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Les Peaux-Rouges de Paris (Aimard)/III/I

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TROISIÈME PARTIE

LES MORTS-VIVANTS


I

COMME QUOI, SANS QUITTER PARIS, ON PEUT VISITER LA COUR DE ROME.


Même après 1848, Paris était encore, jusqu’à un certain point, malgré des embellissement successifs, resté une ville du moyen âge, par l’enchevêtrement complique et l’étroitesse du plus grand nombre de ses rues.

Dans certains quartiers du centre, aux environs des Halles centrales, autour du Palais-Royal et du Louvre, aux Arts-et-Métiers et dans les environs de l’Hôtel-de-Ville, dans la plupart des rues, à certaines heures de la journée, la circulation des voitures était presque impossible.

Dans quelques-unes même, trois personnes ne pouvaient passer de front.

Les maisons, dont certaines remontaient au quinzième siècle, se touchaient presque par le faîte, de sorte que l’air et le soleil y manquaient complètement.

De plus, tous les malandrins, escrocs, chevaliers d’industrie et assassins, en un mot, les désœuvrés et les déclassés de toute sorte avaient établi leur camp dans ces rues honteuses ; ils en sortaient le soir pour s’abattre sur la ville, avec une espèce d’impunité, à cause de la difficulté qu’éprouvait la police à s’introduire dans ces forteresses du vice et du crime.

Les immenses démolitions opérées sous le second Empire, sans parler du côté stratégique, que l’on passa soigneusement sous silence, eurent pour but, ou plutôt pour résultat — car, à cette époque, nos édiles ne se souciaient que très médiocrement des intérêts de la population parisienne — eurent pour résultat, disons-nous, d’assainir la ville, en faisant circuler à grands flots, l’air et le soleil dans ces quartiers déshérités, et de bouleverser de fond en comble les nombreuses Cours des Miracles, cyniquement posées, comme de hideuses verrues, jusqu’au centre de la grande cité, qu’elles déshonoraient.

Malheureusement, l’intérêt particulier vint, comme toujours, entraver l’intérêt général, et même le résultat que l’on espérait fut loin d’être atteint.

De nombreuses rues disparurent ; d’autres furent élargies dans certaines conditions, mais beaucoup des rues malsaines, condamnées, restèrent debout, et furent conservées sans raisons plausibles.

Les bouges qu’elles renfermaient et qui servaient, depuis plusieurs générations, de repaires et étaient de véritables colonies de malfaiteurs de toutes sortes, échappèrent ainsi à la pioche bienfaisante des démolisseurs.

Les sinistres coquins, troublés dans leur quiétude séculaire, se sauvèrent dans toutes les directions, comme un vol d’oiseaux de nuit effrayés par la lumière.

Mais aussitôt que les grands boulevards, les larges rues, les verdoyants squares et les magnifiques maisons nouvelles furent bâties, que la tranquillité revint de nouveau, les gredins de toute espèce, avec cet instinct des fauves qui leur fait toujours retrouver leurs tanières, regagnèrent à pas de loup les bouges restés debout et s’y rencontrèrent de nouveau.

Surtout au quartier des Arts-et-Métiers, dans les rues Guérin-Boisseau, des Vertus, Tirechappe et d’autres encore, dont certains tronçons n’avaient pas été absorbés par les embellissements de la ville, ils s’établirent plus solidement que jamais.

Aujourd’hui, dans le peu qui a survécu de l’ancien quartier des Arts-et-Métiers, tout a repris son train ordinaire ; à cette différence près, que les bandits de toute espèce réfugiés dans ces bouges, malgré toute leur adresse, sont moins heureux que leurs devanciers des anciens jours.

Trop souvent pour eux, les rondes de police viennent troubler leurs ébats, apparaissent à l’improviste au milieu d’eux et les emballent, par de formidables coups de filet.

Aussi, pendant un de mes voyages de découverte dans ces limbes de la civilisation, l’un de ces déclassés me disait-il avec un hochement de tête mélancolique, ce qui, je l’avoue, ne m’attendrit nullement :

— C’est fini le bon temps est passé… la lumière nous tue… Ah ! maintenant, il n’y a plus de plaisir !

En effet, la police a ses coudées franches, et elle en profite pour purger la ville.


Le mardi 29 mars 1870 fut une des journées les plus froides de l’année, bien que depuis huit jours, d’après tous les almanachs, le printemps fût commencé.

L’ombre s’épaississait sur la ville.

Il gelait depuis l’avant-veille, et le baromètre baissait de plus en plus.

Les boulevards et les rues étaient déserts.

Les becs de gaz ne répandaient qu’une lueur triste à travers leurs vitres ternies, et enveloppées d’un halo de mauvais augure.

Au moment où le dernier coup de sept heures tintait à l’église Saint-Merry, un homme tourna le coin de la rue Saint-Martin et entra dans la rue des Gravilliers, se dirigeant vers la cour de Rome.

Cet homme devait être jeune encore, et pourtant il paraissait plus de cinquante ans, car, sur son visage imberbe, ou plutôt glabre, le vice avait depuis longtemps appliqué sa griffe ineffaçable.

