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Les Pantins des boulevards, ou bordels de Thalie/03-2

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Poulet-Malassis (1 et 2p. 69-104).

TROISIÈME CONFESSION




AUX DÉLASSEMENTS-COMIQUES


PLANCHET, dit ISAMBERT DE VALCOURT, ROBIN, BEAUMESNIL, GOSSET aînée, NANETTE SOMMERI, gredins et coquines à la suite de ce taudion.
le compère mathieu, du ton de la colère.

Ah ! quel cloaque ! quel conflit d’ordures ! quel amas de sottises ! Comment ! voilà le troisième spectacle que je fréquente au boulevard, et dans la quantité des confessions que j’y ai recueillies, je n’ai encore reconnu que des maquereaux, des fripons, des coquines, des joueurs, des gourgandines ; mais au moins j’y remarquais une espèce de consistance plus trompeuse, à la vérité ; ici, ah ! grands dieux ! quel brigandage ! quel putanisme ! Il faut m’armer beaucoup de patience pour me résoudre à écouter le fatras volumineux de ces déréglements. (À Valcourt.) Avance-toi, monsieur l’auteur prétendu ; comment te nommes-tu ?

valcourt.

On m’appelle Isambert de Valcourt.

le compère mathieu.

Comment ! gredin, tu débutes par mentir à Mathieu, à ce fin compère, qui a lui seul plus d’esprit que les quatre évangélistes ensemble, et tu ne crains pas que je t’assomme ! Tu te nommes Planchet. Tu as commencé, presque en sortant de l’école, par être commis aux poudres et salpêtres de l’Arsenal ; tu t’es marié dans ce poste, et tu y couchas ton nom sur la liste des mauvais rimailleurs ; alors je te perdis de vue : vois maintenant, coquin, si tu peux m’abuser ; mais je prétends être instruit du reste de ta conduite. Toi et ta femme, que tu rendais si malheureuse, que devîntes-vous ?

valcourt.

Je courus la Calabre avec L’Écluse, le premier instituteur des Variétés, et, associé avec ce maître fripon, avec cet infâme débauché, je ne tardai pas à lui ressembler. Levant le pied dans toutes les auberges, foutant à triple carillon les servantes d’hôtellerie, nous avions formé de notre assemblage une bande aussi respectable que celle de Cartouche ; nous eûmes plus d’un démêlé avec les lieutenants de police des villes et avec la maréchaussée, mais avec des fronts d’airain, là, ce qu’on appelle des fronts à la Ribié, nous esquivâmes le carcan.

le compère mathieu.

Monsieur Planchet, Isambert de Valcourt, vous êtes un grand scélérat ! Mais que fîtes-vous à Gisors, pour qu’on vous priât si poliment d’en déguerpir dans l’espace de vingt-quatre heures ?

valcourt.

Ne me rappelez pas cette circonstance, elle est affreuse ; je ne pourrais vous la raconter sans rougir, quoique ce ne soit pas là mon habitude. J’avais déjà deux fois fait couler dans le sein de mon épouse le venin infâme de la vérole, sans que cela m’empêchât de courir après le cotillon. Ce vieux jeanfoutre de L’Écluse allait à la picorée, et me proposa un jour une partie délicieuse avec la fille de notre hôte, jeune égrillarde, à qui la vue d’un vit ferme et nerveux produisait les plus voluptueuses sensations. Je ne me fis pas prier, et nous nous rendîmes, sur le soir, dans un appartement superbe de l’auberge, qui ne s’ouvrait jamais qu’aux personnes de qualité, et que la coquine avait exprès choisi pour n’y point être interrompue. Elle nous y attendait avec une de ses compagnes ; et, la porte close, nous préludâmes par les baisers les plus lascifs et les plus amoureux. Le vieux L’Écluse fourra sa main sous les cotillons de la fille à notre hôte, et moi, ne voulant pas rester oisif, je pris le cul de sa camarade.

le compère mathieu.

