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Les Singularitez de la France antarctique/65

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 340-343).


CHAPITRE LXV.

La separation des terres du Roy d’Espagne et du Roy de Portugal.


Les Roys d’Espagne et Portugal apres auoir acquis en communes forces plusieurs victoires et heureuses conquestes, tant en Leuant qu’au Ponent, aux lieux de terre et de mer non auparauant congneuz ne descouuers, se proposerent pour une asseurance plus grande de diuiser et limiter tout le païs qu’ils auoient conquesté, pour ainsi obuier aux querelles qui en eussent peu ensuyuir, Cap à trois pointes. comme ils eurent de la mine d’or du Cap à trois pointes, qui est en la Guinée : comme aussi des isles du Cap Verd, et plusieurs autres places. Aussi un chacû doit sçauoir qu’un Royaume ne veut iamais souffrir deux Roys, ne plus ne moins que le monde ne reçoit deux Soleils. Or est il dit[1] que depuis la riuiere de Marignan, entre l’Amerique et les isles des Antilles qui ioignent du Peru iusques à la Floride, pres Terre Terres du. Roy Neuue, est demeuré au prince d’Espagne, lequel tiêt d’Espagne. aussi grand païs en l’Amerique, tirant du Peru au Midy sus la coste de l’Ocean iusques à Marignan, côme a esté dit. Païs auenuz au Roy de Portugal. Au Roy de Portugal auint tout ce qui est depuis la mesme riuiere de Marignan vers le Midy, iusques à la riuiere de Plate, qui est trente six degrez de là l’Equinoctial. Et la premiere place tirant au costé de Magellan est nommée Morpion, la seconde Mahouhac[2], auquel lieu se sont trouuées plusieurs mines d’or et d’argent. Tiercement Porte Sigoure pres du cap de Saint Augustin. Quartement la pointe de Crouest Mouron, Chasteaumarin et Fernâbou, qui sont confins des Cannibales de l’Amerique. De declarer particulieremèt tous les lieux d’une riuiere à l’autre comme Curtane, Caribes, prochain de la riuiere douce, et de Real, ensemble leurs situations et autres, ie m’en deporteray pour le present. Or sçachez seulement qu’en ces places dessus nommées les Portugais se sont habituez, et sçauent bien entretenir les Sauuages du païs, de maniere qu’ils viuent là paisiblement, et traffiquent de plusieurs marchandises. Et là ont basti maisons et forts pour s’asseurer contre leurs ennemis. Pour retourner au prince d’Espagne, il n’a pas moins fait de sa part, que nous auons dit estre depuis Marignan[3] vers le Ponent, iusques aux Moluques, tant deça que delà en l’Ocean et en la Pacifique, les isles de ces deux mers, et le Peru en terme ferme : Païs non encore decouuers. tellement que le tout ensemble est d’une merueilleuse estendue, sans le païs confin qui se pourra descouurir auec le temps, comme Cartagere, Cate, Palmarie, Parise, grande et petite. Tous les deux, specialement Portugais, ont semblablement decouuert plusieurs païs du Leuant pour traffiquer, dont ils ne iouyssent toutefois, ainsi qu’en plusieurs lieux de l’Amerique et du Peru. Car pour regner en ce païs il faut prattiquer l’amitié des Sauuages : autrement ils se reuoltent, et saccagent tous ceux qu’ils peuuent trouuer le plus souuent. Et se faut accommoder selô les ligues, querelles, amitiez, ou inimitiez qui sont entre eux. Or ne faut penser telles decouuertes auoir esté faites sans grande effusion de sang humain, specialement des pauures Chrestiens[4], qui ont exposé leur vie sans auoir esgard à la cruauté et inhumanité de ces peuples, bref ne difficulté quelconque. Nous voyons en nostre Europe combien les Romains au commencemêt voulans amplifier leur Empire, voire d’un si peu de terre, au regard de ce qui a esté fait depuis soixante ans en ça, ont espandu de sang, tant d’eux que de leurs ennemis. Quelles furies, et horribles dissipations de loix, disciplines et honnestes façons de viure ont regné par l’uniuers, sans les guerres ciuiles de Sylla et Marius, Cinna et de Pôpée, de Brutus, d’Antoine et d’Auguste, plus dommageables que les autres ? Aussi s’en est ensuyuie la ruine de l’Italie par les Gots, Huns et Wandales, qui mesmes ont enuahi l’Asie, et dissipé l’Empire des Grecs. Auquel propos Ouide semble auoir parlé :

Or voyons nous toutes choses tourner,
Et maintenant un peuple dominer,
Qui n’estoit rien : et celui qui puissance.
Auoit en tout, lui faire obeissance.

Conclusion que toutes choses humaines sont subiectes à mutation, plus ou moins difficiles, selon qu’elles sont plus grandes ou plus petites.

  1. Allusion à la fameuse bulle d’Alexandre VI, qui partageait entre Portugais et Espagnols les futures découvertes. « De nostra mera liberalitate et ex certa scientia ac de apostolicas potestatis plenitudine, omnes insulas et terras firmas inventas et inveniendas, detectas et detegendas versus occidentem et meridiem, fabricando et construendo unam lineam a polo arctico, scilicet sep- tentrione, ad polum antarcticum, scilicet meridiem, quse linea distet a qualibet insularum quae vulgariter nuncupantur les Açores et Cabo Verde centum leucis versus occidentem et meridiem… vobis hœredibusque et successoribus vestris Castellae et Legionis regibus in perpetuum tenore præsentiarum donamus. »
  2. Mahouhac correspond à Macqué. Porto Seguro a conservé son nom ainsi que Fernanbuco. On ne connaît pas avec précision l’emplacement des autres points désignés. Sur ces premiers établissements Portugais à la côte brésilienne, consulter Varnhagen. Historia geral do Brasil. — Hans Staden. Ouv. cité, etc.
  3. Marignan pour Maranân ou les Amazones.
  4. Il faudrait retourner la phrase ; on sait, en effet, que si du sang coula en Amérique, ce fut surtout du sang Indien. Il suffit de parcourir les histoires écrites au XVIe siècle pour en être convaincu. — Consulter surtout à ce propos les ouvrages de Las Cases.