Il avait les traits émaciés, le teint jaune, les yeux clignotants et le regard sournois des pires rôdeurs de barrières.

Il était vêtu à peu près comme les ouvriers des ports, d’un pantalon de toile bise, constellé de taches et effiloqué du bas, d’un bourgeron bleu déchiré par-dessus une chemise de fine batiste taillée à la dernière mode, mais noire de crasse ; il était coiffé d’une casquette en soie noire, usée, graisseuse, dont la visière tombante cachait presque ses yeux, et dont la calotte était rejetée en arrière ; enfin, il avait ses cheveux gras et plats ramenés en facettes et collés en accroche-cœurs sur les tempes.

Cet homme s’en allait le long du trottoir d’une allure déhanchée, une pipe à tuyau microscopique rivée au coin gauche de la bouche, et les mains dans les poches de son pantalon.

Il s’arrêta devant le numéro 28 de la rue des Gravilliers, et après avoir promené autour de lui, d’un air nonchalant, ce regard fureteur de l’homme dont la conscience n’est pas tranquille, il pénétra dans la cour de Rome.

La cour de Rome a survécu aux démolitions pour sa plus grande partie.

C’est véritablement une ville dans la ville.

Dès qu’on y met le pied, on se retrouve en plein moyen âge, avec les vieilles coutumes et les traditions du vieux Paris, son architecture primitive et presque son langage des anciens jours.

C’est là, en un mot, que le présent et le passé se rencontrent face à face sans transition.

En voyant ce débris de l’ancienne cité, on se félicite des progrès accomplis, et l’on remercie les démolisseurs officiels.

La cour de Rome a trois entrées principales : la première, rue des Vertus, n° 7, la seconde, rue des Gravilliers, n° 28, et la troisième, impasse de Rome, n° 1.

Cette cour a plusieurs points de ressemblance avec l’ancienne cour du Commerce, aujourd’hui disparue dans le percement de la rue de Rivoli, et qui enveloppait complètement la tour de Saint-Jacques-la-Boucherie.

Tout autour de cette cour se trouvent des fabriques séparées par des rues qui forment un véritable dédale, sombre, étroit et boueux en tous temps.

Au milieu il y a une fontaine publique et une horloge.

Avant l’époque néfaste pour ses habitants, où les rayons du soleil et les rondes de nuit pénétrèrent enfin dans ces immondes cloaques, pour essayer de les assainir, tant au moral qu’au physique, on y trouvait tout : vêtements, aliments, et le reste.

De sorte que les vétérans du crime, retirés des affaires, et qui y avaient établi leurs pénates, n’en sortaient jamais : ils vivaient dans ce clos maudit, comme des huîtres sur un banc, sans même se soucier de ce qui se passait à cinq cents pas d’eux.

Les bruits de la cité n’arrivaient même pas à leurs oreilles.

La population de la cour de Rome et de certaines rues et voies adjacentes appartient à une classe particulière, ou, pour être plus vrai, elle n’appartient à aucune classe déterminée.

C’est un amalgame bizarre, composé, pour la plus grande partie, de bohèmes de la pire espèce : camelots, filous, souteneurs de filles, échappés des maisons centrales, forçats en rupture de ban, décavés de toutes sortes, grecs, banqueroutiers frauduleux, vivant tous sur le communal, qui chaque jour se lèvent sans un sou et, sans travailler, trouvent facilement tout ce qui leur manque, dans les poches des dupes qu’ils dévalisent soit par ruse, soit autrement : car tous les moyens leur sont bons pour arriver à leurs fins.

Ils se divisent en deux parties bien distinctes : ceux qui exploitent la nuit et ceux qui travaillent en plein soleil.

Mais tous sont également coquins et ont pour la plupart des antécédents judiciaires déplorables.

Ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’ils vivent côte à côte, mais sans se mêler et presque sans se voir, avec les nombreux ouvriers honnêtes et laborieux des fabriques du clos de Rome.

À l’époque où se passe notre histoire, et peut-être encore aujourd’hui, vers le milieu d’une des rues fangeuses dont nous avons parlé, à gauche, en entrant dans la cour de Rome par la rue des Gravilliers, se trouvait une maison haute et étroite, remontant évidemment au quatorzième siècle, construite moitié en bois moitié en clayonnages, dont, à chaque étage, les fenêtres, garnies d’épaisses persiennes, restaient constamment fermées.

On pénétrait dans cette maison d’aspect sordide, honteux et misérable, par une porte basse et cintrée, ouvrant sur un long corridor étroit, sombre, humide, aboutissant à une cour de quatre mètres carrés, dont le centre était occupé par un puits à haute margelle en pierre, garnie d’une armature en arcade de fer forgé d’un très beau travail, mais rongée et déjetée par la rouille et la vétusté.

Ce puits, d’une grande profondeur, descendait, disait-on, jusqu’à d’immenses souterrains.