Jusqu’à présent, c’est fort bien ; il n’y a pas le petit mot à dire ; continuez…

valcourt.

Nos deux garces étaient aussi lestes, aussi fringantes que nous étions déterminés fouteurs : or, quelques prises de cul, coups de poignets par-ci, chatouillements de couilles par-là, n’étaient pas le but essentiel pour deux fouteuses expertes et consommées, qui eussent sacrifié tous les biens de la terre pour foutre à cœur-joie. Bientôt nos vêtements nous devinrent importuns, au moins ceux de nos combattantes et les miens, dont nous nous débarrassâmes ; car pour L’Écluse, il conserva tout son accoutrement. Le vieux jeanfoutre ne bandait pas. Quant à moi, mon vit levait fièrement la tête, et, sans plus attendre, je saisis par les fesses l’une de ces charmantes coquines, je la couchai sur un sopha et l’enconnai.

le compère mathieu.

À merveille ; il n’y a point encore là de raison de blâme : foutre en cul est le plaisir des dieux, enconner doit être l’ouvrage d’un homme.

valcourt.

Pendant ce temps, L’Écluse, assis dans un fauteuil, contemplait avec quelle vigueur je donnais des coups de cul, avec quelle mobilité ma fouteuse remuait le croupion ; nos bouches se confondaient, nos langues s’entrelaçaient ensemble, et cette superbe fouterie était ce qu’on peut appeler réellement une fouterie sans pareille.

le compère mathieu.

Mais que faisait pendant ce temps L’Écluse et sa compagne ?

valcourt.

Le vieux paillard maniait et remaniait son vit flasque et mou, essayait de bander, et jurait comme un charretier embourbé de n’en pouvoir venir à bout, et l’amie de ma couillardine se branlottait le clitoris en attendant mieux.

le compère mathieu.

Enfin, que tout cela devint-il ?

valcourt.

Lorsque j’eus foutu et refoutu la fille à notre hôte, que je débarrassai de dessous moi, je bandais encore ; mon vit écumant d’une fureur lubrique, je me tournai vers sa compagne et lui dis : Çà ! ma mie, puisque ce vieux bandalaise n’a pu te foutre et que je bande encore, à ton tour ; il me reste encore quelques décharges à ton service.

le compère mathieu.

La peste ! quel fouteur ! Tu as cependant l’air d’une maigre échine.

valcourt.

Ah ! c’est que je suis de la race des chapons[1]. Je posai donc celle qui avait été témoin de nos plaisirs sur le même sopha, et me précipitai sur elle. Je priai instamment la fille à notre hôte, que je venais de foutre, de me donner des preuves de sa reconnaissance, en me chatouillant gracieusement les roupettes, ce que la coquine se mit en devoir de faire d’une main active et légère. Ah ! cher compère ! quel délicieux plaisir que celui de foutre une jolie femme, tandis qu’une autre badine avec vos couilles !

le compère mathieu.

Mais votre L’Écluse ?…

valcourt.

Il avait aveint sa lorgnette et admirait nos travaux, toujours en se secouant l’outil. À la fin, il banda, déchargea, en roulant les yeux comme un satyre, et en beuglant comme un enragé ces mots : Je décharge ! Ah ! foutre ! ah ! foutre ! je me meurs !

le compère mathieu.

Il fallait crier au miracle.

valcourt.

Le vieux bougre fit tant de bruit, que l’hôte, qui passait près de l’appartement et qui avait une double clef, entra subito. Il enragea en voyant ce tableau. L’Écluse, tout habillé, gagna l’escalier et enfila la venelle, ce que je ne pus faire qu’après avoir été bien et dûment rossé et nos compagnes de même. Le lendemain, plainte rendue, et injonction à nous faite de décamper et d’aller foutre ailleurs.

Air : Le confrère Bonaventure.

