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Les Applications modernes du microscope à la géologie

La bibliothèque libre.
Revue des Deux Mondes tome 34, 1879
F. Fouqué

Les applications modernes du microscope à la géologie


LES
APPLICATIONS MODERNES
DU MICROSCOPE A LA GEOLOGIE

Le progrès des connaissances humaines ne s’accomplit pas d’une façon régulière et continue ; c’est par soubresauts qu’il s’opère. Quelquefois un homme de génie détermine un nouvel élan de la science par la seule puissance du reflet divin qui l’anime ; mais, plus souvent, surtout dans les études expérimentales, chaque impulsion nettement marquée du mouvement scientifique est signalée par l’emploi d’un nouveau procédé d’investigation. C’est ainsi que l’invention du microscope a été le point de départ de brillantes découvertes en histoire naturelle et que chacune des améliorations de cet instrument a correspondu à une période de progrès dans le développement des sciences auxquelles on l’appliquait. Aujourd’hui la fabrication du microscope est arrivée à un degré remarquable de perfection ; les grossissemens que l’on atteint sont énormes, les images obtenues sont d’une extrême netteté ; des dispositions ingénieuses ont rendu l’instrument plus maniable sans rien lui enlever de sa précision, enfin les constructeurs ont su le modifier habilement pour l’adapter d’une manière spéciale à chaque genre de recherches.

La conséquence de ces innovations ne s’est pas fait attendre. L’étude des êtres organisés a pris aussitôt un essor inattendu ; l’anatomie et la physiologie végétale se sont entièrement transformées ; les sciences zoologiques ont vu leur domaine s’agrandir au-delà de toute limite prévue, et les secrets de la vie ont été poursuivis dans ses plus mystérieuses fonctions.

L’application du microscope à l’examen du monde inorganique a eu lieu plus tardivement ; des obstacles particuliers barraient le chemin. Ces difficultés sont maintenant heureusement surmontées. Une moisson de résultats nouveaux se fait à l’heure présente, moisson tellement riche qu’elle éblouit parfois l’imagination de ceux qui la recueillent.

Une pareille évolution scientifique ne doit point rester cachée derrière les murs des laboratoires. Ceux qui s’intéressent aux progrès de l’esprit humain doivent en être avisés ; c’est pourquoi, malgré l’âpreté du sujet, j’ose entreprendre d’en montrer la fécondité et l’ampleur.


I

Le procédé qui sert de base aux études actuelles de géologie micrographique consiste dans la réduction des minéraux et des roches en lames minces, susceptibles d’être observées par transparence. Avant de décrire les détails minutieux que comporte cette méthode d’examen et le cortège complexe de moyens de contrôle dont elle s’entoure, je veux immédiatement en faire connaître les applications principales et en particulier les transformations qu’elle a fait subir à la science des roches, en lui donnant un caractère de précision dont elle était dépourvue, résolvant plusieurs des grandes questions qui jusqu’alors préoccupaient vainement les géologues et les minéralogistes et faisant naître d’autres problèmes d’ordre plus élevé. Mais pour procéder avec méthode, il est indispensable que nous jetions d’abord un coup d’œil historique sur les développemens modernes de la pétrologie.

Dans les premières années de notre siècle, à l’époque où les sciences géologiques commençaient à prendre leur essor, la question de la nature et du mode de formation des roches était l’un des sujets dont les naturalistes aimaient le plus volontiers à s’entretenir. Des discussions animées, engagées entre Hutton et Werner, se continuaient entre leurs disciples. Les roches à structure cristalline comme le granit, ou d’apparence compacte comme le basalte, étaient particulièrement l’objet d’intéressantes luttes scientifiques. La création encore récente de la minéralogie et de la chimie n’avait fait qu’augmenter l’ardeur de la discussion, en lui donnant des bases positives. Les élémens des roches à gros grains furent alors connus dans leurs principales propriétés physiques et dans leur composition chimique élémentaire, mais pour les roches d’apparence compacte le problème restait entier. Un moment on le crut résolu ! , lorsqu’en 1815 Cordier démontra la cristallinité du basalte et fit connaître les principaux minéraux qui entrent dans sa constitution. La découverte de l’illustré professeur excita l’admiration du monde savant ; le procédé qu’il avait employé pour l’étude du basalte fut considéré comme ayant complètement éclairé la notion de la constitution de cette roche et pouvant être généralisé. On pensa que bientôt on allait reconnaître la composition minéralogique de toutes les substances minérales compactes. Cordier seul ne se fit pas illusion. Il avait vu dans les roches réduites en petits fragmens granuleux tout ce qu’on peut y apercevoir avec un faible grossissement (15 à 20 diamètres) ; il avait reconnu la cristallinité des laves et parfaitement distingué parmi les matières de provenance volcanique, d’une part celles dans lesquelles prédominent les élémens cristallins, et d’autre part celles qui sont essentiellement vitreuses. Mais les minéraux véritablement microscopiques et les particularités de la structure profonde des roches lui avaient échappé ; l’imperfection des moyens d’observation avait paralysé ses efforts. Du côté des essais chimiques, dont mieux que personne il appréciait la nécessité, il n’avait pas été plus heureux. Pour isoler les minéraux destinés à l’analyse, il se servait d’un procédé analogue à celui qui dans l’industrie est employé en grand pour le lavage des minerais pauvres. Une roche étant convenablement pulvérisée, il soumettait la poudre à l’action d’un filet d’eau sur un plan incliné et séparait ainsi les uns des autres les élémens d’inégale densité. Le résultat obtenu était incomplet et exigeait, de la part de l’opérateur, une grande habileté manuelle. Cordier connaissait très bien les défectuosités de sa méthode ; aussi a-t-il peu encouragé ceux qui, à diverses reprises, ont essayé de la mettre en pratique. Lui-même, bien que se livrant à un travail incessant, n’a plus rien produit durant le cours de sa longue carrière. Malgré le succès de ses leçons, malgré l’accueil favorable qui attendait toute œuvre émanée de lui, il évita de rien écrire sur les roches-après la publication de son célèbre mémoire de 1815. La classification dont il avait posé les principes au début de son professorat, et à laquelle il a travaillé toute sa vie sans relâche, n’a été livrée à l’impression qu’après sa mort. Bien qu’elle lui eût servi à ranger la belle collection des roches du Muséum, il n’en conseillait l’emploi qu’avec réserve, espérant toujours que des expériences et des observations nouvelles en feraient disparaître les défauts.

De 1815 à 1858, une foule d’hommes éminens, passionnés pour les études pétrologiques, se sont, à l’exemple de Cordier, vainement débattus contre l’insuffisance des moyens de recherche dont ils disposaient. Un découragement profond avait fini par saisir tous ceux qui s’occupaient de l’étude des roches. Faute de moyens de détermination sérieux, plus d’une collection, péniblement recueillie et riche en échantillons de provenances lointaines, a été alors dispersée ou reléguée dans quelque coin obscur. Enfin parut en 1858 un mémorable travail qui devait complètement changer l’état des choses. Cette œuvre, due au physicien anglais Sorby, appelait l’attention des savans sur la structure microscopique des cristaux et sur les conséquences à déduire de cette structure, relativement à l’origine des minéraux et des roches. L’auteur avait taillé en lames minces les matières destinées à servir d’objet à ses observations, et dans son mémoire il décrivait avec soin la méthode d’examen qu’il avait utilisée.

On commença alors à soupçonner le parti que l’on pouvait tirer du microscope ainsi appliqué. Gustave Rose, en Allemagne, paraît avoir surtout compris la puissance du nouveau moyen de recherches. Cependant, durant plusieurs années encore, le microscope ne fut, pour ainsi dire, employé qu’accessoirement pour l’examen d’associations cristallines naturelles. Les efforts que l’on faisait dans cette voie étaient limités ; la méthode nouvelle était exclusivement appliquée à certaines questions spéciales, on s’en servait particulièrement pour déterminer les particularités remarquables de structure qui s’observent dans les substances minérales. D’ailleurs Sorby n’était appelé ni par ses études antérieures, ni surtout par les aptitudes de son esprit, à développer et poursuivre les études minéralogiques qu’il avait si brillamment inaugurées. Fils d’un riche coutelier de Sheffield, sans aucune attache officielle, indépendant par son caractère aussi bien que par sa position de fortune, il a dans ses travaux scientifiques conservé ses allures habituelles de liberté et d’originalité. Les sujets d’étude les plus variés ont été tour à tour embrassés par lui. De l’exploration des minéraux au microscope, il a passé à l’examen de la structure de l’acier, à des recherches sur les météorites, puis à des travaux variés de spectroscopie. Les applications ingénieuses qu’il a faites de cette dernière branche de la physique ont successivement porté sur les matières colorantes des algues, sur celles de la coquille des œufs d’oiseau, sur celles qui décorent les feuillages des arbres durant l’automne. Cependant il n’a jamais perdu de vue la matière de ses premières études, et c’est lui qui réellement a été l’initiateur et le propagateur de sa méthode.