Mais personne n’aurait osé l’affirmer ; depuis plus de quarante ans, ce puits était condamné et recouvert de planches épaisses, assujetties par une barre de fer garnie d’un énorme cadenas.

À droite de la porte de la rue, percée d’un judas, et qui ne se fermait jamais avant minuit, se trouvait une boutique, occupant toute la façade de la maison, c’est-à-dire environ huit mètres.

Cette boutique, extérieurement défendue par une forte grille en fer à barreaux très rapprochés, posée sur toute la façade, à hauteur des fenêtres, et peinte au minium, n’avait d’autre enseigne que des rideaux rouges, hermétiquement clos, et ne permettant pas au regard curieux des passants de pénétrer à l’intérieur.

Ces rideaux donnaient à la boutique l’apparence d’un débit de vins.

Les habitants de la cour de Rome prétendaient qu’on y vendait toutes espèces de choses, et surtout de celles prohibées par les règlements de police.

Peut-être avaient-ils raison ; car la plupart des individus qui entraient ou sortaient de ce singulier établissement, quoi qu’ils fissent pour ne pas attirer l’attention, avaient des allures et des physionomies patibulaires fort peu rassurantes, même pour la population, cependant fort peu difficile, de ce clos excentrique.

Généralement, pendant la journée, très peu de consommateurs ouvraient la porte de cette boutique, deux ou trois tout au plus.

Mais, dès que la nuit tombait sur la ville, que l’obscurité commençait à s’épaissir, les chalands affluaient de toutes parts ; tandis que, du corridor sombre s’échappaient, comme une volée d’oiseaux de nuit, des femmes à mises provocantes et à la mine plus qu’effrontée, qui se hâtaient de quitter la cour de Rome et de se disperser dans toutes les directions.

Cette maison, occupée du haut jusques en bas par le propriétaire de la boutique, était un de ces établissements de bas étage auxquels, dans leur langage imagé, les membres de l’armée roulante, ainsi qu’ils s’intitulent eux-mêmes, ont donné le nom caractéristique de tapis franc, dans lesquels la police vient pêcher à coup sûr, et qu’elle laisse ouverts tout exprès pour y retrouver, quand besoin est, certains individus qu’elle a intérêt à ne perdre jamais entièrement de vue, et que la fatalité contraint à y chercher un refuge plus que précaire.

Les maîtres de ces établissements sont d’anciens libérés des maisons centrales pour la plupart ; comme tels, fort peu scrupuleux, alliés malgré eux des employés de la Préfecture de police, mais ne se gênant pas, chaque fois que l’occasion s’en présente et qu’ils se croient assurés de l’impunité, pour donner aux agents de faux renseignements et faire évader, s’il est possible, ceux de leurs habitués placés sous le coup d’un mandat d’amener ; quitte à les livrer plus tard s’ils craignent sérieusement d’être compromis.

En réalité, ces refuges de l’écume et de la lie de la population parisienne, sont plutôt un embarras qu’un avantage pour la police.

La routine seule, cette loi suprême de nos administrations, les fait se perpétuer, au grand détriment des gens honnêtes.

Pour un malfaiteur arrêté, cent échappent, ou avant d’être pris, ont eu le temps de commettre de nombreux délits ou même des crimes.

Trop souvent même, quelques-uns réussissent à ne jamais être arrêtés.

L’homme dont nous avons parlé plus haut marchait nonchalamment ; il avait remis sa pipe dans la poche de son bourgeron ; il sifflait l’air alors en vogue de la Vénus aux carottes, regardant d’un œil sournois à droite et à gauche, prêt à rebrousser chemin s’il apercevait quelque figure suspecte.

Parfois il interrompait sa mélodie pour adresser aux femmes qu’il croisait quelques plaisanteries de haut goût qui les faisaient rire ; mais malgré ses allures insouciantes, il était facile, aux froncements de ses sourcils et aux tressaillements nerveux des muscles de sa face, de reconnaître qu’il était en proie à une vive préoccupation.

Arrivé devant la boutique, il passa deux ou trois fois devant elle sans s’arrêter ; il inspecta d’un regard l’ombre qui allait s’épaississant.

Mais, rassuré sans doute par la solitude complète qui régnait aux environs, il fit jouer brusquement le loquet de la porte, entra ou plutôt se précipita, et referma la porte derrière lui, avec un soupir de soulagement.

La boutique était grande, garnie de tables, dont quelques-unes étaient occupées par des individus à mines patibulaires, sordidement vêtus, dévorant isolement et dans le plus profond silence, de copieuses portions d’affreux ragoûts sans noms dans la Cuisinière bourgeoise, et qu’ils humectaient de vin bleu.

Ces consommateurs, au nombre de cinq, occupaient chacun le bout d’une table.

Un sixième, à demi étendu sur un banc, fumait une pipe, de celle nommées brûle-gueule, la tête penchée sur la poitrine et le dos appuyé à la muraille, recouverte d’un affreux papier vert à fleurs rouges ; une mesure d’eau-de-vie placée sur la table, à portée de sa main, et qu’il portait souvent à sa bouche, était à demi vide.

