Les Aventuriers de la mer/22

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Société française d’imprimerie et de librairie (p. 262-267).

CHAPITRE XXII

MARINS MASSACRÉS ; MISSIONS DE LA MALAISIE ; MASSACRES À BALAMBANG, EN RADE DE VAROUNI, À KOTTI ; LES ÉQUIPAGES DE LArgo ET DU Duke-of-Portland ; L’ANGLAIS MARINER AUX ÎLES TONGA ET LE ROI FINAU ; LE CAPITAINE BUREAU, DE NANTES, ET LAimable-Joséphine AUX ÎLES VITI.

La plupart des voyageurs chargés de missions par les gouvernements colonisateurs de la Malaisie, ont péri misérablement. Le capitaine Padler y fut égorgé en 1769 ; un établissement anglais fut anéanti à Balambang, en 1774 et en 1803 ; un capitaine hollandais fut massacré en 1788, avec tout son équipage, en rade de Varouni ; le capitaine Pavin, en 1800, éprouva le même sort, l’équipage du Rubis ne l’évita que par un bonheur inoui.

Ces terribles catastrophes, se renouvelèrent en 1806, en 1810 et 1811. Quelques années plus tard, Dalton fut longtemps prisonnier du sultan de Kotti, et l’infortuné major hollandais Muller périt massacré au cours de son expédition vers la partie centrale de cette île.

Aux îles Tonga, l’un des archipels polynésiens, peu après le massacre des missionnaires amenés en 1797, par le Duff, l’équipage du navire Argo, naufragé sur le groupe Viti, et qui avait pu gagner Tonga, y périt dans des combats tellement inégaux qu’on peut leur donner le nom de massacres. Un seul homme put se sauver et fut recueilli par un bâtiment de passage.

Quelque temps après ce désastre de l’Argo, l’équipage du Duke of Portland, bâtiment marchand, subit le même sort sur ces côtes peu hospitalières de Tonga-Tabou (1797). Le capitaine Melon fut une des premieres victimes. Par suite de la trahison d’un Malais et d’un déserteur américain nomme Doyle, tous les marins furent massacrés, à l’exception d’un vieillard et de quatre mousses.

Une femme de couleur nommée Elisa Mosey, qui se trouvait à bord du navire, fut aussi épargnée.

Le vieux matelot et les mousses n’avaient eu la vie sauve qu’à cause de leur âge. On devait les employer au déchargement du navire et à sa destruction, sauf à les immoler plus tard pour anéantir toute trace de l’attentat. Le traître Doyle présidait aux travaux, il était l’âme et le bras des avides pillards de Tonga. Le déchargement durait depuis plusieurs jours, lorsqu’un matin, le vieux homme et les quatre mousses surprirent le traître, le tuèrent, chassèrent du navire les naturels qui s’y trouvaient, coupèrent les câbles, et prirent le large, laissant sur l’île Elisa Mosey. Mais on n’eut plus de nouvelles de ces malheureux, qui allèrent sans doute se perdre sur une autre plage.

Au commencement de ce siècle, un très jeune marin anglais, Mariner, faisait partie de l’équipage du Port-au-Prince, beau navire pourvu de vingt-quatre canons de douze et de huit caronades, et monté par une centaine d’hommes, qui avait été armé à la fois pour la pêche de la baleine et la course contre les Espagnols, sur les côtes occidentales de l’Amérique. Le capitaine Duck qui commandait ce navire mourut dans les parages de la Californie, et le capitaine baleinier qui le remplaça, nommé Brown, cingla vers les îles Tonga et y jeta l’ancre le 24 novembre 1806.

Il y fut massacré avec la plus grande partie de ses hommes. Mariner, que le roi Finau prit pour le fils du capitaine assassiné, dut à sa jeunesse, sans doute, d’obtenir la vie sauve ; quatre ou cinq de ses compagnons furent aussi épargnés, mais leur délivrance n’eut lieu que plus de trois ans après, lors du passage, en vue des îles, d’un brick pêcheur de nacre de perles, la Favorite.