En 1862, il avait entrepris avec sa mère un voyage d’agrément sur les bords du Rhin. Arrivé à Bonn, il fit connaissance d’un élève du corps des mines de Prusse, nommé Zirkel, par lequel il fut accompagné et dirigé dans quelques excursions. Ils visitèrent ensemble l’Eifel, le Siebengebirge et les environs du lac de Laach. Chaque jour, chemin faisant, une conversation intéressante et animée s’engageait entre le touriste et son guide sur la nature des roches volcaniques, sur les minéraux qui les composent et sur les merveilleux détails de structure que le microscope y révèle. Sorby exposait avec clarté et chaleur les magnifiques résultats de ses études. Le soir, après l’excursion de la journée, l’entretien se prolongeait encore. Enfin, de retour à Bonn, le maître improvisé mit sous les yeux de son jeune auditeur quelques préparations microscopiques qu’il avait apportées et lui fit apprécier par lui-même la netteté et l’importance des faits qui avaient été l’objet de leurs longues causeries. Quelques jours plus tard, en quittant Zirkel, il laissait en lui un disciple enthousiaste, qui désormais, se consacrant entièrement aux études de géologie micrographique, allait bientôt dans cette voie marcher de découvertes en découvertes, grouper autour de lui un essaim de travailleurs et devenir l’un des savans les plus célèbres de l’Allemagne.

Cependant, toutes les fois qu’une nouvelle méthode scientifique est introduite dans un pays, il est rare qu’elle y reçoive tout d’abord l’accueil qu’elle mérite. Zirkel, établi à Vienne dans le laboratoire de géologie chimique de Karl von Hauer, y était pour ainsi dire isolé. Ses recherches ne rencontrèrent dans les premiers temps que l’incrédulité ou l’indifférence. Enfin, en 1867, une série de publications sur des roches diverses, dont il dévoilait la structure et la composition minéralogique, démontrèrent la fertilité inépuisable du nouveau champ d’études. Depuis cette époque, successivement professeur dans les universités de Lemberg, de Kiel et de Leipzig, il n’a cessé d’enrichir la minéralogie et la géologie d’une suite continue d’observations. Son laboratoire, installé actuellement dans un vaste local à Leipzig et parfaitement aménagé, est un centre scientifique des plus fréquentés, d’où sortent chaque année de remarquables travaux.

A l’époque où Zirkel débutait dans la voie où il s’est illustré, Vogelsang, un de ses condisciples, uni d’abord avec lui par les liens de l’amitié et bientôt par ceux d’une alliance de famille, s’était également passionné pour le genre de recherches patronné par Sorby. Attaché comme professeur à l’École polytechnique de Delft, il a, durant sa trop courte carrière, été l’une des gloires scientifiques du pays qui l’avait adopté. Zirkel, son émule, a cultivé avant tout l’observation pure ; Vogelsang a été essentiellement expérimentateur. A mesure que le microscope lui révélait quelque détail nouveau sur la structure ou le mode d’association des minéraux, aussitôt il rêvait aux moyens d’en connaître la cause. Il exécutait alors d’ingénieuses expériences et en déduisait des conclusions théoriques d’une haute portée. Son œuvre capitale a été une philosophie de la géologie, travail hardi dont le titre seul fait deviner les puissantes aspirations dont il était vivifié.

En 1872, date à laquelle disparaissait Vogelsang, enlevé par une mort inattendue, Rosenbusch, professeur à l’université de Fribourg en Brisgau, entrait à son tour dans l’arène et imprimait une nouvelle impulsion à la géologie micrographique.

Jusqu’alors on n’avait guère appliqué à l’étude des roches cette variété particulière de lumière que les physiciens désignent sous le nom de lumière polarisée ; on opérait presque exclusivement à la lumière naturelle. Malgré les succès obtenus dans ces conditions par Zirkel et Vogelsang, un emploi méthodique de la lumière polarisée ne pouvait manquer de constituer un important progrès. Une systématisation régulière de ce genre d’observations était appelée à rendre les plus grands services dans les recherches pétrographiques ; mais un esprit, lucide et didactique, réunissant avec une vaste érudition un sentiment profond des besoins de la science, pouvait seul mener à bonne fin une pareille entreprise. Rosenbusch possédait toutes les qualités requises, aussi a-t-il parfaitement atteint le but proposé. Avec un rare talent, il a su mettre en œuvre les nombreux documens optiques consignés dans les savans mémoires d’Haidinger, de Tschermak, de Des Cloizeaux. Les ouvrages qu’il a publiés exposent avec netteté les principes de l’optique minéralogique et les applications spéciales qu’on doit en faire à chaque minéral. Une science peut être considérée comme définitivement constituée, comme reposant sur des bases solides, quand elle a donné lieu à des ouvrages classiques de cette valeur.

Actuellement les études de pétrographie micrographique sont cultivées dans toute l’Allemagne avec une ardeur sans égale ! En Suède, en Autriche, elles ne rencontrent pas une moindre faveur. A Prague notamment, elles ont trouvé dans le professeur Boricky un interprète savant en même temps, qu’un expérimentateur habile. Chose curieuse et difficile à expliquer, c’est dans leur pays d’origine, en Angleterre, qu’elles semblent aujourd’hui se développer le plus péniblement.

En France, elles sont encore confinées dans un bien petit cercle d’adeptes zélés, mais l’étroit laboratoire qui les réunit dans son enceinte a déjà produit de nombreux résultats ; L’observation et l’expérience y ont été l’une et l’autre pratiquées avec succès ; des perfectionnemens, jugés considérables par les savans étrangers, y ont été apportés, aux méthodes usitées jusqu’alors par les géologues micrographes, et surtout des données précises y ont, été acquises sur la genèse des minéraux et des roches.


II

Parmi les faits mis en lumière par les applications du microscope an la pétrologie, il en est quelques-uns dont l’importance justifie immédiatement le rôle considérable que l’on attribue maintenant à ce genre de recherches.

La minéralogie, par exemple, lui doit la connaissance de la structure et du mode de formation d’un grand nombre d’espèces cristallines. Naguère on attribuait volontiers une homogénéité complète à tout cristal bien individualisé par ses formes extérieures. Le microscope a montré que, dans la plupart des cas, une telle opinion était une erreur. Dès que les dimensions d’un cristal atteignent un ou deux dixièmes de millimètre, presque toujours on peut constater que sa structure est complexe. Fréquemment on le voit composé de zones concentriques correspondant aux stades successifs qui ont signalé le cours de son accroissement. Ces couches emboîtées se distinguent tantôt par leurs colorations à la lumière naturelle, tantôt par des traits fins marquant la limite de chacune d’elles, tantôt par les teintes spéciales qu’elles affectent à la lumière polarisée. Une telle disposition montre alors que le développement du cristal a été discontinu ; des périodes d’accroissement rapide étaient séparées par des temps d’arrêt ou de ralentissement marqué. Durant ce temps, la température et la composition chimique du milieu dans lequel s’opérait la cristallisation variaient incessamment, et ces changemens entraînaient avec eux les modifications que l’on remarque dans les propriétés physiques de chacune des zones du minéral.

Parmi les substances cristallines le plus habituellement répandues dans les roches volcaniques, il en est une, le pyroxène, qui fournit fréquemment des exemples de la structure dont il vient d’être question. Le pyroxène se montre composé de dépôts successifs bruns et verts. Ce corps est un silicate ferrugineux ; les parties brunes qu’on observe dans ses échantillons zones correspondent à des périodes durant lesquelles la formation s’est opérée en présence d’agens oxydans ; les parties vertes ont pris naissance sous des influences contraires.