Derrière un massif comptoir, chargé de mesures d’étain de toutes capacités et d’un grand nombre de bouteilles de différentes grandeurs, trônait une femme déjà âgée, au visage de chouette et aux yeux clignotants, très longue de taille et d’une maigreur excessive, mais aux allures hommasses, et paraissant douée d’une grande vigueur.

Derrière elle, sur des planches, étaient rangées une infinité de ces fioles de toutes formes, remplies de ces liqueurs suspectes, affublées de ces noms baroques que l’on ne rencontre plus que dans les établissements de ce genre.

Au-dessus de sa tête, attachée à la muraille, se trouvait une de ces horloges nommées œils-de-bœuf, mais qui se gardait bien de marquer l’heure exacte.

La boutique était éclairée, tant bien que mal, par une lampe garnie d’un abat-jour réflecteur, suspendu au plafond par une chaîne de laiton.

— Bon ! murmura le buveur d’eau-de-vie, en jetant un regard de côté sur le nouvel arrivant, en voilà un qui a une rude venette de la rousse.

Celui à qui s’adressait cet aparté ne sembla pas l’entendre.

Il alla s’asseoir tranquillement à la table voisine de celle du buveur d’eau-de-vie ; et, sortant une pièce de cinq francs de sa poche, il frappa trois coups sur la table et laissa tomber la pièce à plat devant lui, après l’avoir fait tourner entre ses doigts sur le cordon.

La longue femme tressaillit.

Au lieu d’interpeller une espèce de maritorne crasseuse qui dormait, la tête sur une table, tout près d’elle, ainsi qu’elle faisait à chaque demande des consommateurs, elle se leva, quitta son comptoir, et, s’approchant avec empressement du nouveau venu, elle lui dit, avec un sourire hideux, qui voulait être aimable et découvrit une formidable rangée de dents jaunes et gâtées, qui meublaient une bouche aux lèvres imperceptibles et fendue comme par un coup de sabre :

— Te voilà, pays ? Ça me fait plaisir de te voir, d’où viens-tu donc ?

— De Bourg-en-Bresse, par la traverse, répondit l’homme d’une voix traînante et enrouée, en emboîtant, comme un monocle, la pièce de cinq francs sous l’arcade sourcilière de son œil gauche.

— Le pays est bon par là ? reprit la femme de plus en plus souriante.

— Oui, reprit l’autre en ricanant, quand on sait semer des pois et récolter des fèves. Monsieur Romieux va bien ?

— Eh ! eh ! bien petitement, fit-elle en hochant la tête ; tu le verras bientôt ; mais, en attendant que faut-il te servir pour le quart d’heure ?

— À boire et à manger, j’ai la fringale ; mais pas de camelote ni d’arlequins. Je veux du chenu ; j’ai de l’osse ; une gibelotte, une salade et du vin bouché.

— J’vas te soigner ça, pays ; je ne te dis que ça, tu t’en lècheras les badigoinces.

À l’énumération de cette somptuosité, et surtout en voyant l’amabilité peu ordinaire de leur hôtesse, les mangeurs relevèrent la tête, et regardèrent curieusement l’homme qui se payait ce balthazar intime.

Celui-ci bourrait tranquillement sa pipe, sans paraître remarquer l’effet qu’il produisait.

La longue femme avait réveillé sa servante d’un colossal coup de poing dans le dos, lui avait donné ses ordres, et elle était revenue s’asseoir majestueusement derrière son comptoir.

Tout ça, c’est des emblèmes, murmurait le buveur d’eau-de-vie en sirotant, avec un visible plaisir, son affreux breuvage ; c’est un mot d’ordre ; ils se connaissent. Ce particulier-là me fait l’effet d’avoir rincé quelque chouette cambriole ; la Marlouze est trop aimable pour lui ; c’est pas naturel : faut voir ça !

Et comme la mesure d’eau-de-vie était vide, il en demanda une seconde, que la servante lui apporta d’un air rechigné, en se faisant payer d’avance.

La Marlouze était le nom de guerre de la maîtresse de l’établissement.

Sa conduite, en cette circonstance, devait sembler à ses habitués d’autant plus extraordinaire, que loin d’être renommée pour l’aménité de ses manières, elle jouissait, au contraire, et cela avec raison, d’une réputation de brutalité solidement établie.

Il est singulier que tous les bouges fréquentés par des repris de justice soient généralement tenus par des femmes, et que ces femmes sachent si bien s’imposer à ces misérables, qu’elles les mènent tous tambour battant, sans que jamais ils osent regimber, ni même se plaindre.

Le buveur d’eau-de-vie était à peu près vêtu de la même façon que notre premier personnage ; il avait les mêmes allures, les mêmes accroche-cœur colles aux tempes, la même voix enrouée et le même accent traînard.

Seulement il paraissait plus âgé de quatre à cinq ans, il portait une épaisse moustache noire et une longue impériale ; les moustaches étaient cirées et outrageusement relevées en pointe vers les yeux.

