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Les Sérails de Londres (éd. 1911)/39

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Albin Michel (p. 309-315).

CHAPITRE XXXIX

Chapitre mélangé, ou rapsodie dans lequel on trouvera des faits et des idées bizarres conformes à tous les goûts et caractères. Transition inattendue du rire au sérieux, et du grave à l’enjouement. Pensées sur l’adultère : coutume des Turcs à cette occasion : expédient proposé pour le prévenir.

Tandis que lady V...e prend une vue microscopique de la plante sensitive de son lord, et qu’elle peut à peine, par le secours de cet instrument visuel, apercevoir l’enflure d’un pouce ; tandis que la lubrique Messaline de Stable-Yard provoque de chatouillements par l’usage intérieur des pastilles échauffantes, et force le général à prendre des cantharides pour répondre à temps à ses soupirs ; tandis que lady L...r prend des leçons de Manège à la S. George avec son palfrenier, afin de connoître son habilité dans cet art, avant de faire sa retraite temporaire de ce monde folâtre ; tandis que lady Gro..r prépare les chapeaux cypriens nouvellement inventés, et qui ont premièrement été introduits dans le Bal d’Amour de Madame Pendergast, par l’Oiseau de Paradis ; tandis que lady P...cy forme une nouvelle intrigue avec le coq du village d’Hampton, qui a complètement établi sa réputation parmi les vierges, les femmes mariées et les veuves : le globe tourne toujours sur son axe : les jours et les nuits sont à peu près égaux vers les équinoxes : les sénateurs se querellent pour les intérêts de terre et de mer. Ceux qui sont pour la cause de la mer attaquent ceux qui sont du parti contraire de malversation dans leurs régies ; et, quand ils se sont bien disputés et injuriés, ils ont recours à la question préalable, et leurs débats se terminent enfin par une majorité bien assurée.

Tel étoit l’état précis des affaires lors de notre introduction au Chapitre 32 de cet ouvrage qui, nous n’en doutons point, sera lu dans tous les quartiers du globe par les personnes de toutes les religions, de tous les partis et genres quelconques, sans en exclure l’épicurien ; et qui, de plus, sera traduit dans toutes les langues mortes et vivantes qui, jusqu’à ce jour, ont été inventées, sans en excepter celle de l’île de Formosa, quoiqu’elle n’ait jamais existé que dans la tête de son auteur. Mais il me semble entendre la voix de la critique s’écrier :

La vanité des écrivains est insupportable ; de quelle utilité peut être au monde une pareille production ? Quelle morale peut-on retirer d’un ouvrage dont le seul plan est d’exposer des scènes de lubricité et de débauche compliquée ?

Nous répondons modestement à cet argument que cet ouvrage, par les portraits hardis, naturels et véritables qui y sont décris, peut détourner la partie innocente et ignorante de notre sexe, de la route libertine et vicieuse de la vie, en la voyant embarrassée de tant d’événements dangereux et de situations sinistres ; il peut montrer à l’autre sexe, par un médium juste et fidèle, les caractères de leurs lords et maîtres, des philosophes, des moralistes et réformateurs du siècle ; il démasque l’hypocrite caché, le libertin marié, le preneur infâme, le lord méprisable et le débauché superstitieux. Que le monde envisage dans les pleins rais du soleil les portraits de ces Mécréants, et si, d’après une telle exposition, il n’en retire pas quelques heureuses conséquences, même dans un sens moral, ce sera alors la faute du lecteur et non là nôtre. À cet égard nous ne pousserons pas plus loin notre apologie sur la publication de cet ouvrage, d’autant que nous l’avons déjà faite dans plusieurs endroits de ce livre, mais nous laisserons au critique dire tout ce qu’il voudra ; et nous allons pour un moment, examiner la mauvaise conduite et les indiscrétions des jeunes personnes du beau sexe que l’on regarde chastes et vertueuses, et qui néanmoins sont coupables de pareils défauts, qui certainement, dans un sens au moins moral, les mettent au niveau, pour ne pas dire au-dessous de la prostitution commune.

Le lecteur supposa peut-être que nous voulons faire une apologie morale des bijoux indiscrets que l’on trouve dans les principaux magasins aux alentours de St-James. Nous pouvons cependant assurer que c’est en quelque sorte à ces genres de publications que l’on doit attribuer les fatales conséquences de l’éducation des écoles femelles qui produisent, dans ce sexe, autant de conséquences dangereuses que la masturbation dans les écoles des hommes. On peut en citer différents exemples parmi le grand nombre de jeunes personnes du haut rang ; et c’est à cette cause que l’on peut attribuer le manque d’héritiers aux premières successions de l’Angleterre. Plusieurs auteurs véridiques nous parlent des fatals effets de ces pratiques qui, par l’exercice violent de la masturbation et d’après les exemples qu’ils en publient, ont énervés leur corps au point de rendre leur sexe douteux, et même de les priver à jamais de suites agréables qui résultent des caresses d’un homme.

