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Les Singularitez de la France antarctique/76

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Texte établi par Paul GaffarelMaisonneuve (p. 402-405).


CHAPITRE LXXVI.

D’une autre contrée de Canada.


Autre region de Canada decouuerte par Ia. Quartier. Quant à l’autre partie de ceste région de Canada, où se tiennent et frequentent les derniers Sauuages, elle a esté depuis decouuerte entre ledit fleuue de Chelogua, plus de trois à quatre cens lieues par ledit Quartier, auecques le cômandement du Roy : où il a trouué le païs fort peuplé, tant en sa seconde que première nauigation. Mœurs amiables de ces Canadiês. Le peuple est autant obéissant et amiable qu’il est possible, et aussi familier, que si de tout temps eussent esté nourris ensemble, sans aucun signe de mauuais vouloir, ne autre rigueur. Et ilec fist ledit Quartier quelque petit fort et bastiment pour hyuerner luy et les siens, ensemble pour se defendre contre l’iniure de l’air tant froid et rigoureux. Il fut assez bien traité pour le païs et la saison : car les habitans lui amenoient par chacun iour leurs barques chargées de poisson, côme anguilles, lamproyes et autres : pareillement de chairs sauuages, dont ils en prennent bonne quantité. Aussi sont ils grands veneurs, soit esté ou hyuer, auecques engins ou autremêt. Maniere de raquettes. Ils usent d’une maniere de raquettes[1], tissues de cordes en façon de crible, de deux piés et demy de long, et un pié de large, tout ainsi que vous represente la figure cy apres mise. Usage de ces raquettes. Ils les portent soubs les pieds au froid et à la neige, specialement quand ils vont chasser aux bestes sauuages, à fin de n’enfoncer point dans les neiges, à la poursuite de leur chasse. Ce peuple se reuest de peaux de cerfs, couroyées et accommodées à leur mode. Comme ces Canadiens chassent le cerf et autres bestes sauuages. Pour prendre ces bestes[2], ils s’assembleront dix ou douze armés de longues lances ou piques grandes de quinze à seze pieds, garnies par le bout de quelque os de cerf ou autre beste, d’un pié de long ou plus, au lieu de fer, portans arcs et fleches garnies de mesme : puis par les neiges qui leur sont familieres toute l’année, suyuans les cerfs au trac par lesdites neiges assez profondes, descouurent la voye, laquelle estât ainsi decouuerte, vous y planteront branches de cedre qui verdoyent en tout temps, et ce en forme de rets, sous lesquelles ils se cachent armez en ceste maniere. Et incontinent que le cerf attiré pour le plaisir de ceste verdure et chemin frayé s’y achemine, ils se iettent dessus à coups de piques et de fleches, tellement qu’ils le contraindront de quitter la voye, et entrer es profondes neiges, voire iusques au ventre, où ne pouuant aisement cheminer, est attaint de coups iusques à la mort. Il sera escorché sur le champ, et mis en pieces, l’enuelopperont en sa peau, et trameront par les neiges iusques en leurs maisons. Et ainsi les apportoient iusques au fort des François, chair et peau, mais pour autre chose en recompense, c’est à sçauoir quelques petits ferremens et autres choses. Bruuage souuerain dont ils usent en leurs malad1es. Aussi ne veux omettre cecy qui est singulier, que quâd lesdits Sauuages sont malades de fleure ou persecutez d’autre maladie interieure, ils prennent des fueilles d’un arbre[3] qui est fort semblable aux cedres, qui se trouuent autour de la montagne de Tarare, qui est au Lyonnois : et en font du ius, lequel ils boiuent. Et ne faut doubter que dans vingt quatre heures il n'y a si forte maladie, tant soit elle inueterée dedans le corps, que ce breuuage ne guerisse : comme souuentes fois les Chrestiens ont experimenté, et en ont apporté de la plante par deça.

  1. Champlain (P. 266). — Charlevoix. Hist. de la Nouvelle France. T. iii. P. 128, 129.
  2. N. Perrot (P. 53, 4) raconte ainsi la chasse aux caribous ou cerfs : « On environne d’abord les savanes d’arbres et de perches, de distance en distance, où se tendent des lacets de peau crue qui ferment un petit passage laissé à dessein. Quand tous ces pièges sont une fois dressez, on s’éloigne en marchant de front et faisant continuellement de grands cris ; ce bruit extraordinaire les épouvante et les met en fuite de tous costés ne sçachant plus où aller, ils viennent rencontrer cest embarras qui leur a esté préparé, et ne le pouvant franchir, ils sont contraints de le suivre pour se rendre dans le passage, où sont tendus les lacets à nœuds coulants, qui les saisissent par le col. » Cf. Champlain (P. 266). — Charlevoix. Hist. de la Nouvelle France. T. iii. P. 128, 129.
  3. L’arbre dont il est question paraît être le sapin du Canada (Abies Canadensis), doué de propriétés antiscorbutiques. On a encore émis l’opinion que ce pourrait être l’épine vinette qui a des propriétés analogues. D'après la relation de Cartier tous ses hommes, qui étaient malades du scorbut, furent guéris par la décoction des feuilles de cet arbre nommé aneoda.