Lorsque la servante lui servit la nouvelle mesure d’eau-de-vie, tout en payant par anticipation, il lui dit d’un air aimable :

— Joglotte, ma belle, mettez un autre verre ; monsieur me fera l’honneur d’accepter un glacis d’eau-d’ff en guise de perroquet, en attendant son boulotage ?

— Ce n’est pas de refus, répondit l’autre en saluant poliment.

— À votre santé ! dit-il.

— À la vôtre !

Ils burent rubis sur l’ongle.

— C’est drôle, reprit l’homme aux moustaches, il me semble vous avoir vu quelque part ?

— Ou ailleurs ? C’est bien possible, répondit imperturbablement, mais avec une pointe d’ironie, le débardeur : j’y vais quelquefois.

Les deux hommes s’examinèrent pendant un instant avec une expression singulière, puis ils se mirent à rire.

— C’est bon ! reprit l’homme à l’eau-de-vie, en frisant sa moustache ; vous êtes mariole, n’en parlons plus ; j’ai eu tort, voilà tout.

En ce moment, la servante apporta la gibelotte, la salade et la bouteille de vin cacheté.

Elle plaça le tout sur la table en un tour de main.

— C’est trois francs vingt-cinq, dit-elle en allongeant sa large patte crasseuse.

— Voilà quatre francs, répondit le débardeur en lui remettant deux pièces de deux francs ; il y a soixante-quinze centimes pour vous ; mais vous avez oublié le fromage et la moutarde.

— Tout de suite ! s’écria-t-elle, rouge de plaisir de recevoir un si beau pourboire.

— Cristi ! quelle épate ! s’écria un des mangeurs. Ce mâtin-là est pour sûr un banquier qui s’a tiré les pieds après avoir rincé sa caisse.

— Le cœur vous en dit-il ? demanda le débardeur à l’homme aux moustaches, en l’invitant du geste.

— Merci, répondit l’autre en ricanant ; j’prends jamais rien entre mes repas.

Le débardeur éclata de rire.

— Allons, fais pas l’malin, Polyte, reprit-il ; asseois-toi là.

— Tu sais mon nom ? s’écria l’autre au comble de la surprise.

— Et ton surnom aussi, Fil-en-Quatre.

Polyte se leva et s’assit en face de son singulier amphytrion.

— Tu me connais ? dit-il.

— Faut croire, reprit l’autre, en lui servant de la gibelotte ; aimes-tu la tête ?

— Un peu ; donne toujours pour voir si c’est un lapin de gouttière. C’est drôle, j’ai beau chercher, vrai ! je n’te reconnais pas.

— Quand je t’aurai vu encore une fois, ça fera deux, mon homme.

— Alors, comment que tu me connais ?

— Qué que ça t’fait, malin ?

— Dam ! il me semble…

— Dis pas de bêtises, nous avons à parler d’affaires, interrompit nettement l’autre.

— Ah ! ah ! voyez-vous ça ? fit Polyte avec méfiance ; et quelles affaires donc, mon p’tit ?

— Allons, flanche pas, Fil-en-Quatre ; est-ce que tu vas me prendre pour une mouche, à c’t’heure ?

— Bédame ! quand on ne connaît pas les gens…

— Tu es un sinve ; à ta santé !

— À la tienne ; et puis ?

— Et puis, reprit l’autre en posant son verre vide sur la table, ce matin, quelqu’un que t’as rencontré à Grenelle, et dont je n’ai pas besoin de te répéter le nom, t’a dit : « Va ce soir chez la Marlouze, il y a un poupon gras ; on te demandera : Les cerises sont-elles mûres ? »

— Et je répondrai, s’écria tout à coup Fil-en-Quatre : « Elles sont si mûres, qu’elles vont tomber des branches. »

— C’est ça même, mais parle plus bas ; mets une sourdine à ton galoubet.

— Bah ! il y a pas d’soin ; regarde, nous sommes seuls.

— C’est vrai, c’est pas malheureux !

Pendant que tout en mangeant les deux hommes avaient, à demi-voix, cet intéressant entretien, les autres consommateurs s’étaient retirés les uns après les autres.

— Ah ! ça, t’es donc le Loupeur ? demanda Fil-en-Quatre.

— Pour te servir, répondit le Loupeur, puisque tel est son nom ; tu vois à présent que si je ne te connaissais pas personnellement, je savais tout au moins ce que tu vaux.

— Merci de l’honneur, je m’en rendrai digne, répondit presque respectueusement Fil-en-Quatre.

— Je l’espère, dit majestueusement le Loupeur, mais pas de cascades ; faut être sérieux, nous avons affaire à des rupins de la haute, l’or coule comme de l’eau entre leurs doigts, faut se garder à carreau et avoir la gueule morte.

— On exécutera la consigne, dit Fil-en-Quatre un peu piqué de la leçon.

— Ne te fâche pas ; je parle dans ton intérêt. Puis-je compter sur toi ?

— Comme sur toi-même ! s’écria-t-il vivement. Je sais ce que tu vaux, depuis longtemps ; je te connais de réputation ; je me ferais mettre en hachis pour toi.

