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Les Poésies de François Mauriac

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Les Poésies de François Mauriac
Revue des Deux Mondes6e période, tome 12 (p. 196-204).
LES POÉSIES DE M. FRANÇOIS MAURIAC[1]

Je suis en retard avec un jeune poète très distingué, qui me semble avoir l’étoile d’un grand poète, qui très probablement avortera ; car il me semble profondément atteint de cette lassitude avant la vie et de cette « fatigue de n’avoir rien fait, » comme dit le bon peuple, gage presque certain de langueur incurable ; mais qui aussi peut se ressaisir, se rendre maître des qualités incomparables que le destin a mises en lui et nous donner un poète tout à fait dans le goût de Lamartine.

Car les deux muses de Lamartine jeune furent la Religion et sa propre enfance et les deux inspirations de M. François Mauriac sont la nostalgie de l’enfance et le sentiment religieux. Ajoutez-y, çà et là, très rarement, un peu de passion amoureuse, très triste et très amère, à la manière de Volupté de Sainte-Beuve, et vous avez, ou je me trompe fort, toute l’âme de M. François Mauriac.

Elle est très belle, très délicate, très pure, un peu féminine ; elle est délicieusement adolescente. Le duvet de la pêche est là tout entier, sans que rien l’ait flétri, ni même touché. C’est un cas extrêmement rare et charmant tout à fait.

Ce qui domine, c’est encore ce regret de l’enfance envolée qui, chez Lamartine, chez Hégésippe Moreau, chez M. Fernand Gregh, ont si vivement ému les lecteurs de trois générations différentes. Les jeunes gens se divisent très nettement en deux classes, ceux qui s’évadent de l’enfance avec enivrement, ce que, du reste, il ne faut pas leur reprocher tout de go, ni trop durement, car ils peuvent être ceux quibus non risere parentes, ou ils peuvent être des êtres d’action impatiens d’agir, etc. ; — et ceux qui sentent très nettement à dix-huit ans ce que l’on ne sent d’ordinaire qu’entre soixante-dix et quatre-vingts, à savoir que l’enfance est la seule chose qui puisse permettre de pardonner à la vie. Ces derniers sont des âmes profondes, qui, s’ils sont doués du bien dire, sont poètes, au moins pour un temps, dans la plus exquise acception du mol.

Or M. Mauriac est doué du bien dire, et je dis doué, car aucun poète n’est autant que lui exempt de toute imitation, de tout souvenir de lecture, peut-être même ou à peu près de toute lecture. « Soyez vous-même et n’ayez pas de mémoire, » disait Massenet à ses disciples, M. Mauriac n’a pas de mémoire ou ne veut pas en avoir. Il n’a que celle de lui-même. Mais comme il l’a bien !

De la douceur du passé !
Un enfant triste se lève ;
Il a les yeux pleins de rêve
Des vieux pastels effacés.

Son regard qui se souvient
Sourit d’un triste sourire
Et toute la nuit l’attire
Vers moi qui le connais bien.

Ce crépuscule ressemble
Aux soirs anciens qu’il aimait.
Le même souffle embaumait,
Nos rêves chantaient ensemble.

Le vent de ce soir, le vent
Frôla jadis les mains lasses
Des petits garçons rêvant
Dans le sommeil lourd des classes.

Et notre enfance fluette
Pleure dans la vieille cour
Où sa tendresse inquiète
Fut comme une aube d’amour.

Et c’est ce retour vers les années bleues qui lui inspire les Vacances de Pâques, les Grandes vacances, réminiscences de tout ce qui, autrefois, fut frais, vif et plein, et qui maintenant, à n’être goûté qu’en souvenir, parait, quoi qu’on fasse, un peu terne et un peu vide. C’est ce retour invincible qui fait qu’il s’arrête devant le cortège de petits enfans des écoles, orphelins sans doute ou moralement abandonnés.


… Ces tout petits
Qui rentrent dans l’ombre où personne
Ne devine en leurs corps chétifs
Une âme immense qui frissonne.

Ils ont un très mince visage,
Pâle, avec des taches de son.
On ne sait pas quel est leur âge
Nul ne connaît leur petit nom.


