Aller au contenu

Les Nuits d’Orient/Le Diamant aux mille facettes/9

La bibliothèque libre.
Michel Lévy Frères, libraires-éditeurs (p. 236-239).
◄  Haïva
La croix d’or

La croix d’or.



Il y avait une jeune fille dont la voix était douce comme la voix de la flûte indienne ; aussi lui avait-on donné le nom d’Arinda, qui est celui de cet instrument.

On ne sait trop à quelle religion appartenait cette jeune fille ; elle n’avait pas au front les raies blanches des sectateurs de Siva ; elle n’entrait jamais dans une pagode, et ne se prosternait jamais devant Ganesha, la déesse des foyers domestiques indiens.

Quelques-uns disaient qu’Arinda était juive, mais c’était encore une erreur.

D’où venait-elle ? Personne ne le savait, et elle ne révélait son secret à personne. Cependant on affirmait qu’elle était née de l’autre côté du détroit d’Ormus, et dans un pays où un sage est mort en honorant le gibet de son supplice. Ce gibet, construit en forme de croix, ne fut pas regardé comme une chose infâme depuis cette grande mort ; au contraire, il y eut des rois qui tinrent à grand honneur de porter ce gibet sur leurs couronnes, dans une gerbe de diamants.

Arinda voyageait avec sa mère, sur un vaisseau qui fit naufrage, là, sur ce rivage alors inhabité.

Tout le monde périt ; le vaisseau fut brisé, mais par un véritable prodige le gaillard derrière où se trouvaient Arinda et sa mère, brusquement détaché de la charpente, fut lancé par une vague assez avant dans les terres, sur un terrain mou, et s’y enfonça. Les deux femmes en furent quittes pour une violente secousse, elles échappèrent à la mort.

La jeune fille portait une croix d’or a son cou, et elle dit à sa mère :

Cette croix nous a sauvées, ce qui nous arrive est un vrai miracle. Remercions le ciel.

Et elle baisa la croix avec la dévotion d’un fakir.

Cependant, après avoir échappé au naufrage, ces deux femmes se virent exposées à mourir de faim sur un rivage désert. Heureusement encore elles reconnurent bientôt qu’elles avaient échoué dans le voisinage d’une forêt de boababs, nos arbres à pain, et là, elles se rassasièrent comme dans la meilleure hôtellerie de Tchina-Patnam.

Arinda baisa une seconde fois sa croix d’or, pour la remercier de ce second miracle.

Deux jours après, un riche marchand de Solo, qui chassait avec une nombreuse troupe, dans ces environs, rencontra les deux femmes assises sous un baobab, et ayant appris leurs infortunes, il les amena dans son habitation peu éloignée de ce rivage, où elles reçurent tous les respects et toutes les attentions de la plus religieuse hospitalité.

Bientôt après, le riche marchand qui, dès la première heure, avait été frappé de la beauté d’Arinda, la demanda en mariage à sa mère.

— Ma reconnaissance, dit la jeune fille, me fait un devoir d’épouser mon libérateur, mais à condition que je pourrai remplir un vœu que j’ai fait.

— Et quel est ce vœu ? demanda le marchand.

— Je veux fonder une hôtellerie sur le lieu même où nous avons fait naufrage, et dans cette hôtellerie tous les pauvres seront reçus, logés et nourris gratuitement tant que je vivrai… Je suis prête à donner ma main, et même mon affection, à l’homme qui voudra bien m’aider à remplir ce vœu.

Vous comprenez bien que la belle Arinda ne devait pas voir rompre un mariage pour si peu de chose. Le marchand consentit à tout ; il fonda l’hôtellerie des pauvres, ici, et lui donna pour enseigne la Croix-d’0r. Ce fut la première maison de la petite ville que vous visitez aujourd’hui.

Le prince Zeb-Sing parut très touché de cette histoire, et il paya fort généreusement le narrateur : quand il fut seul dans sa chambre, il se dit à lui-même : Cette histoire de la Croix-d’Or n’est pas fort intéressante, et pourtant elle m’a beaucoup plus ému que tous les récits brillants du diamant Beabib. J’ai beaucoup voyagé pour chercher la sagesse, et je ne la trouve qu’en rentrant chez moi.

Arrivé à Solo, dans la cour de son père, le jeune prince ne lui raconta que la dernière de ces histoires, la Croix-d’Or, et le roi ouvrant son trésor, en retira la valeur de cent mille couris, qui furent destinés à la fondation d’un vaste caravansérail pour les pauvres, avec cette enseigne : Au diamant Beabib.

Cependant Zeb-Sing ne renonça point à consulter encore de temps a autre son précieux bijou, et chaque fois il en tirait de nouvelles histoires. Ce sont celles que nous allons encore raconter.