Je viens te conter de mon vit,
La vaillante prouesse ;
Dites donc, en homme d’esprit,
Si j’ai manqué d’adresse.
Je m’en tiens à votre leçon,
Dans cette conjoncture,
Et ne répondez pas en con…
Frère Bonaventure.

Maintenant sur le boulevard,
Je fouts maintes bougresses ;
Leur prenant le cul par hasard,

Elles remuent les fesses.
Enfin, de plus d’une façon,
Sans craindre le murmure,
J’ai foutu : qu’en dites-vous con…
Frère Bonaventure.

le compère mathieu.

Que tu ne démens pas tes illustres sociétaires, et que dans votre bataclan, depuis votre honnête directeur jusqu’à l’aboyeur de votre porte, vous méritez de posséder un brevet de coquins ; mais il faut te pardonner en faveur de l’habitude. Écoute :

Sois toujours du taudion
L’honneur et la gloire :
Fouts Julie ou bien Louison.
Pour finir l’histoire,
Sur le con d’une putain,
Pour compléter ton destin,

Grave ta mémoire
Ô gué !
Grave ta mémoire !

Que du titre de fouteur,
Ton cœur se contente ;
Si d’un con avec ardeur
Pucelle charmante
T’offre l’hommage en secret,
Fouts, mais sans aucun regret,
Cette chaude amante
Ô gué !
Cette chaude amante.

(À Gosset l’aînée.)

À votre tour, ma belle brune, vous dont les yeux lascifs et éveillés paraissent si fort attournés à la paillardise, écoutons vos sornettes lubriques. Vous m’avez l’air d’en avoir tâté plus d’un.

gosset l’aînée.

Et vous ne vous trompez pas, mon cher compère ; si tous les vits que j’ai branlés depuis que j’ai l’âge de raison étaient au bout l’un de l’autre, je pourrais me vanter d’en former une chaîne qui irait de la porte Saint-Antoine jusqu’à celle de Saint-Honoré ; encore ne prétends-je pas parler de ceux qui sont entrés dans le con de votre très-humble servante, car alors je pourrais de la même façon continuer la route par les nouveaux boulevards jusqu’à l’endroit d’où je serais partie.

S’il me survient le noir chagrin
De ne pouvoir branler engin,
C’est ce qui me désole (bis) ;
Mais aussi, sans nul contredit,
Je me pâme à l’aspect d’un vit :
Ce membre me console (bis).

Quand d’un triste et lâche fouteur,
Je ne puis ranimer l’ardeur,

C’est ce qui me désole (bis) ;
Mais quel plaisir quand, sans façon,
Un grivois travaille mon con :
C’est ce qui me console (bis).

Un gros vit me donne des lois,
Et quand je n’en peux faire choix,
C’est ce qui me désole (bis).
Mon con, toujours prêt au combat,
Se livre au prêtre et au soldat
C’est ce qui me console (bis).

le compère mathieu.

Eh quoi ! des prêtres aussi…

gosset aînée.

Eh ! pourquoi non ! Je ne me suis jamais arrêtée à l’habit : vit d’hercule, couilles à la grenadière peuvent se rencontrer sous la soutanelle d’un ratichon ; et pour foutre j’aimerais autant le vit d’un porte-Dieu de ma paroisse que le bracquemard d’un capitaine qui ne banderait qu’à force d’art et d’artifice, c’est-à-dire à grands coups d’étrivières !

le compère mathieu.

Pas mal ; pas mal, mais quel est ce gros visage émérillonné que j’ai vu quelquefois à tes côtés, et dont la coiffure ébouriffée, la contenance burlesque annonceraient plutôt un fou que tout autre.

gosset aînée.

Eh quoi ! vous ne le connaissez pas ? En ce cas, vous êtes donc le seul. Eh ! parbleu ! c’est Greuze, cet artiste célèbre, ce coureur de grisettes, toujours à l’affût des culs, des cons, des tétons et des minois qu’il peut employer dans ses admirables productions. C’est au bordel de la Delaunay qu’il trouva les traits de sa Dame de charité ; les tétons de ma sœur lui servirent pour ceux de son Accordée de village, et mon cul sans doute aurait cette année fait Salon, s’il avait eu le bonheur de lui plaire.

le compère mathieu.