C’est ce retour encore qui, à propos de la mort d’un ami d’enfance, fait monter, de son cœur à ses lèvres, ces vers tout gonflés de souvenirs, ces vers vivans, comme j’en connais peu et qui se mettent si vite à l’unisson de votre âme qu’il vous semble que c’est vous qui les avez faits. Cette impression, que donne souvent Lamartine, est à considérer comme le vrai critérium des vers qui sont le chant spontané de l’âme elle-même.


Soirs d’été. Nous étions assis sur la terrasse,
L’âme pacifiée, inoccupée et lasse,
Nous parlions vaguement de l’âme et de la vie
Devant la plaine d’ombre et de ciel confondus
En regardant au loin des lueurs d’incendie
Du côté de la lande et des pays perdus.
Parfois dans le silence on entendait l’orage.

Et la pluie arrivait, de loin et tiède, sur
Le jardin secoué par un vent de tempête.
Et nous fuyions avec nos vestes sur la tête.
Dans la chambre du pavillon, je te lisais
Des vers que tu jugeais merveilleux, pour me plaire,
Puis les parfums flottaient des massifs arrosés.

Une odeur de mouillé venait des terres molles.
Et ton bras doucement pesait sur mon épaule,


La solitude de l’âme s’exprime admirablement dans une courte pièce de M. Mauriac où, avec un grand plaisir, j’ai trouvé un renversement, ou plutôt une reprise, un ressaisissement de la pensée, qui est bien curieux et bien sympathique. D’ordinaire, les éplorés se contentent de dire : « Mon âme est seule ; mon âme est triste ; mon âme est repliée : elle est bien malheureuse. » Ils s’arrêtent là. M. Mauriac se reprend et sait se dire : « Et celle des autres ! » et tout l’égotisme romantique disparaît aussitôt. C’est infiniment touchant et c’est très sain.


L’âme pleure d’être inconnue. Elle s’étonne
Qu’on passe indifférent à ses yeux de langueur.
Elle ne songe pas qu’il est d’autres automnes
Tristes comme le sien, au fond de tous les cœurs.

Elle voit seulement les larmes qu’elle pleure
Et pense qu’il n’est pas au monde d’autre nuit
Que celle appesantie au toit de sa demeure
Et que les autres ont le bonheur qui la fait.

Lasse de s’émouvoir à la douceur des voix
Du passé qu’elle aimait jadis à reconnaître,
L’âme regarde un peu ses larmes d’autrefois,
Sans plus se rappeler ce qui les a fait naître.

Elle n’éveille plus le bon désir de vivre,
Ni même de trouver un soir les yeux élus ;
Détachée à jamais, elle ne cherche plus
Celle qu’il faut aimer ni celui qu’il faut suivre.


L’amour, la femme, comme je l’ai dit, passent très rarement à travers ses vers. On les y trouve cependant, très discrètement évoqués, sous forme, ou d’amour d’hier qui a déçu et laissé un goût de cendre, ou, — vous vous y attendiez, — sous forme d’un amour ancien, d’un amour d’enfance qu’on sent qui doit demeurer ce qu’à, jamais on a goûté de meilleur. Amour d’hier :


Je veille seul dans la demeure ensommeillée,
Je veille seul avec mon cœur triste à mourir ;
La lampe assiste humble et fidèle à la veillée,
Comme un ami devant lequel on peut souffrir.

Mes lèvres ont goûté l’amertume des joies.
J’ai connu la détresse où la gaîté se noie,
Le désir et la peur de me mettre à genoux,
Et les larmes, au creux des plus ardentes joies,
Du pauvre amour trompé que nous portons en nous.

Mais ce soir, évoquant la laideur de ma vie,
Et la femme chantante et toujours poursuivie,
Tant de nuits sans sommeil et leurs mauvais vouloirs,
Il ne me reste plus que la peine ; et l’envie
D’oublier tout ; et la langueur des troubles soirs,
Et la femme chantante et toujours poursuivie.


Amour d’enfance, et l’on verra combien celui-ci est plus fort, plus pénétrant et plus tenace. Celui-ci, il a poussé ses racines. Le cœur de M. Mauriac est un cœur qui vit dans le souvenir, comme les sirènes vivent dans la mer.


Je reviens, — pour me souvenir, — m’agenouiller
Devant le tableau vieux où souffre ton sourire,
Où tes yeux d’enfant triste ont des lointains rouillés.

