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Les Lettres de Mme de Grignan/02

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LES LETTRES
DE
MADAME DE GRIGNAN

II ;[1]
DE 1677 A 1694.


I

C’est le 6 juin 1677 que la correspondance recommence entre Mme de Sévigné et sa fille. La séparation, comme toujours, avait été cruelle. Mme de Grignan avait pleuré en quittant sa mère, ce qui était rare : « C’est une affaire pour vous ; pour moi, c’est mon tempérament. » Mme de Sévigné, sans sa fille, se trouvait « toute seule, toute nue. » Mais un nouveau sujet de chagrin s’ajoutait à celui-là : l’inquiétude sur la santé de Mme de Grignan : « Votre poitrine me tient fort au cœur[2]. » C’est le sujet de bien des plaintes. Elle craint que ce ne soit une grande fatigue pour sa fille d’écrire si souvent et si longuement : « Je me suis fâchée que vous m’ayez écrit une si grande lettre en arrivant à, Melun. » Le plus triste de ces séparations, c’est qu’elles étaient nécessaires. Les humeurs étaient si peu concordantes que ces deux femmes, si attachées qu’elles fussent l’une à l’autre, ne pouvaient s’entendre que de loin. C’était un sujet de remords de part et d’autre : « Ne nous mettons plus dans le cas, disait Mme de Sévigné, toute prête à s’accuser la première, qu’on vienne nous faire l’abominable compliment de nous dire avec toute sorte d’agrément que, pour être fort bien, il ne faut nous revoir jamais. » La santé de Mme de Grignan souffrait et de son tempérament contenu et des tendres importunités de sa mère : « Ah ! ma fille, nous étions d’une manière sur la fin qu’il fallait faire comme nous avons fait. Dieu nous montrait sa volonté par cette conduite ; mais il faut voir s’il ne veut pas bien que nous nous corrigions. Faisons nos réflexions, chacune de notre côté, afin que, quand il plaira à Dieu que nous nous retrouvions ensemble, nous ne retombions point dans de pareils inconvéniens. » Mme de Grignan, affranchie de la contrainte qui pesait sur elle en présence de sa mère, avait éprouvé du soulagement pendant ce long voyage : « Il faut des remèdes extraordinaires aux personnes qui le sont ; les médecins n’eussent jamais imaginé celui-là. » Mme de Grignan, de son côté, écrivait à Corbinelli et se plaignait à lui en riant des inquiétudes excessives de sa mère, qui, la troublant elle-même, rejaillissaient sur sa santé ; elle eût voulu que celui-ci fît retomber sur sa mère une partie de ses propres torts. Mais ce sage ami lui répondait avec une rude franchise et se refusait à cette petite complicité : « Non, madame, je ne gronderai pas Mme votre mère ; elle n’a pas tort, et c’est vous qui l’avez. Où diable avez-vous vu qu’elle veuille que vous soyez aussi rondelette que Mme de Castelnau ? N’y a-t-il pas de degré entre votre maigreur excessive et un pâton de graisse[3] ? .. Est-ce ainsi qu’un prodige doit raisonner ? Vous moquez-vous encore de mettre M. de Grignan aux prises avec Mme de Sévigné ! Vous me faites une représentation fort plaisante de la cascade de vos frayeurs, dont la réverbération vous tuait tous trois. Ce cercle est funeste, mais c’est vous qui le faites. Je suis mal content de vous ; je ne vous trouve point juste ; je suis honteux d’être votre maître. Si votre père Descartes le savait, il empêcherait votre âme d’être verte, et vous seriez bien honteuse qu’elle fût noire. » Cependant, une fois loin de Paris, il semble que Mme de Grignan se laissait aller bien sincèrement au charme de sa mère, et oubliant ces petites discordes, dont elle était à la fois la cause et la victime, elle jouissait de ce ravissant esprit qui se dépensait tout entier pour elle ; elle se remettait à désirer d’être ensemble : « Vous me dites mille douceurs sur l’envie que vous avez de faire un voyage avec moi, et de causer et de lire ! .. Il y a une personne qui me disait l’autre jour qu’avec toute la tendresse que vous avez pour moi, vous n’en faites pas le profit que vous pourriez en faire ; mais c’est une folie que je vous dis là ; et je ne voudrais être aimable que pour être autant dans votre goût que je suis dans votre cœur. »

Ce fut quelques jours après son retour que Mme de Grignan perdit le pauvre enfant né avant terme dont nous avons parlé plus haut. Cette perte, à laquelle ; on s’attendait, paraît avoir été supportée assez facilement par sa mère, qui n’avait pas affecté un excès de sensibilité. Aussi Mme de Sévigné lui écrivait-elle : « Je ne sais où vous prenez cette dureté : je ne la trouve que pour vous ; mais pour moi et pour tout ce que vous devez aimer, vous n’êtes que trop sensible ; vous en êtes dévorée et consumée. » Doit-on croire que c’est ici la mère qui prête sa sensibilité à sa fille, ou ne serait-ce pas qu’elle la connaissait mieux qu’elle ne se connaissait elle-même, qu’elle la voyait souffrir d’une sensibilité au dedans qui ne sait point s’épancher et qui se dévore et se consume elle-même ? On voit encore que les autres enfans ne souffrirent pas beaucoup de la perte de leur frère : « Je suis étonnée que le petit marquis et sa sœur n’aient point été fâchés du petit frère ; cherchons un peu où ils auraient pris ce cœur tranquille. » Mme de Grignan trouvait dans le christianisme une source de consolation : « Vous dites si bien : Il faut faire l’honneur au christianisme de ne pas pleurer le bonheur de ces petits anges. » Après la perte de cet enfant, Mme de Grignan avait encore auprès d’elle, pour se consoler, son fils le marquis, et sa fille Pauline, plus tard Mme de Simiane. Mais elle craignait dans son austérité de se laisser aller à l’amour maternel ; elle semblait y voir une faiblesse ; sa mère, au contraire, la rassurait et l’encourageait tendrement : « Aimez, aimez Pauline ; donnez-vous cet amusement ; ne vous martyrisez pas à vous ôter cette petit » personne. Tâtez, tâtez un peu de l’amour maternel. On le doit trouver assez joli quand c’est un choix du cœur. » Pendant que Pauline était auprès de sa mère, Marie-Blanche était au couvent ; et sa mère n’était pas sans en souffrir quelque peu ; car Mme de Sévigné lui écrivait : « Vous m’attendrissez pour la petite ; je la crois jolie comme un ange, vos filles d’Aix vous la gâteront entièrement ; du jour qu’elle y sera, il faudra dire adieu à tous ses charmes. Me pourriez-vous pas l’amener ? Hélas ! on n’a que sa pauvre vie en ce monde : pourquoi s’ôter ces petits plaisirs-là ? »

La perte d’un petit enfant n’empêchait pas les contes un peu gaillards d’aller leur train : on sait que les deux dames ne s’en faisaient pas faute quand elles en trouvaient l’occasion. C’est à une histoire de ce genre racontée par Mme de Grignan que sa mère fait allusion dans le passage suivant : « Nous avons ri aux larmes, le bon abbé et moi, de l’histoire de la petite Madeleine. Vraiment, c’est bien à vous à dire que vous ne savez point narrer et que c’est mon affaire. Je vous dis que vous conduisez toute la dévotion de la petite Madeleine si plaisamment que ce conte ne doit rien à celui de cette hermitesse dont j’étais charmée. Je trouve que les hermites jouent de grands rôles en Provence. » Charles de Sévigné[4], prenant la plume après sa mère, s’égayait à son tour sur ce sujet : « Nous sommes tous fort édifiés de la dévotion de la petite Madeleine. Vous voyez bien qu’il n’est ferveur que de novice… Voyez où l’a jetée l’extrémité de son zèle. J’en souhaite autant à notre petite Marie ; mais je voudrais bien qu’elle me prît pour son hermite. »

Pour se distraire, pendant son voyage, d’une longue traversée sur la Saône, Mme de Grignan, avait lu le traité du père Le Bossu sur le Poème épique, mais elle n’en avait pas été charmée. Elle était peu sensible aux beautés épiques de l’antiquité. Dans la fameuse querelle, elle serait plutôt pour les modernes contre les anciens. Sa mère la renvoyait pour ce débat au marquis de Sévigné : « Mon fils vous répondra surtout ce que vous dites du poème épique. Je crains qu’il ne soit de votre avis par le mépris que je lui ai vu pour Énée. Cependant, tous les grands esprits sont dans le goût de ces anciennetés. » Mme de Sévigné, en sa qualité d’ancienne précieuse, n’est pas loin de penser comme sa fille : « Je crois, ma fille, que je serais fort de votre avis sur le poème épique : le clinquant du Tasse, m’a charmée ; je m’assure pourtant que vous vous accommoderez de Virgile. » Les héros d’Homère paraissaient grossiers à Mme de Grignan et elle en parlait sans respect : « Vous nous les ridiculisez extrêmement. Nous trouvons, comme vous dites, qu’il y a de la feuille qui chante à ce mélange des dieux et des hommes. Cependant il faut respecter le père Le Bossu. » — Elle lui dit encore : « Vous avez fait une rude campagne dans l’Iliade. » Cependant le marquis, de Sévigné, malgré ce qu’avait prédit sa mère, était du parti des anciens et me pardonnait pas l’hérésie de sa sœur : « Ne lisez point Virgile, lui écrivait-il ; je ne vous pardonnerais pas les injures que vous pourriez lui dire. Cependant si vous pouviez vous faire expliquer le sixième livre, et le neuf, où est l’aventure de Nisus et d’Euryale, vous y trouveriez du plaisir. Turnus vous paraîtrait digne de votre amitié ; et je craindrais fort pour M. de Grignan si un pareil personnage venait aborder en Provence. Je vous souhaiterais du meilleur de mon cœur une telle aventure ; puisqu’il est écrit que vous devez avoir la tête tournée, il vaudrait mieux que ce fût de cette sorte que par l’indéfectibilité de la matière et les négations non conversibles. » Mme de Grignan, en effet, aimait mieux la philosophie que la poésie, et, si elle avait la tête tournée, c’était de ce côté-là. Elle était tenue au courant par Corbinelli des discussions philosophiques qui avaient lieu à Commercy, chez le cardinal de Retz, et dont le principal héros était dom Robert ou dom Desgabets[5], que Mme de Grignan appelait « un éplucheur d’écrevisses. » Elle entendait par là un faiseur de difficultés. Mme de Sévigné la trouvait bien indulgente : « Seigneur Dieu ! s’il introduisait tout ce que vous dites : plus de jugement dernier ; Dieu auteur du bien et du mal ; plus de crimes ! appelleriez-vous cela éplucher des écrevisses ? »

Dans les lettres suivantes, nous avons la bonne fortune de trouver des paroles textuelles de Mme de Grignan, qui peuvent nous donner quelque idée de son style : « Je reprends, ma fille, les derniers mots de votre lettre ; ils sont assommans : vous ne sauriez plus rien faire de mal, car vous ne m’avez plus ; j’étais le désordre de votre esprit, de votre santé, de votre maison ; je ne vaux rien du tout pour vous. » Dans la même lettre, Mme de Sévigné cite encore ces paroles de sa fille qui témoignent d’un bien grand désenchantement de la vie : « Quand la vie et les arrangemens sont tournés d’une certaine façon, qu’elle passe donc cette vie, tant qu’elle voudra et même le plus vite qu’elle pourra. » En lisant de telles paroles, d’un ton si différent de celles de M’ne de Sévigné, comment ne pas regretter une correspondance qui nous eût fait connaître à vif une personne si originale et qui écrivait d’une manière si mâle et si hardie ! Citons encore une autre parole de Mme de Grignan qui mérite d’être retenue. Elle disait que l’amitié se montre surtout dans les petites choses ; dans les grandes, l’amour-propre a trop de part ; et a l’intérêt de la tendresse est noyé dans celui de l’orgueil. » Nous avons bien ici le texte même de Mme de Grignan ; car Mme de Sévigné ajoute : « Voilà une pensée ! »