Mais sa femme que dit-elle à cela ?

gosset aînée.

La chronique scandaleuse dit qu’elle s’amuse à le cocufier ; mais il s’en fout, et moi de même.

le compère mathieu.

Et moi je fais chorus. Revenons à ton cul. Donc après l’avoir bien examiné, il ne le trouva pas digne de servir de modèle à ses pinceaux inimitables.

gosset aînée.

Parbleu ! compère, puisque nous sommes en train de rire, car le diable m’emporte si je suis attristée de ma confession, écoutez cette anecdote ; elle peut faire recueil. Vous n’ignorez pas que Greuze n’est pas ce qu’on appelle un fouteur, mais que sa coutume favorite est de visiter les bordels, nos taudions, pour y examiner les culs et les tétons dont il a besoin pour la progression de son art ; ma gorge lui donna l’idée la plus favorable de mes fesses, et il m’offrit le tribut que je prends à tous venants sans marchander, pour en tâter les charmes et en constater les degrés de beauté. Je me prêtai à ses désirs, et me campai dans la posture qu’il jugea à propos. Je crus bonnement qu’il allait se récrier sur la justesse de leurs proportions, sur leur rondeur et leur fermeté ; mais je fus bientôt désabusée. En habile observateur, il s’était mis à genoux pour manier mon postérieur : il trouva que mes hanches étaient trop grosses et trop élevées ; que mes fesses étaient trop écartées, et que conséquemment mon anus était trop à découvert. Je fus piquée de cet examen qui n’était pas à l’honneur de mon cul, et un vent qui n’était rien moins qu’odoriférant survint à propos pour servir ma vengeance ; je le lâchai avec impétuosité, et Greuze, qui dans ce moment avait le nez presque collé sur la chute de mes reins, qu’il observait avec attention, en reçut toute l’explosion. Il se retira précipitamment, et moi, tout en riant, je lui chantai ce couplet :

Air : Flon flon.

La chose ridicule
D’être peu satisfait !
Quoi ! Greuze, tu recule
Lorsque je lâche un pet !
Flon flon,
La riradondaine,
Gué ! gué !
La lira dondé !

Vous devez juger qu’il n’eut plus envie d’y revenir ; il me planta là ; mais, au risque de recevoir encore parfois quelques messagers fâcheux en examinant les fesses des coureuses de boulevard, il ne discontinuait pas pour cela de patiner les culs.

le compère mathieu.

Ton conte est excellent ; mais ne commenças-tu pas ta carrière au bordel ?

gosset aînée.

C’est vrai ; je n’ai fait qu’en changer, car, suivant le refrain de la chanson de ce gredin de Beaumarchais :

Toujours, toujours
Je fouts toujours de même.

le compère mathieu.

Ainsi donc, garce insoutenable, ton intention est donc de toujours te comporter en coquine avérée ?

gosset aînée.

Ah ! toujours !

le compère mathieu.

Eh bien ! bravo ! c’est à merveille.

Vous, charmante coquine,
Quittez les étendards
De ce dieu dont la pine
Vaut celle du dieu Mars.
Écoutez ma censure,
Et sans façon
Renoncez à l’usure
De votre con.

Quand trop vive fouteuse,
Toujours le vit en main,
Ne peut se dire heureuse
Qu’en branlant un engin,
Son con, devenu large,
Trop fréquenté,
Est lent à la décharge,
Et rebuté.

En effet, quel délice
De foutre trop souvent ?
Le vit dans la matrice
Ne pompe que du vent ;

Dans l’île de Cythère,
Tout est commun
Le devant le derrière
Ne font plus qu’un.

Allez en paix, ma fille, et ne péchez plus.

(À Robin.)

