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Les Gardiennes/18

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Plon-Nourrit (p. 244-258).
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IV


Pour faire sa besogne complètement et bien, Francine éprouvait quelques difficultés. Heureusement, elle ne travaillait pas en nombreuse compagnie ; ni la Miraine, absorbée par son chagrin, ni son père, vieillard que la fatigue rendait inattentif, n’observaient de très près les gestes de la servante. Lorsque Francine ressentait quelque malaise, elle pouvait, sans que cela fût remarqué, s’arrêter un moment pour se remettre ; d’habitude cela durait peu et elle réussissait à rattraper le temps perdu.

Quand elle était seule ainsi à travailler, elle pensait à Georges, au cruel abandon, et son cœur, alors, portait le deuil de l’amour ; mais souvent, aussi, son esprit s’en allait en songeries dans une direction nouvelle où se trouvaient douceur et réconfort. De plus en plus elle portait attention aux gestes des enfants ; le petit, surtout, l’attirait quand il se mettait en défense entre sa mère et les étrangers.

Un soir, avant de se coucher, elle chercha parmi son linge une pièce de toile fine qu’elle avait achetée à Sérigny d’un marchand passager, au beau temps d’espoir. Après quelques hésitations, elle tailla dans cette toile, puis faufila vivement les morceaux ainsi coupés ; elle obtint une petite chose devant laquelle elle sourit. À la réflexion, elle n’en fut pas du tout contente et recommença. Quand elle eut fini, sa bougie tout entière était consumée. Les bougies coûtaient cher. Le lendemain, craignant les remontrances de sa patronne, elle s’acheta tout ce qu’il fallait pour s’éclairer selon ses besoins.

Elle prit l’habitude de travailler ainsi un moment chaque nuit. Pour ne pas attirer l’attention, elle se couchait bien en même temps que les autres ou à peu près, mais, le premier somme fait, quand toute la maison reposait, elle rallumait sa bougie ; derrière un rideau tendu qui masquait la lumière, elle taillait, cousait, tricotait.

Bientôt, elle eut, caché au fond de son armoire, entre ses vêtements, un trousseau d’enfant, à peu près complet.

Alors, malgré le grand travail, malgré la tristesse de sa position, malgré l’angoisse de l’avenir incertain, elle s’aperçut que le temps coulait avec rapidité. Songeant à ce que serait sa vie aux jours proches où il lui faudrait quitter sa condition, la peur la glaçait parfois ; mais à de meilleurs moments elle murmurait :

Qu’allons-nous devenir ?

Et alors sa frayeur faisait place à une fièvre étrange, à une sorte d’allégresse obscure et tremblante.

Elle ne savait pas encore précisément ce qu’elle ferait ; il lui restait du temps pour se décider. En attendant, il lui fallait demeurer chez sa patronne, pour plusieurs raisons dont la moindre n’était pas celle d’économie.

En effet, elle était reprise par les soucis d’argent. Bien passé le temps où elle égarait cent francs dans le courtil ! Redevenue fort regardante elle n’achetait rien, serrait précieusemént sa fortune ; à la fin de chaque mois, elle fermait sa main avec un frémissement de plaisir sur l’argent de son gage et ne faisait nulles façons pour accepter les quelques sous qu’on lui offrait en plus, en récompense de ses bons services. Son livret de Caisse d’Épargne ayant produit de beaux intérêts, elle les plaça aussitôt en Bons du Gouvernement.

Dans la crainte d’être renvoyée, elle faisait l’impossible pour dissimuler son état. Elle revit son corset, le renforça, prit l’habitude de porter de longs sarraus qui l’enveloppaient toute. Pour plus tard, elle prépara à l’avance de bonnes ruses. Se voyant pâle, elle exposait de son mieux son visage au hâle ; elle mangeait beaucoup, non seulement aux repas, mais en cachette, luttant avec courage contre les nausées.

Il lui fallait montrer à tous le visage calme et souriant d’une jeune fille dont les soucis ne sont pas grands. On ne la voyait pas souvent par les rues du village ; cependant, elle ne se cachait point. En allant au travail, quand son bateau croisait celui d’une maraîchine bavarde ou d’un voisin facétieux, elle savait répondre comme il convenait.