La séparation de Mme de Sévigné et de sa fille ne fut pas cette fois de longue durée. Partie de Paris au mois de juin 1677, elle y retourne en octobre et y passe deux ans entiers. Ce long séjour fut malheureusement comme le précédent, semé de nuages et d’orages ; et aussi, comme par le passé, une fois séparée de sa mère, Mme de Grignan se repentait et se faisait mille reproches amers de n’avoir pas su jouir de ce temps de vie commune comme elle l’aurait dû. On finit par être touché de ces plaintes, qui paraissent avoir été sincères et qui sont le retour d’une humeur qui n’avait pu se changer et se maîtriser : « Je n’ai pu voir tout ce que vous me dites de vos réflexions et de votre repentir sur mon sujet sans fondre en larmes. Ah ! ma très chère ! que voulez-vous dire de pénitence et de pardon ? » Le mal était toujours le caractère contenu et intérieur de Mme de Grignan, qui ne savait ou ne pouvait s’épancher : « Si votre cœur était un peu plus ouvert, vous ne seriez pas si injuste. Partez, éclaircissez-nous ; on ne devine point… L’on se trouve toujours bien d’avoir de la sincérité. » Il y avait donc eu des picotemens de la fille à la mère ; car celle-ci lui demande « de réparer les petites injustices qu’elle lui avait faites. » Mais, quels que pussent être ces torts, Mme de Grignan les avouait et s’en confessait avec humilité et tendresse : « Ne me dites plus que je vous regrette sans sujet : où prenez-vous que je n’en aie pas tous les sujets du monde ? .. Soyez bien assurée que mon amitié, que vous appelez votre bien, ne vous peut jamais manquer. » Bien loin de triompher de ce retour de sa fille, Mme de Sévigné essayait au contraire d’adoucir ce qu’il pouvait avoir d’amer, en feignant d’avoir tout oublié : « Je ne me souviens plus de tout ce qui m’avait paru des marques d’éloignement et d’indifférence ; .. il me semble que cela ne vient pas de vous, et je prends toutes vos tendresses, et dites et écrites, pour le véritable fond de votre cœur pour moi. » Mme de Grignan remerciait sa mère du « retour » de son cœur. « Que veut dire retour ? Mon cœur n’a jamais été détourné de vous. Je voyais des froideurs sans pouvoir les comprendre, non plus que celles que vous aviez pour ce pauvre Corbinelli. » Mme de Sévigné n’était pas, en effet, la seule victime de l’humeur de la fille ; elle martyrisait aussi son pauvre maître de philosophie : « C’était une sorte d’injustice dont j’étais si bien instruite et que je voyais tous les jours si clairement qu’elle me faisait pétiller. Bon Dieu ! combien était-il digne du contraire ! »

Un autre sujet de conversation plus agréable entre les deux dames était la petite Pauline, que Mme de Grignan gardait auprès d’elle, et pour laquelle elle prenait un goût de plus en plus vif. Elle y voyait l’image de sa mère : « Je suis ravie, disait celle-ci, qu’elle vous fasse souvenir de moi ; vous me la dépeignez charmante, et je crois tout ce que vous m’en dites. » Pauline était demeurée au couvent pendant le temps que sa mère avait passé à Paris. Mme de Sévigné, qui n’aimait pas les couvens, se félicitait qu’elle n’y eût pas été gâtée. « Je suis étonnée qu’elle ne soit pas devenue sotte et ricaneuse dans ce couvent. Ah ! que vous avez bien fait, ma fille, de la prendre ! » Mme de Grignan, moins sévère qu’on ne l’aurait pu croire, ne craignait pas d’encourager ou du moins d’abandonner à lui-même le petit amour-propre de Pauline, et sa mère approuvait cette conduite : « Vous avez raison de supprimer la modestie de Pauline ; elle serait usée à quinze ans ; une modestie prématurée et déplacée pourrait faire de méchans effets. » Pauline écrit à sa grand’mère ; et déjà celle-ci parle « de son style. » C’est un don de famille[6]. Mme de Grignan ne jouissait toujours qu’avec quelques remords des plaisirs de la maternité. Elle racontait à sa mère et ses plaisirs et ses scrupules. Celle-ci la rassurait et la louait fort de jouer avec ses enfans. Voici un charmant tableau qui nous revient par ricochet : « Que vous avez bien fait de fourrer dans votre litière tous vos petits enfans ! La jolie petite compagnie ! Ne vous ôtez point toutes ces petites consolations. »

Il était si souvent question de la santé dans ces lettres qu’il est inutile d’insister sur ce sujet : ce serait toujours la même chose. Disons seulement que Mme de Grignan se félicitait en quelque sorte de ses maux, parce qu’ils occupaient assez sa mère pour lui faire oublier le chagrin de la séparation : « Votre poitrine est comme des morailles[7] qui m’empêchent de sentir le mal de ne vous avoir plus : je tiens de vous cette comparaison. » La poitrine allant mieux, Mme de Grignan disait à sa mère « qu’elle n’avait qu’à rire, puisqu’elle n’avait plus que l’absence à soutenir. » La préoccupation de sa santé avait conduit Mme de Grignan à l’étude de la médecine, et sa mère la félicitait de ce singulier goût : « Je suis persuadée qu’avec cette intelligence et cette facilité d’apprendre que Dieu vous a donnée, vous en saurez plus que les médecins ; il vous manquera quelque expérience ; et vous ne tuerez pas impunément comme eux ; mais je me fierais plutôt à vous qu’à eux… Apprenez, apprenez ; il ne vous faudra point d’autre licence que de mettre une robe comme dans la comédie. » Mme de Grignan, comme toutes les personnes qui se piquent de médecine, raisonnait sur son état : « Vous parlez de votre mal avec une capacité qui m’étonne. » Elle souffrait à la fois du vent du nord et du vent du midi, qui sont les deux fléaux de la Provence. Elle disait à sa mère : « La délicatesse de ma poitrine égale nos âges. »

Quelque chrétienne que fût Mme de Sévigné, elle avait une dévotion éclairée et élevée ; et cette dévotion s’entendait avec la philosophie de Mme de Grignan pour rejeter les sottes superstitions. Celle-ci lui avait décrit avec dégoût un dîner de trappistes. Elle lui répond : « Le dîner que vous me dépeignez est horrible ; je ne comprends pas cette sorte de mortification, c’est une juiverie, et la chose du monde la plus malsaine. » Elles avaient cependant l’une et l’autre des remords sur la tiédeur de leur dévotion ; et Mme de Grignan exprimait à sa mère sur ce sujet des pensées que celle-ci lui renvoyait en ces termes : « Je vous admire sur tout ce que vous dites de la dévotion. Eh ! mon Dieu ! il est vrai que nous sommes des Tantales : nous avons l’eau tout auprès de nos lèvres ; nous ne saurions boire. Un cœur de glace, un esprit éclairé ; c’est cela même[8]. » Ces derniers traits semblent bien être de Mme de Grignan, puisque sa mère ajoute : « C’est cela même. » Ces traits d’ailleurs désignent bien plus la dévotion de la fille que celle de la mère : celle-ci pouvait avoir en religion un cœur tiède, mais non un cœur de glace. La fille, au contraire, paraît n’avoir jamais vu dans la religion que le dogme et la pratique ; la pensée et la politique constituaient sa religion ; mais le cœur n’y a jamais été. Aussi n’aimait-elle pas à en parler : « Je parlerais longtemps là-dessus, et j’en eusse été ravie, quand nous étions ensemble, lui dit sa mène, mais vous coupiez court, et je reprenais tout aussitôt le silence. » Ainsi, ce n’étaient pas seulement des expansions indiscrètes et excessives qui glaçaient Mme de Grignan ; c’était la conversation elle-même quand elle touchait aux choses élevées et délicates. L’abondance de sa mère paraît lui avoir été pénible. C’est là unirait de caractère qui lui fait peu d’honneur et qui nous la rend peu agréable. Peut-être aussi était-ce la gêne où elle était en face d’elle-même en matière religieuse qui lui faisait éviter ces sujets. On n’a jamais su, peut-être n’a-t-elle jamais su ce qu’elle en pensait véritablement.

Citons bien vite quelques mots tendres et aimables pour compenser cette sécheresse. Mme de Grignan demandait à sa mère de lui faire cadeau d’une écritoire qu’elle aimait beaucoup : « Vraiment oui, je vous la donne, cette écritoire… Vous me ravissez en me priant absolument de vous la donner : je ne crois pas que ces deux mots se soient jamais trouvés ensemble. » Elle avait reçu la visite de deux conseillers bourguignons, dont le pays lui avait rappelé sa mère. « Vous avez donc fait quelque réflexion au pays de ces deux conseillers bourguignons : c’est le pays de ma mère. » Nous avons vu déjà, que Mme de Grignan n’aimait pas la vie, et elle exprimait à sa mère le désir de ne point lui survivre. Mme de Sévigné était profondément touchée de ce vœu triste et tendre : « Si j’avais un cœur de cristal où vous pussiez voir la douleur qui m’a pénétrée, vous connaîtriez avec quelle vérité je souhaite que la Providence ne dérange point l’ordre de la nature. » À ces traits vifs sortis du cœur se mêlaient toujours çà et là quelques réflexions philosophiques. Le jeu que Mme de Grignan aimait le mieux, parce qu’il convenait à son génie froid et calculateur, était le jeu des échecs : il lui fournissait matière à réflexions : « Vous me dites sur les échecs ce que j’ai souvent pensé ; je ne trouve rien qui rabaisse tant l’orgueil ; ce jeu fait sentir la misère et les bornes de l’esprit. » Le temps qui coule était aussi l’un des objets les plus habituels de pensées mélancoliques ; elle disait : « Il est quelquefois aussi bon de le laisser passer que de le vouloir retenir. » Voici encore une autre pensée, qui est devenue plus tard le motif du Diable boiteux de Le Sage : « Ce que vous m’avez mandé de ce monde qui paraîtrait un autre monde si on voyait le dessous des cartes de toutes les maisons me paraît une bien plaisante et bien véritable chose. »

Vers le mois de mai 1680, Mme de Sévigné part pour les Rochers, et sa fille se plaint vivement et spirituellement de ce surcroît de distance qui les sépare. Sa mère ne fait que la répéter : « Il me semble que je vous ai mandé tout ce que vous me dites sur la furie de ce nouvel éloignement : faut-il que nous ne soyons pas encore assez loin et qu’après mûre délibération, nous y mettions encore cent lieues volontairement ? Je vous renvoie quasi votre lettre ; c’est que vous avez si bien tourné ma pensée que je prends plaisir à la répéter. » Néanmoins, avec sa philosophie à la La Rochefoucauld, Mme de Grignan ajoutait qu’il y avait à tout des consolations : « Vous me dites fort plaisamment qu’il n’y a qu’à laisser faire l’esprit humain, qu’il saura bien trouver ses petites consolations et que c’est sa fantaisie d’être content. » Ailleurs elle avait déjà soutenu « qu’il n’y a pas d’absence, » voulant dire sans doute que des âmes qui sont pleines l’une de l’autre n’ont pas besoin d’être réunies en un point de l’espace et qu’elles ne sont jamais réellement absentes l’une pour l’autre. Mais Mme de Sévigné ne goûtait pas cette philosophie idéaliste : « Comment appelez-vous ce que l’on sent quand la présence est si chère ? Il faut par nécessité que le contraire soit bien amer. »