— C’est bien ; nous verrons. Tant mieux pour toi si tu le penses, tant pis pour toi si tu essaies de me faire voir le tour.

Le Loupeur accompagna ces paroles d’un regard sous le poids duquel, si brave qu’il fût, Fil-en-Quatre se sentit frissonner.

En ce moment, une sonnette tendue sur le muraille, au-dessus de l’œil-de-bœuf et à droite de la Marlouze, tinta deux coups.

La longue femme se leva.

Elle avait suivi avec un grand intérêt, bien que sans en entendre un seul mot, ce qui s’était passé entre les deux hommes : elle quitta son comptoir, et s’approchant plus aimable que jamais, de la table où ils achevaient de dîner…

— Monsieur Romieux vous attend, dit-elle, en grimaçant son hideux sourire.

— Merci, dit le Loupeur.

Et versant le reste de la bouteille dans les deux verres.

— À ta santé, Fil-en-Quatre ! reprit-il en s’adressant à sa nouvelle connaissance. Suis-moi et surtout ne t’étonne de rien.

— Il n’y a pas de soin ! reprit Fil-en-Quatre qui affectionnait cette phrase.

Et il vida son verre.

— C’est un mâle ; il n’a pas froid aux yeux, dit la Marlouze avec complaisance. Je suis contente de voir que vous vous entendez.

— On me l’avait déjà recommandé, la mère, répondit le Loupeur en riant. C’est égal, ce que vous me dites de lui me fait plaisir.

— Ça y est-il ? reprit-elle.

— Oui, répondit le Loupeur en se levant, mouvement aussitôt imité par son compagnon ; quand il vous plaira, nous sommes prêts.

— Alors en route, mauvaise troupe, fit-elle en riant ; M. Romieux n’aime pas attendre ; et vous n’êtes pas encore rendus.

Les deux hommes la suivirent.

Elle les fit sortir de la boutique par une porte de dégagement percée à droite près du comptoir, leur fit traverser une pièce assez grande, servant de salon de société dans certaines circonstances exceptionnelles, prit deux lanternes sourdes allumées posées sur une table, en remit une à chacun des deux hommes ; puis elle ouvrit une seconde porte et ils se trouvèrent dans la cour.

Il faisait un froid très vif, l’obscurité était profonde, les deux hommes avaient caché les lanternes sous leurs blouses.

— Eh ! Cagnard ! cria la Marlouze, boucle la lourde, mon fiston.

— C’est fait ! répondit une voix avinée au fond du corridor.

— Alors nous sommes des bons, reprit la Marlouze ; il s’agit maintenant de ne pas nous amuser, hein ? car il fait un rude frisquet.

Elle s’approcha alors du puits, se baissa, sembla pendant quelques instants tâter avec les mains.

Puis, tout à coup une partie de la margelle du puits parut s’enfoncer en terre et démasqua une large ouverture.

— Là, maintenant, voilà votre chemin, mes agneaux, dit en riant l’affreuse femme : la route est sûre mais étroite.

Le Loupeur s’approcha alors du puits, se pencha sur l’ouverture, démasqua l’âme de sa lanterne, et regarda attentivement pendant une ou deux minutes.

Une solide échelle de corde, tendue et raidie comme les haubans des mâts d’un navire, et solidement accrochée à deux anneaux scellés dans la muraille du puits, descendait à une profondeur que l’on ne pouvait pas calculer ; car elle se perdait, après quelques mètres, dans les ténèbres que la lumière assez faible de la lanterne était impuissante à combattre.

— C’est bien, dit froidement le Loupeur en accrochant tranquillement sa lanterne à la ceinture de cuir qui servait à retenir son pantalon ; c’est le chemin du ciel : il n’est pas agréable, mais, bah ! puisqu’il le faut, on le prendra tout de même, n’est-ce pas, Fil-en-Quatre ?

— Pardi ! la belle malice, répondit celui-ci, ça ne fera pas un pli ; mais tu te trompes, c’est plutôt le chemin de l’enfer puisqu’il s’enfonce en terre.

— Eh bien ! nous allons faire comme lui, dit gaîment le Loupeur en commençant à descendre.

— Eh ! là-bas, reprit en riant Fil-en-Quatre, ne partons pas les uns sans les autres, s’il vous plaît ! Bah ! après tout, il ne s’agit que d’une quarantaine de mètres tout au plus à descendre.

— Soixante-dix, dit la Marlouze.

— Alors, c’est un véritable voyage d’agrément, dit Fil-en-Quatre en ricanant ; bien des choses chez vous, et bonsoir à vos poules.

Et il suivit intrépidement le Loupeur, dont la lanterne n’apparaissait plus que comme un point brillant perdu au milieu des ténèbres.

Derrière les deux hommes, la margelle du puits reprit sa place, et la Marlouze rentra dans sa boutique, après avoir donné l’ordre de rouvrir la porte de la rue que, par précaution, elle avait fait fermer.

Cependant, les deux bandits continuaient lentement leur descente.

