de son ennemie mortelle. On pourra s’en repentir.
  9. Refrain du vaudeville du Maréchal-ferrant, opéra comique de Philidor.