Quelque magnifique que fût la vie des grands seigneurs d’autrefois, elle était, au fond, assez misérable par la disproportion des ressources et des dépenses. Pendant l’hiver, M. et Mme de Grignan étaient obligés de vivre à Aix, qui était la capitale de leur gouvernement, et ils y faisaient des dépenses royales ; après l’hiver, il fallait revenir à leur château pour faire des économies. Mme de Grignan disait qu’elle aurait eu besoin « que l’année n’eût que six mois. » Mme de Sévigné n’aimait guère ce système. Elle trouvait que ce grand train était plutôt nuisible qu’utile au crédit de M. de Grignan : « Si cela servait à la fortune de quelqu’un de votre famille, je le souffrirais ; mais vous pouvez compter qu’en ce pays-ci (à la cour), vous serez trop heureuse si cela ne vous nuit pas. L’intendant ne parle que de votre magnificence, de votre grand air, de vos grands repas. Mme de Vins (la fille de Pomponne) en est tout étonnée, et c’est pour avoir cette louange que vous auriez besoin que l’année n’eût que six mois. Cette pensée est dure de songer que tout est sec pour vous jusqu’au mois de janvier. » Ainsi cette magnificence qui ruinait Mme de Grignan nuisait presque à son crédit, car on savait que sa fortune n’était pas en proportion. Elle n’y trouvait même pas l’avantage de s’y amuser et d’en tirer du plaisir ; car c’était une fatigue pour elle, et elle se retirait dans sa chambre pendant que ses hôtes s’amusaient à ses frais. Elle regrettait un peu ces dépenses quand elles étaient faites, aurait voulu être restée à Paris, et, dans son injustice, faisait retomber le tort de son départ sur tout le monde, et même sur sa mère : « Je voudrais bien que vous ne me missiez pas dans le nombre de ceux que vous trouvez qui souhaitaient votre départ. » Malgré ces dépenses excessives, on se plaignait encore à Aix « de la frugalité du régal. » Même la vie à Grignan n’était qu’une économie relative : « Vous savez bien que, quand nous étions seuls, nous étions cent dans votre château. » Mais Mme de Grignan ne voulait pas croire que « le nombre ôtât la douceur et le soulagement du bon marché. » Elle était un peu piquée des réflexions maternelles ; elle expliquait longuement la nécessité de toutes ces profusions, et sa mère s’excusait en répondant : « Je me suis dit tout ce que vous me dites ; mais on vous en parle pour entendre vos raisons. »

Ainsi, Mme de Grignan, malgré sa grandeur ou à cause d’elle, passait sa vie dans les soucis, et elle les approfondissait encore par la réflexion : « Vos rêveries ne sont jamais agréables ; vous vous les imprimez plus fort qu’une autre. » Elle ne trouvait même pas beaucoup de distraction dans la lecture, car elle n’aimait pas les lectures frivoles et divertissantes ; elle n’aimait que les pensées sérieuses, qui contribuaient à l’attrister : « Vos lectures sont trop épaisses, lui écrit sa mère ; vous vous ennuyez des histoires et de tout ce qui n’applique pas. C’est un malheur d’être si solide et d’avoir tant d’esprit. » Sur ce mot, Mme de Sévigné craint que sa fille ne s’effarouche et ne le prenne à mal ; elle se hâte de l’expliquer dans la lettre écrite le lendemain : « Vous croyez peut-être sur ce que je vous ai dit que vous aviez trop d’esprit, que je vais disant une sottise, dont vous m’accusâtes à Paris, qui est d’assurer comme une buse que ma fille est malade parce qu’elle a trop d’esprit. Je ne dis vraiment pas de ces fadaises-là. » On voit à quel point Mme de Sévigné a peur des petites susceptibilités de sa fille, celle-ci étant toujours prête à se raidir et à repartir. Cette injustice allait quelquefois jusqu’à faire des reproches à sa mère de la froideur de son attachement. C’est ainsi qu’a propos du surcroît de distance que le séjour des Rochers mettait entre elles, elle trouvait que sa mère « n’était pas assez touchée de cet éloignement. » Celle-ci s’étonnait avec raison d’un si singulier reproche. Peut-être venait-il d’un besoin subit de tendresse, car, en même temps, sa fille la priait « de l’aimer toujours davantage, et toujours davantage. »

On sait que la religion de Mme de Grignan n’était pas la même que celle de sa mère. Celle-ci était, au fond, très-janséniste et presque prédestinatienne, tant elle faisait la part grande à la volonté de la Providence. Mme de Grignan trouvait qu’on exagérait en ce sens et se plaignait de l’abus que l’on fait de l’intervention de Dieu dans les affaires humaines : « Vous dites que c’est pour se prendre à Dieu de tout. Lisez, lisez ce traité que je vous ai marqué, et vous verrez que c’est à lui, en effet, qu’il faut s’en prendre. » Sans doute, Mme de Grignan, avec son esprit philosophique et un peu profane, voulait qu’on réservât les causes secondes ; mais c’était là, pour sa mère, une pensée mondaine et trop peu religieuse : « On s’en tient ordinairement aux pauvres petites causes secondes, et l’on souffre avec impatience ce qu’on devrait recevoir avec soumission. » On devine que Mme de Grignan n’aimait pas à s’expliquer sur ces questions ; elle les éludait comme touchant « à des mystères inconcevables. » C’est ce qu’il est permis de conjecturer du passage suivant : « Je ne vous obligerai plus de répondre sur cette divine Providence, que j’adore et que je crois qui fait et ordonne tout : je suis assurée que vous n’oseriez traiter cette opinion de mystère inconcevable avec votre père Descartes ; ce serait que Dieu eût fait le monde sans régler tout ce qui s’y fait, qui serait une chose inconcevable. » Dans le fond, Mme de Grignan était pélagienne ; elle défendait le libre arbitre contre les excès jansénistes de Mme de Sévigné. « Mme de La Sablière, disait celle-ci, fait un bon usage de son libre arbitre ; mais n’est-ce pas Dieu qui la fait vouloir ? N’est-ce pas Dieu qui a tourné son cœur ? Si c’est là ce que vous appelez libre arbitre, ah ! je le veux bien. Nous reprendrons saint Augustin… Il appelle notre libre arbitre une délivrance et une facilité d’aimer Dieu parce que nous ne sommes pas sous l’empire du démon et que nous sommes élus de toute éternité. » À cette philosophie augustinienne Mme de Grignan opposait une philosophie stoïcienne : « Vous savez le dessous des cartes ; vous êtes bien plus sage, vous, ma fille, qui tâchez de trouver bon ce que vous avez et de gâter ce que vous n’avez pas. Vous vous dites que tous les biens apparens des autres sont mauvais ; vous les regardez par la facette la plus désagréable ; vous tâchez à ne pas mettre votre félicité dans ce qui ne dépend pas de vous. » Ce haut détachement stoïcien ne paraît pas avoir été fondé sur l’attente de la vie future, car sa mère lui écrit : « L’éternité me frappe un peu plus que vous ; » mais elle ajoute aussitôt : « C’est que j’en suis plus près. » Malgré sa résistance à la doctrine janséniste, Mme de Grignan s’était cependant mise à lire saint Paul et saint Augustin : « Vous lisez donc saint Paul et saint Augustin ! Voilà les bons ouvriers. » Sa mère saisit l’occasion pour lui prêcher le plus pur de la doctrine janséniste ; puis elle s’arrête, craignant de la blesser : « Je hais mortellement à vous parler de tout cela : pourquoi m’en parlez-vous ? » Et elle ajoute : « Je vous parlerai une autre fois de votre hérésie. » De quelle hérésie s’agissait-il donc ? De rien moins que de l’inutilité du baptême. On voit à quel point Mme de Grignan était pélagienne : Jésus-Christ étant mort pour sauver les hommes, pourquoi cette mort ne suffit-elle pas ? Mme de Sévigné répondait : « Non, ma fille, quand vous en devriez désespérer, la mort de Jésus-Christ me suffit pas sans le baptême : il le faut d’eau ou de sang ; .. rien du vieil homme n’entrera dans le ciel que par la régénération de Jésus-Christ. » On devine pourquoi Mme de Grignan « coupait court » sur ces matières : c’est qu’elle sentait en elle un fond de résistance et de libre pensée dont nous ne pouvons pas et dont elle ne pouvait pas elle-même sonder la profondeur, mais qui éclatait malgré elle de temps en temps. Cet esprit de libre pensée paraît d’ailleurs avoir été en s’accusant de plus en plus. N’y a-t-il pas du Voltaire dans cette allusion que Mme de Sévigné renvoie à sa fille : « Vous dites que vous ne parlez de la Providence que quand vous avez mal à la poitrine. » Sa mère la rappelait à de meilleurs sentimens qu’elle avait eus l’année précédente : « Pourquoi ne dites-vous plus, comme l’année passée, que nos craintes, nos raisonnemens, nos décisions, nos conclusions, nos volontés, nos désirs ne sont que les exécuteurs de la volonté de Dieu ? .. Je vous assure qu’il n’y a aucune expérience de physique qui soit plus amusante que l’examen et la suite et la diversité de tous nos sentimens. Ainsi vous voyez bien que Dieu le veut peut-être paraphrasé de mille manières. » Ce n’était pas seulement par philosophie que Mme de Grignan n’aimait pas à s’expliquer sur le jansénisme, c’était encore par politique ; sa mère le sentait bien, et lui disait : « Je vous admire, en vérité, d’être deux heures avec un jésuite sans disputer ; il faut que vous ayez une belle patience pour lui entendre dire ses fades et fausses maximes. Je vous assure que, quoique vous m’ayez souvent repoussée politiquement sur ce sujet, je n’ai jamais cru que vous fussiez d’un autre sentiment que moi, et j’étais quelquefois un peu mortifiée qu’il me fût comme défendu de causer avec vous sur une matière que j’aime, sachant bien qu’au fond de votre âme, vous étiez dans les bonnes et droites opinions… Puisque vous lisez les Épîtres de saint Paul, vous puisez à la source, et je ne veux pas dire davantage. »

Nous avons déjà cité quelques-uns des traits mordans et acérés qui échappent à Mme de Grignan, et qui sont d’une tout autre touche que les petites méchancetés enjouées de Mme de Sévigné. Voici encore un trait de ce genre que celle-ci reproduit littéralement : « Vous m’avez réjouie en me parlant de ces carmélites dont les trois vœux se sont changés en trois choses tout à fait convenables à des filles de sainte Thérèse : l’intérêt, l’orgueil et la haine. » Mme de Sévigné n’a pas de ces duretés cruelles ; elle les admire dans sa fille, mais elle ne les trouverait pas d’elle-même. Voici un autre mot, vraiment éloquent, mais qui, cette fois, aurait pu être de Mme de Sévigné, car on en trouve souvent de semblables chez elle : « Mon Dieu ! que vous dites bien sur la mort de M. de La Rochefoucauld et de tous les autres. On serre la file, il n’y paraît plus. » Ailleurs, ce sont des traits de gaîté dont nous ne comprenons pas très bien le sens : « La comparaison de Carthage[9] et de votre chambre est tout à fait juste et belle ; elle saute aux yeux. J’aime ces sortes de folies. » Peut-être est-ce une pensée de sa fille qu’elle lui renvoie en ces termes : « Ce que tu vois de l’homme n’est pas l’homme[10], » car elle ajoute aussitôt : « Si j’avais quelqu’un à m’aider à philosopher, je pense que je deviendrais une de vos écolières. » Mme de Grignan lisait des livres un peu surannés, que le goût vif et pur de Mme de Sévigné n’aimait guère : « Je ne prendrai pas votre père Sénaut[11]. Où allez-vous chercher cet obscur galimatias ? a Mme de Grignan aimait à citer ou à refaire des maximes de La Rochefoucauld. Celui-ci avait dit : « Nous n’avons pas assez de force pour suivre toute notre raison. » La comtesse retournait la proposition et disait : « Nous n’avons pas assez de raison pour employer toute notre force, » et sa mère trouvait qu’elle disait mille fois mieux que La Rochefoucauld. Une autre maxime fine et délicate est celle-ci : « Il est plus poli d’admirer que de louer. » Encore quelques paroles textuelles, d’un tour vif et mordant. À propos de la question de la régale, où le clergé de France prenait parti pour le roi contre le pape, c’est-à-dire contre lui-même, Mme de Grignan le comparait à la femme de Sganarelle, dans le Médecin malgré lui : « De quoi vous mêlez-vous, saint-père ? Nous voulons être battue ! » Et, à propos de la même querelle, où les évêques étaient divisés, elle remarquait que ceux-ci « se disaient autant de vérités que d’injures. »

