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Les Médailles d’argile/Effigie double

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Les Médailles d’argileSociété du Mercure de France (p. 24-26).
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EFFIGIE DOUBLE

*


Dans une terre grise et pareille à la cendre
De ton cher souvenir voluptueux et tendre
Qui s’effrite incertain dans le vent du passé,
J’ai fait revivre ainsi ton visage effacé ;
Le voici. Tu reviens du fond de ma mémoire
Où, dans l’ombre, tes mains ont cueilli la fleur noire,
Rose funèbre née en un jardin obscur.
Te voici. J’ai revu ta face au contour pur
Et j’ai fait onduler sur ton front qui les bombe
Tes deux bandeaux comme deux ailes de colombe,
Et pourtant j’ai laissé tes yeux à jamais clos.
Ô regret ! La caresse en vain de mes doigts chauds
Tenterait de rouvrir leur douceur endormie.
Mais le sourire qui, sur les lèvres unies
De ta bouche amoureuse, erre amoureusement
Encore, suffira, lorsque les doigts du temps

Briseront de nouveau la médaille fragile,
Pour que ta grâce garde à cette vaine argile
D’où ta face charmante aura fui sans retour
Une odeur de beauté, de jeunesse et d’amour
Qui fera des débris de ton image aimée
Une poussière d’elle encore parfumée.


*


Non, ne regarde pas sa médaille ; il y ment
Un visage amoureux, délicat et charmant
Qui, de ses yeux baissés et de sa belle bouche,
Te sourit, anxieux ou doucement farouche,
Et triste comme si, peut-être, au fond des bois
Errante, au crépuscule, une rose en ses doigts,
Elle écoutait, debout, parmi l’ombre incertaine,
Pleurer l’eau qui suffoque aux gorges des fontaines
Ou suivait, dans le vent qui la froisse aux cailloux,
Le bruit mystérieux, âpre, morose et doux
D’une feuille en son or frissonnante et séchée.
On dirait qu’elle écoute au fond de sa pensée,
Car l’Automne déjà semble lui parler bas
À l’oreille. Ami ! non ne la regarde pas,
Ne la regarde pas ainsi, ce n’est pas elle,

Et ce n’est pas ainsi, hélas ! qu’elle fut belle.
Si tu voulais tourner le revers, tu verrais
Sa véridique image et son visage vrai :
Admire, dans ses yeux j’ai mis toute sa haine ;
La vois-tu maintenant, rude, vile et hautaine
Et belle de l’orgueil de sa dure beauté,
Telle qu’à mon amour jadis elle a été,
Perfide, impitoyable et fourbement amère ?
Mais, pour exorciser sa ruse et sa colère
Dont mon âme se trouble et se méfie encor,
D’elle, j’ai figuré cette tête sans corps
Afin que pour jamais sa cruelle effigie
Goutte à goutte saignât dans l’argile rougie.