Néanmoins le lecteur peut fort bien douter de l’autorité de ces écrivains, et croire que les bijoux indiscrets sont seulement des enfantillage imaginaires ; et que le beau sexe, au lieu de s’adonner à ces pratiques contre-nature, se jette facilement dans les bras de chaque beau garçon qu’il rencontre : comme un certain gentilhomme a depuis peu déclaré, d’après le projet d’un acte du parlement pour prévenir l’adultère, que les divorces avoient eu plus de vogue dans ce règne (malgré la vertu exemplaire et l’attachement d’un certain couple illustre et royal) que jamais les annales de l’histoire aient produits depuis l’établissement de l’empire dans ces royaumes ; mais pour peu que le lecteur veuille réfléchir un moment, il sera bientôt convaincu que le témoignage des auteurs n’est pas tout-à-fait sans fondement.

Relativement au bill de ce lord, les parties ne peuvent point se remarier ensemble ni même s’unir à aucune autre personne avant l’expiration d’une année : ce qui nous rappelle les lois et les coutumes des Turcs, par rapport aux mariages et aux divorces.

Les Turcs opulens ont souvent trois ou quatre femmes et peut-être encore des concubines ; mais ils préfèrent, d’après la partie la plus louable de la loi, d’habiter avec les femmes, ce qui leur est également convenable, car ils peuvent les changer et rechanger aussi souvent que le nombre indiqué le leur permet. Après le divorce ils peuvent reprendre la même femme une seconde fois, mais non pas une troisième, à moins qu’elle n’ait été marié à un autre homme. Aucun homme ne peut épouser une femme divorcée que quatre mois et demi après sa séparation totale de son premier mari. L’homme peut obliger la femme divorcée à garder un enfant jusqu’à ce qu’il ait atteint l’âge de deux ans[1].

Après avoir cité ce qui concerne les divorces, le lecteur ne sera peut-être pas mécontent de connoître la nature et le cérémonial du mariage parmi les Turcs que nous prenons également dans le même ouvrage.

Les Turcs sont tous sujets aux liens du mariage. Le Grand Seigneur en est entièrement exempt, il prétend que le privilège de Mahomet lui est seul réservé : et pour éviter un contrat formel de parenté, où, suivant le langage turc, pour ne pas mêler son sang avec celui d’aucune famille dans son empire, il n’a point de femme, mais seulement des concubines. La première qui lui donne un fils est nommée la Sultane Haseki ; elle est couronnée de fleurs ; elle prend les prérogatives de femme, et gouverne le Haram.

Il est permis à d’autres Turcs d’avoir quatre femmes ; ils peuvent se marier, comme le dit Kabbin ; c’est-à-dire qu’ils paroissent devant le tribunal de justice ; ils déclarent que la femme qu’ils prennent est leur femme ; ils entrent dans l’obligation, que lorsqu’ils jugeront convenable de la renvoyer, d’élever les enfants, et de donner à leur femme une certaine somme stipulée qu’ils proportionnent soit à leurs circonstances, soit au temps qu’ils jugent le plus convenable pour eux de cohabiter avec elle. Ce n’est point une tache infamante pour une femme d’être ainsi répudiée, et cela ne l’empêche point de trouver un autre mari.

Nous trouvons aussi que les filles, à dessein de ne pas être trompées par un mari, ont une coutume pareille en quelque sorte à celle de la Nouvelle Angleterre ; car quoiqu’elles ne couchent pas avec les époux qu’on leur destine, elles insistent pour voir leur associé proposé in puris naturalibus, sans qu’une pareille exhibition les fasse rougir. Si elles approuvent le candidat pour le mariage, elles consentent aussi-tôt à lui donner la main ; mais s’il ne répond pas à leur attente, et si sa virilité leur semble douteuse, elles ont la liberté de le rejeter sans assigner la cause de leur refus. Si on introduisoit une pareille coutume en Angleterre, elle seroit d’un grand avantages aux dames, et elles pourroit être un moyen de prévenir les divorces ; d’autant que les femmes de rang et de ton pourroient faire cette inspection avec impunité, et sans que l’on puisse douter de leur modestie. Que de V...ne et P...y n’auroient pas alors de justes raisons de se plaindre des défauts de leurs maris et de leurs infidélités conjugales.


  1. Voyez Observations sur les loix, mœurs et coutumes des Turcs, vol. II, P. 85.