Mme de Grignan, comme toutes les personnes dont l’amour-propre est très fier, aimait à se diminuer et à se rabattre elle-même pour ne pas être rabattue par autrui. Cette humilité voulue nous vaut, de la part de sa mère, un portrait d’elle, flatté sans doute, mais dont les traits essentiels paraissent vrais : « À qui en avez-vous, ma bonne, de dire pis que pendre de votre esprit si beau et si bon ? Y a-t-il quelqu’un au monde qui soit plus éclairé et plus pénétré de la raison et de vos devoirs ? Et vous vous moquez de moi, vous savez bien que vous êtes au-dessus des autres ; vous avez de la tête, du jugement, du discernement, de l’incertitude à force de lumières, de l’habileté, de l’insinuation, des desseins quand vous voulez, de la prudence, de la conduite, de la fermeté, de la présence d’esprit, de l’éloquence et le don de vous faire aimer quand il vous plaît, et quelquefois plus et beaucoup plus que vous ne voudriez ; pour tout dire, en un mot, vous avez du fond pour être tout ce que vous voudrez. » Tous ces traits accumulés répondent très bien à l’idée que l’on se fait de la grande dame, femme de tête, habile aux affaires, propre au gouvernement, connaissant les hommes et sachant user avec eux d’insinuation et d’adresse, un peu irrésolue par l’abondance des idées ; mais, après tout, ayant toujours une conduite ferme et suivie. Ajoutez-y le revers de la médaille : peu de tendresse, si ce n’est par élans subits ; point de grâce, de l’esprit par saillies, mais une certaine sécheresse ; peu de religion, une philosophie froide et raisonneuse ; dépensière et magnifique, et en cela seulement entraînée par la passion plus que la raison, mais la passion de la grandeur plus que de la jouissance ; au résumé, une femme de haut mérite, mais non pas égalé à sa mère, car celle-ci a poussé jusqu’au génie les qualités propres à la femme et a pu les répandre en abondance dans une œuvre de femme, tandis que Mme de Grignan, pour donner sa mesure, aurait dû avoir un plus vaste théâtre et être appelée, comme Mme de Maintenon ou la princesse des Ursins, au maniement des grandes affaires, au gouvernement d’un état. C’est probablement la disproportion de ses facultés et de son rôle qui la troublait et l’attristait. La correspondance, qui était le tout pour sa mère, n’était pour elle qu’un accessoire et peut-être un poids. Aussi, revenait-elle sans cesse sur la pauvreté, et la médiocrité de ses lettres ; elle les trouvait « insipides et sottes. » Sa mère lui répond : « Voilà deux mots qui n’ont jamais été faits pour vous. Vous n’avez qu’à penser et à dire : Tout est nouveau, tout est brillant, et d’un tour noble et agréable. » Tout en dépréciant ses propres lettres, elle avait des traits mordans pour caractériser celles des autres. Par exemple, elle disait que, dans les lettres de la princesse de Vaudemont, « tout était Brébeuf, » c’est-à-dire déclamatoire et emphatique, quoique la personne ne le fût pas : « Ah ! que la vision de Brébeuf est plaisante ! C’est justement cela : Tout est Brébeuf ! Cette application frappe l’imagination ; elle est juste et digne de vous. Il est vrai qu’il y a des gens dont le style est si différent qu’on ne les saurait reconnaître. »

Mme de Grignan annonce à sa mère qu’elle viendra bientôt à Paris : c’est un grand sujet de joie ; mais elle aimait à gâter ses joies, et, avant d’en jouir, elle en voyait la fin. La marquise lui reproche cet abus de philosophie : « Vous êtes si philosophe, ma très chère enfant, qu’il n’y a pas moyen de se réjouir avec vous ; vous anticipez sur vos espérances et vous passez par-dessus la possession de ce qu’on désire pour y voir la séparation. » Il semble même que Mme de Grignan se fît un système de mêler, à ses plaisirs des réflexions sérieuses « sur le mensonge éternel de nos projets. » Elle appelait cela « se laisser obscurcir, » dans la crainte d’un accident imprévu, « si la joie était toute pure et brillante. » Cette tournure d’esprit, qui rendait Mme de Grignan mécontente des choses, contribuait sans doute à la rendre aussi, comme nous l’avons vu, mécontente d’elle-même. Elle se voyait en noir et se jugeait sévèrement par excès d’idéal : « Vous êtes bien injuste dans le jugement que vous faites de vous ; vous dites que, d’abord, on vous croit assez aimable, et, qu’en vous connaissant davantage on ne vous aime plus ; c’est précisément le contraire. D’abord, on vous craint ; vous avez un air assez dédaigneux, on n’espère point être de vos amis ; mais, quand, on vous connaît, on vous adore et on s’attache entièrement à vous ; si quelqu’un paraît vous quitter, c’est parce qu’on vous aime et qui on est au désespoir de ne pas être aimé autant qu’on voudrait. » Dans le fait, y a-t-il un vrai désaccord entre ce portrait et celui que Mme de Grignan faisait d’elle-même ? Il nous semble que non. Ce charme qu’on trouvait d’abord dans son amitié, et ce refroidissement qui venait ensuite, parce qu’on n’était pas assez aimé, n’est-ce pas là, précisément, ce que disait la fière comtesse lorsqu’elle avouait que d’abord on la trouvait assez aimable, et qu’ensuite on ne l’aimait plus ? Il est vrai que Mme de Sévigné ajoutait un nouveau trait : c’est que ce n’était pas tout d’abord que l’on trouvait sa fille aimable ; son abord était plutôt dédaigneux. Ainsi, elle commençait par la froideur : quand on avait brisé cette première glace, on trouvait un fond qui faisait désirer d’entrer dans son amitié, c’est le moment où elle était aimable ; mais si l’on voulait aller plus avant, on rencontrait une nouvelle barrière de glace semblable à la première, et on se retirait. En un mot, malgré son esprit, malgré sa beauté, malgré la force de son caractère, il y avait en elle un froid qui éloignait la sympathie. Elle le savait, elle en souffrait, et elle le disait avec cette clairvoyance que donne la supériorité de l’esprit.

À propos de ces refroidissemens qui se produisent de temps en temps et quelquefois pour toujours dans les affections, Mme de Grignan disait que l’amitié était un vieux carrosse où il y a toujours quelque chose à refaire. Mme de Sévigné exprimait son étonnement de cette pensée : « Je croyais tout le contraire, et que ce fût pour l’autre (l’amour) que ces dégingandemens fussent réservés. » Ces plaintes de Mme de Grignan sur les relâchemens de l’amitié pouvaient se rapporter soit à sa dame de compagnie Montgobert, soit à un voisin et ami, M, de Lagarde. Pour la première, nombre de lettres sont remplies d’allusions à ses jalousies et à ses froideurs. Mme de Sévigné, indulgente et voyant dans les cœurs, attribuait ces petites sécheresses à un excès d’attachement qui ne se trouvait pas satisfait. Elle conseillait d’aller droit à la source du mal par une explication franche et cordiale. Mme de Grignan y répugnait, toujours par la même cause, le défaut d’expansion. Il semble cependant que cette explication ait eu lieu et qu’elle ait eu le résultat que Mme de Sévigné avait prédit, car elle écrit : « Que dites-vous, ma chère enfant, de l’esprit de Montgobert ? ou plutôt de son cœur ? N’est-ce pas cela dont je vous répondais ? Je connaissais le fond ; il était caché sous des épines, sous des chagrins, sous des visions ; et tout cela était de l’amitié, de l’attachement et de la jalousie. Vous voyez qu’il ne faut pas juger sur les apparences. » Mme de Sévigné en jugeait de même du refroidissement de M. de Lagarde, dont Mme de Grignan se plaignait également et qu’elle décrivait en traits précis et fins : « Voici le portrait que vous en faites vous-même : un retranchement parfait de toutes sortes de liaisons, de communications et de sentimens, » froideur d’autant plus dangereuse « qu’elle est cachée sous des fleurs et couverte de beaucoup de paroles de bienséance. Ah la belle-amitié ! la belle amitié ! .. Tout cela changerai quand le moment sera venu. »


II

Ici la correspondance s’arrête pendant quatre années (1680-1684) ; elle reprend de 1684 à 1685 par suite du voyage de Mme de Sévigné aux Rochers. Cette fois, les rôles sont renversés. C’est Mme de Sévigné qui est en province ; c’est Mme de Grignan qui reste à Paris, et qui donne par conséquent les nouvelles du grand monde et de la cour ; elle lui parlait en particulier de la haute situation de Mme de Maintenon : « Vous m’avez fait bien plaisir de me parler de Versailles ; la place de Mme de Maintenon est unique dans le monde ; il n’y en a jamais eu, il n’y en aura jamais (de semblable ? ) » En même temps, Mme de Grignan écrivait aussi des choses tristes et tendres sur leur nouvelle séparation. Elle avait souffert en voyant la chambre de sa mère toute grande ouverte : « Pourquoi vous allez-vous blesser à l’épée de voir ma chambre ouverte ? Qui est-ce qui vous pousse dans ce pays désert ? » Elle trouvait pour sa mère une parole vraiment charmante, et qui nous prouve que son humeur s’était adoucie pendant ce long commerce de quatre ans : c’est « qu’elle la regrettait comme on regrette la santé, » c’est-à-dire « comme le plaisir des autres plaisirs, » comme un bien exquis qu’on n’apprécie jamais mieux que quand on en est privé. Elle communiquait à sa mère une nouvelle de famille : c’est que Mme de Grignan, la fille de son mari, était venue se réfugier au couvent de Gif sans en avertir personne : « J’en suis, lui dit sa mère, plus fâchée que surprise ; elle nous portait tous sur ses épaules ; tous nos discours lui déplaisaient. » Autre nouvelle : il fallait rebâtir Grignan. « Quelle dépense hors de saison ! Il vous arrive des sortes de malheurs qui ne sont faits que pour vous. » Elle avait été à Gif voir Mlle de Grignan ; elle avait été malade. Pomponne avait une abbaye. Une autre nouvelle était le mariage de Mlle d’Alezac avec M. de Polignac. Mme de Grignan en parlait à sa mère d’une manière agréable et piquante : « L’état dans lequel vous me représentez M, le d’Alezac est trop charmant : c’est une petite pointe de vin qui réveille et réjouit toute une âme ; il ne faut pas s’étonner si elle en a une présentement… Je suis persuadée que M. de Polignac en a deux. » Le précepteur du marquis de Grignan, M. du Plessis, était tombé dans la pièce d’eau du bon abbé à Livry, probablement sans grand danger. Mme de Grignan plaisantait sur cette chute, et sa mère lui renvoie sa plaisanterie en ces termes : « Le bon abbé remercie M. du Plessis de l’honneur qu’il a fait à son canal ; cela lui paraît un coup de partie pour cette pièce d’eau ; après cette espèce de naufrage, la sécheresse, la bourbe, les grenouilles feront tout ce qu’il leur plaira ; nous serons toujours un canal où M. du Plessis « pensé se noyer. » Voici encore une autre histoire qui faisait allusion à un scandale du temps : « Vous me contez trop plaisamment l’histoire de M. de Villequier et de sa belle-mère ; elle ne doit pas être une Phèdre pour lui. Si vous aviez relu cet endroit, vous comprendriez bien de quelle façon je l’ai compris en le lisant ; il y a quelque chose de l’histoire de Joconde, et cette longue attention qui ennuie la femme de chambre est une chose admirable[12]. » Voici un exemple de cette agréable figure de rhétorique que l’on appelle la suspension : « Jamais rien n’a été si plaisant que ce que vous me dites de cette grande beauté qui doit paraître à Versailles, toute fraîche, toute pure, toute naturelle et qui doit effacer toutes les autres beautés. Je vous assure que j’étais curieuse de son nom, et je m’attendais à quelque nouvelle beauté arrivée et menée à la cour ; je trouve tout d’un coup que c’est une rivière qui est détournée de son chemin, toute précieuse qu’elle est, par une armée de quarante mille hommes ; il n’en faut pas moins pour lui faire un lit. » Il semble aussi que Mme de Grignan avait usé d’une autre figure de rhétorique, la prosopopée, adressée au père de Mme de Sévigné mort en duel : « Vous en apostrophez l’âme de mon pauvre père pour vous faire raison de la patience de quelques courtisans. Dieu veuille qu’il ne soit point puni d’avoir été d’un caractère opposé ! » On devine que Mme de Grignan avait vu à Versailles, non sans colère, certains courtisans supporter trop patiemment les injures. De là cette apostrophe à l’âme de son grand-père ; elle eût pu également s’adresser à l’âme de son père, mort de la même manière. Mais Versailles et la cour n’étaient pas seulement pour M. et Mme de Grignan un lieu de plaisir et de fêtes. C’était encore, comme pour tous les courtisans d’alors, la source de la fortune et des grâces. Ils y allaient, tantôt l’un, tantôt l’autre ; et Mme de Grignan trouvait que son mari s’y portait mieux qu’ailleurs. Elle expliquait très bien comme, en ce pays-là, on paraissait s’oublier soi-même en ne songeant qu’à soi : « Vous expliquez divinement cette manière de s’oublier soi-même en ce lieu-là, quoiqu’on effet on n’y songe qu’à soi, sous l’apparence d’être entraîné par le tourbillon des autres. Il n’y a qu’à répéter vos propres paroles : On y est si caché et si enveloppé qu’on a toutes les peines du monde à s’y reconnaître pour le but des mouvemens qu’on se donne. Je défie l’éloquence de mieux expliquer cet état. »