Ces hommes devaient être doués d’une forte dose de courage, pour s’enfoncer ainsi dans un puits dont ils ignoraient presque la profondeur, sans savoir positivement ce qui les attendait en bas, et au risque de se rompre les os, au moindre faux pas.

Un air lourd et chaud les enveloppait et faisait ruisseler la sueur sur leurs visages.

Un silence de mort régnait autour d’eux.

Ils n’entendaient d’autre bruit que celui de leur respiration haletante.

Parfois ils s’arrêtaient pour reprendre haleine ; puis ils continuaient à descendre échelon par échelon.

Le Loupeur s’amusait à compter les échelons, soit pour tromper son impatience, car la descente durait déjà depuis près d’un quart d’heure, soit, ce qui est plus probable, afin de changer le cours de ses idées qui, on le comprendra, ne devaient être nullement couleur de rose.

Il comptait à voix haute pour renseigner son camarade.

Au deux-cent-huitième échelon, il dit en ricanant, suivant sa coutume :

— Nous devons approcher ?

— Il n’y a pas d’soin, répondit Fil-en-Quatre, à trois échelons par mètre, il en manque encore deux, si la vieille ne nous a pas trompés.

— Juste ! dit une grosse voix, en se mêlant à l’improviste à la conversation : encore deux et vous y êtes.

— Merci, dit le Loupeur en sautant à terre.

— J’ai bien l’honneur de vous souhaiter le bonsoir, cher monsieur, dit Fil-en-Quatre, en dessinant un salut de théâtre.

— Comment, bonsoir ? se récria le troisième interlocuteur ; il est à peine midi.

— Excusez-moi, monsieur, votre montre retarde, dit poliment le Loupeur ; à la mienne, qui marche fort bien, il est une heure vingt-sept minutes.

— Soyez les bienvenus, messieurs, nous nous entendons, reprit le troisième interlocuteur en s’avançant à la rencontre des deux hommes, et démasquant une torche allumée qu’il tenait à la main.

Les autres le virent alors, et ils le reconnurent.

— Tiens, Caboulot ! s’écria le Loupeur.

— Je me disais aussi : voilà une voix que j’ai entendue quelque part, ajouta Fil-en-Quatre ; ça va bien, ma vieille ?

— Très bien, merci, rangez-vous un peu dans cet enfoncement.

Les deux hommes obéirent.

Caboulot, dont nous connaissons enfin le nom, était un grand et solide gaillard d’une quarantaine d’années, à la face rougeaude et presque enflammée.

Ses traits avaient une expression de bonhomie narquoise, qui n’inspirait que médiocrement la confiance.

Il était à peu près vêtu comme ses deux compagnons, mais d’une façon encore plus misérable et plus dépenaillée.

Lorsqu’il vit les deux hommes blottis dans l’enfoncement, il saisit une espèce de manivelle fixée à la muraille, et après leur avoir dit :

— Surtout ne bougez pas.

Il tourna vigoureusement la manivelle deux ou trois fois, puis il se rejeta vivement en arrière.

— Tiens, qu’est-ce que vous faites donc ? demanda le Loupeur.

— J’assure nos derrières contre les mouches, répondit Caboulot.

— Bah ! dit Fil-en-Quatre, est-ce qu’il en est descendu d’autres avant nous ?

— Depuis midi c’est une procession ; vous retrouverez là-bas pas mal d’amis et de connaissances.

— Tiens, ça me va, ce sera agréable. Mais, dis donc Caboulot, c’est pas tout ça ! comment ferons-nous pour remonter maintenant que voilà l’échelle par terre ?

— Bah ! ne t’inquiète pas, me pauvre vieille, vous ne sortirez pas par ici ; d’ailleurs, il suffirait de cinq minutes pour remettre l’échelle en place, si cela était nécessaire.

— Cristi ! s’écria Fil-en-Quatre avec une joyeuse admiration, comme c’est machiné ! Parole sacrée ! on se croirait à l’Ambigu.

— Je ne vois pas de passage, dit le Loupeur.

— En voici un, répondit Caboulot.

Il poussa un ressort, et une porte masquée s’ouvrit subitement dans le renfoncement même où ils se tenaient tous trois blottis.

Les trois hommes passèrent.

Puis Caboulot repoussa la porte qui se referma et devint invisible.

— Cristi ! dit Fil-en-Quatre, y a pas de soin ! et il ajouta en se frottant joyeusement les mains, c’est de plus fort en plus fort, comme chez Nicolet !

Les singuliers excursionnistes se trouvaient alors dans un immense souterrain, dont non-seulement, malgré la vive lumière projetée par la torche, il était impossible d’apercevoir l’extrémité, mais même de sonder l’étendue.

Ce souterrain paraissait être une carrière depuis longtemps abandonnée, et remontant à une haute antiquité.

À chaque instant, les trois hommes rencontraient de larges excavations, s’ouvrant comme des galeries dans différentes directions et semblant s’enfoncer très loin sous le sol.

La voûte était assez haute et soutenue de dix mètres en dix mètres par de solides piliers.

