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Les Singularitez de la France antarctique/51

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 258-261).


CHAPITRE LI.

D’un autre arbre nommé Vhebehasou, et des mousches à miel qui le frequentent.


Allant quelque iour en un village, distant du lieu où estoit notre résidence enuiron dix lieues, accompagné de cinq sauuages et d’un truchement Chrestien, ie me mis à contempler de tous costez les arbres, dont il y auoit diuersité : entre lesquels ie m’arrestay à celui duquel nous voulons parler, lequel à voir l’on iugeroit estre ouurage artificiel et non de Nature. Description d’un arbre nommé Vebehasou. Cest arbre est merueilleusement haut, les branches passants les unes par dedans les autres, les fueilles semblables à celles d’un chou, chargée d’aucune branche de son fruit, qui est d’un pié de longueur. Interrogant donques l’un de la compagnie quel estoit ce fruit, il me monstre lors et m’admoneste de côtempler une infinité de mouches, à l’entour de ce fruit, qui lors estoit tout verd, duquel nourrissent ces mousches à miel dont s’estoit retiré un grâd nombre dedans un pertuis de cest arbre, où elles faisoient miel et cire. Il y a deux espèces de ces mousches[1] : Deux espèces de mousches à miel. les unes sont grosses comme les nostres, qui ne vient seulement que de bonnes fleurs odorantes, aussi font elles un miel tres-bon, mais de cire non en tout si iaune que la nostre. Hira, miel. Il s’en trouue une autre espèce la moytié plus petites que les autres : leur miel est encore meilleur que le premier, et le nôment les Sauuages Hira. Elles ne viuent de la pasture des autres, qui cause à mô aduis qu’elles font une cire noire comme charbon : et s’en fait une grande quantité, spécialement près la riuiere des Vases et de Plate. Heyra animant. Il se trouue là un animant, nommé Heyrat, qui vaut autant à dire comme beste à miel, pour ce qu’elle recherche de toutes pars ces arbres, pour manger le miel que font ces mousches. Cest animât est tanné, grand comme chat, et a la méthode de tirer le miel auec ses griffes, sans toucher aux mousches, ne elles à luy. Usage de miel tenu en grande recômendation de divers peuples. Ce miel est fort estimé par de là, pource que les Sauuages en présentent à leurs malades, mistiôné auec farine recente qu’ils ont accoustume faire de racines. Quant à la cire ils n’en usent autrement, sinon qu’ils l’appliquent pour faire tenir leurs plumettes et pennages autour de la teste. Ou bien de boucher quelques grosses cannes, dans lesquelles ils mettent leurs plumes, qui est le meilleur thresor de ces Sauuages. Les anciens Arabes et Egyptiens usoyent et appliquoyent aussi du miel en leurs maladies, plus que d’autres médecines, ainsi que recite Pline[2]. Les Sauuages de la riuiere de Marignan, ne mangent ordinairement, sinon miel auec quelques racines cuittes, lequel distille et déchet des arbres et rochers comme la manne du ciel, qui est un très bon aliment à ces barbares. Melissus, Roy de Crète. Pourquoy ont faint les poëtes les mouches estre volées à la bouche de Iupiter. A propos Lactance au premier liure des institutiôs diuines recite, si i’ay bonne mémoire, que Melissus Roy de Crète, lequel premier sacrifia aux Dieux, auoit deux filles, Amalthea et Melissa, lesquelles nourrirent Iupiter de laict de cheure, quand il estoit enfant, et de miel. Dont voyans ceux de Crète ceste tant bonne nourriture de miel, commencèrent en nourrir leurs enfans : ce qui a donné argument aux poëtes de dire que les mouches à miel estoyent volées à la bouche de Iupiter. Solon. Ce que cognoissant encore le sage Solon[3] permit qu’on transportast tous fruits hors de la ville d’Athènes, et plusieurs autres victuailles, excepté le miel. Pareillement les Turcs ont le miel en telle estime qu’il n’est possible de plus, esperâs après leur mort aller en quelques lieux de plaisance remplis de tous aliments, et spécialement de bon miel, qui sont expectations fatales. Or pour retourner à nostre arbre, il est fort fréquenté par les mousches à miel, combien que le fruit ne soit bon à manger, comme sont plusieurs autres du païs, à causes qu’il ne vient gueres à maturité, ains est mangé des mouches, côme i’ay peu apperceuoir. Gomme rouge. Au reste il porte gomme rouge, propre à plusieurs choses, comme ils la sçauèt bien accomoder.

  1. D’après Hans Staden (P. 315) il y aurait trois espèces d’abeilles : « La première ressemble à celles de ce pays, la seconde est noire et de la grosseur des mouches, la troisième de celle des moucherons… leur piqûre n’est pas douloureuse, car j’ai souvent vu les sauvages en être couverts en prenant le miel, et moi-même j’en ai enlevé quoique étant nu. » Cf. Yves d’Evreux. Voyage dans le nord du Brésil. P. 193.
  2. Pline. H. N. xxi. 46. — xxii. 50. — xxix. 38-39. — xxx. 10, 17, 19.
  3. Erreur de Thevet. On lit en effet dans Plutarque (Solon. § 31.) « De toutes les productions indigènes, il ne permit de vendre aux étrangers que l’huile, et défendit l’exportation des autres. »