Mme de Sévigné revient à Paris, et la correspondance, interrompue en 1685 par ce retard (sauf une petite reprise d’un mois en 1687), ne reprend définitivement qu’en 1688, pour continuer sans interruption jusqu’en 1690. Il n’y a donc plus que deux ans de correspondance : Mme de Sévigné a soixante-deux ans et Mme de Grignan en a quarante-deux. La jeunesse était passée pour celle-ci, la vieillesse arrivait pour celle-là. Les enfans grandissaient ; le petit marquis faisait à Philipsbourg ses premières armes ; Pauline, retirée du couvent, se formait à côté de sa mère. On l’avait menée à Marseille. Mme de Grignan racontait son étonnement et ses joies : « Ma chère enfant, votre vie de Marseille me ravit ; j’aime cette ville, qui ne ressemble à nulle autre. Ah ! que je comprends bien les sincères admirations de Pauline ! Que cela est naïf ! que cela est vrai ! que toutes ces surprises sont neuves ! Il me semble que je l’aime et que vous ne l’aimez pas assez. » C’est que Mme de Grignan se plaignait vivement des défauts que le couvent n’avait pas corrigés : « Vous voudriez qu’elle fût parfaite ; avait-elle gagé de l’être au sortir du couvent ? Vous vouliez donc qu’elle fût un prodige prodigieux comme il n’y en a jamais eu ? » Cependant Mme de Grignan insistait et relevait surtout l’humeur revêche de sa fille. Mme de Sévigné lui répondait admirablement : « Je n’eusse jamais cru qu’elle eût été farouche, je la croyais toute de miel ; mais ne vous rebutez point, elle a de l’esprit, elle vous aime, elle s’aime elle-même, elle veut plaire… Entreprenez donc de lui parler raison et sans colère, sans la gronder, sans l’humilier, car cela révolte. » Mme de Grignan était pour l’autorité et l’éducation dure ; Mme de Sévigné, plus libérale et toute moderne, était pour l’éducation attrayante et douce : « Faites-vous de cet ouvrage une affaire d’honneur et même de conscience. » On commençait aussi à s’occuper des lectures de Pauline. Celle-ci, comme sa mère, n’aimait pas l’histoire : « Je la plains de ne point aimer à lire des histoires, c’est un grand amusement. Estime-t-elle au moins les Essais de morale et l’Abbadie, comme sa chère maman ? » Elle avait un confesseur qui voulait lui interdire les pièces de théâtre. La dévotion éclairée et l’esprit élevé de Mme de Sévigné se révolte contre cette pratique étroite, que Mme de Grignan n’était pas très éloignée d’approuver : « Je ne pense pas que vous ayez le courage d’obéir à votre père Lanterne. Voudriez-vous ne pas donner le plaisir à Pauline, qui a bien de l’esprit, d’en faire quelque usage en lisant les belles comédies de Corneille, et Polyeucte, et Cinna, et les autres ? N’avoir de la dévotion que ce retranchement sans y être portée par la grâce de Dieu me paraît être bottée à cru. Je ne vois pas que M. et Mme de Pomponne en usent ainsi avec Félicité, à qui ils font apprendre l’italien et tout ce qui sert à former l’esprit » Pomponne, comme on sait touchait de bien près à Port-Royal, et c’était tout dire.

N’oublions pas quelques plaisanteries qui viennent encore de temps en temps égayer des lettres de plus en plus sérieuses. « Ce que vous dites sur la pluie est trop plaisant. Qu’est-ce que c’est que de la pluie ? comment est-elle faite ? est-ce qu’il y a de la pluie ? Et comparer celles de Provence aux larmes des petits enfans qui pleurent de colère et non de bon naturel, je vous assure que rien n’est plus plaisamment parlé. Est-ce que Pauline n’en riait pas de tout son cœur ? » Un autre trait rappelle encore plus le tour d’esprit de la comtesse dans sa jeunesse et sa bizarre gaîté ; c’est ce mot sur la grossesse de Mme de Rochebonne : « Ah ! que vous êtes plaisante de l’imagination que Mme de Rochebonne ne peut être dans l’état où elle est qu’à coups de pierres[13]. Quelle jolie folie ! C’est aussi que Deucalion et Pyrrha raccommodèrent si bien l’univers. Ceux-ci en feraient bien autant en cas de besoin. Voilà une vision bien plaisante ! » Citons encore une fin de lettre qui fit beaucoup rire Mme de Sévigné et son fils. « Votre frère lut l’autre jour l’endroit de votre lettre où vous me disiez que vous vouliez m’avoir : Oui, sans doute ; je veux, je prétends vous avoir comme les autres. — Adieu, les autres ! Cela parut si plaisant qu’il en rit de tout cœur. Comme les autres paraît sec, et puis tout d’un coup : Adieu, les autres ! »

Mais la gaîté n’était plus qu’un rare rayon de soleil chez Mme de Grignan. La philosophie et les affaires l’occupaient’ tout entière. Elle philosophait sur la vie, et avait sur la jeunesse et l’âge mûr de ces pensées fortes et saisissantes qui rappellent quelque peu une célèbre page de Bossuet : « Vous dites des merveilles en parlant de la fierté et de la confiance de la jeunesse ; il est vrai qu’on ne relève que de Dieu et de son épée ; on ne trouve rien d’impossible ; tout cède, tout fléchit, tout est aisé… Mais, comme vous dites, il vient un temps où il faut changer de style ; on trouve qu’on a besoin de tout le monde ; on a un procès, il faut solliciter, il faut se familiariser, il faut vivre avec les vivans. » La philosophie pratique ne l’occupait pas tout entière ; il lui restait du temps pour la métaphysique. Elle écrivait à Mlle Descartes une lettre toute philosophique que son frère et sa mère admiraient à l’envi. Voici ce que le marquis lui écrivait : « J’aimerais mieux avoir fait votre lettre à Mlle Descartes, je ne dis pas qu’un poème épique, mais que la moitié des œuvres de son oncle. Jamais Rohault, que vous citez, n’a parlé si clairement. » Mme de Sévigné joignait ses éloges à ceux de son fils : « Mon fils est ravi de votre lettre ; savez-vous bien que je me mêle de l’admirer aussi ? Je l’entends et je vous assure que je l’entends, et que je ne crois pas qu’on puisse mieux dire sur ce terrible sujet. » Quel était donc ce sujet ? Sans doute il était question de l’eucharistie et de l’explication que donnait Descartes de ce mystère. C’était un des points sur lesquels la nouvelle philosophie soulevait bien des scrupules. Les scolastiques croyaient pouvoir, sur ce point, maintenir contre Descartes la doctrine aristotélique. Mme de Sévigné disait avec un grand bon sens : « Mais ne faut-il point de miracle pour expliquer ce mystère selon la philosophie d’Aristote ? S’il en faut un, il en faut un aussi à M. Descartes ; et il y a plus de sens à ce qu’il dit jusqu’à ce qu’il en vienne à cet endroit qui finit tout. »

On avait craint un moment pour M. de Grignan que les profits du gouvernement d’Avignon ne lui fussent enlevés ; mais, après une interruption de quelques années, on avait recommencé à en jouir. Mme de Grignan y passait donc quelque temps en grande pompe, et ses lettres reflétaient sa joie orgueilleuse : « Quelle différence, ma chère comtesse, de la vie que vous faites à Avignon, toute à la grande, toute brillante, toute dissipée, avec celle que nous faisons ici (aux Rochers), toute médiocre, toute simple, toute solitaire ! .. Je comprends que, Dieu vous ayant donné cette place,.. il n’y aurait pas de raison ni de sincérité à trouver que c’est la plus ridicule et la plus désagréable chose du monde. » — « J’aime passionnément vos lettres d’Avignon, je les lis et relis, elles réjouissent mon imagination et le silence de nos bois. Il me semble que j’y suis ; je prends part à votre triomphe ; je cause, j’entretiens votre compagnie, que je trouve d’un mérite et d’une noblesse que j’honore ; je jouis enfin de votre bon soleil, des rivages charmans de votre beau Rhône, de la douceur de votre air ; mais je ne joue point à la bassette parce que je la crains. » Venait ensuite un récit de procession dont voici l’écho : « Ah ! la belle procession ! qu’elle est sainte ! qu’elle est noble ! qu’elle est magnifique ! que les démonstrations sont convenables ! que tout l’extérieur y est bien mesuré en comparaison de vos profanations d’Aix avec ce Prince d’amour et ces chevaux frust[14]. — Quelle différence ! et que je comprends la beauté de cette marche mêlée d’une musique et d’un bruit militaire ! Ces parfums jetés si à propos, cette manière de vous saluer si belle et si respectueuse, la bonne mine de M. de Grignan, enfin tout me touche et me plaît dans cette cérémonie. » Mme de Grignan, en racontant toutes ces gloires, ne voulait point cependant paraître trop enivrée et trop en contradiction avec sa philosophie habituelle, et elle risquait une maxime quelque peu douteuse en disant que « l’ostentation des personnes modestes n’offense point l’orgueil des autres. » Une seule chose fâchait Mme de Sévigné dans ces grandeurs d’apparat, c’était l’obligation officielle de communier souvent, que, par politique, Mme de Grignan acceptait courageusement, mais que la dévotion vraiment chrétienne de sa mère, élevée par Arnauld et Port-Royal, ne pouvait admettre : « J’avoue, ma chère enfant, qu’au milieu de tout ce grand bruit, la communion m’a surprise ; il y a si peu que Pentecôte est passé ! Il faut croire que la place que vous tenez demande ces démonstrations… Enfin, ma belle, vous savez mieux que personne votre religion et vos devoirs : c’est une grande science. »

