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Les Ondins, conte moral/Chapitre 08

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Delalain (tome Ip. 164-172).

CHAPITRE VIII.

Voyage dans l’Empire des Ondes.

Le jour fixé pour le départ du Prince & de la Princesse, ils furent prendre congé de sa Majesté Ondine, après quoi ils monterent dans leur char que leur Suite suivit dans des voitures de nacre de perles, faites en forme de ce quilles ; ce qui devoit représenter le plus beau coup d’œil du monde pour ceux qui ont pu avoir l’avantage d’en être les témoins.

Le Génie dirigea d’abord sa route du côté du Midi ; il s’arrêta dans un endroit où se donnerent de fréquens combats, qui ne servent souvent qu’à peupler l’Empire des Ondes. Je vois, dit le Prince, que vous regardez avec surprise cette multitude de nouveaux Habitans qui jusqu’alors vous ont été inconnus. Apprenez, ma chere Tramarine, que ces gens que vous voyez arriver à tout instant, sont des personnes qui viennent de subir le sort attaché à tous les Mortels, la mort, & qu’elles ont été condamnées par le Tout-Puissant à demeurer parmi les Ondins pendant un certain nombre d’années, proportionné aux fautes qu’elles ont commises sur la Terre. Quoique je sois déja instruit de leur conduite, je vais néanmoins en interroger quelques-uns, pour vous faire connoître jusqu’où peut aller la méchanceté des hommes qui habitent actuellement sur la Terre.

Le Génie fit en même tems approcher un homme qui paroissoit vêtu d’une façon singuliere, & lui demanda pourquoi il étoit condamné à boire, pendant cent mille ans, quarante pintes par jour de thé élémentaire. Prince, dit ce misérable, quoique ma pénitence soit longue, je rends graces au Tout-Puissant de ne me l’avoir pas donnée plus rigoureuse ; l’espérance que j’ai d’un avenir heureux m’en fait supporter sans murmure la longueur, parce que rien n’est si consolant pour un malheureux que d’être persuadé que ses peines seront un jour changées en des plaisirs purs & réels, car il semble que l’on anticipe sur son bonheur par la certitude où l’on est d’y arriver. Voici donc mon histoire en peu de mots, pour ne point fatiguer l’attention de la Princesse qui vous accompagne.

Elevé aux premières dignités de l’Etat, par les bontés d’un grand Monarque qui m’avoit accordé toute sa confiance : loin d’employer mes talens à mériter ses bontés par ma reconnoissance, & un attachement sincere aux intérêts de mon Maître, l’élévation subite de ma fortune ne fit qu’augmenter mon orgueil. Devenu insolent par le succès de quelques entreprises, je crus pouvoir tout hasarder. Je commençai par dissiper les Finances, & je fus ensuite obligé de surcharger le Royaume de dettes onéreuses à l’Etat ; pour cacher en quelque sorte le mauvais emploi que je faisois des sommes immenses qui se levoient tous les jours sur les Peuples, je suscitai des guerres injustes qui firent perir les plus braves Officiers & les meilleurs Soldats, & répandirent la désolation dans tous les esprits. J’engageai ensuite le Prince dans de fausses démarches capables d’abaisser son pouvoir, parce qu’elles tendoient à augmenter le mien. Une conduite si opposée à la justice du Gouvernement, m’a enfin attiré la haine publique ; on a approfondi mes démarches, & le Monarque désabusé vient de me faire subir la peine dûe à mes forfaits.

Tramarine, surprise de l’ingratitude & de la mauvaise foi de ce Favori, demanda au Prince si on pouvoit se fier aux discours d’un homme accoutumé depuis si long-tems au mensonge & à l’intrigue, & s’il ne cherchoit point encore à lui en imposer. Non, chère Tramarine, dit le Génie : lorsque les Humains ont quitté ces corps qui les enveloppent & les tiennent à la Terre, (comme ceux que vous voyez ne sont que fantastiques,) il n’est plus en leur pouvoir de nous déguiser la vérité, ni de chercher à nous surprendre ; envoyés ici afin d’exécuter l’Arrêt de leur condamnation, rien ne peut diminuer la rigueur de leur sort. Dites-moi, je vous prie, si tous ces Peuples que je vois arriver en foule, & qu’on dit être morts pour la défense de leur liberté, sont condamnés aux mêmes peines ; ces gens me paroissent pleins de candeur & de bonne foi. Il est vrai, dit Verdoyant, qu’ils sont simples & sans malice ; mais ici le châtiment est proportionné aux fautes qu’on a commises, & ceux que vous voyez ne descendent sous les Ondes qu’afin de s’y purifier. Moins coupables que les autres, leurs peines sont aussi plus légeres & plus courtes, & ils ne sont point obligés de boire le thé. Tramarine exigea du Génie une explication beaucoup plus étendue, à laquelle il le prêta volontiers pour l’instruction de la Princesse : mais comme cette conversation fut très longue & peut-être un peu ennuyeuse, nous passerons à d’autres faits plus ou moins intéressans.

Fin de la premiere Partie.