Les Honnêtetés littéraires/Édition Garnier/25

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Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 26 (p. 157-158).

VINGT-CINQUIÈME HONNÊTETÉ.
FORT MINCE.

Cette vingt-cinquième honnêteté est celle d’un nommé Larnet, prédicant d’un village près de Carcassonne en Languedoc[1]. Ce prédicant a fait un libelle de Lettres en deux volumes, contre sept ou huit personnes qu’il ne connaît pas, dédié à un grand seigneur qu’il connaît encore moins. Ces écrivains de lettres ont toujours des correspondants, comme les poëtes ont des Phyllis et des Amarantes en l’air. Larnet commence par dire, page 50, que c’est le pape qui est l’antechrist. Oh ! accordez-vous donc, messieurs ; car l’abbé Guyon assure qu’il a vu l’antechrist dans son château[2] auprès de Lausanne. Or l’antechrist ne peut pas siéger à Lausanne et à Rome : il faut opter ; il n’appartient pas à l’antechrist d’être en plusieurs lieux à la fois.

Le prédicant appelle à son secours le pauvre Michel Servet, qui assurait que l’antechrist siège à Rome. Si c’était le sentiment du sage Servet, il ne fallait donc pas que de sages prédicants le fissent brûler ; mais,

Ami, Servet est mort, laissons en paix sa cendre [3].
Que m’importe qu’on grille ou Servet ou Larnet ?

Tout cela m’est fort égal. Il est un peu ennuyeux, à ce qu’on dit, ce Larnet, prédicant de Carcassonnc en Languedoc. Cependant il a quelques amis. M. Robert Covelle, qui joue, comme on sait, un grand rôle dans la littérature, lui est fort attaché. Dans le dernier voyage que M. Robert fit à Carcassonne, il dédia à son ami Larnet une petite pièce de poésie intitulée Maître Guignard, ou de l’Hypocrisie. Cette épîtrc n’est pas limée. M. Covelle est un homme de bonne compagnie, qui hait le travail, et qui peut dire avec Chapelle :

Tout bon fainéant du Marais
Fait des vers qui ne coûtent guère :
Pour moi c’est ainsi que j’en fais ;
Et si je les voulais mieux faire,
Je les ferais bien plus mauvais[4].

  1. Sous le nom de Larnet, Voltaire désigne Vernet, auteur des Lettres critiques d’un voyageur anglais ; voyez tome XXV, pages 492-93.
  2. Voyez la page précédente
  3. Parodie d’un vers d’OEdipe, acte IV, scène ii ; voyez tome Ier du Théâtre.
  4. Après ces vers de Chapelle, dans l’édition originale des Honnêtetés littéraires on lisait :

    « Voici donc le petit morceau de M. Robert Covelle pour égayer un peu cette
    triste liste des honnêtetés littéraires. Sans enjouement et sans variété vous ne
    tenez rien. »

    Puis on lisait la satire intitulée Éloge de l’Hypocrisie (voyez tome X), mais
    sous le titre de : Maître Guignard, ou de l’Hypocrisie, diatribe par M. Robert
    Covelle, dédiée à M. Isaac Bernet, prédicant de Carcassonne en Languedoc
    . (B.)