Maxime, assez souvent, venait du côté de Saint-Jean, Avec lui, surtout, Francine se montrait d’humeur plaisante. Il lui donnait les nouvelles de Sérigny, contait ses démêlés avec sa grand’mère, ses ruses pour trafiquer malgré elle avec les Américains et tous les bons tours qu’il jouait aux voisins Mazoyer. Elle ne l’interrogeait point mais l’écoutait en souriant. Un jour elle se trouva un peu malade devant lui, se sentit pâlir ; pour lui donner le change elle se mit à le taquiner et chanta comme il partait.

Maxime rapporta la chose à Sénigny ; désirant donner une leçon à sa grand’mère il dit, en sa présence :

— La chambrière que nous avions n’a rien perdu à nous quitter ; elle a trouvé le bon nid chez Miraine. Elle chante comme si elle n’était payée que pour cela ! Ce n’est pas souvent qu’elle avait le temps et le goût de chanter par ici !…

La grand’mère entendit bien le propos mais elle en fut si contente qu’elle ne releva point l’insolence.

À quelques jours de là, désirant acquérir de ses propres yeux, une rassurante et définitive certitude, elle fit ce qu’elle n’avait point osé jusqu’à présent : elle alla jusqu’à Saint-Jean et passa chez Miraine.

Francine ne se trouvait pas à la maison ; la Misangère, à son sujet, posa quelques questions. Miraine répondit en louant très fort le caractère de sa servante et son habileté à l’ouvrage ; elle était heureuse de montrer qu’elle était bonne patronne et facile à contenter.

— Chez nous, dit la Misangère, cette fille paraissait d’un naturel un peu renfermé.

— Eh bien, répliqua l’autre, c’est tout le contraire ici !… Et pourtant, la maison n’est pas gaie !…

Ayant ainsi parlé, elle murmura :

— Attrape, la Grande Hortense !

La Misangère s’en alla là-dessus, non point fâchée, mais heureuse au contraire et comme rajeunie.

Elle était encore en vue de Saint-Jean, sur la route d’eau qui va vers Sérigny, lorsqu’elle aperçut Francine qui revenait par un fossé de traverse. La Misangère laissa glisser son bateau près de la berge ; de là, elle observa.

Francine pagayait lentement et semblait plongée en de tristes réflexions. Passant dans un rais de lumière, elle leva un peu la tête et son visage apparut, un pauvre visage marqué par la douleur… Puis elle disparut derrière une rangée d’arbres aux têtes basses et feuillues.

La Misangère continua son chemin ; elle songeait :

— Je ne l’ai vue que de loin pendant une demi-minute peut-être… Je l’ai très mal vue. Elle paraît un peu pâle, mais le Marais est malsain pour ceux qui n’ont pas l’habitude d’y vivre. Et puis elle a dû beaucoup travailler ; elle est sans doute lasse, tout simplement. Si elle était si triste, on le saurait bien ! Pourquoi Maxime, pourquoi Miraine m’auraient-ils menti ?

Elle se donnait toutes ces mauvaises raisons pour éloigner ses doutes, pour chasser son remords en un moment qui, pour elle, était grave et beau. Car Georges allait revenir !… revenir abimé par sa blessure, avec une jambe qui demeurerait traînante, mais enfin revenir pour toujours. Et Marguerite l’attendait, si bonne, si brave, et maintenant si gaie !… On allait, sans retard, fiancer ces deux enfants. Première joie après tant de peines ; première joie après les grands deuils.

« Georges revient et la noce sera bientôt. »

Glissant par les fossés entre la double rangée d’arbres feuillus, Francine, tout comme la Misangère, se répétait ces mots ; mais, pour elle, ils étaient d’une atroce cruauté. Elle venait de rencontrer Maxime au Marais et le garçon lui avait appris la nouvelle. Une douleur aiguë l’avait surprise, l’avait traversée comme une lame. Pour cacher son mal, elle s’était enfuie… Et maintenant elle rentrait au village, péniblement, sans force, sans courage, l’âme grelottante.

Francine connut encore quelques jours des plus tristes. Son grand chagrin était revenu, glacé, morne, noir et il l’accablait. Elle abandonna le trousseau si fiévreusement commencé, négligea toutes les précautions qu’elle prenait d’habitude.