Des conclusions intéressantes peuvent également se déduire d’observations analogues relativement à la température et à l’état de tranquillité ou de mouvement du milieu qui engendrait les cristaux ; mais les déductions les plus remarquables parmi celles auxquelles conduit l’examen de la structure des minéraux se tirent de la considération de ces particules de matières étrangères que le microscope fait apercevoir au sein de presque toutes les substances cristallisées. Ces inclusions qui se sont trouvées enfermées dans les cristaux en voie de formation ont été protégées ensuite contre les actions destructives par les parois même de leur étroite prison. Elles sont les restes et les témoins authentiques du milieu dans lequel la cristallisation s’est opérée. Quand un minéral renferme des inclusions vitreuses, on peut être certain qu’il a cristallisé dans un magma fondu. Au moment où il se formait, il a englobé quelques parcelles du magma incandescent dont il tire son origine ; après consolidation et refroidissement, il se trouve, par suite, contenir des matières microscopiques identiques de composition avec le milieu qui l’a produit. Chacune de ces inclusions est ordinairement associée à une très petite bulle de gaz qui s’est trouvée emprisonnée en même temps, et dont on constate la fixité absolue dans les conditions ordinaires de température ; pour lui rendre quelque mobilité, il faudrait ramollir de nouveau la matière vitreuse dont elle est accompagnée.

La découverte de ces sortes d’inclusions a clos immédiatement les discussions qui, depuis bientôt un siècle, divisaient les géologues sur le mode de formation d’un grand nombre de roches. Tous les massifs pierreux composés d’élémens cristallins à inclusions exclusivement vitreuses sont maintenant considérés comme ayant été engendrés par voie ignée. C’est ainsi que la liste des roches volcaniques se trouve aujourd’hui considérablement accrue.

Les inclusions liquides ne sont pas moins fréquentes, ni moins caractéristiques. Comme les précédentes, elles possèdent généralement dans leur intérieur une petite bulle de gaz ; mais cette bulle est mobile. Tantôt elle semble s’agiter spontanément, tantôt elle ne se déplace que sous l’influence d’une élévation de température.

On a pu déterminer la nature du liquide contenu dans les inclusions des minéraux ; généralement ce liquide est de l’eau pure ou salée, quelquefois tellement saturée qu’on y voit flotter des petits cristaux cubiques de sel marin. D’autres fois, le liquide présente une apparence huileuse, la moindre élévation de température lui fait éprouver une dilatation notable et la chaleur de la main suffit pour le réduire totalement à l’état de vapeur dans le minime espace qu’il occupe. Si l’on ramène la préparation à la température ordinaire, on voit bientôt le liquide reparaître et se contracter rapidement jusqu’à ce qu’il ait repris son apparence primitive. Cette transformation en vapeur et cette condensation alternative peuvent être indéfiniment reproduites. Des recherches nombreuses ont été entreprises pour déterminer la nature du liquide si dilatable et si volatil de certaines inclusions. D’après les études de Brewster, il semble que la composition de ce liquide soit variable ; cependant, en faisant éclater des inclusions de cette espèce dans un tube lumineux de Geissler et observant au spectroscope les raies de la lumière produite, Vogelsang a pu démontrer que dans la plupart des cas ce n’était autre chose que de l’acide carbonique liquéfié sous une énorme pression. Les inclusions aqueuses sont des preuves indéniables du rôle que l’eau a joué dans la cristallisation du minéral qui les renferme. Si on les observe seules, on peut affirmer que la cristallisation a été opérée au sein d’une dissolution dans l’eau. Si, dans les mêmes minéraux, elles sont accompagnées d’inclusions vitreuses, il est tout aussi certain que la cristallisation s’est opérée à très haute température, mais en même temps que l’eau a coopéré au phénomène. Enfin la présence de l’acide carbonique liquéfie dans les minéraux de quelques roches démontre que, dans ce cas, la cristallisation s’est opérée sous une pression considérable.

Ainsi le microscope rend compte des conditions qui ont présidé à la genèse des minéraux.

Une autre conquête précieuse de la géologie micrographique a été la détermination exacte des élémens intégrans des roches. Celui qui pour la première fois examine au microscope une lamelle mince taillée dans un caillou quelconque demeure le plus souvent émerveillé devant la multitude et la variété des élémens qui frappent son regard. Souvent, plus la roche considérée à l’œil nu semblait compacte et plus elle se montre alors riche en matériaux cristallins. La pâte des porphyres, que l’on regardait jadis comme un magma informe, apparaît comme une agglomération de myriades de cristaux. La matière qui fait le fond des roches volcaniques, matière d’apparence homogène, même quand on l’observe à la loupe, devient un riche tissu de minéraux divers lorsqu’on l’examine avec un grossissement suffisant au microscope. Il n’est pas une roche cristalline dans laquelle cet instrument ne fasse découvrir ainsi une quantité souvent innombrable d’échantillons cristallisés demeurés jusqu’alors tout à fait inaperçus. Hâtons-nous de dire cependant que les études nouvelles n’ont pas grossi la liste des minéraux connus. Avec une sagesse dont il faut leur savoir gré, les pétrographes modernes ont évité dans les cas douteux de créer des espèces nouvelles et ils en ont été récompensés, car toujours ils sont arrivés en définitive à rattacher les cristaux microscopiques à quelqu’un des types classiques antérieurement établis. Mais si jusqu’à présent ils n’ont trouvé dans les préparations microscopiques aucun minéral nouveau, en revanche ils ont expulsé des classifications minéralogiques un certain nombre d’espèces qui n’étaient que des agrégats de minéraux divers.

Une fois la spécification des substances cristallines opérée, il s’agissait de constater leur distribution dans les roches. C’est alors que des surprises incessamment renouvelées sont venues frapper les observateurs. La plupart des roches ont offert une constitution différente de celle qu’on leur supposait auparavant ; souvent on a dû les classer d’une manière nouvelle ou les rattacher à plusieurs groupes pétrologiques distincts. Le basalte par exemple, que l’on considérait avec Cordier comme un mélange constant de feldspath, de pyroxène, d’olivine et de fer oxydulé, est parfois, comme l’a montré Zirkel, composé d’associations minéralogiques différentes ; c’est pourquoi il a fallu scinder ce groupe et en rapporter les subdivisions à des variétés de roches diverses.

Le microscope a permis aussi de reconnaître la fréquence dans la nature de certains minéraux que l’on croyait y être d’une extrême rareté. Ainsi la néphéline, silicate en petits prismes hexagonaux, que jadis on avait recueillie seulement dans quelques gisemens exceptionnels, est maintenant reconnue comme très abondante dans plusieurs roches ; elle est même l’élément principal et le plus caractéristique de quelques-unes d’entre elles ; la tridymite, variété particulière de silice cristallisée, aperçue naguère exclusivement dans deux ou trois gisemens, pullule tellement dans plusieurs roches volcaniques qu’elle en forme pour ainsi dire la trame. Depuis longtemps les analyses chimiques avaient décelé dans presque toutes les roches éruptives la présence de petites quantités d’acide titanique et d’acide phosphorique, mais on ignorait entièrement à quel état se trouvaient ces acides ; les anciennes déterminations minéralogiques n’en pouvaient rendre compte. Les observations microscopiques ont donné la clé de l’énigme ; en effet, dans la plupart des roches elles ont fait apercevoir, répandus çà et là au milieu d’autres élémens cristallins plus abondans, deux minéraux, le sphène et l’apatite, le premier possédant de l’acide titanique et le second de l’acide phosphorique dans leur composition. Au point de vue agronomique, la dissémination universelle de l’apatite dans les roches cristallines est un fait qui mérite au plus haut degré d’attirer l’attention. Ce minéral est la source première naturelle des phosphates que recèlent les graines des céréales, et par suite c’est lui qui fournit en réalité aux animaux le phosphore, élément chimique indispensable à la constitution de leurs tissus.

