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Les Puritains d’Écosse/30

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CHAPITRE XXX

La paix et le repos s’éloignent de ces lieux.
Burns.

Lorsque Morton fut arrivé à l’armée presbytérienne, la différence de discipline le frappa, et il en conçut un fâcheux augure. La discorde qui régnait dans le conseil était descendue jusque dans les rangs des soldats.

Cependant une grand’garde avait été placée à la tête du pont de Bothwell, par où l’ennemi devait nécessairement se présenter ; mais les soldats qui la composaient, divisés d’opinion et découragés, se regardaient comme envoyés à une mort certaine, et pensaient déjà à se replier vers le gros de l’armée : s’il était forcé, l’ennemi se trouvait maître d’une grande plaine où des troupes régulières auraient un avantage décidé sur des bandes indisciplinées qui n’avaient à lui opposer que peu de cavalerie et pas une seule pièce de canon.

Morton examina donc ce poste avec attention, et il le trouva susceptible de défense contre une force supérieure, il fit barricader le passage. Il conjura les chefs du détachement de tenir ferme à ce poste, dont dépendait le salut de l’armée, et leur promit de leur envoyer un renfort. Le sang-froid, l’intelligence de Morton, rendirent la confiance à tous ceux qui composaient ce poste.

Morton se porta au grand galop vers le gros de l’armée. Mais quelles furent sa surprise et sa consternation lorsqu’il n’y trouva que désordre et confusion. Au lieu d’écouter les ordres de leurs officiers, tous les soldats, mêlés ensemble, formaient une masse agitée ; tout le monde parlait, personne n’écoutait. Pendant que Morton cherche à découvrir la cause de ce tumulte, nous allons faire connaître ce qui s’était passé en son absence.

Les insurgés s’étaient disposés à tenir leur jour d’humiliation, que, selon la pratique de leurs pères dans les guerres civiles précédentes, ils regardaient comme le moyen le plus efficace de résoudre toutes les difficultés. Une chaire fut érigée au milieu du camp ; elle devait être occupée d’abord par le révérend Pierre Poundtext. Mais au moment où le digne ministre s’avançait, il fut prévenu par l’apparition d’Habacuc Mucklewrath. On ne sait si Habacuc céda aux instigations des caméroniens ; ce qui est certain, c’est qu’il saisit l’occasion de haranguer un si respectable auditoire. Il accusa d’hérésie les modérés, engageant les fidèles puritains à séparer leur cause de la leur, de crainte de se souiller en combattant dans les mêmes rangs ; appliquant à Morton les paroles de l’Écriture, il appela sur lui et les siens la colère et la vengeance du ciel.

« Prenez cet Henry Morton, cet impie Achaz, qui a amené la malédiction parmi vous, et qui s’est fait des frères sous la tente de l’étranger ; prenez-le, lapidez-le, brûlez-le ensuite, afin que la colère céleste s’éloigne des enfants de la sainte ligue. »

Une telle attaque, dirigée si inopinément contre un des principaux chefs de l’armée, excita un grand tumulte. Les caméroniens s’écrièrent que ceux qui n’étaient pas pour eux étaient contre eux ; qu’un homme tiède dans leur cause ne valait pas mieux qu’un prélatiste, un anticovenantaire, qu’il fallait procéder tout de suite à une nouvelle nomination d’officiers. Les modérés, à leur tour, accusaient leurs fanatiques adversaires de nuire au succès de la cause commune par un zèle outré et des prétentions ridicules. Poundtext et quelques autres faisaient de vains efforts pour calmer les esprits et prévenir une funeste division. Ils ne pouvaient se faire entendre, et ce fut inutilement que Burley lui-même éleva la voix pour rétablir l’ordre et la discipline. L’esprit d’Habacuc semblait s’être emparé de tous ses auditeurs : ils ne songeaient plus qu’à leurs querelles intestines, et oubliaient qu’un ennemi formidable était sur le point de les attaquer. Les plus prudents ou les plus timides se retiraient déjà, et abandonnaient une cause qu’ils regardaient comme perdue ; les autres se choisissaient de nouveaux officiers.

Ce fut en ce moment de confusion que Morton arriva, et sa présence excita des applaudissements d’un côté, des imprécations de l’autre. Apercevant Burley :

— Que signifie un tel désordre ? lui dit-il.

— Il signifie que Dieu a résolu de nous livrer entre les mains de nos ennemis.

— Non, s’écria Henry, ce n’est pas Dieu qui nous abandonne, c’est nous qui abandonnons Dieu, qui nous déshonorons en trahissant la cause de la liberté ; — et, s’élançant sur les tréteaux qui avaient servi de chaire : — Écoutez-moi, s’écria-t-il. L’ennemi vous offre la paix ; mais il exige que vous mettiez bas les armes : préférez-vous vous défendre ? Vous pouvez encore faire une honorable résistance ; mais le temps presse, il faut vous décider. Qu’il ne soit pas dit que six mille Écossais n’ont su avoir ni le courage de combattre, ni le bon esprit de faire la paix. Est-il temps de se quereller sur des points de discipline ecclésiastique, alors que l’édifice est menacé d’une destruction totale ? Souvenez-vous, mes frères, que le dernier et le plus fatal des maux que Dieu appela sur le peuple qu’il avait choisi, le dernier et le plus terrible des châtiments que l’aveuglement et la dureté de cœur de ce peuple lui attirèrent, furent des dissensions sanglantes qui divisèrent la cité au moment où l’ennemi tonnait à ses portes.

Plusieurs applaudirent à grands cris, d’autres répondirent par des huées. Mais déjà les colonnes de l’ennemi se dirigeaient vers le pont ; Morton les aperçut. Élevant de nouveau la voix : — Silence ! s’écria-t-il, voici l’ennemi : c’est de la défense du passage que dépendent notre vie et nos libertés : il y aura du moins un Écossais qui mourra pour les protéger. Que tous ceux qui aiment leur pays me suivent !

La foule vit se déployer l’infanterie royale dans un ordre imposant, flanquée d’une cavalerie redoutable, et des artilleurs établir une batterie pour foudroyer le camp. Un profond silence succéda tout à coup aux bruyantes clameurs. Chacun semblait frappé de stupeur.

Cependant lorsque Morton se dirigea vers le pont, il fut suivi d’une centaine de jeunes gens qui lui étaient particulièrement attachés.

— Éphraïm, dit Burley à Macbriar, la Providence a voulu se servir de la sagesse de ce jeune homme pour nous montrer le seul chemin de salut. Que celui qui aime la lumière suive Burley !

— Arrête ! s’écria Macbriar ; tu ne le suivras pas.

— Ne m’arrête point ! s’écria Burley ; il a dit la vérité, tout est perdu si l’ennemi emporte le pont. — À vos rangs ! — marchez avec vos chefs ! et maudit soit celui qui tournerait le dos !

Il prit le chemin du pont, accompagné d’environ deux cents de ses plus zélés partisans.

Après le départ de Morton et de Burley, un découragement total s’empara de l’armée. Les chefs en profitèrent pour rétablir un peu d’ordre : mais l’enthousiasme, l’énergie, tout avait disparu.

Kettledrummle, Poundtext, Macbriar se donnèrent beaucoup de mouvement pour faire entonner un psaume. Bientôt cette triste mélodie reçut un accompagnement plus lugubre encore par le bruit du canon et de la mousqueterie ; enfin, un nuage de fumée déroba les combattants à tous les yeux.