Il n’est pas, ce portrait dont la langueur m’attire,
Il n’est pas sur les murs de la chambre où je dors ;
Mais dans mon cœur où ton image pleure encor.

Petite âme de songe et pour toujours enfuie,
Tendresse qui m’enchante et met du rêve en moi,
Malgré la route morne et sous le ciel de suie ;

Toi qui n’existes plus ou qui n’es plus la même,
Près de qui je fus silencieux dans l’émoi
Des rêves partagés, l’hiver, à l’heure blême.

Ce qu’a toujours aimé depuis que tu n’es plus
Ma peine, c’est les yeux en larmes reconnus
D’une figure triste et qu’apeure la vie ;

Mais dans la rue, où vont d’obscures destinées,
Quand le ciel est si bas qu’il touche aux cheminées,
Elle n’a pas croisé d’ami qui la connaisse.

Lasse de rêver seule en le jardin perdu
Où la détresse gît de ma vingtième année
Cependant que s’étiole à jamais ma jeunesse,

Elle n’espère plus ton retour attendu,
Et songe que ta vie a traversé sa vie,
Petite âme de rêve et pour toujours enfuie.


Il y a une pièce qui n’est pas loin pour moi d’être un chef-d’œuvre, sauf quelques obscurités et quelques tours un peu pénibles, où M. Mauriac, — tel du moins qu’il est aujourd’hui, — se résume tout entier, qui, en même temps que : Appel à la pitié, pourrait être intitulé Confession, et même confession générale ; et qui vous donnera l’idée complète et de l’état d’âme de l’auteur et aussi de la perfection de forme où jusqu’à présent il peut atteindre. Je la donne presque tout entière ; je vous prie de la lire très attentivement ; M. Mauriac l’a intitulée le Vaincu.


Quand vous voyez passer dans l’air mouillé du soir,
L’ami comme jadis, l’ami d’autres années,
Qui se berce de vers au tombant des journées
Et qui n’a plus en lui le mirage et l’espoir ;

Songez à ce fardeau de faiblesse que porte
Sa petite âme vaine, où chantonne toujours
Le refrain puéril et las des vieux amours,
Son âme où traîne le parfum des choses mortes.

Lors, laissant loin de vous la facile ironie,
La vaine cruauté du sourire voulu,
Vous la retrouverez, cette âme et son génie
Comme un vieux livre aimé jadis et souvent lu.

Et dans son jardin clos voyant des feuilles mortes
Effacer devant vous la trace des allées
Et la rouille rongeant le fer des vieilles portes
Et le lierre voilant les urnes écaillées ;

Vous songerez : cette âme a devancé son heure ;
Elle connut trop tôt les brumes de l’automne.
A l’âge où dans le cœur un vol d’espoir frissonne,
Elle est déçue, elle est isolée, elle pleure.

Alors, ayant jeté les yeux sur votre frère,
Qui n’a plus comme vous la clarté d’un espoir,
Pour que votre pitié lui soit douce et légère,
Vous lui direz ces mots que l’on trouve le soir.


Vous avez pu juger du style de M. Mauriac, qui manque de force ; mais qui a de la souplesse et de la grâce et de l’aisance de tour. Sa langue est très bonne, et je ne trouve à relever dans son volume que je défaille, que je ne crois pas qui soit français, le verbe défailler m’étant inconnu. C’est sur le rythme que M. Mauriac devra faire porter toute son attention et toute sa vigilance.

Il n’a pas l’oreille assez sensible. Il a une horreur pour la diérèse, qui est fâcheuse. Il ne s’imagine pas combien pieux compté pour une syllabe est horrible et combien silencieux compté pour trois syllabes est au moins désobligeant, et combien médiocrité compté quatre syllabes est bizarre. Autre affaires Dans la même pièce il entremêle les vers de dix syllabes coupés 4-6 et coupés 5-5 et coupés 3-7. Il faut absolument choisir ; sinon, on aboutit à quelque chose comme une prose où par hasard sont tombés des vers, et cela est parfaitement boiteux ;


Jour blême et cru | par la fenêtre ouverte,
Bourdonnement | des mouches au plafond,
Dimanche triste | et campagne déserte
Et jeux d’enfans | dans le jardin profond

Rien ne remue | aux mornes horizons.
Chant d’un coq | dans une ferme isolée
Bruit du vent | sur les feuilles de l’allée,
Silence lourd | étreignant la maison.