Il est un problème minéralogique qui depuis longtemps préoccupe tous ceux qui s’intéressent à la philosophie des sciences naturelles, c’est celui du développement de la cristal Unité dans une substance primitivement amorphe. Le microscope apporte son puissant concours à la solution de la question. Il montre que certains corps passent brusquement de l’état amorphe à l’état cristallisé, tandis que d’autres au contraire présentent des états intermédiaires qu’il apprend à connaître ; à cette seconde catégorie de produits appartiennent la silice et ses composés, c’est-à-dire la plupart des minéraux qui font partie intégrante des roches. Dans les roches volcaniques par exemple, on voit à l’aide du microscope les différens états que peut affecter chacun de ces corps ; on passe en revue toute la série des formes sous lesquelles ils se montrent avant d’acquérir leur individualité cristalline définitive. Ici, au sein d’un magma homogène fondu, se sont séparés d’abord des globules d’une petitesse extrême ; là, ce sont des corpuscules cylindroïdes qui ont pris naissance ; ailleurs des figures plus compliquées simulent des formes organiques, ou au contraire offrent déjà l’apparence de cristaux rudimentaires. Toutes ces productions, caractérisées par leurs surfaces arrondies, par l’absence de toute action sur la lumière polarisée, ont reçu le nom de cristallites. L’examen des conditions de leur développement a fait l’objet d’un remarquable travail de Vogelsang. Il est à peine besoin de dire que leur existence n’était même pas soupçonnée avant les applications du microscope à la pétrographie.

Quand un minéral est arrivé à son état cristallin définitif, il peut encore très souvent présenter des variétés différentes. Parmi les substances cristallisées les plus répandues dans la nature inorganique, il en est en effet qui se montrent sous des aspects divers. La silice libre, par exemple, est un véritable Protée ; sans changer de composition, elle est également commune à l’état de tridymite, de quartz globulaire, de calcédoine, de cristal de roche. La chimie est impuissante pour faire distinguer ces variétés d’un même corps, et cependant leur détermination est indispensable à la connaissance des roches, car ils constituent pour celles-ci un élément de premier ordre au point de vue de la classification. Alors le microscope intervient ; il fait apercevoir les caractères de chaque type minéralogique, met en lumière les plus fins détails de leur structure, et par suite fournit des renseignemens positifs sur la nature de la roche qui les renferme.

Enfin les données les plus précieuses encore parmi celles que fournit le microscope sont relatives à l’agencement des minéraux entre eux, à la texture des matières pierreuses qui résultent de leur association. En général, dans les roches cristallines la consolidation s’est faite en plusieurs temps dont on peut suivre les phases. Une première cristallisation a donné naissance à un certain nombre de minéraux, le reste de la masse conservant son état amorphe. Cette opération initiale s’est passée dans les profondeurs du sol ; elle a été de longue durée et s’est d’ordinaire accomplie tranquillement, bien qu’avec des inégalités prononcées dans sa marche. Il en est résulté des cristaux volumineux, doués souvent de la structure zonaire. À cette époque de calme a succédé une période troublée ; les cristaux précédemment formés ont subi des mouvemens plus ou moins violens ; le microscope les montre incurvés ou cassés. Tantôt leurs fragmens ont été dispersés au sein du magma qui les renferme ; tantôt on les aperçoit encore dans une lamelle mince, assez peu distans les uns des autres pour qu’on y puisse reconnaître les parties disloquées d’un même échantillon. Des corrosions profondes attestent aussi quelquefois l’influence d’actions chimiques énergiques, ou témoignent de l’intervention d’une température plus élevée, capable d’avoir en partie refondu les cristaux formés.

Le second temps de consolidation a produit une nouvelle poussée cristalline. Parfois il en est résulté une solidification complète de la roche. Ainsi, par exemple dans le granit, les feldspaths et le mica produits durant la première période de formation de la roche sont englobés et moulés par le quartz qui s’est solidifié pendant le second temps. Le même fait s’observe dans la plupart des roches engendrées durant les anciens temps géologiques. Mais il n’en a pas été de même pour un certain nombre de porphyres et pour la plupart des roches volcaniques. Ici, la seconde phase de consolidation n’a pas été complète ; elle a donné naissance à un immense développement de cristaux, mais une certaine quantité du magma initial est encore demeurée à l’état de matière fondue et ne s’est solidifiée que postérieurement.

Les cristaux du second stade sont dans ce cas de très petites dimensions, ce qui leur a fait donner le nom de microlithes ; le microscope seul permet de les apercevoir. Ils ont été produits dans un liquide en mouvement ; leur petitesse extrême suffirait presque pour justifier une telle conclusion, car l’expérience a depuis longtemps montré que toute cristallisation fournit en général des élémens d’autant plus ténus qu’on la trouble davantage, mais leur disposition démontre le fait d’une manière tout à fait convaincante. Dans les coupes minces, on les voit alignés suivant des directions déterminées, contournant les cristaux du premier stade et s’allongeant dans leurs intervalles sous forme de traînées fluidales. Ils ont été évidemment charriés dans des courans microscopiques, à la manière des morceaux de bois que l’on fait flotter à la surface des rivières, et maintenant on les observe dans la situation qu’ils occupaient au moment de la solidification définitive de la roche. Rien de plus intéressant que ce tableau ; en l’observant, on est tenté de se croire témoin de phénomènes qui pour certaines roches se sont passés il y a peut-être des millions d’années.

Les laves des volcans modernes présentent aussi des exemples très nets de la structure qui vient d’être décrite ; les microlithes y fourmillent et s’alignent en longues traînées dans lesquelles sont épars les cristaux du premier stade. Une petite quantité de matière vitreuse, interposée entre tous ces élémens cristallins, s’est figée en dernier lieu et demeure somme la dernière trace du magma primitif, antérieur à toute séparation de composés minéraux. Quand une lave jaillit de la bouche d’un volcan et s’épanche sur ses flancs, elle coule sous la forme d’un liquide visqueux, quelquefois à peine mobile, dont l’aspect ressemble à celui de la fonte en fusion. Avant l’application du microscope à l’étude des roches, les géologues avaient vainement cherché à se rendre compte de la constitution de cette matière imparfaitement fluide ; les hypothèses les plus étranges avaient été émises sur les causes de son extrême viscosité. Maintenant on sait qu’une lave, au moment où elle arrive au jour, possède déjà presque tous ses cristaux ; les minéraux du premier stade de consolidation y sont tout formés et les microlithes, bien que continuant à se multiplier, y sont déjà d’une extrême abondance. Il n’y a donc alors de fluide que la matière amorphe. Par conséquent, la masse éruptive, qui s’épanche et coule, est une sorte de boue ignée, cristalline ; elle est composée d’un nombre infini de petits minéraux agrégés par des quantités variables d’une substance vitreuse en fusion. Ainsi se trouve expliqué rationnellement un problème géologique longtemps débattu.

Le microscope a montré en même temps que les diverses espèces minérales ne cristallisent pas indifféremment dans les deux stades de consolidation. Telle substance ne s’isole à l’état de cristaux que durant le premier stade ; telle autre n’apparaît que pendant le second ; d’autres se forment durant les deux temps de consolidation, mais souvent affectent dans ces deux cas des caractères de structure différens. Enfin les cristaux d’espèces diverses qui se produisent pendant une même période ne cristallisent pas rigoureusement au même instant : l’ordre de cristallisation est soumis à des lois fixes et qui étaient tout à fait imprévues.

Les considérations précédentes ont eu dans une autre voie un résultat pratique considérable ; elles ont conduit à la reproduction artificielle de plusieurs des minéraux les plus communément répandus dans la nature. Refaire de toutes pièces une substance naturelle en partant de ses élémens chimiques a toujours été le but convoité par les naturalistes expérimentateurs. Opérer une synthèse dans des conditions normales, c’est imiter la puissance créatrice et mettre à découvert ses secrets. Quel plus noble sujet d’ambition ! Les succès obtenus de ce côté par les minéralogistes français sont l’une des gloires de la science. Cependant jusqu’à présent on n’avait pas réussi à reproduire la plupart des minéraux des roches volcaniques ; au moins les procédés employés s’écartaient tellement des conditions normales que le résultat obtenu perdait par cela même une grande partie de sa valeur. On avait échoué surtout dans les tentatives faites pour obtenir des associations cristallines, comme celles qui constituent les roches. Et néanmoins il était certain que la nature opérait simplement ; la facilité des cristallisations qu’elle effectue sur une immense échelle contrastait avec les pénibles efforts des chercheurs. Il a suffi de quelques observations microscopiques bien dirigées pour mettre sur la voie de la solution du problème. Quand le mode de développement des cristallisations naturelles a été bien connu, leur reproduction artificielle n’a plus été qu’un jeu, et alors les chétifs fourneaux d’un laboratoire ont fourni des roches à éléments cristallins identiques à celles qui s’élaborent dans les immenses foyers souterrains du Vésuve et de l’Etna.