À ton tour, goujat ; car ne crois pas que tes habits brillants m’en imposent ; je lis dans ton cœur à travers tes habillements, qui ne me montrent tout au plus qu’un gueux revêtu, un portefaix habillé.

robin.

J’ai cela de commun avec bien d’autres dont la source n’est pas plus illustre ; en quittant Rouen et le faubourg Saint-Sever, où par la grâce du ciel mon père était un pauvre savetier, je vins avec une femme m’établir paillasse sur des tonneaux au quai de la Ferraille.

le compère mathieu.

Et tu as des rentes, des appartements somptueux, des habits brodés ?

robin.

Que voulez-vous ? Je suis Normand : c’est par la grâce de Dieu et de mon intrigue ; mais laissez-moi finir. Je quittai bientôt la femme à qui j’avais des obligations, pour m’établir maquereau de l’hôtel Soissons, et la chrétienne que je pris, nommée Romainville, renchérissait sur les plus effrontées gourgandines de la halle neuve. J’étais alors un petit foutriquet. Je fus le sacristain de son bordel, son rinceur de burettes. Romainville foutait avec les michés qui se présentaient, et les trois quarts du temps je tenais la chandelle.

le compère mathieu.

Joli métier, ma foi !

robin.

Je fus pantin aux associés, et Romainville et moi nous nous quittâmes après avoir eu l’un avec l’autre de ces scènes qui ne sont que trop communes entre maquereaux et putains ; elle se maria bien légitimement avec un de ses vieux michés, maître de pension, qu’elle a étouffé depuis, et moi j’eus le même destin. Une femme blasée, mais riche, qui avait besoin d’une couverture, me donna sa main et m’enrichit. Voilà ma vie en trois parties.

le compère mathieu.

Elle est jolie, mais m’étonne peu : la caque sent toujours le hareng. Allons, gredin, amende honorable !

Air : Maman, j’aime Robin.

Robin, demande grâce
D’avoir pris une garce
Pour finir son destin :

M’entends-tu bien, Robin ?
Robin, m’entends-tu bien (bis) ?

Robin, en brave fille
Fallait foutre la fille,
Mais sans être gredin :
Robin, m’entends-tu bien ?
Robin, m’entends-tu bien (bis) ?

L’homme qui, l’âme gueuse,
Épouse raccrocheuse,
Est un lâche, un vilain :
M’entends-tu bien, Robin ?
Robin, m’entends-tu bien (bis) ?

Aussi, sans nul peut-être,
Oui, ton sort sera d’être
Cocu soir et matin :
M’entends-tu bien, Robin ?
Robin, m’entends-tu bien (bis) ?

(À Nanette Somery.)

Et vous, petit minois guilloché, qu’allez-vous m’apprendre ?

nanette somery.

Ce que sait toute la race histrionne, que je suis une putain ; qu’ainsi était et est encore ma sœur aînée, quoiqu’elle soit mariée ; que ma mère était une vieille maquerelle, de l’espèce des bohémiennes ; que mon père était un gueusard, un ivrogne, que nous nous nourrissions avec du foutre, et que par-dessus tout cela je suis votre servante.

le compère mathieu.

Bien obligé ! Voilà une généalogie à laquelle il ne manque rien. Mais quelle idée avez-vous eue de vous mettre au théâtre ?

nanette somery.

Ah ! la voici : c’est qu’à la vérité le putanisme m’a fort déplu dans ma jeunesse ; d’ailleurs, je raisonnais juste, et je savais bien que je n’avais pas un visage à faire fortune dans cette profession ; et quoique ma mère m’ait souvent battue pour m’engager à faire des michés, ce n’était dans ce temps qu’avec la plus extrême répugnance que je me décidais à branler une pine.

le compère mathieu.

Il me paraît que vous êtes changée depuis ?

nanette somery.