Elle ne s’inquiétait plus de l’avenir ; la prière même ne lui était plus un baume. Pour un rien, elle fût partie, droit devant elle, à l’aventure. Une semaine pasea ainsi.

Le dimanche, à la prière de sa patronne qui la chargea de commissions, Francine prit place dans la voiture d’une voisine et se rendit à la ville.

La voisine allait simplement au marché et désirait ne point s’attarder plus qu’il ne serait nécessaire. Francine, au lieu d’entendre la messe, comme elle se l’était proposé, fit donc rapidement ses courses ; puis elle se hâta vers l’Hospice… Puisqu’elle se trouvait là, elle voulait revoir Sœur Angélique ; un besoin de s’épancher encore une fois la portait !

Elle arriva, essoufllée, sous le porche, fila sans attendre, comme une qui sait son chemin. Elle n’alla pas loin : une religieuse, sortant du pavillon des opérés, lui apprit que sœur Angélique était morte.

Francine répéta :

— Morte !… Morte !…

Mais l’autre la regardait, impassible, les yeux froids ; elle se trouva soudain honteuse, sans savoir pourquoi et presque effrayée. Elle sortit de l’Hospice tout de même qu’elle y était entrée, très vile, sans parler à personne.

Puis elle marcha au hasard par les rues, les veux vagues, la figure penchée.

Sœur Angélique était morte ! Il n’y avait donc plus personne sur la terre, à présent, pour écouter sa plainte.

Francine marchait lentement, sans regarder les gens.

Pourtant, à un carrefour, elle leva la tête pour reconnaître où elle se trouvait. Alors elle vit venir dans sa direction un homme à barbiche blanche dont la figure lui était connue : c’était cet employé-chef du bureau de l’Assistance qui lui avait aimablement parlé, en lui remettant ses papiers au jour de sa majorité. Par ce beau dimanche luisant et tiède, le bonhomme allait à la promenade ; à côté de lui, une dame de ville, un peu lourde et âgée, sa femme sans doute, marchait à petits pas.

Francine changea de trottoir, mais l’employé l’avait également reconnue ; quand il la croisa, il sourit et leva son chapeau avec autant de politesse que s’il se fût trouvé devant une personne d’importance. Elle rendit le salut et passa vite… Elle passa vite et puis, aussitôt après, ralentit son allure, se retourna : juste à ce moment la dame regardait en arnière, elle aussi…

Francine continua son chemin, troublée par cette rencontre. La bonté de cet employé lui revenait en mémoire. C’était, à la ville, la seule personne qu’elle connût à présent ; c’était, par le monde, la seule personne capable de s’intéresser à son sort et de lui donner des conseils de raison. Ne lui avait-il pas dit :

— Si, quelque jour, vous avez des ennuis, n’oubliez pas que nous restons à votre disposition.

Eh bien ! elle avait de graves ennuis, elle perdait la tête, ne savait comment s’en tirer…

Comme une personne en danger de se noyer se raccroche à tout ce qui passe à portée de sa main, Francine, dans sa détresse, souhaita revoir cet homme et lui parler ; ce fut un désir brusque, instinetif, auquel elle ne résista point.

N’osant cependant revenir franchement sur ses pas, elle fit un détour et, quelques minutes plus tard, elle se trouva bien devant ceux qu’elle cherchait. Ils s’arrêtèrent, un peu surpris. L’homme donna le bonjour en faisant une petite révérence, puis il dit à sa femme :

— Mlle Riant… Francine Riant, je crois. Une de nos filles… et des meilleures !

Toujours avec son sourire affable, il continua de tourner son compliment.

— Je dis « mademoiselle » Riant !… je me trompe, sans doute ?.… C’est « madame » qu’il faut dire. Vous m’aviez annoncé votre mariage — oh ! j’ai bonne mémoire !… vous m’aviez annoncé votre mariage, tout en faisant sonner vos écus…

Pendant qu’il parlait, Francine détournait les yeux ; les coins de sa bouche frémirent et s’abaissérent. La voyant ainsi prête à pleurer, il comprit qu’il avait fait fausse route et changea de ton aussitôt.

— J’espère que vous allez bien, dit-il, et que vous êtes heureuse…

Elle répondit :

— Non, monsieur, je ne suis pas heureuse.

— Oh ! oh !… fit-il en jetant un coup d’œil vers sa femme.