Enfin, pour terminer l’énumération des principaux services que le microscope rend à l’étude du monde inorganique, j’ajouterai qu’en donnant à la science des roches cristallines une base certaine, il a immédiatement doublé le champ dans lequel la géologie peut étendre ses conquêtes. Naguère on savait vaguement qu’il existe des relations entre la nature des produits éruptifs et leur âge, mais combien cette notion n’est-elle pas aujourd’hui plus précise ! La composition minéralogique et la structure des roches cristallines ont considérablement varié depuis le commencement des temps géologiques ; des types divers se sont successivement produits. A mesure que le magma souterrain, qui donne naissance aux produits éruptifs, subissait des changemens dans sa composition chimique par le fait même des cristallisations qui s’opéraient dans son sein, les matières rejetées au dehors éprouvaient des modifications correspondantes. D’ailleurs la matière du foyer souterrain n’est pas homogène ; avec le temps, le point de départ des éruptions s’est fait à des profondeurs de plus en plus grandes ; par suite il en est nécessairement résulté des changemens dans la nature des roches cristallines engendrées. En outre, toute éruption est accompagnée d’un dégagement abondant de substances volatiles, dont l’influence sur la structure et la composition des matières épanchées est des plus manifestes. Or rien de plus certain que le fait de la variation énorme qu’ont éprouvée ces émanations dans le cours des siècles, aussi bien au point de vue de la quantité que sous le rapport de la composition chimique. On comprend donc les variations qui s’observent dans la nature des matières cristallines venues des profondeurs du sol et le lieu qui doit unir la nature minéralogique d’une roche avec son âge géologique. La continuité et l’étroitesse de ce lien seront d’autant plus visibles que les études de pétrologie micrographique s’étendront davantage. Dès maintenant, grâce à ces recherches, on en découvre nettement quelques, parties. Les travaux de Michel Lévy, par exemple, ont élucidé la question des rapports qui existent entre la structure des porphyres et leur âge. A présent on sait avec précision à quelle époque géologique appartiennent les premières roches à structure fluidale. On connaît la date géologique d’apparition des espèces minérales, absolument comme on possède celle des espèces animales et végétales ; ainsi l’on sait que plusieurs minéraux ne se montrent pas dans les roches éruptives antérieures à la période tertiaire ; tel est le cas pour la leucite, si commune aujourd’hui dans les laves du Vésuve, pour la mellilite, fréquente dans les tufs volcaniques de la campagne romaine, pour la tridymite, qui abonde dans un grand nombre de produits éruptifs tertiaires. Ces trois minéraux font entièrement défaut aux époques plus anciennes, de telle sorte qu’un cristal de leucite, par exemple, aperçu dans un échantillon de roche, fixe immédiatement la limite supérieure d’âge du massif pierreux dont il a été extrait. D’autres minéraux sont plus spécialement l’apanage des roches anciennes. Enfin certaines variétés de silice cristallisée caractérisent diverses époques géologiques.


III

Après avoir considéré les résultats obtenus dans l’application du microscope à l’étude des minéraux et des roches, parcourons maintenant la série des moyens qui ont permis l’emploi de cette méthode d’examen et l’ont rendue fructueuse.

Dans la confection des lames minces d’origine minérale destinées aux observations microscopiques, on se heurte tout d’abord contre une grande difficulté. La matière qui doit être soumise à l’examen ne peut, à la façon des substances animales ou végétales, être tranchée au moyen d’une lame d’acier fortement trempée et aiguisée finement. La plupart des minéraux sont trop durs pour se prêter à une telle opération ; la réduction en lames minces doit donc être effectuée autrement.

Le procédé actuellement usité a été imaginé et mis en usage pour la première fois en 1826 par un constructeur anglais, William Nicol, physicien distingué, dont le nom demeure attaché aux applications du microscope. On prend un fragment aussi plat que possible de la substance minérale à étudier ; on frotte une de ses faces sur un plan de verre ou de métal avec de l’émeri humecté d’eau jusqu’à ce qu’on l’ait aplanie ; puis, à l’aide d’une petite quantité de résine fondue, on colle la surface polie de l’échantillon sur un morceau de verre épais. Lorsque la résine est refroidie et l’adhérence du fragment minéral complète, on pratique l’usure et le polissage de sa seconde face comme on l’avait fait pour la première. Enfin la lamelle ayant atteint la minceur cherchée, doit être décollée, nettoyée des grains d’émeri qui la salissent, puis définitivement transportée entre deux lames de verre, où on la fixe à l’aide d’un enduit résineux. Les roches les plus compactes, celles qui sont douées en apparence d’une opacité complète, soumises à une manipulation de ce genre, se laissent user et réduire en lamelles au travers desquelles on lit facilement les petits caractères d’imprimerie. Le granit le plus dur, le basalte le plus foncé sont aisément amenés à l’état d’une pellicule épaisse seulement de 1 à 2 centièmes de millimètre, et comparable par sa minceur, sa flexibilité et sa transparence à la plus fine pelure d’oignon.

L’opération s’exécute plus commodément encore quand on dispose, soit d’une petite meule, soit d’un tour de lapidaire. Il n’est besoin ni d’un apprentissage prolongé, ni d’une grande habileté manuelle, mais seulement d’un peu de patience et de soin. Lorsqu’une substance minérale est de dureté moyenne et passablement cohérente, il suffit d’une demi-heure de travail pour la réduire en lamelle mince propre aux observations microscopiques.

Nicol, en imaginant le procédé que nous venons de décrire, ne s’était pas contenté de l’indiquer ; il l’avait mis en pratique, fournissant des exemples de ces applications à chacune des branches de l’histoire naturelle. Aux zoologistes, il a montré la manière d’obtenir des sections minces de dents ; aux botanistes, il a fourni des coupes de bois fossiles ; pour les minéralogistes, il a taillé des agates. Depuis lors, la méthode qu’il avait inaugurée n’a pas cessé d’être mise en usage pour la taille de toutes les substances dures d’origine organique. Dès 1831, le botaniste Witham, mettant à profit les indications et l’aide de Nicol, son ami, commençait ses belles recherches sur la constitution des bois silicifiés. Au grand étonnement des naturalistes, il montrait que ces substances avaient conservé leur structure et les particularités les plus intimes de leur organisation.

Néanmoins, après la publication du procédé de Nicol, il s’est écoulé un intervalle de trente ans, durant lequel les minéralogistes et les géologues ont paru demeurer indifférens au nouveau moyen d’étude qu’il leur avait offert. Un grand nombre d’entre eux sentaient pourtant la nécessité des observations microscopiques appliquées à l’examen des minéraux et des roches. Longtemps avant la publication du procédé de taille proposé par Nicol, et avant que le microscope eût acquis la puissance optique que lui ont donnée les perfectionnemens modernes, l’emploi de cet instrument avait été déjà vivement recommandé par Dolomieu, Fleuriot de Bellevue, Brongniart et Cordier ; mais, parmi ces savans, les uns ont vécu avant la publication de l’invention de Nicol, les autres n’ont pas cru sa méthode susceptible d’applications pratiques.

Alors, au lieu de réduire les substances minérales en minces lamelles, on se contentait de les pulvériser ; les poudres ainsi obtenues ne fournissaient à l’examen microscopique que des renseignemens vagues. Les minéraux qui les composent étaient pour la plupart irrégulièrement brisés, l’épaisseur inégale des grains amenait des jeux de lumière, défavorables à la précision des observations, enfin l’agencement des minéraux entre eux ne pouvait plus être reconnu. Cordier et les minéralogistes de son école recommandaient, à la vérité, de comparer les élémens des poudres provenant de l’écrasement des roches cristallisées avec des fragmens de mêmes dimensions obtenus par le concassage de minéraux connus, mais cette méthode empirique était d’une application malaisée ; elle a pu être utilisée seulement dans quelques cas exceptionnels ; les difficultés de toute espèce que l’on rencontre dans sa mise en œuvre l’ont fait bientôt abandonner par tous ceux qui successivement l’avaient préconisée. Ainsi, d’une part l’examen des poudres cristallines au microscope était défectueux, et d’autre part on ne croyait pas à l’efficacité et peut-être même à la possibilité d’une étude des minéraux sous forme de lamelles minces.