Du tout au tout. Ce qui me choquait encore dans cet état, c’est que, faisant des pratiques et des quarts de soirées au compte de ma sœur, elle se réservait les plus fringants clients et m’abandonnait son rebut. J’enrageais quand il fallait que je branlasse les vieilles perruques qui ne bandaient pas ou très-faiblement, quelques petits-maîtres réduits au vit mollet, et qui payaient encore plus mal qu’ils ne foutaient ! Toutes ces considérations me donnèrent non-seulement de l’horreur pour le métier, mais encore pour les hommes. Je fis choix d’une bonne, et la Saint-Martin, tout à la fois maîtresse couturière et bambochine des associés, me travailla le joyeux.

le compère mathieu.

J’entends ; vous augmentâtes le nombre des tribades de la capitale.

nanette somery.

D’accord, mais pour peu de temps. Ma sœur me chassa ; je fus obligée de me mettre à l’établi et de raccrocher pour mon compte. Pendant le jour, je faisais croisée rue Montorgueil, et le soir je faisais foule avec les souillons du Petit-Carreau. Un séminaire d’un mois que je fis à Saint-Martin m’engagea à lâcher encore une fois l’honorable commerce, et après avoir végété encore quelque temps sur les boulevards, j’entrai aux Délassements-Comiques, où je me reposai de mes fatigues.

le compère mathieu.

Et où vous pratiquez sans doute l’exercice honnête de la prostitution d’une manière plus distinguée ?

nanette somery.

Et moins risquable, quoiqu’une gouine de spectacle soit aussi exposée à la vérole qu’une gouine des rues. Il est vrai que je ne fouts plus guère qu’avec quatorze ou quinze de mes connaissances, et notamment avec Coulon, notre cher directeur.

le compère mathieu.

C’est bien assez ; mais en parlant de Coulon, on m’a dit que ce bougre-là tranchait du seigneur.

nanette somery.

Comment, diable ! c’est un homme conséquent.

le compère mathieu.

Oh ! je le crois ; mais il ferait beaucoup mieux de retourner à sa forge et aux outils qu’il fabrique, sans se mêler d’un métier qu’il ne connaît nullement ; mais laissons là : vous n’avez pas regretté votre sœur ?

nanette somery.

Point du tout ; je vous ai dit qu’elle était mariée ; elle épousa un artisan de l’enclos de Saint-Jean de Latran, à qui elle porta en dot la provision de ses vices et de ses ridicules. Ce qui me la fait moins regretter encore, c’est que dans l’immense quantité de michés qui venaient paillassonner à la maison, Bouthilier, premier secrétaire de l’intendant Berthier de Sauvigny, décédé en place de Grève, réunissait toutes les infamies qui se pratiquent au bordel ; et l’un de ses goûts favoris, celui qui le faisait bander plus promptement, était de se faire branler par une femme, qui, en même temps, armée d’une paire de ciseaux, se coupait quelques poils de la moniche. Ma sœur, qui, par parenthèse, avait au con la plus jolie fourniture qui puisse se rencontrer sous la cotte d’une garce publique, n’était pas curieuse de s’en priver pour monsieur le premier commis, qui revenait à la charge et qui payait bien. Ainsi donc, en pareille aventure, elle mettait en scène son aide major : vous entendez que c’était moi ? Dans ces moments, nous étions nues l’une et l’autre ; et pendant que je branlais à tour de bras M. Bouthilier, ma garce de sœur se plaisait à me couper sans ménagement les poils du cul les uns après les autres. Je suis blonde, conséquemment peu fournie, et une fille qui a besoin de son petit bien et de ses dépendances, ne se laisse pas, sans chagrin, tondre ainsi la motte.

le compère mathieu.

Effectivement, le plaisant de l’aventure n’était pas pour vous.

nanette somery.

Donnez-moi maintenant des conseils.

le compère mathieu.

Volontiers, en faveur de votre franchise.

Toujours, avec ivresse,
Croyez-moi, remuez la fesse,
Toujours, avec ivresse,
Prêtez votre conin.

Prêtez votre conin
En royale putain ;
Mais si, par aventure,
Quelque vit de bonne carrure,
Vous faisait cette injure,
De ne pas décharger.