On était retourné à Grignan, on y avait reçu la visite du duc de Chaulnes, nommé ambassadeur auprès du saint-père. Il était passé par Grignan en se rendant à Rome. On le reçut avec toute la splendeur du lieu : « Parlons du récit de la visite du bon duc de Chaulnes, de la réception toute magnifique, toute pleine d’amitié que vous lui avez faite, un grand air de maison, une bonne chère, deux tables, comme dans sa Bretagne, servies à une grande compagnie sans que la bise s’en soit mêlée… Je vois tout cela avec un plaisir que je ne puis vous représenter. Je souhaitais qu’on vous vît dans votre gloire, ou au moins votre gloire de campagne, et qu’il mangeât chez vous autre chose que notre poularde et notre omelette au lard… Je trouve fort galant et fort enchanté ce dîner que vous avez fait trouver avec la baguette de Flame (le maître d’hôtel) à cette Arche de Noé que vous dépeignez si plaisamment. » Mais ce convive si magnifiquement traité ne se montra pas très aimable : « Vous m’étonnez… Je vous assure que, pendant notre voyage, il était d’aussi bonne compagnie qu’il est possible ; je ne le connais plus au portrait que vous faites… » C’est peut-être pour cette raison que Mme de Grignan, toujours plus rancunière que sa mère, eut beaucoup plus de peine à pardonner au duc de Chaulnes sa conduite dans l’affaire de la candidature de son frère à la députation de Bretagne. On avait compté sur lui pour pousser le marquis à la cour ; mais dans l’intervalle, il avait été nommé ambassadeur, avait eu mille affaires en tête ; bref, il n’avait rien fait. Mme de Sévigné est obligée de le défendre contre sa fille, et elle le fait avec un sentiment d’équité qui lui fait grand honneur : « Eh bien ! soyez donc en colère contre M. de Chaulnes… Je fais M. de Grignan juge de ce que je dis, et je ne reçois le jugement tumultueux qui me paraît dans votre lettre que comme un effet de votre amitié. » La comtesse croyait que ce pardon était quelque chose de contraint et que sa mère cachait son mécontentement sous la générosité. Mais Mme de Sévigné se montre piquée de cette interprétation : « Je crois que vous vous souviendrez que l’ingratitude est ma bête d’aversion. Vous avez oublié tout cela, puisque vous avez cru voir quelque chose de forcé dans ce que je vous disais : je le sentis, mais sauvez-moi du moins de la pensée que j’aie voulu me parer de cette générosité de province. »

Entre autres talens, la comtesse de Grignan paraît avoir le don de peindre les personnes, d’en faire ressortir les ridicules. Les portraits devaient être vivans si l’on en juge par les reflets que nous en trouvons dans les lettres. Il s’agit d’un pédant, par exemple, qui a rappelé à Mme de Sévigné la comédie de Molière : « Vous me représentez fort plaisamment votre savantas ; il me fait souvenir du docteur de la comédie, qui veut toujours parler… Vous parlez de peinture : celle que vous faites de cet homme, pris et possédé de son savoir, qui ne se donne pas le temps de respirer, ni aux autres, et qui veut rentrer à toute force dans la conversation, ma chère enfant, cela est du Titien. » Dans une autre lettre, il s’agit d’une folle entichée de sa naissance, peinte sur le vif et qui réveille encore un souvenir de Molière : « Je veux vous dire que votre dernière lettre est d’une gaîté, d’une vivacité, d’un currente calamo qui me charme… Bon Dieu ! avec quelle rapidité vous nous dépeignez cette femme ! .. C’est moi qui vous remercie d’avoir pris la peine de tout quitter pour venir impétueusement me redonner cette personne. Le plaisant caractère ! toute pleine de sa bonne maison, qu’elle prend depuis le déluge et dont on voit qu’elle est uniquement occupée ; M. de Sotenville en grand volume ; tous ses parens, guelfes ou gibelins, amis ou ennemis, dont vous faites une page la plus plaisante du monde ; ses rêveries d’appeler le marquis de Noailles ses ennemis ; elle croit parler des Allemands, et toutes les couronnes dont elle s’entoure et s’enveloppe, ses étonnemens en voyant votre teint naturel : elle vous trouve bien négligée de laisser voir la couleur des petites veines et de la chair qui le composent et elle trouve bien plus aimable son visage habillé, et vous trouve, comme vous dites, fort négligée et toute déshabillée, parce que vous montrez le visage que Dieu vous a donné. » Dans cette même lettre, qui devait être si amusante, Mme de Grignan racontait aussi un voyage qu’elle avait fait en Languedoc : « Vous avez vu M. de Baville, la terreur du Languedoc, vous y avez vu aussi M. de Broglie. » On s’intéresse à ces rencontres de noms ; et l’on aime à se représenter la fille de Mme de Sévigné conversant avec l’arrière-grand-père du gendre de Mme de Staël. Un autre récit piquant de la même lettre était celui d’un songe de Mme de Grignan, dans lequel elle avait deviné, sans les avoir vus, les changemens que son frère avait faits à sa propriété des Rochers : « J’ai été surprise de votre songe ; vous le croyez un mensonge parce que vous avez vu qu’il n’y avait pas un seul arbre devant cette porte ; cela vous fait rire, il n’y a rien de si vrai ; votre frère les fit tous couper (les arbres), je dis tous, il y a deux ans ; il se pique de belle vue tout comme vous l’avez songé. »

Parmi les événemens peu agréables de la vie de Mme de Grignan, il fallait compter au premier rang les créanciers. Une marchande arrivait exprès de Paris à Grignan pour réclamer son argent. Il a dû se passer là une scène digne de Molière, et qui eût pu servir de pendant à celle de M. Dimanche. Mme de Sévigné nous la reproduit d’après la lettre de sa fille : « Disons un mot de Mme Reynié, Quelle furie ! Ne crûtes-vous point qu’elle était morte, et que son esprit et toutes ses paroles vous revenaient persécuter comme quand elle était en vie ? Pour moi, j’aurais eu une frayeur extrême, et j’aurais fait le signe de la croix ; mais je crains qu’il ne faille autre chose pour la chasser. Comment fait-on cent cinquante lieues pour demander de l’argent à quelqu’un qui meurt d’envie d’en donner et qui en envoie quand elle peut ?… Vous faites bien cependant de ne pas la maltraiter, vous êtes toute raisonnable ! mais comment vous serez-vous tirée de ses pattes, et des inondations de paroles, où on se trouve noyée, abîmée ? » Dans une des lettres suivantes, Mme de Grignan continuait et contait l’histoire de Mme Reynié de la manière la plus plaisante. Il fallait bien rire des créanciers puisqu’on ne pouvait échapper à leurs griffes : « La plaisante chose de quitter ainsi Paris, son mari, toutes ses affections, pour s’en aller trois ou quatre mois courir tout partout dans la Provence, demander de l’argent, n’en point recevoir, se fatiguer, s’en retourner, faire de la dépense et de plus gagner un rhumatisme ! Car figurez-vous qu’elle a des douleurs tout partout ; et tellement qu’à la fin vous en êtes défaite. »

Revenons aux lectures de Mme de Grignan, dont il n’a pas été depuis longtemps question entre les deux dames. Une petite controverse s’engage entre elles à propos des Provinciales. Mme de Grignan n’avait pas pour ce livre la même admiration que sa mère et son frère. Elle disait que « c’était toujours la même chose. » Sa mère relève ce jugement dédaigneux : « Je suis assurée que vous ne les avez jamais lues qu’en courant, grappillant les endroits plaisans ; mais ce n’est peint cela quand on les lit à loisir. » La vérité est que Mme de Grignan, malgré son esprit fort et pénétrant, n’aimait pas la lecture : elle parcourait, elle commentait, elle grappillait, elle ne finissait point : « Que je vous plains de n’aimer point à lire ! Car je vous avertis, ma chère, que vous n’aimez point à lire, et que votre fils tient cela de vous. » Mme de Grignan fut un peu piquée que sa mère lui eût reproché de n’avoir pas lu les Provinciales et, par représailles, elle lui reproche de n’avoir pas lu les Imaginaires, comme si c’était la même chose ! « Raccommodons-nous, lui répond Mme de Sévigné ; il me semble que nous sommes un peu brouillées. J’ai dit que vous aviez lu superficiellement les Petites Lettres ; je m’en repens ; elles sont belles et trop dignes de vous pour que vous ne les ayez pas toutes lues avec application. Vous m’offensez aussi en croyant que je n’ai point lu les Imaginaires, c’est moi qui vous les prêtai… Sur ces offenses mutuelles, nous pouvons nous embrasser. »

Mme de Sévigné a souvent loué sa fille de son talent de narratrice. Voici le résumé d’un de ces récits qui émeut encore dans son abréviation, soit par la couleur que l’écrivain y ajoute, soit par l’impression qui reste du récit primitif : « J’ai beaucoup à répondre sur l’histoire tragique et surprenante du pauvre Lantier… Toutes les circonstances de cette mort conduisent à un étonnement particulier : ces périls renaissans où il était exposé, ce dernier siège de Mayence, où il était entré si romanesquement, le bonheur d’en être échappé, cette force de tempérament, cette conversation où il se moque de celle du doyen, ce rendez-vous que M. de Noailles lui avait donné et où il manque par le trait de la main de Dieu qui le frappe dans la rue entre les bras de ses deux frères dont il était aimé, au milieu de la joie qu’ils avaient de le revoir, toutes ces circonstances si touchantes et si marquées qu’encore que ce ne soit pas la première mort subite dont on ait entendu parler, on croit n’en avoir jamais entendu une si surprenante. » La peinture des funérailles et de l’étrange circonstance qui s’y fit voir n’est pas moins vive, ni moins frappante : « Les grosses larmes sont tombées de mes yeux en me représentant le spectacle de ce pauvre doyen pénétré de douleur, le cœur saisi, disant la messe pour ce frère que voilà dans l’église, tout vif encore, mais tout mort dans ce cercueil, qui saigne de tout côté. Ah ! mon Dieu ! quelle idée ! Le sang coule-t-il d’un corps mort ? Oui, puisque vous le dites. Voilà donc ce sang qui ne demande pas justice, mais une grande miséricorde. » Puis, passant du sévère au plaisant, Mme de Sévigné demandait à sa fille de la part d’un ami, M. de Guébriac, une consultation sur les cours d’amour. Mme de Grignan renvoyait la réponse avec légendes à l’appui, due au prieur de Saint-Jean, très fort sur ces matières. « J’aurais perdu, si cette lettre eût été égarée, la plus belle instruction du monde sur cette cour d’amour, dont mon nouvel ami eût été au désespoir. Sa curiosité sera pleinement satisfaite. Ah ! que cet Adhémar est joli ! mais aussi qu’il est aimé ! Sa maîtresse devait être bien affligée de le voir expirer en baisant sa main : je doute, comme vous, qu’elle se soit faite monge (moine) ; je trouve toute cette relation fort jolie : c’est un petit morceau de l’ancienne galanterie. »

L’ami Corbinelli, le maître de Mme de Grignan, était passé de la philosophie à la dévotion. De cartésien il était devenu mystique et quasi-quiétiste. Mme de Grignan en plaisantait et l’appelait « le mystique du diable. » C’était une allusion aux abus du molinosisme et du faux mysticisme. Le marquis de Sévigné prenait en riant cette petite méchanceté ; mais Mme de Sévigné n’entendait pas raillerie sur ce point : « Comment ! mystique du diable, un homme qui ne songe qu’à détruire son empire, qui ne compte pour rien son chien de corps, qui souffre la pauvreté chrétiennement (vous direz philosophiquement ! ) Il y a dans ces mots un air de plaisanterie qui fait rire d’abord et qui pourrait surprendre des simples. Mais je résiste, comme vous voyez, et je soutiens le fidèle admirateur de sainte Thérèse, de ma grand’mère et du bienheureux J. de la Croix. » Mais Mme de Grignan ne se rendait pas ; elle comparait les mystiques aux faux-monnayeurs ; et sa mère cédait devant cette spirituelle comparaison : « Je trouve trop plaisant la comparaison que vous faites des mystiques avec les faux-monnayeurs ; les uns, à force de s’alambiquer l’esprit, font des hérésies ; les autres font de la fausse monnaie à force de souffler. »