Tel était l’état de la question, lorsqu’en 1858 l’attention des hommes de science fut vivement éveillée par une intéressante découverte, celle des inclusions aqueuses à bulle mobile, Sorby, ayant eu l’idée d’étudier les particules de nature diverse qui se trouvent emprisonnées au sein des cristaux, avait taillé en lames minces, suivant la méthode de Nicol, un certain nombre de minéraux naturels, isolés ou engagés dans les roches. Or, parmi les échantillons qu’il examinait ainsi figurait un granit dont l’un des élémens, le quartz, se montra criblé de petites cavités remplies d’eau. Sorby étendit ses recherches et constata bientôt que le quartz de tous les granits présentait cette même particularité. Les inclusions aqueuses s’y présentaient le plus souvent en immense quantité et affectaient une petitesse extrême. La plupart n’étaient visibles qu’à de forts grossissemens. Tel échantillon de quartz en laissait apercevoir plusieurs millions sur une surface d’un centimètre carré. Généralement, chacune de ces inclusions renfermait en outre une petite bulle de gaz qui flottait au sein du liquide et s’y agitait d’un mouvement perpétuel, tantôt lentement et tantôt par bonds saccadés, d’une rapidité et d’une irrégularité incroyables. Cette agitation incessante d’une fine bulle de gaz au sein d’un liquide, signalée depuis longtemps par les botanistes et connue sous le nom de mouvement brownien, était ici une preuve irrécusable de la présence de l’eau dans la roche. A l’époque où Sorby fit sa découverte, la question de l’origine du granit était l’objet d’un débat animé entre les géologues ; les uns considéraient cette roche comme ayant été formée par voie de fusion à la manière des laves, les autres regardaient l’eau comme ayant joué un rôle prépondérant dans sa formation. On comprend dès lors de quel poids dut être dans la balance la constatation des inclusions aqueuses.

Le travail de Sorby avait eu pour effet de démontrer par un exemple frappant combien il est aisé de mettre en pratique le procédé de Nicol pour la taille des minéraux durs et quel parti l’on en pouvait tirer pour la solution d’importantes questions géologiques. Cependant beaucoup de préjugés subsistaient encore contre ce mode d’examen. Lorsque des cristaux microscopiques sont enchevêtrés et intimement soudés les uns aux autres, comme ils le sont généralement dans les roches, une coupe mince les atteint dans une direction quelconque ; des cristaux de même forme, appartenant à la même espèce minérale, se trouvent tranchés dans les orientations les plus diverses, et, par conséquent, offrent des sections de forme variée. Si plusieurs minéraux visibles dans une préparation affectent la même couleur, comment les distinguer ? Le système cristallin d’un minéral en gros cristaux isolés est déterminé par des mesures d’angles solides ; où trouver dans une section plane des données qui puissent remplacer celles-ci ?

Ces objections étaient des plus graves. Quant à l’examen des propriétés optiques des minéraux réduits en lames minces, on le croyait impraticable. Les méthodes jusqu’alors usitées en minéralogie, méthodes naguère si fructueuses entre les mains de Biot, de Sénarmont, de Des Cloizeaux, semblaient ici sans application ; leur mise en œuvre paraissait exiger une épaisseur des lamelles cristallines notablement supérieure à celle des lames minces taillées suivant le procédé de Nicol, et surtout l’usage de sections faites dans des orientations connues. En un mot, on pensait qu’il était impossible de déterminer les propriétés optiques d’un cristal, lorsqu’il n’était pas maniable, et, dans le cas contraire, il est évident que la taille en lames minces devenait une opération fastidieuse et superflue et qu’il n’y avait plus lieu de recourir à l’emploi du microscope.

On comprend que ces difficultés aient longtemps rebuté les minéralogistes ; cependant elles n’étaient pas insurmontables. La variabilité dans la forme des sections que présentent les échantillons d’un même minéral au sein d’une lamelle mince n’empêche aucunement de reconnaître la forme fondamentale du solide auquel elles appartiennent ; la multiplicité des sections fait ressortir non-seulement les traits essentiels de chaque espèce minérale, mais encore elle met en évidence les particularités principales qui signalent sa configuration ; elles la font voir sous tous ses aspects et permettent d’apprécier le genre de symétrie qui lui est propre, mieux que ne pourrait le faire un examen extrinsèque des échantillons entiers. D’ailleurs toutes les sections d’un minéral ne sont pas également importantes au point de vue de sa détermination cristallographique ; certaines d’entre elles possèdent une forme tout à fait caractéristique ; ce sont précisément celles-là qui, dans une préparation microscopique, attirent le regard du minéralogiste ; involontairement il fait tellement abstraction des autres qu’en général elles sont pour lui comme si elles n’existaient pas.

D’autres caractères physiques sont en outre intimement liés à la forme et faciles à constater au microscope. Ainsi, par exemple, la plupart des minéraux présentent une tendance marquée à se diviser en feuillets parallèles, suivant des directions en rapport avec leur forme cristalline. Les fendillemens qui en résultent, et que les minéralogistes nomment fentes de clivage, sont nettement accusés dans les coupes microscopiques. Tantôt leurs traces sont représentées par une seule série de traits parallèles, tantôt elles offrent la forme d’un treillis régulier ; en général, la figure qu’elles affectent varie avec l’orientation de la section, et par suite avec la forme de son contour. On voit d’après cela que la disposition des fentes de clivage peut non-seulement dénoter la nature d’une espèce minérale, mais encore faire connaître l’orientation particulière d’une section pratiquée dans un échantillon.

Le microscope décèle aussi les associations régulières que forment fréquemment entre eux plusieurs cristaux appartenant à une même espèce. Ces associations connues sous le nom de mâcles, s’effectuent suivant des lois fixes, en rapport avec la symétrie cristalline et la nature spéciale de chaque minéral. Dans les sections microscopiques, elles se trahissent par des figures variées dont les bords sont en général découpés par des angles rentrans. Quelquefois ces figures affectent des formes polygonales simples ; plus souvent elles sont compliquées et représentent d’élégans dessins géométriques, des croix à branches multiples, des rosaces, des bandes ornées de dentelures.

Ainsi, des cristaux dont les dimensions n’excèdent pas quelques millièmes de millimètre, non-seulement peuvent être aperçus au microscope, mais leur forme cristalline peut être déterminée, leurs clivages et leurs mâcles reconnus. Le microscope fait apercevoir dans les minéraux des détails de structure qui échappent à tout autre procédé de recherche ; il montre les inclusions, permet d’en apprécier la nature, il révèle les altérations secondaires des cristaux, les modifications qu’ils ont subies, soit spontanément, sous l’influence des forces moléculaires intérieures, soit indirectement sous l’action des agens extérieurs. Un corps est-il fortement réfringent, le fait est aussitôt dévoilé par les ombres fortement accusées qui lardent le pourtour de ses sections et par le relief accentué qui les signale. L’aspect de la surface de la section est encore un caractère qui souvent suffit pour faire reconnaître une espèce minérale. Parmi les échantillons cristallins tranchés dans une coupe, les uns offrent une surface toujours lisse ; d’autres se montrent au contraire constamment criblés de fines inégalités et possèdent un aspect chagriné tout spécial. Quand un minéral est flexible, le microscope le montre en feuillets d’une ténuité extrême, contournés et tordus ; s’il est rigide, cette propriété est attestée par des cassures à arêtes vives.

En un mot, une foule de caractères distinctifs des minéraux cristallisés très petits peuvent être constatés au microscope ordinaire, privé de tout moyen auxiliaire spécial ; mais cet instrument, déjà si efficace dans ce cas, devient encore bien plus puissant quand on le munit, dans des conditions convenables, d’appareils susceptibles de transformer la lumière naturelle en lumière polarisée. Afin de donner au lecteur une idée du parti que l’on tire de cette modification, je rappellerai brièvement la constitution de la lumière en général et quelques-unes des propriétés principales de la lumière polarisée.