De ne pas décharger,
Il faut, pour vous venger,
Si bien branler votre homme,
Que votre poignet l’on renomme ;

Oui, c’est là le seul dogme
Qui vous soit de profit.

Qui vous soit de profit,
Triste chose qu’un vit
Qui, d’un con par trop large,
Sort sans y laisser de décharge,
Et l’on peut mettre en marge :
Ah ! le bougre de vit !

(À Beaumenil.)

Pour vous, ami, je n’ai pas besoin de vous interroger ; je connais vos mœurs : elles vous font honneur ; ce n’est qu’à regret que je vous ai rangé parmi cette canaille, après avoir débuté à la Comédie-Française, et avoir tenu l’emploi des premiers rôles dans les principales villes de province ; la nécessité la plus impérieuse des lois vous y a contraint, je le sais ; il est vrai qu’on vous accuse de temps à autre d’avoir des accès de folie ; mais on ne doit pas vous en blâmer ; se voir aux Délassements-Comiques confondu avec des maquereaux, des sots, des escrocs et des putains, en voilà plus qu’il n’en faut pour faire tourner la tête à un homme bien moins sensé que vous ne l’étiez avant cette chute. Passons donc au reste de l’examen… Ah ! grands dieux ! quel frétin ? Aidez-moi à le débrouiller. Quelle est cette vieille figure édentée, mal bâtie, et qui cependant a des prétentions ?

beaumenil.

C’est Allier, notre premier danseur, cousin germain de Coulon, à qui ce dernier a extorqué la direction.

le compère mathieu.

Vous appelez cela un premier danseur ! Je ne m’en serais pas douté. Qu’il est laid !

beaumenil.

Sa manie est de le dire et de ne pas le croire.

le compère mathieu.

Il n’est pas le seul ; et le reste ?

beaumenil.

Une tourbe de misérables avortons rebutés par Thalie, et qui ne vaut seulement pas la peine d’être nommée.

le compère mathieu.

En ce cas, il faut les expédier ; silence, et qu’on m’écoute.

Air : Fournissez un canal au Ruisseau,
de Rose et Colas.

Recevez, vous, putains et ribauds,
L’ingénu sermon du compère :
En jolis cons, en couillons chauds,
Il faut surpasser toute la terre ;
Mais dans plus d’une conjoncture,
Mathieu vous fait ici la loi,
Ne point trop forcer la nature,
C’est bien là mon acte de foi (bis).

Oui ; Gosset, votre joli con

Promet fouterie sans pareille ;
Écartez-vous, c’est ma leçon,
Vous serez une gente merveille ;
Dans le vagin où loge un vit,
Quand le tempérament murmure,
Ainsi le dit dame nature,
Soit fait tout comme elle prédit (bis).

Je vais, misérables pantins,
Confesser les danseurs de corde :
Que de fripons ! que de putains !
Mendieront ma miséricorde !
Je vais à toutes ces catins
Prédire, sans aucune injure,
Et l’horreur de la nature
Feront leurs aimables destins (bis).

le compère mathieu.

Mais quel est cet autre visage ?

panier.

Je me nomme Panier, et suis un directeur de ce spectacle ; de plus, tourneur au mont

Saint-Hilaire, et, dans un besoin urgent, je tournerais les plus jolies bamboches du monde ; en attendant, j’espère en commander d’animées au quartier de l’Estrapade. J’ai la permission des districts ; les grenadiers m’ont donné un bon coup de giberne. Venez m’y voir, et là vous pourrez confesser les pantins que j’y rassemblerai. En attendant, je vous baise les mains.

Ici le compère Mathieu fait une pause et prie ses lecteurs de prêter leur attention pour les confessions qui lui restent à faire dans les autres taudions des boulevards.
FIN DU TOME PREMIER.
  1. On prétend que ces oiseaux, dénués de couilles, portent au cul toute leur graisse.