Regrets toujours là | comme une habitude
Ma peine inconnue | et qu’on n’aime pas,
Ma médiocrité | dans la solitude…


Ce dernier a onze syllabes…


Et la pauvre laideur | de mon front las


Celui-ci est coupé 6-4…


La maison de campagne | obscure sent
Les coings alignés | au fond des crédences.
Dehors, c’est le silence assoupissant
Et dans l’éblouissement des vacances.


Ici il n’y a plus de rythme du tout, plus de trace. Oui, il faut que M. Mauriac se donne le sens rythmique.

Ce défaut est léger. J’en ai dit assez pour que tout le monde pense, je crois, que M. Mauriac est une grande espérance.


Ces lignes étaient écrites quand j’ai reçu le second livre de vers de M. Mauriac. Il est intitulé : L’Adieu à l’adolescence. Il n’est pas indigne du premier, il ne lui est pas supérieur. Les thèmes sont les mêmes, dont je ne me plains pas : nostalgie dès l’enfance, amour de l’ami perdu, amour de Dieu, de plus rencontre de la femme aimée qui sera la compagne de la vie. C’est l’amour de l’ami perdu qui a le mieux inspiré le poète.


Malgré tout, sois béni, pauvre mort, âme douce,
Enfant rêveur, qui venais voir tomber le jour
Dans ma chambre — à la fin des après-midi lourds
Tu m’attires encor lorsque tout me repousse.

Nul ne savait ce qui pleurait dans ton sourire.
Ah ! ton dernier regard aux horizons quittés.

O pauvre mort, ô pauvre mort, le soir descend
Comme ceux d’autrefois où s’éveillaient nos rêves.
Et n’est-ce pas encor ton cœur adolescent
Qui près de moi vers L’infini pleure et s’élève ?

O mon enfant, tu m’es plus qu’autrefois fidèle ;
Tu me suis pas à pas ; je me sens mieux aimé
Car depuis l’aube morne où tes yeux sont fermés
La présence est en moi de ton âme immortelle.


L’amour de Dieu, combattu par les passions humaines, agité et inquiet, plein d’ardeurs troublées et d’imploration de la Grâce, est aussi très sincère ici, très vrai, très simple et d’une inspiration véritablement chrétienne :


L’enfant revient, tremblant de foi, vers le mystère
De ce joug dont vous avez dit qu’il était doux,
Mais un souffle, un regard peut l’éloigner de vous.

Son âme faible est accueillante aux mauvais rêves,
Je voudrais, ô Seigneur, que le jour qui s’achève
Ne jette pas pleurant dans les bras défendus

Cet enfant retrouvé, mais si souvent perdu.


L’auteur n’a pas appris sa prosodie depuis son premier volume. Plus que jamais, il compte les syllabes de la façon la plus arbitraire et la plus capricieuse. Plus que jamais, il a l’horreur de la diérèse et il dira sans hésiter :


Les Camaïeux, l’odeur des violettes de Parme,

sans se demander si cela ne fait pas treize syllabes. Tout aussi délibérément, il écrira :


Tes ruines ont gardé dans le doux paysage,


sans s’inquiéter si ruines n’est pas de trois syllabes. Inversement, et c’est cela qui est curieux, et que je n’avais pas observé dans son premier recueil, il fait bien de deux syllabes, ce qui est infiniment étrange :


Pour que Celui qui fait leur bien ici-bas…


et fièvre de trois syllabes, ce qui ne l’est pas moins :


Je n’aime plus qu’à me pencher sur vos fièvres.


Lisez ces deux derniers vers tout haut, vous verrez la singulière impression qu’ils feront sur votre oreille.

N’importe ; la profonde et originale sensibilité de ce jeune homme nous promet un poète de rare essence ; et il suffit d’un peu de maturité ; et de quelque effort, et par là j’entends de quelque horreur de la négligence, pour que cette belle promesse soit tenue.


EMILE FAGUET.

  1. Les Mains jointes. — Adieu à l’adolescence.