Quand un rayon de lumière se propage dans un milieu quelconque, il se produit tout le long de son trajet des vibrations au sein d’un fluide impondérable, désigné par les physiciens sous le nom d’éther. Ce fluide est répandu partout ; il existe aussi bien dans le vide des espaces planétaires que dans l’intervalle des molécules qui composent les substances matérielles. Les vibrations de la lumière naturelle sont désordonnées ; celles de la lumière polarisée se font au contraire avec une régularité parfaite. Dans le cas de la lumière polarisée rectilignement, la seule qui nous intéresse ici, le mouvement des molécules d’éther a lieu dans une direction unique ; il se compose d’oscillations d’une petitesse et d’une rapidité extrêmes.

Ainsi la lumière polarisée n’est autre chose que de la lumière naturelle dont les mouvemens ont été régularisés. Cette transformation peut être opérée de plusieurs manières ; mais l’un des moyens les plus simples, celui que l’on associe de préférence à l’usage du microscope, consiste à faire passer la lumière au travers d’un prisme de spath d’Islande coupé obliquement en son milieu et recollé ensuite à l’aide d’une résine particulière. Le prisme ainsi disposé est ce que l’on appelle un nicol, du nom de l’habile physicien qui en a été l’inventeur. Un rayon de lumière naturelle tombant sur un pareil prisme se modifie en le traversant et à la sortie se trouve polarisé. Les vibrations lumineuses des rayons émergens se font dans un plan orienté d’une manière fixe par rapport aux faces du prisme, et qui constitue ce que l’on appelle la section principale du nicol.

Dans les applications que l’on fait de la lumière polarisée aux études microscopiques, on emploie simultanément deux nicols dont on combine les effets. On les arrange de manière à ce que leurs sections principales soient à angle droit, l’une sur l’autre. Quand deux nicols sont ainsi croisés, si aucune substance hétérogène au point de vue optique n’est interposée entre eux, nul rayon lumineux ne peut traverser le système ; les vibrations qui émergent du premier nicol sont complètement arrêtées par le second, l’obscurité est complète à la sortie des prismes, quelque intense que soit l’éclat du rayon de lumière incidente. Mais les choses se passent en général tout autrement lorsque l’on fait glisser entre les nicols croisés une lamelle mince composée de minéraux cristallisés. La plupart des sections des cristaux compris dans la coupe s’éclairent vivement. Certains minéraux prennent des nuances d’un blanc bleuâtre délicat, d’autres s’illuminent de teintes d’une richesse et d’une intensité incomparables. Rien n’égale la splendeur des colorations que présentent quelques assemblages d’espèces cristallines diverses. Le grès de nos pavés, le granit commun, le basalte si noir et si compact quand on le considère en masse, prennent en lamelles minces dans ces conditions l’apparence de brillantes mosaïques. Les teintes si belles et si éclatantes des couleurs d’aniline pâlissent à côté de celles qui décorent ces magnifiques images.

On comprend immédiatement l’utilité pratique qui résulte de l’adaptation au microscope des dispositions que nous venons d’indiquer. Les substances vitreuses et certains minéraux appartenant à un système cristallin spécial demeurent constamment obscurs entre les niçois croisés, de quelque façon qu’on tourne la lame mince ; les autres minéraux se colorent au contraire de teintes diverses, et leurs contours se détachent immédiatement les uns des autres. Tel minéral qui paraissait simple à la lumière naturelle se montre à la lumière polarisée, tantôt comme un agrégat de composés différens, tantôt comme une réunion de cristaux appartenant à la même espèce.

Cependant les couleurs que la lumière polarisée communique aux cristaux compris dans les lamelles minces ne sont pas caractéristiques. Les sections diverses des échantillons d’une même espèce possèdent des teintes dissemblables et une section donnée présente même des nuances qui changent quand on fait tourner la lamelle sur le porte-objet du microscope. Dans certaines positions de la préparation, chaque section présente un maximum d’éclat, puis à mesure qu’on fait tourner la lamelle, le cristal considéré s’assombrit peu à peu jusqu’à ce qu’enfin il paraisse complètement noir. Si le mouvement de rotation continue, la section cristalline s’éclaire de nouveau, reprend ses teintes vives, passe par un maximum d’éclat et ensuite redevient obscure à 90 degrés de sa première orientation d’extinction.

Ces phénomènes d’éclairement et d’obscurité se reproduisent alternativement à quatre reprises pour une révolution complète de la préparation ; quatre fois la section observée présente sa nuance brillante la plus vive, et quatre fois, dans des orientations à angle droit, l’extinction a lieu complètement. Pendant qu’on fait tourner ainsi la lamelle mince entre les nicols croisés, ceux-ci sont maintenus immobiles ; deux fils à angle droit disposés dans l’oculaire du microscope dans le sens des sections principales des niçois attestent l’immobilité de ceux-ci. Ces fils sont en même temps des repères fixes auxquels on rapporte les directions qu’affectent les côtés des sections au moment où les extinctions s’opèrent.

Certains cristaux en prismes allongés s’éteignent quand leurs arêtes longitudinales sont parallèles à l’un des fils de l’oculaire ; d’autres deviennent obscurs dans ce cas, lorsque leurs arêtes font avec ces mêmes fils un angle différent de 0 et de 90 degrés. La valeur de cet angle d’extinction peut être exactement mesurée, pour chaque espèce minérale, elle dépend de lois connues, de telle sorte que l’orientation d’une section, sa forme et son angle d’extinction varient simultanément d’une façon régulière. Les conséquences qui découlent de ces données ont été habilement développées en Allemagne par Rosenbusch, en France par Michel Lévy. Elles sont tellement positives et d’une vérification si usuelle qu’elles donnent à la détermination des minéraux microscopiques un cachet remarquable de simplicité et de précision.

Lorsqu’une lamelle mince offre en coupe un grand nombre de sections diverses de minéraux cristallisés, comme cela se produit par exemple lorsqu’elle est taillée dans une roche, parmi les sections observées il en est un certain nombre qui précisément se trouvent dans la position d’extinction et qui par conséquent se montrent teintées de noir ; mais leur couleur foncée ne fait que rehausser l’éclat des sections avoisinantes demeurées lumineuses. D’ailleurs, si l’on fait tourner la préparation entre les nicols croisés, les sections précédemment obscures s’éclairent et s’illuminent de nuances variées, tandis que d’autres, qui tout à l’heure étaient brillantes, se ternissent et s’éteignent. Ces merveilleux changemens chromatiques sont l’un des plus jolis phénomènes optiques que l’on connaisse.

Il est encore une autre propriété des minéraux cristallisés qui peut concourir à les faire distinguer les uns des autres. Cette propriété, connue sous le nom de polychroïsme, consiste en ce que la plupart des minéraux se montrent, lorsqu’on les observe par transparence, diversement colorés suivant le sens dans lequel la lumière les a traversés. La topaze, la tourmaline, la cordiérite, par exemple, taillées sous forme de petits cubes, paraissent violettes, jaunes ou bleuâtres, selon qu’on a regardé au travers de l’une ou de l’autre de leurs faces. En général, cette propriété s’atténue quand le minéral est en échantillons peu épais ; cependant quelques espèces la possèdent encore à un haut degré même lorsqu’elles sont réduites à l’épaisseur habituelle aux lamelles taillées d’après le procédé de Nicol. Dans ce cas, il y aurait évidemment intérêt à constater le polychroïsme, mais pour cela il faudrait pouvoir retourner et manier dans tous les sens un minéral microscopique, engagé d’ailleurs dans une lamelle et soudé à d’autres cristaux. On élude la difficulté à l’aide d’un procédé imaginé par le professeur Tschermak, directeur du musée minéralogique de Vienne, procédé fondé sur ce fait d’observation, qu’une section minérale polychroïque, traversée par un rayon de lumière polarisée, se montre avec des couleurs, ou au moins avec des nuances différentes, suivant le sens de vibration des molécules d’éther. Pratiquement, la réalisation du phénomène est des plus simples : sur une lamelle mince donnée, on fait tomber la lumière polarisée sortant d’un nicol ; les minéraux polychroïques compris dans la lamelle prennent certaines teintes déterminées ; puis on tourne brusquement le nicol de 90 degrés autour de l’axe du microscope : les vibrations de la lumière émergente se font dans un plan à angle droit sur le plan de vibration précédent. La lamelle mince étant demeurée immobile, les minéraux polychroïques qu’elle renferme se montrent avec des colorations différentes de celles qu’ils possédaient tout à l’heure. Pendant cette opération, l’œil, maintenu immobile sur l’oculaire du microscope, constate ces remarquables changemens. C’est ainsi que, dans les préparations minces de granit, on voit le polychroïsme du mica s’accuser par des passages du brun clair au gris très foncé, et, dans les syénites, celui de l’amphibole se manifester par des changemens de teinte du jaune clair au vert-bouteille, suivant la façon dont on opère l’éclairement. Les données que fournit l’examen optique suffisent en général, à elles seules, pour permettre de déterminer sûrement les minéraux que l’on aperçoit au microscope dans une lamelle mince. Cependant des moyens de contrôle fondés sur l’emploi d’autres procédés étaient, au moins au début, indispensables pour fournir des élémens de certitude. Ces moyens ont été empruntés aux études chimiques, et aujourd’hui, ce qui donne une confiance complète dans l’observation microscopique, c’est que précisément, à bien des reprises, on a vérifié la liaison intime qui existe entre les caractères physiques d’un minéral et sa composition chimique élémentaire.