Le peu de goût de Mme de Grignan pour les Provinciales pouvait bien avoir pour cause la politique : car elle était politique en tout, même avec sa mère, et celle-ci le savait. Ainsi, elle n’aimait pas les jésuites ; mais sa position lui faisait une nécessité de la réserve sur cette matière, si délicate alors. Aussi, même par lettres, elle ne se livrait pas sur ce point. Mme de Sévigné s’en piquait et se montrait un peu agacée de cette conduite. On connaît la charmante anecdote sur la dispute de Boileau et d’un père jésuite chez M. de Lamoignon. Ce récit est un des chefs-d’œuvre de Mme de Sévigné, et elle espérait amuser beaucoup sa fille avec cette anecdote. Mais celle-ci ne rit que du bout des lèvres, ce qui lui attira la petite semonce suivante : « Vous me donnez envie de vous conter des folies, tant vous entrez bien dans celles que je vous mande ; mais vous riez trop timidement du distinguo ; qu’avez-vous à craindre ? N’ont-ils pas (vos beaux-frères) assez de bénéfices ? J’entends votre réponse : le crédit des autres (les jésuites) va sur tout. Eh bien ! je le veux ; mais faites au moins comme le père Gaillard, ou chez notre voisin, où le récit fut trouvé plaisant au dernier point. »

On sait à quel point Mme de Grignan admirait les lettres de sa mère. Celle-ci pressentait bien qu’on les ferait imprimer un jour : « Vous tenez tellement mes lettres au-dessus de leur mérite que, si je n’étais fort assurée que vous ne les refeuilletterez ni ne les relirez jamais, je craindrais tout d’un coup de me voir imprimée par la trahison de nos amis. » Mme de Grignan avait dit à sa mère que ses lettres égalaient Voiture et Nicole. Elle est toute confuse de cette louange : « Voiture et Nicole ! Bon Dieu, quels noms ! Eh ! qu’est-ce que vous me dites, ma chère enfant ? » C’était alors un grand éloge, qui, aujourd’hui, nous paraît bien mince. Sans doute, Mme de Sévigné est pour nous un bien autre écrivain que Voiture et Nicole ; mais, si l’on se reporte au point de vue des admirations de ce temps-là, c’était, en effet, un très haut hommage. Ce que Mme de Grignan voulait dire en réunissant ces deux noms, alors si illustres, c’est que les lettres de sa mère brillaient à la fois par l’agrément et la solidité. Voiture étant alors pris pour le modèle de l’agrément et de la grâce, et Nicole pour un modèle de raison et de philosophie. Ce qui est vrai, c’est que Mme de Sévigné a, de plus que Voiture, le naturel et la vérité, et une imagination bien plus fleurie et bien plus originale, et qu’elle a, de plus que Nicole, la profondeur et l’imprévu. Si l’on voulait reprendre la pensée de Mme de Grignan, en choisissant des noms plus dignes d’elle, on dirait qu’il y a en elle du La Fontaine et du Bossuet.

Mme de Grignan s’était amusée à raconter à sa mère, sous forme de roman, tout ce qui se passait dans son château, mais elle était restée en route et n’avait pas fini son histoire. Mme de Sévigné la relance et la presse sur ce sujet : « Mais, ma belle, par votre foi, pensez-vous qu’il n’y ait qu’à nous donner un premier tome du Roman de la Princesse, de l’Infante, du Premier Ministre, aussi joli que celui que nous avons vu, et puis de nous planter là ? Je ne le souffrirai point. Je veux absolument savoir ce qu’est devenue cette bonne et juste résolution de la princesse ; j’ai bien peur qu’elle ne se soit évanouie par la nécessité des affaires, par le besoin qu’on a du ministre, par le voyage précipité, par l’impossibilité de ramasser les feuilles de la sibylle, follement et témérairement jetées en l’air pendant dix ans… Il faut une suite à cette histoire. Il faut que je sache aussi le succès du voyage de M. Prat auprès de l’amant forcené de la princesse Truelle. Je voudrais bien savoir qui étaient ces confidens du premier ministre et de la favorite qui recevaient les courriers. » Il est assez facile de rétablir les noms de cette histoire. La princesse, c’est Mme de Grignan ; l’infante, c’est Pauline ; le premier ministre, c’est l’intendant (Anfossi) ; la favorite, c’est Montgobert, et l’amant de la princesse Truelle, c’est le chevalier de Grignan, qui aimait tant à bâtir. On ne voit point que Mme de Grignan ait donné suite à cette fantaisie.


III

Il nous reste, pour compléter cette étude, à consulter les Lettres inédites publiées, il y a quelques années, par M. Capmas. Ces lettres ont été une surprise charmante pour les amis de Mme de Sévigné. Un aussi grand nombre de fragmens inconnus et considérables, des lettres entières, et, parmi elles, la dernière de toutes ; enfin, une infinité de leçons nouvelles éclaircissant des passages obscurs ou incompréhensibles, c’est là une trouvaille dont on ne saurait trop apprécier le prix. Les dédaigneux diront que nous avions bien assez de lettres comme cela, et qu’une ou deux de plus ne sont pas une affaire. Mais Mme de Sévigné, pour ceux qui la goûtent, n’est pas seulement un auteur, c’est une amie ; on n’en a jamais assez, jamais trop. Représentez-vous une personne distinguée que vous avez aimée, dont la conversation vous amusait et vous réjouissait, et que vous avez perdue ; imaginez que, par un prodige, elle vous soit rendue pendant quelque temps, que vous puissiez jouir encore auprès d’elle de quelques fragmens de conversation, de quelque rayon de son esprit, du son de sa voix, que ne donneriez-vous pas pour une telle fortune ! Telle est l’impression produite par cette publication inattendue. Plus tard, lorsqu’elle aura été incorporée à la Correspondance générale, cette impression s’évanouira ; mais on aura alors l’avantage d’un texte plus complet et plus exact. En attendant, c’est un supplément où nous puisons à notre tour pour enrichir notre travail.

Nous remontons donc à l’année 1672, très peu après le départ de Mme de Grignan pour la Provence. Nous voyons qu’elle craignait un peu l’indiscrétion de sa mère et lui recommandait le secret sur tout ce qu’elle lui dirait dans ses lettres : « Ce que vous me mandez sur le secret est si précisément ce que j’ai toujours senti pour vous, que je n’aurais qu’à vous dire les mêmes paroles. Ne craignez jamais que l’amitié, au lieu de la haine, m’empêche de garder ce que vous me diriez. » Parmi ces affaires dont Mme de Grignan parlait en toute confiance, on sait que l’une des premières fut la querelle avec l’évêque de Marseille. Elle ne tarissait pas sur ce personnage : « Ce que vous me dites sur ce qui le fait parler selon ses désirs et selon ses desseins, sans faire aucune attention ni sur la vérité, ni sur la vraisemblance, est très bien observé. » L’année suivante (1674), il est question d’un voyage de Mme de Grignan à Paris ; mais celle-ci craignait de gêner sa mère (et peut-être aussi de se gêner elle-même) en s’établissant chez elle, en lui prenant ses chambres. C’est ce qu’elle lui écrivait et ce qui lui attirait la riposte suivante : « Ma bonne, je suis en colère contre vous. Comment avez-vous la cruauté de me dire, connaissant mon cœur comme vous faites, que vous m’incommoderez chez moi, que vous me prendrez mes chambres, que vous me romprez la tête. Allez, vous devriez être honteuse ! » Déjà commençaient, à cette époque, les embarras d’argent, les inquiétudes de Mme de Sévigné à ce sujet et son admiration pour l’habileté et la fermeté de sa fille dans ces embarras : « Le bien bon approuve tout ce que vous avez résolu pour contenter ce diable de Jabac. Que peut-on faire dans ces ridicules occasions ? Nous vous admirons de payer si bien vos intérêts et de vivre comme vous faites. »

Pendant son séjour à Paris, la comtesse avait été en froid avec Mme de Coulanges, qu’elle trouvait médisante ; il est probable qu’elle avait écrit que Mme de Coulanges et elle s’étaient coupé la gorge ensemble, car celle-ci répond : « Vous me parliez l’autre jour de gorge coupée, elle ne l’a été qu’autant que vous l’avez voulu, et même je vous assure qu’il a été question, depuis quelque temps, de parler de vous. Elle fit au-delà de tout ce qu’on peut souhaiter de bon et d’à propos, et si naturelle, que nulle de vos amies ne pourrait mieux faire. »

Mme de Sévigné pliait devant le caractère plus fort et plus énergique de sa fille. Elle désirait la faire rester à Paris ; mais elle craignait de lui parler en face ; elle lui écrivait (pendant que celle-ci était à Livry) ce qu’elle n’osait lui dire : « Mes lettres sont plus heureuses que mes paroles. Je m’explique mal de bouche quand mon cœur est si touché… Je crains vos éclats ; je ne puis les soutenir… Je suis muette et saisie. » Cette fois, Mme de Sévigné l’emporta, et elle garda sa fille un an de plus. De retour à Grignan, les détails familiers de la vie remplissent de nouveau les lettres. Ce sont des chemises qu’on a commandées à Paris et qui ne viennent pas, c’est un cuisinier que l’on demande et dont on n’a plus besoin aussitôt qu’il est en route, ce sont des visites inattendues qu’il faut recevoir sans être préparée : « On ne peut être plus étonnée que je ne le suis de vous voir avec M. et Mme de Mesme. J’ai cru que vous vous trompiez et que c’était à Livry que vous alliez les recevoir. Auront-ils trouvé votre château d’assez grand air ? Vous m’étonnez de votre souper sans cuisinier et de votre musique sans musicien. » Mme de Grignan avait un maître d’hôtel honnête, mais dépensier, et elle disait « qu’elle aimerait mieux une infidélité pleine d’économie qu’une sotte fidélité. »

Mme de Grignan s’impatientait des incohérences que la distance des lieux et du temps amenait dans les conversations par lettres ; Mme de Sévigné, au contraire, voulait qu’on en prît son parti ; autrement, on n’aurait rien à se dire, et la correspondance serait impossible. Là comme ailleurs se manifeste la contradiction des deux humeurs : Mme de Grignan, positive et exacte, s’ennuie des questions qui ne servent à rien, des réponses qui ont perdu leur à-propos ; sa mère, vivant plus par l’imagination, s’abandonne au plaisir de causer, sans se soucier ni de l’à-propos ni de l’événement : « Il ne faut point s’embarrasser du contretemps de nos réponses… C’est un chagrin qui est attaché à celui de l’éloignement ; il faut s’y soumettre. » L’un de ces contretemps était la maladie : c’est ce qui arrivait à ce moment même au jeune marquis de Grignan : « Vous pouvez penser, ma bonne, quelle nouvelle pour moi que de vous savoir à Saint-Andéol avec votre petit garçon malade, une grosse fièvre et tous les signes de la petite vérole ou de la rougeole. C’est une chose terrible que l’éloignement : je reçois votre lettre ; il y a huit jours qu’elle est écrite, de sorte que tout est changé de face ; tout est bien ou mal. C’est comme le tonnerre : quand nous entendons le bruit, le coup est donné. »