Île marchèrent ensemble, Francine au milieu, vers une petite place que l’on voyait au bout de la rue ; puis, devant la grille d’un jardinet, l’homme dit, après avoir, encore une fois, consulté sa femme du régard :

— Voici où nous habitons ; vous devriez entrer chez nous et nous conter cette affaire… peut-être pourrions-nous vous aider…

— Entrez donc ! dit à son tour la dame.

Francine ne se fit pas prier. Sur un banc, à l’ombre d’un arbuste poussiéreux, tous les trois prirent place ; et l’homme demanda tout de suite :

— Pourquoi done n’êtes-vous pas heureuse ?

Francine répondit :

— Il m’a abandonnée !

— Tant pis pour lui ! fit-il. Ne le regrettez pas : c’est un sot !

La dame continua ainsi :

— Ce n’est pas une raison pour se désoler… À votre âge et jolie comme vous êtes, un prétendant n’est pas difficile à remplacer.

Mais en parlant sur ce ton jovial, tous les deux, à la dérobée, examinaient Francine affaissée sur le banc. Car ils avaient entendu plus d’une plainte semblable à celle-ci… Leurs regards apitoyés se eroisèrent : ils avaient la même idée.

Francine, tremblante, balbutia :

— Je comptais l’épouser… et il m’a abandonnée… et puis maintenant…

Alors les deux autres parlèrent en même temps :

— Oui… oui… ma pauvre enfant !

Il y eut un silence assez long. Le vieil employé serrait l’une dans l’autre ses mains dont les jointures craquaient comme du bois sec. Il se mit à jurer à mi-voix, durement par le tonnerre et les sacrés noms. La dame protesta :

— Oh ! Edgard !

Mais il n’en continua pas moins à serrer les mâchoires et à médire tout bas contre de sales lâchetés qui se renouvelaient trop souvent ; il estimait que, dans un pays vraiment civilisé, il devrait y avoir des prisons spéciales où l’on traiterait certains goujats selon leur mérite.

Se tournant vers Francine, il parla directement.

— Alors, il vous a abandonnée… carrément abandonnée… Il n’y a plus rien à faire ?

— Il se marie bientôt, répondit-elle ; il se marie avec une fille de son pays.

Il reprit d’une voix amère :

— Ce garçon-là, bien entendu, a fait comme les autres : il a cessé de vous voir dès qu’il a connu votre position.

Comme Francine baissait la tête et gardait le silence, il insista :

— C’est bien cela, n’est-ce pas ?

— Il est reparti à la guerre… et, à mes lettres, il n’a jamais répondu…

— Le lâche ! interrompit la dame.

Mais Francine continua :

— Non ! il n’est sans doute point lâche… mais ce n’est pas moi qu’il aime.

— S’il n’avait pas été lâche… quand vous lui avez écrit.

Francine baissa davantage la tête et avoua dans un souffle :

— Il n’en sait rien… personne n’en sait rien. Je ne l’ai pas dit…

Les deux autres s’étonnèrent et firent un peu de bruit. À quoi pensait-elle ? N’était-ce pas folie ? et même folie coupable. Si le garçon eût été prévenu, qui sait si sa conduite n’eût pas été toute différente ?

Francine dit à voix basse :

— Du moment qu’il en aime une autre…

Mais le vieil employé fit un grand geste de sa main maigre comme pour renverser cette pitoyable raison.

— S’il vous plaît, ma fille, parlons sérieusement ! Vous n’avez plus quinze ans, vous devez regarder un peu plus loin que le bout de votre petit nez… Il n’y a pas que vous seule en jeu ! Vous m’obligez à dire les choses tout net ! Votre enfant… oui ! là !… avez-vous songé à votre enfant ? L’abandonnerez-vous ? pour qu’il soit ce que vous avez été ?

Francine releva brusquement la tête ; sa réponse jaillit :

— Cela non ! non ! jamais !

— Très bien ! mais comment arrangerez-vous votre vie ? Vous n’êtes pas la première à vous trouver dans ce cas et je sais bien, moi, comment les choses se passent, souvent… Que ferez-vous de votre enfant ?

Elle regarda l’homme bien en face avec des yeux brillants.