Mariner a écrit — ou dicté — une Histoire des naturels des îles Tonga, où se trouvent racontées ses aventures. Ce livre, accueilli par quelques lecteurs comme le roman des îles Tonga, malgré les précautions prises par l’éditeur dans sa préface pour établir la véracité du narrateur, a toutefois fourni à lord Byron les accessoires de son poème l’Île, ou Christian et ses compagnons, dont la rébellion de la Bounty a inspiré le sujet au grand poète anglais.

Dans le courant de l’année 1833, le capitaine Bureau de Nantes, officier brave et instruit, arriva à Valparaiso (Chili) avec un petit brick l’Aimable Joséphine.

Il trouva dans ce port un beau brick de guerre qui avait été construit à Bayonne ; il l’acheta au gouvernement chilien pour le substituer à son brick, et lui transféra le nom de l’Aimable Joséphine. Il fit voile sur son nouveau bâtiment pour les îles Viti, où il comptait se procurer de l’écaille et du trépan.

Ces îles Viti ou Fidji sont voisines des îles Tonga. Arrivé aux îles Viti, et en vue de celle qu’on nomme Ambou, il y débarqua un marin de son équipage, muni de nombre d’objets destinés à faire des échanges avec les naturels ; mais cet homme devait tromper sa confiance.

À environ un mille d’Ambou est située la petite île Beou. Le chef de cette île et quatre autres naturels se, trouvaient, un matin, à bord de l’Aimable Joséphine, au moment où le capitaine envoyait une embarcation à terre. Tout à coup le chef s’écrie : « Capitaine, votre canot coule bas ! » Pendant que le brave officier, braquait attentivement sa longue-vue pour vérifier le fait, il fut frappé par le chef d’un coup de massue de bois de fer sur le derrière de la tête, et tomba raide.

Le second et la plupart des matelots, n’étant pas sur leurs gardes, furent aussitôt attaqués. Des naturels, qui attendaient le moment favorable, se joignirent à leur chef, et dans une lutte par trop inégale tout l’équipage succomba. Le brick fut ensuite allégé et échoué sur les hauts fonds, afin que d’autres bâtiments ne tentassent pas de le reprendre. Le matelot qui trahissait son capitaine s’était engagé sur le brick lors de sa première apparition aux îles Viti, et parlait couramment la langue des insulaires ; il prit part au complot, et fut très utile aux indigènes pour alléger le bâtiment et le conduire au lieu où il devait être ensablé.

Le capitaine d’un bâtiment américain, qui se trouvait à la baie du Sandal, ayant appris cet événement, résolut de profiter du malheur des Français. Il se rendit sur les lieux, et entra en négociations avec les naturels pour acheter le brick, en le payant avec une certaine quantité de poudre et d’armes à feu. Les indigènes remirent le brick à flot et le conduisirent au mouillage du navire américain ; mais le matelot qui avait conspiré avec eux, et que ce marché contrariait, s’avisa de demander aux insulaires s’ils avaient été payés d’avance. Sur leur réponse négative, il leur conseilla de ne pas livrer le brick et de laisser tomber l’ancre, ce qui fut fait.

Une rixe s’ensuivit ; le bâtiment américain fit feu de ses canons sur le

Bayonne.
brick, qui riposta ; des coups de fusil furent tirés de Beou, et un ou deux coups de canon d’Ambou. Les Américains, pour ne pas demeurer exposés aux attaques des insulaires, se hâtèrent de quitter ces parages et se rendirent à la Nouvelle-Zélande, d’où la nouvelle de la catastrophe de l’Aimable Joséphine ne tarda pas à parvenir dans la colonie anglaise de la Nouvelle-Galles du sud.

Le capitaine Dillon, — qui le premier retrouva à Vanikoro des débris du naufrage de la Pérouse, — était à Sydney quand on y connut ce drame maritime ; il fut chargé par le vice-consul de France pour les îles de la mer Pacifique de faire le nécessaire pour rentrer en possession du brick capturé.

Aux îles Tonga, aux îles Viti, les marins furent attirés dans des pièges, assommés, égorgés en haine de la supériorité de leur race. Ils devaient être traités plus cruellement, si c’est possible, dans les archipels peuplés d’anthropophages.