Mme de Grignan avait écrit à sa mère qu’elle voudrait être oiseau pour aller aux Rochers : « Vous me parlez de voler un peu dans les airs, comme un oiseau ; la jolie chose ! Je suis persuadée que M. de Grignan voudrait vous permettre de passer quelques semaines aux Rochers. Je n’oserais vous présenter une pareille vision de la taille dont je suis. » Une autre vision non moins plaisante est celle dont s’avise Mme de Grignan à propos de la naissance d’une fille chez le comte de Guitaut ; celui-ci en avait déjà sept, et Mme de Sévigné appelait celle-ci leur « centième fille. » On devine le genre de plaisanterie de Mme de Grignan, à laquelle sa mère fait allusion dans la phrase suivante : « Votre vision de la bassette est fort plaisante. Enfin ils joueront tous leurs biens sur cette même carte : ils sont piqués. Ne serait-il pas plus agréable et plus sage de quitter tout à fait le jeu ? Vous employez bien mieux votre temps à cultiver l’esprit de votre petit garçon. » Mme de Grignan exerçait son fils à écrire des lettres, et elle y mettait une certaine méthode : « Il n’y a rien de si bon que ce que vous faites pour lui donner l’envie d’écrire ; vous lui faites penser l’un après l’autre et le conduisez à faire une lettre qui lui est entièrement inutile quand elle est faite d’une autre façon. » Dans une autre lettre, Mme de Grignan avait raconté une assez vilaine histoire. Mme de Sévigné y fait allusion et la reproduit sans grande façon : « La vilaine bête ! Mais de quoi s’avise-t-elle de vous apporter son cœur sur ses lèvres et de venir de quinze lieues loin pour rendre tripes et boyaux en votre présence ? »

Malgré la raideur de son caractère, Mme de Grignan trouvait quelquefois des expressions touchantes, quoique un peu recherchées, pour rendre l’affection qu’elle a pour sa mère : « Vous dites que vous aimez votre cœur de voir la façon dont il m’aime ; vraiment, c’est de cela principalement que je l’aime aussi. » Peut-être est-ce encore un mot de Mme de Grignan que sa mère reprend lorsqu’elle lai écrit : « Je vous conjure de m’aimer toujours comme une fille n’a jamais aimé sa mère ; car cela est vrai et je suis étonnée d’avoir été destinée au plaisir et au bonheur de jouir de ce prodige. » À propos de cet amour filial si rare, Mme de Grignan avait eu à subir la sotte comparaison d’un certain abbé Charrier, qui s’était mis au même ton qu’elle en disant qu’il était pour son père ce qu’elle était pour sa mère. Ce rapprochement ridicule et prétentieux, soutenu du reste par un ton de province, avait lieu devant la grande dame et la fine Parisienne. Elle n’avait pu s’empêcher de le marquer. Sa mère nous résume sa lettre en ces termes : « Commençons, ma chère bonne, par l’abbé Charrier. Je l’ai trouvé tout comme vous, ridiculement et orgueilleusement sensible à une chose qui, quand vous l’auriez dite, il n’y a rien au monde de si naturel. Ces doubles, ces conformités, ces surprises en entendant nommer ce qui vous tient le plus au cœur, et voir entrer un grand benêt aussi sot que son père, une Mme de Grignan sauvage à simple tonsure, je vous avoue que je trouverais tout cela insupportable si j’étais à votre place,.. et le ton de mon pauvre abbé est un peu d’une éducation de province. »

Mme de Grignan lisait saint Augustin, et cette lecture lui suggérait des réflexions philosophiques et religieuses : « J’aime tout ce que vous me dites de Dieu, de votre cœur, de saint Augustin. Je relirai ce livre à votre retour ; je l’ai vu au courant. » Dans une autre lettre. Mme de Grignan racontait la malheureuse aventure d’un nommé La Chau noyé dans le Rhône pendant que son frère est sauvé. Elle avait attribué ces rencontres à la Providence, comme le fait d’ordinaire Mme de Sévigné, qui en était heureuse et l’en félicitait. Puis, on bâtissait à Grignan, et la comtesse en plaisantait : « Mon Dieu, que vous étiez plaisante l’autre jour en me parlant du bâtiment de l’archevêque et de ce vieux mur qui dit : Ma compagne fidèle tombe ; tombons avec elle. » On était toujours accablé de charges ; et Mme Sévigné admirait sa fille : « Votre rôle est héroïque et d’un cothurne qui passe mes forces. » Mme de Grignan modifiait la maxime de l’évangile en disant « qu’à chaque jour et à chaque heure suffit son mal (c’est ce que vous y ajoutez.) » Cependant on riait et on s’amusait, malgré tout. On faisait des bouts-rimés ; et le marquis de Sévigné se mettait lui-même de la partie. Il en envoyait un des Rochers, dans lequel il avait souhaité à Pauline un prince qui l’épousât, comme avait fait Énée dans la caverne avec Didon. L’allusion parut sans doute trop légère, car Mme de Grignan ne se montra pas charmée de ce bout rimé : « Mon fils est toujours fâché du mépris que vous avez fait de la caverne d’Énée. » En même temps, on s’occupait de dévotion, et Mme de Grignan s’amusait à changer ses prières pour y trouver plus de variété : « J’approuve fort que vous laissiez là vos vieilles oraisons qui ne sont plus à la mode, il faut tâcher de trouver mieux. » La correspondance de Mme de Grignan finit par le récit d’un danger couru sur le Rhône en revenant de Paris à Grignan : « Mon Dieu ! ma chère bonne, quelle pensée que celle de ce Rhône que vous combattez, qui vous gourmande, qui vous jette où il veut ! Ces barques, ces cordages, ces chevaux qui vous abîment en un instant s’ils eussent fait un pas ! Ah ! mon Dieu ! tout cela fait mal. » C’était le dernier voyage de la comtesse ; et il nous rappelle les accidens du premier. La correspondance finit comme elle avait commencé. Quelques jours plus tard, Mme de Sévigné annonçait à son tour son départ pour Grignan, d’où elle ne devait pas revenir. M. Capmas a retrouvé cette lettre, la dernière que Mme de Sévigné ait écrite, et par là si intéressante pour nous ; mais elle ne contient rien de Mme de Grignan. On voudrait finir sur quelques pages d’elle. Mais ces dames, qui n’ont pas prévu notre curiosité, n’ont rien fait pour la satisfaire ; et plus semblable à la vie qu’au roman, la correspondance coupe court et finit sans dénoûment.

La restitution des lettres de Mme de Grignan que nous avons essayée dans cette étude, nous permet de démêler avec clarté le caractère et l’esprit de cette remarquable personne ; nous n’avons qu’à rassembler les traits épars dans les analyses précédentes. Mme de Grignan, comme le disait sa mère, était une vraie grande dame ; elle avait l’âme forte et fière, et elle était possédée au plus haut degré de l’amour des grandeurs. Elle partagea toujours avec fon mari le souci des affaires, et ressentit, aussi vivement et plus vivement que lui, les animosités dont il fut l’objet ; elle ressentit aussi, profondément et sans se plaindre, l’oubli et l’indifférence de la cour, aspirant à se rapprocher du soleil sans y avoir jamais réussi. Ce goût de la grandeur ruina ses affaires. Elle recevait avec magnificence, tenait table ouverte ; et quand elle se disait seule à Grignan, elle entretenait encore une centaine de personnes. Elle jouait par gloire et perdait toujours. Aussi passa-t-elle sa vie dans des embarras d’argent bien humilians pour un cœur bien placé ; toute dépensière qu’elle était, elle était en même temps bonne administratrice ; elle savait tirer parti de ses propriétés. Grande par les dehors, elle l’était aussi par l’âme : c’était une personne vraie, comme le disait sa mère ; mais ce n’était pas une personne tendre. Elle eut le sentiment vif et profond de l’amour extraordinaire que sa mère avait pour elle ; elle souffrait profondément de ne pouvoir y répondre. Cet amour l’accablait ; et sa propre sécheresse semblait grandir en proportion de la tendresse passionnée d’une mère idolâtre. Puis elle avait des repentirs soudains et des bouffées de tendresse qui paraissaient venir du remords plus que du sentiment. Elle aima modérément ses enfans, et convenablement son mari, paraît avoir eu quelque amitié pour son frère, mais en général était peu vive pour tout ce qui dépendait de la sensibilité. Son esprit était haut et ferme ; elle pensait plus qu’elle ne croyait. On ne saurait dire jusqu’où elle a poussé la liberté de l’esprit, mais elle n’était pas de celles qui croient avec simplicité. Elle ne se faisait point faute de mêler la politique et la dévotion ; même avec sa mère, elle ne s’expliquait pas avec liberté sur les jésuites, et elle eût choqué Arnauld par ses fréquentes communions. Elle affectait d’être cartésienne ; et l’on doit supposer qu’elle s’y connaissait, puisque Corbinelli l’estimait très haut. Avec tous ces aspects si sévères, elle avait un fond de gaîté qui tenait de race et qui éclatait tout à coup en fusées légères et en saillies passablement salées ; car le sel est le trait de son style que sa mère estime le plus. Le style était ferme et précis, mais froid ; il avait du trait et de la profondeur, non sans quelque affectation. Elle luttait quelquefois de misanthropie avec La Rochefoucauld, et de nos jours, elle eût grossi le camp de nos dames pessimistes. Tout cet ensemble compose, à ce qu’il semble, une personne d’une vive originalité, et qui, sans inspirer la même sympathie que sa charmante mère, impose cependant une sorte d’admiration et de déférence pour un si rare mélange de qualités si digues encore de la brillante famille des Chantal et des Rabutin. Les partisans de l’atavisme et de l’hérédité auront fort à démêler dans cette étonnante famille, où la grand’mère était une sainte, le père un duelliste, la mère une adorable païenne et un écrivain de génie, la fille un philosophe et le fils un enfant charmant, et qui compte enfin parmi ses proches un libertin fanfaron, écrivain galant et l’un des bons juges de son temps en matière de goût. Qui expliquera comment tous ces traits divers et opposés, ces originalités si vives et si contraires, viennent d’une même souche, ou de deux seulement ? Il y a là hérédité de génie et d’esprit, cela n’est pas douteux ; mais une telle hérédité, quand elle amène de telles différences, est encore une création.


PAUL JANET.

  1. Voyez la Revue du 1er septembre.
  2. Elle dit ailleurs : « La bise de Grignan me fait mal à votre poitrine. » (29 décembre 1688.)
  3. « Pâton se dit d’un petit oiseau bien gras. » (Dictionnaire de Furetière.)
  4. Nous devons à notre savant confrère de l’Institut M. Chéruel, si versé dans les choses du XVIIe siècle, la rectification d’une petite erreur commise dans le précédent article. Nous avions appelé Charles de Sévigné le chevalier, mais il n’était pas chevalier ; il était marquis, du chef de son père. Les chevaliers appartenaient toujours à un ordre mi-religieux et mi-militaire. La confusion avait d’autant plus d’inconvéniens qu’il y avait un chevalier de Sévigné, lequel était l’oncle et non le fils de Mme de Sévigné.
  5. Voyez Victor Cousin, Fragment de philosophie moderne. Le Cardinal de Retz cartésien.
  6. Nous avons des lettres de Pauline (Mme de Simiane). Elles sont bien inférieures à celles de sa grand’mère et probablement aussi à celles de sa mère. Elles sont naturelles et sensées, mais froides et sans le moindre éclat.
  7. Espèce de tenailles que les maréchaux mettent au nez ou à la lèvre des chevaux. Dictionnaire de l’Académie, 1694.)
  8. Ces derniers mots sont dans l’édition de 1754.
  9. Il s’agit de la chambre de Mme de Grignan à l’hôtel Carnavalet. Mme de Grignan avait fait probablement allusion au Pendent opera interrupta de Virgile.
  10. Ces mots sont en italiques.
  11. Auteur d’un traité estimé sur l’Usage des passions.
  12. Voir, pour le détail, t. VII, p. 320, notes 4 et 5.
  13. Allusion à un rondeau de Benserade.
  14. Chevaux de carton.