Quelques signes compréhensibles, et reconnaissables seulement pour Caboulot, l’aidaient à se diriger avec assurance et sans jamais hésiter dans ce dédale inextricable pour tout autre que lui.

En effet, les explorateurs traversaient souvent de larges salles presque rondes, où venaient aboutir, en rayonnant comme dans un carrefour, plusieurs larges galeries.

D’autres fois, la voûte s’abaissait tout à coup de telle sorte que les trois hommes étaient contraints de se courber presque en deux.

Puis ils tournaient ou franchissaient des éboulements, les uns anciens et d’autres récents.

D’autres fois, ils semblaient revenir sur leurs pas, tourner sur eux-mêmes dans un même cercle ; il leur fallait monter, descendre, pour remonter et redescendre encore, et, cela, presque continuellement.

Malgré tout leur courage, le Loupeur et Fil-en-Quatre, nullement accoutumés à faire de semblables pérégrinations dans des parages aussi excentriques, se sentaient le cœur serré.

Cette solitude, ce silence de plomb, que seul troublait le bruit de leurs pas, les glaçait.

Ils étouffaient sous cette voûte, qui pesait sur eux comme une machine pneumatique : l’air manquait ; ils haletaient.

Ils marchaient, silencieux et mornes, derrière leur guide, qui, sans doute accoutumé a faire ce long trajet, sifflait insoucieusement entre ses dents cette ineptie nommée le Pied qui r’mue, dont la vogue était à son apogée à cette époque.

Ils marchèrent ainsi pendant plus d’une heure et demie.

Ils étaient complètement désorientée, et ne savaient plus de quel côté ils se dirigeaient.

Ils ne pensaient plus, ils allaient machinalement derriere leur guide.

En effet, rien n’est plus effrayant et démoralisant qu’une longue course, faite ainsi à une grande profondeur sous terre ; et les deux hommes se trouvaient à cent-dix pieds sous le sol de la ville.

Depuis environ vingt minutes, ils montaient une pente assez rapide.

Tout à coup leur guide obliqua à droite, s’engagea dans une nouvelle galerie, continua à marcher encore pendant quelques instants ; puis il s’arrêta, et jeta un regard autour de lui, comme pour mieux voir.

— Que regardes-tu donc ? lui demanda le Loupeur, intrigué par ces mouvements.

— Rien ; j’ai cru entendre du bruit.

— Est-ce que tu supposes que nous sommes suivis ?

— Peut-être, ces souterrains sont immenses.

— Nous en savons quelque chose ! dit Fil-en-Quatre avec un soupir étouffé.

— Bah ! dit Caboulot en riant, vous n’avez rien vu encore !

— Eh bien merci, j’en ai assez ; ce que j’ai vu suffit à me satisfaction personnelle, dit encore Fil-en-Quatre.

— Tu disais donc ? fit le Loupeur.

— Je disais, reprit Caboulot, que ces souterrains sont immenses. Nous ne connaissons pas encore toutes les galeries, et il n’y aurait rien d’étonnant, quoique je me croie sûr du contraire, que quelques-unes des sorties aient échappé à nos recherches.

— Diable ! fit le Loupeur, ce serait fâcheux.

— Très fâcheux, ponctua Fil-en-Quatre ; on ne serait plus chez soi.

— Oui, reprit Caboulot, très fâcheux. J’avais cru entendre du bruit dans une galerie devant laquelle nous venons de passer.

— Je n’ai rien entendu, dit le Loupeur.

— Ni moi non plus, ajouta Fil-en-Quatre.

— Alors, je me serai trompé ; et cependant, en allant au-devant de vous, j’avais déjà cru entendre le même bruit ; enfin, n’en parlons plus : c’est égal, je veillerai ; en route !

— Sommes-nous loin encore de l’endroit où nous allons ? demanda le Loupeur.

— Oui, je ne serais pas fâché de m’arrêter, je commence à être fatigué, ajouta Fil-en-Quatre en ricanant.

— Dans cinq minutes nous serons arrivés.

— Voilà qui est parler, à la bonne heure ! dit Fil-en-Quatre avec un soupir de soulagement.

— Allons ! en route ; nous n’avons déjà perdu que trop de temps.

— Allons ! répétèrent gaiement les deux hommes.

Caboulot fit encore quelques pas.

Enfin il s’arrêta, ouvrit une porte secrète donnant dans une cave remplie de barriques de vin rangées dans le plus grand ordre.

— Comme c’est bien meublé, ici ! ne put s’empêcher de dire Fil-en-Quatre en jetant un regard de convoitise sur les barriques.

Caboulot sourit d’un air narquois, mais sans répondre.

Les trois hommes traversèrent la cave.

Caboulot ouvrit une autre porte.

Ils gravirent un escalier, traversèrent une cour assez petite, et s’arrêtèrent enfin devant une porte, sur laquelle Caboulot frappa trois coups secs et espacés à la façon franc-maçonnique.

— Entrez ! répondit aussitôt une voix forte de l’intérieur.