Cette connexion une fois établie, l’emploi des réactions chimiques n’a pas cessé pour cela d’être utile. En effet, il existe des cas assez nombreux où les formes cristallines des échantillons observés sont entièrement effacées : souvent certains minéraux se présentent sous forme de plages irrégulières moulées sur les contours des espèces auxquelles ils sont associés ; alors l’observation cristallographique devient impossible, l’examen optique perd toute sa précision ; le microscope ne permet plus d’apprécier nettement que quelques caractères de structure souvent insuffisans pour autoriser une détermination minéralogique. Dans de tels cas, les informations que procure la chimie acquièrent une valeur toute particulière. Elles sont encore rigoureusement indispensables, quand il s’agit de distinguer les uns des autres certains minéraux voisins par leurs formes cristallines et très rapprochés sous le rapport des propriétés optiques. C’est ce qui a lieu, par exemple, pour les minéraux de la famille des feldspaths. Ces composés, très fréquens dans les roches, se ressemblent beaucoup par la plupart de leurs propriétés physiques ; ils sont également blancs ou incolores, leurs formes sont presque identiques, leur structure est la même et leurs propriétés optiques sont peu différentes. Quand ils sont en cristaux allongés dans une direction unique par rapport aux arêtes qui limitent leurs formes, il est assez facile de les distinguer les uns des autres au microscope ; mais quand ils sont également développés dans tous les sens, les caractères optiques employés comme moyens distinctifs deviennent d’une application pénible et parfois incertaine. Des essais chimiques sont alors nécessaires pour résoudre le problème de leur détermination.

Quelques-uns de ces essais peuvent être opérés sur les cristaux engagés dans une lamelle mince ; on peut, par exemple, dans ces conditions éprouver l’action des acides. Un certain nombre de minéraux résistent entièrement à l’action de ces agens et ne manifestent aucune altération, quelque prolongée que soit l’opération ; d’autres, au contraire, se trouvent décomposés et quelquefois même dissous. Plusieurs, bien que fortement modifiés, conservent à la lumière naturelle leur forme et leur aspect ; mais, quand on les examine entre les nicols croisés, on s’aperçoit qu’ils sont détruits, on constate qu’ils ont perdu leur action sur la lumière polarisée et que leur place est occupée par un simple dépôt de silice gélatineuse. Les acides les plus énergiques, tels que l’acide sulfurique, l’acide fluorhydrique, peuvent être utilisés dans ce genre de recherches, à la condition de prendre quelques précautions pour empêcher l’attaque du verre qui porte la préparation. Enfin la gouttelette de liquide qui a servi à l’attaque est l’objet de recherches qualitatives, destinées à découvrir la nature des élémens chimiques dissous ; ou bien encore on l’évapore à froid sur un verre enduit d’un léger vernis résineux et l’on observe au microscope les cristaux qui résultent de cette évaporation. Ces manipulations chimiques, effectuées souvent sur une fraction de milligramme de matière et avec une goutte de réactif, ne laissent rien à désirer sous le rapport de la sensibilité et de la précision.

Le seul inconvénient d’une telle méthode consiste en ce qu’elle perd presque toute sa valeur lorsque, dans la lamelle mince ainsi traitée, il existe à la fois plusieurs minéraux attaquables. Alors elle ne fournit plus qu’un résultat complexe, dont il est rarement possible de démêler les élémens, et il devient indispensable d’extraire chaque minéral du milieu qui le renferme, de manière à le soumettre séparément aux essais chimiques. Mais comment réaliser cette opération ? Comment isoler des particules cristallines visibles seulement à l’aide d’instrumens grossissans et fortement agrégés ensemble ? Réduire une roche en fine poussière et examiner chaque granule au microscope, puis opérer mécaniquement le triage, est une opération impraticable. Il a fallu chercher d’autres procédés.

L’un des moyens imaginés consiste dans l’emploi d’une solution concentrée d’iodure de mercure dans l’iodure de potassium. Cette dissolution possède une telle densité qu’un très grand nombre de minéraux flottent à sa surface. On sépare donc immédiatement les substances cristallines surnageantes d’avec celles qui tombent au fond du liquide. Mais on peut même pousser la division plus loin ; en effet, si l’on additionne peu à peu la dissolution de très petites quantités d’eau, on voit successivement plonger les échantillons des différentes espèces cristallines, au fur et à mesure que la densité du liquide devient inférieure à celle qui leur appartient.

Un second procédé repose sur l’emploi d’un puissant électroaimant, à l’aide duquel on enlève tous les élémens ferrugineux d’une roche pulvérisée. Comme résidu du traitement, on obtient une poudre blanche cristalline, composée des minéraux exempts de fer, en quelque petite quantité qu’ils se trouvant.

Enfin l’extraction des minéraux ferrugineux s’opère très bien à l’aide de l’acide fluorhydrique. Si l’on fait agir un excès de ce puissant réactif sur la poussière provenant de la trituration d’une roche, il se produit une attaque vive et, au bout de quelques instans, on recueille au fond du vase qui a servi à l’opération une poudre cristalline composée de tous tes élémens ferrugineux de la roche. En graduant l’action de l’électro-aimant de même que celle de l’action fluorhydrique, on peut pousser plus loin les séparations. Souvent aussi, pour atteindre ce but, il est avantageux de combiner les trois procédés d’extraction qui viennent d’être indiqués.

Les minéraux une fois extraits, on peut les éprouver au chalumeau, les soumettre aux recherches spectroscopiques, observer la couleur qu’ils donnent à la flamme d’un bec de gaz. On peut aussi les traiter par les divers réactifs chimiques. L’un des essais de ce genre, habituellement en usage, est celui que l’on doit au professeur Boricky. Il repose sur l’emploi de l’acide hydrofluosilicique. Cet acide, même dilué, attaque énergiquement la plupart des minéraux, et, se combinant avec leurs bases, il donne, par évaporation, des sels cristallisés que le microscope fait aisément reconnaître et permet de distinguer les uns des autres.

Enfin, comme dernier moyen de contrôle des déterminations microscopiques, nous trouvons l’analyse chimique quantitative. Les procédés d’extraction ci-dessus indiqués en sont les préliminaires obligés et acquièrent par suite une importance capitale ; le succès des manipulations consécutives en dépend. Quant à l’analyse elle-même, rien ne la remplace, rien n’équivaut à la détermination complète des élémens chimiques qui entrent dans la composition d’une substance dont il s’agit d’apprécier rigoureusement la nature minéralogique. Le microscope, loin de faire abandonner ou reléguer au second plan les manipulations chimiques, n’a fait qu’en démontrer la nécessité.

L’exposé qui vient d’être présenté donne un aperçu des grandes questions dont la géologie micrographique procure la solution, des problèmes nouveaux qu’elle soulève et des moyens d’action dont elle dispose. Il est impossible de prévoir l’étendue de ses conquêtes prochaines. Chaque jour elle produit des publications nouvelles ; les travaux de recherche qu’elle suggère ou favorise s’accumulent rapidement, et cependant elle n’est encore qu’à son début ; jamais la science n’a vu s’ouvrir devant elle un champ d’exploitation plus vaste et plus riche.


F. FOUQUE.