Les Parlers Parisiens/Appendice

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H. Welter (p. 152-153).
Appendice.

Dans le livre de M. L. Brémont, le Théatre et la Poésie, Questions d’Interprétation (Pariis 1894), P. 124 ss., on trouve le passage suivant:

C’est de la musique, qu’il faut mettre partout dans le rôle de Grisélidis, l’un des derniers grands succès de la Comédie-Français; l’oubli des syllabes longues, la suppression des e muets sont des trahisons constantes envers le poète harmonieux et caressant qui s’appelle Armand Silvestre.

Faites-en l’expérience sur ces vers:[1]

Devant ce soleil qui monte aux cieux clairs
             1                    
Et rayonne au-dessus du calice des mers,
                   1                — 2
Comme aux mains des prêtres l’hostie
                                          2
Je vous donne ma foi librement consentie.
                  3

Il est facile de voir que le mouvement large et solennel exigé évidemment par ces vers se trouvera naturellement accentué sur la syllabe longue du mot donne.


Je vous donne ma foi.
              ≡≡≡≡

Si vous en faites une brève et si vous supprimez l’e muet qui suit, l’allure du morceau n’y est plus.

Continuons:

On est plus près de Dieu sur les collines vertes
                            1                          — 3
      Dans la solitude des soirs
                             2
      Quand les roses encore ouvertes
                            2
Se balancent dans l’air comme des encensoirs!
          — 2                               3

Ne voit-on pas tout de suite que ce qu’il y a de suggestif en ces derniers vers se trouve ramassé dans la longue et la brève de ces mots: «se balāncĕnt».

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sourire de l’aube vermeille
       2  1    — 2
Adieu du soir éblouissant
N’ont pour moi qu’une ombre pareille.
                                           2

Il ne reste rien de ce premier vers si vous le réduisez à six pieds en disant:

Sourir’ de l’aub’ vermeille

il n’a de grâce que dans la plénitude de ses huit pieds.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Des voiles comme des oiseaux,
        — 3             2
À la fois changeants et fidèles
Effleurent d’une blancheur d’ailes
      — 3           1
La face tremblante des eaux.
          2                2

  1. Je marque d’un no 1 l’e muet qui se prononce entièrement avec toute sa sonorité douce encore mais précise. Par le no 2, j’indique celui qui se murmure plutôt qu’il ne se prononce et enfiin je désigne par le chiffre 3 l’e muet qui ne se prononce pour ainsi dir pas, mais qui compte dans la mesure et que, par une sorte d’expiration vague du souffle, on met dans l’esprit de l’auditeur.