Aller au contenu

Les Pittoresques (Eekhoud)/Le Phénix

La bibliothèque libre.
Librairie des Bibliophiles ; Librairie Muquardt (p. 10-11).


LE PHÉNIX

  
Quand elle me quitta, le cœur plein de dégoûts,
Je jurai — renonçant à l’amour sur la terre —
Que des couples heureux je ne serais jaloux,
Et que je marcherais résigné, solitaire…
 
La moiteur des baisers aux lèvres des époux,
Les timides aveux, le ravissant mystère
Des regards échangés aux premiers rendez-vous,
Ont rallumé pourtant dans mon âme un cratère.

L’on ne s’isole pas à vingt ans, quand les fleurs
Aux rayons printaniers avivent leurs couleurs,
Exhalant des parfums qui grisent les pensées…
 
Quand les nids désertés se peuplent de nouveau,
Quand jusqu’au mort blotti dans le froid du caveau
Tressaille au souvenir des tendresses passées…



 

Lorsque le vent léger, subtil entremetteur,
Porte des champs aux bois les poussières fécondes,
Répandant le pollen imprégné de senteur
Sur les vierges pistils entr’ouverts près des ondes…
 
Lorsqu’il n’est pauvre ou riche, hôtel d’agioteur,
Gîte de mendiant, fiers palais, trous immondes,
Qui n’aient entre leurs murs reçu pour visiteur
Celui qui jette au cou des gars les filles blondes,

Comment devrais-je, moi, jeune autant que pas un,
Me désoler toujours en regrettant l’œil brun
De celle qui trompa mon cœur naïf et tendre ?…
 
Non, je veux l’oublier… C’est la folle saison :
Au premier pas lutin marchant vers ma prison
J’ouvre… L’amour phénix renaîtra de la cendre.

Même date..