— Je l’élèverai ! J’ai de l’argent pour cela, beaucoup d’argent… Je travaillerai, je me priverai de tout pour qu’il soit bien… Je ne serai plus seule… C’est bien mon tour d’avoir de la compagnie ! Il portera mon nom, monsieur, et il me défendra… oui ! il me défendra !

Les derniers mots passèrent avec un frémissement passionné qui commandait le silence. La dame détourna la tête, sortit son mouchoir, à la dérobée. Le vieil employé fit la grimace et, par deux ou trois fois émit une petite toux qui ne rimait à rien ; au bout d’un moment, sa voix raisonneuse s’éleva encore.

— Vous garderez votre enfant ! c’est bon !… Vous avez beaucoup d’argent ! Ma pauvre fille, vous ne savez pas ce que c’est que l’argent… Il y a encore une chose à laquelle vous n’avez pas pensé : si vous veniez à disparaître… oui, à mourir ?…

Francine, de nouveau, avait baissé les yeux. L’employé et sa femme se firent pressants. Il fallait tout de suite écrire à ce jeune homme, ou bien le voir, lui parler… Si ce n’était pas possible, il fallait s’adresser à sa famille. Tout commandait d’agir sans retard.

Francine ne bougeait pas, semblait ne pas entendre.

— Cette démarche est difficile… elle vous ennuie, je le comprends bien. Voulez-vous que je m’en charge, moi ? Donnez-moi le nom de ce garçon.. ou bien, si vous le préférez, j’écrirai à la famille… il a bien des parents !… Je leur dirai juste ce qu’il faut… voulez-vous ?

Elle fit « non » plusieurs fois, de la tête, et, comme il insistait encore, elle répondit :

— La famille m’a rejetée déjà.

Le vieil employé se mit presque en colère,

— Mais enfin, vous ne comprenez done pas que la situation est changée ? Vous êtes un peu têtue ! Tant pis pour vous, à la fin, si vous en pâtissez !

Et la dame de son côté :

— Puisque vous ne voulez pas que l’on parle pour vous, faites-le vous-même | Il faut absolument que ce jeune homme soit prévenu… Vous avez beaucoup trop tardé.

Alors Francine, sembla se décider tout d’un coup :

— Eh bien oui ! dit-elle. Il revient de l’armée ces jours-ci ; peut-être même est-il déjà revenu… Je lui parlerai donc !

Les deux autres parurent contents.

— Comme vous avez bien fait de nous confier vos peines ! disait la dame,

Son mari faisait craquer ses mains et approuvait,

— Oui, vous avez bien fait !… et si quelque chose vous ennuie encore, revenez sans crainte !

Ils voulurent la questionner sur le pays où elle vivait, sur sa patronne, sur son travail ; mais Francine se rappela qu’elle était attendue ; elle se leva, remercia du mieux qu’elle put et sortit en hâte.

En se dirigeant vers l’auberge, elle songeait :

— Ils ont raison : je suis coupable grandement… J’aurais dû le prévenir… je le ferai aussitôt que possible.

Elle songeait en même temps que c’était une tâche bien pénible ; pour s’affermir, elle murmurait les sourcils froncés.

— Je lui parlerai !… oui, je lui parlerai !

Et elle relevait la tête d’un air décidé.

Juste à ce moment, un groupe parut au bas de la place, se dirigeant vers les rues marchandes. Francine tressaillit.

Îl y avait là Maxime, sa mère, Lucien, puis Marguerite en costume clair, comme habillée de joie ; il y avait aussi Georges en habit fringant de soldat… Georges s’appuyait sur une canne mais portait haut sa tête rieuse.

Francine comprit que tout ce monde était venu à la ville pour les achats des fiançailles. Son courage s’évanouit ; elle n’eut plus qu’une idée : tirer au large, disparaître. De peur d’être reconnue, elle se sauva sans regarder derrière elle.

Quand elle arriva à l’auberge, après un long détour, le cheval était attelé déjà ; la voisine, impatiente, montra un peu d’humeur, Ce ne fut pas seulement pour la contenter que Francine monta vite. Tassée dans la voiture, elle tenait sa main devant son visage, pour couper le vent, disait-elle, Elle ne se redressa qu’une fois franchies les barrières de la ville.

Son cœur, alors, battit plus bravement ; elle murmura encore :

— Oui ! je lui parlerai !